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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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La salope, pensa-t-il. Ses yeux étaient humides ; une humiliation qu’il refusait de porter au crédit de cette femme. C’était le départ de son ami qui l’ébranlait, ses ennuis qui faisaient à tel point trembler ses mains que le bouchon de l’aérosol lui échappa et alla faire le tour du réduit en ricochant sur le sol. Cela le mit en colère. Tout conspirait pour l’irriter et saper ses capacités de jugement. Il posa la bombe de mousse en contrôlant ses gestes puis élimina les quelques poils qui justifiaient ce rasage.

Il pensa à la toilette d’un mort, pour ses funérailles. À Reseune, tous influençaient son avenir, tous détenaient une hypothèque sur lui, même son père qui ne lui avait pas demandé s’il voulait avoir les lettres DP à la fin de son matricule et savoir quel serait son visage jusqu’à quarante ans. Il n’était pas laid, grâce à Dieu, mais banalc ses traits rappelaient le passé aux amis – et aux ennemis – de son père. Ainsi qu’à Ari, qui l’avait coincé pour la première fois dans la réserve du laboc

Il n’avait su comment réagir, sur l’instant, et regretté un millier de fois depuis de ne pas lavoir surprise en allant au-devant de ses désirs. Cette femme ne se serait pas attendue à cela de la part d’un adolescent dont elle aurait pu être l’arrière-arrière-grand-mère. Mais en raison de sa jeunesse et du choc éprouvé, dans une situation qu’il n’aurait pu envisager auparavant, il s’était contenté de balbutier qu’il devait aller à un rendez-vous avant de lui demander si elle avait reçu son rapport sur un projet dont il avait oublié la référencec

Le sang affluait vers son visage chaque fois qu’il se rappelait cet incident. Il s’était enfui avec tant de précipitation qu’il avait oublié son bloc-notes et tous ses documents dans la réserve. Il avait ensuite préféré tout réécrire plutôt que de retourner les récupérer.

Il n’avait pas le choix et il alla retrouver Ari en essayant de se convaincre qu’il recouvrerait un peu de respect envers lui-même s’il se comportait de façon plus intelligente que la fois précédente.

Elle était âgée, mais pas au point de rendre la réjuv inefficace. Elle paraissait n’avoir qu’une bonne quarantaine d’années et il avait vu des holos d’elle à douze et seize ans : un visage privé de sa dureté actuelle. Comme la plupart des femmes qui avaient six fois son âge, elle attirait toujours les regards et dans l’obscurité son corps devait être comparable à celui de Julia Carnath, se dit-il avec cynismec et, contrairement à Julia, Ari savait ce qu’elle voulait. Tous les CIT de Reseune avaient partagé le même lit à un moment ou un autre, et il n’était pas étonnant qu’Ari Emory eût souhaité retrouver sa jeunesse avec le double d’un homme qui avait été trois fois plus jeune qu’elle à dix-sept ans. Il en eût ri, en d’autres circonstances et s’il n’avait pas été le clone en question.

Il ignorait ce qui l’attendait mais savait que ce serait une expérience inoubliable. Il n’avait fait des avances qu’à Julia, qui s’était alors permis de lui demander de servir d’entremetteur entre elle et Grant. Il s’était senti si blessé dans son amour-propre qu’il ne lui avait plus adressé la parole depuis ce jour. Sa vie amoureuse se résumait à cela, et il trouvait la misogynie de son père presque justifiable. Ari était une vipère, elle personnifiait tout ce qu’il jugeait abject, mais il pensait que sa propre attitude serait la clé du dénouement. S’il se dominait, s’il réussissait à garder à l’esprit que c’était un des coups montés de cette femme, elle n’aurait plus aucune arme à utiliser contre lui. C’était la meilleure façon de régler le problème et il avait décidé de se conduire en homme, de ne plus se dérober, d’en tirer des leçons. (Une personne de cet âge pourrait lui apprendre bien des chosesc dans maints domaines.) Il lui permettrait d’assouvir le désir qu’il lui inspirait et de perdre ou non tout intérêt pour lui.

Il pensait ne courir aucun risque en acceptant de figurer sur la liste des conquêtes d’Ari. Un jeune homme de dix-sept ans ne pouvait tomber amoureux d’une centenaire, alors que cette dernière risquait de s’attacher à un CIT adolescent au physique et à la compagnie agréables. Il la laisserait s’enferrer sur cet hameçon.

Et ce serait alors au tour d’Ari d’avoir des problèmes, et à lui de maîtriser la situation.

L’âge et la vanité de cette femme représentaient peut-être un excellent moyen d’en venir à bout. Il pourrait exploiter une faiblesse que lui seul avait découverte pour la simple raison qu’il était le garçon de dix-sept ans qui éveillait son désir.

8

Sa montre indiquait 21:05 lorsqu’il sonna à l’appartement d’Aric cinq, parce qu’il voulait l’inciter à se demander s’il viendrait ou s’il avait trouvé avec Jordan un moyen de la contrer ; et pas plus parce qu’il craignait qu’elle ne pût s’en convaincre et décider de prendre des mesures qu’il serait ensuite impossible d’annuler.

Ce fut Catlin qui ouvrit la porte, sur un décor qu’il n’avait encore jamais vu : du travertin chamois et des meubles blancs, un cadre de vie d’un luxe inouï, le genre de choses qu’Ari pouvait s’offrir et que les autres devaient se contenter d’admirer sur l’écran de leur vid lorsqu’ils suivaient des reportages ayant pour cadre des lieux tels que le Palais de l’État ; et l’azie aux nattes blondes qui formaient une couronne au sommet de son crâne, à l’uniforme noir immaculé, guindéec comme toujours.

– Bonsoir, lui dit-elle.

Sans doute était-ce la première fois qu’elle s’adressait à lui avec tant d’amabilité.

– Bonsoir, répondit-il pendant que Catlin laissait la porte se refermer.

Il entendait une musique à peine audiblec le timbre d’une flûte électronique, aussi froid et impersonnel que les corridors de pierre dans lesquels les sons se réverbéraient. Il fut parcouru d’un frisson. Il n’avait mangé qu’une poignée de pommes chips au déjeuner et un bout de pain grillé au dîner, tant il était certain de rendre ce qu’il aurait dans l’estomac. À présent, ses jambes flasques et ses étourdissements lui indiquaient que c’était une erreur.

– Sera ne vient jamais dans cette partie de ses appartements, commenta l’azie qui le précédait dans un autre couloir. Ces pièces sont purement décoratives. Regardez où vous marchez, ser, ce tapis a tendance à glisser sur la pierre. Je ne cesse de le répéter à serac Au fait ; avez-vous eu des nouvelles de Grant ?

– Non.

Son estomac se noua sous l’impact de cette attaque, portée avec modération mais de façon inattendue.

– Je ne m’y attends d’ailleurs pas.

– Je suis heureuse qu’il ne lui soit rien survenu de fâcheux, ajouta-t-elle sur un ton de confidence.

À l’intonation de sa voix feutrée, elle aurait pu lui parler de la pluie et du beau temps, et il se demanda s’il lui arrivait parfois d’éprouver de la joie ou de l’affection pour quelqu’un. Elle était aussi froide et belle que la musique et le passage dans lequel elle le précédait. Ils atteignirent un boudoir situé en contrebas, lambrissé de lainebois vitrifié, gris-bleu avec un grain rappelant du tissu sous un film de plastique, au sol couvert de tapis pelucheux blancs et meublé de fauteuils gris-vert et d’un grand divan beige. Florian venait à leur rencontre, vêtu d’un uniforme identique à celui de la femme. Ses cheveux bruns et son corps frêle étaient en contraste avec la chevelure blonde et l’allure athlétique de Catlin. Il s’adressa à l’azie.

– Va dire à sera que son invité est ici.

Puis il prit Justin par l’épaule.

– Désirez-vous un rafraîchissement, ser ?

– Oui. Vodka et pechisi vous avez.

Le pechidevait être importé. C’était une folie, mais il se trouvait sous le choc provoqué par la découverte des richesses qu’Ari avait amassées dans son antre aménagé au cœur même de Reseune. Il regarda les statues downers installées dans l’angle opposé, derrière le bar. Puis il étudia en ouvrant de grands yeux des images votives, une sculpture en acier et quelques tableaux suspendus aux lambris de lainebois. Seigneur, il les connaissait. Il avait vu sur des bandes ces classiques de vaisseaux subluminiques, des chefs-d’œuvre remisés en un lieu où seuls Ari et ses proches pouvaient les admirer.

Il se trouvait dans un palais érigé au sybaritisme.

Et il pensa à l’azi de neuf ans dont lui avait parlé son père.

Florian lui apporta la boisson.

– Asseyez-vous, je vous en prie.

Mais Justin alla faire le tour de la galerie surélevée qui occupait le pourtour de la pièce, afin de regarder les toiles, l’une après l’autre. Il buvait à petites gorgées un breuvage auquel il ne goûtait que pour la deuxième fois de son existence et tentait de se détendre.

Il entendit des pas et se retourna. Ari venait vers lui, vêtue d’une robe imprimée aux motifs géométriques qui scintillaient sous les lumières ; une tenue qui n’eût pas été de circonstance pour un rendez-vous d’affaires. Il la regarda et son cœur se mit à marteler sa poitrine. Et il fut pris de panique en prenant conscience que cette femme était bien réelle, qu’il ignorait tout de sa situation, et qu’il n’existait pour lui aucune échappatoire.

– Tu apprécies ma collection ?

Elle désigna la toile devant laquelle il s’était trouvé à son arrivée.

– Elle a été peinte par mon oncle. Un véritable artiste.

– Un vrai maître.

Il resta un instant décontenancé. Il ne s’était pas attendu à ce qu’Ari débutât leur entretien en évoquant des souvenirs.

– En bien des domaines. Tu ne l’as pas connu ? Mais non, il est mort en 45.

– Avant ma naissance.

– Bon sang, je finis par m’y perdre.

Elle glissa son bras sous le sien pour le guider vers le tableau suivant.

– Celui-ci est inestimable. Fausberg, un artiste naïf mais une des rares représentations d’Alpha Cent. Plus aucun humain ne s’y rend, désormais. J’adore cette toile.

– Elle est en effet très belle.

Il s’en dégageait une étrange sensation d’éternité et d’antiquité. Justin avait conscience d’avoir devant lui une œuvre originale, peinte par un artiste qui s’était rendu là-bas, jusqu’à cette étoile que l’humanité avait depuis perdue.

– À une époque, nul ne soupçonnait sa valeur. Moi si. De nombreux peintres naïfs étaient à bord des premiers vaisseaux. La lenteur des déplacements subluminiques leur laissait le loisir de s’adonner à leur art. Fausberg utilisait des feutres à graphique et des couleurs acryliques, et il a fallu mettre au point de nouvelles techniques de conservation, là-haut à la stationc à ma demande. Mon oncle a acheté le lot et j’ai fait le nécessaire pour que ces peintures soient préservées. C’est ainsi que les toiles de l’Argoont été sauvées. La plupart sont exposées au musée de Novgorod et Station Sol souhaite acquérir un 61 Cygnusde Fausberg. Nous accepterons sans doute de le céder contre un tableau de valeur équivalente. Je pense à un certain Corotc

– Corot ?

– Voyons, mon enfant. Des arbres. Des arbres au feuillage vert. As-tu vu des bandes terriennes ?

– Un grand nombre.

Il oublia un instant son anxiété pour se rappeler des paysages plus étranges encore que ceux non terraformés de Cyteen.

– Eh bien, voilà ce que peignait Corot. Entre autres choses. Il faut que je te prête quelques bandes. Tout de suite, pendant que j’y pensec Catlin, peux-tu me trouver cette série sur Les Origines de l’Art humain ?

– Oui, sera. Je vais les demander à l’ord.

– Parmi tant d’autresc Celui-ci, jeune homme, est un des nôtres. Shevchenki. Nous avons son fichier. Il est mort d’une panne de scaphandre, le malheureux, au cours des travaux de Pytho, là-haut sur la côte. Mais son travail est remarquable.

Le rouge des falaises et le bleu des lainebois étaient trop banals pour susciter l’intérêt de Justin. Ilaurait pu en faire autant. Mais les règles de politesse les plus élémentaires l’empêchèrent d’exprimer cette pensée à haute voix. Il dessinait. Il lui était même arrivé de peindre, à l’époque où il se sentait contaminé par l’inspiration des artistes-explorateurs. Cloué au sol, il avait imaginé des étoiles et des mondes étrangers, faute de pouvoir espérer quitter un jour Reseune.

Jusqu’au moment où Jordan avait paru en avoir la possibilité.

Florian vint présenter une boisson à Ari, un breuvage doré dans un verre en cristal taillé.

– Vodka-orange, dit-elle. As-tu déjà goûté de l’orange ?

– Synthétique ?

Tous l’avaient fait.

– Non, le jus du fruit véritable. Tiens. Bois une gorgée.

Il y trempa les lèvres et découvrit une saveur étrange, douce-amère et indéfinissable, sous celle de l’alcool. Un goût de Vieille Terre, si elle disait vrai. Et celle qui possédait de tels chefs-d’œuvre ne se serait pas abaissée à mentir en ce domaine.

– C’est bon, dit-il.

– Bon ? C’est un délice ! L’AG va essayer d’acclimater ces arbres fruitiers. Nous pensons leur avoir trouvé un sitec et il ne sera même pas nécessaire de les modifier, car le sol devrait leur convenir. Le fruit est orange vif. Comme son nom l’indique. Il contient plein de bonnes choses. Allons, prends mon verre. Florian, prépare-m’en un autre, veux-tu ?

Elle lui serra le bras avec plus de force et le guida vers les marches, qu’ils descendirent jusqu’au divan.

– Qu’as-tu dit à Jordan ?

– Que Grant est parti et qu’il n’a pas à s’inquiéter.

Il s’assit, but une gorgée de vodka-orange, puis posa le verre sur la tablette de cuivre placée derrière le siège. Il avait repris le contrôle de ses nerfs autant qu’il jugeait possible d’y parvenir en ce lieu, et en cette compagnie.

– Je ne lui ai rien dit d’autre. J’estime que ce sont mes affaires.

– Est-ce vraiment le cas ?

Elle s’installa à son côté, ce qui eut pour effet de tendre son estomac et de le mettre mal à l’aise. Elle posa la main sur sa cuisse et se pencha vers lui, alors qu’il pensait au jeune azi et à ceux qu’elle avait éliminés sans raison, ces malheureux qui ne savaient même pas qu’ils allaient mourirc seulement qu’ils devaient se présenter à un examen médical.

– Rapproche-toi, mon chéri. Tout va bien. C’est agréable, pas vrai ? Tu ne devrais pas être aussi tendu, aussi nerveux.

Elle glissa un bras entre le dossier du siège et ses côtes, pour lui masser le dos.

– Là, décontracte-toi. Ça fait du bien, pas vrai ? Tourne-toi, et laisse-moi faire.

Comme le jour où elle l’avait pris au piège dans le labo. Il chercha une repartie, mais échoua. Il reprit le verre et but une gorgée, puis une autre, sans lui obéir pour autant. La main de la femme poursuivait ses mouvements.

– Tu es si tendu. C’est pourtant très simple, personne ne t’oblige à rester. Tu es libre de t’en aller, si tu veux.

– Bonne idée. Pourquoi pas dans votre chambre, bon sang ?

Ses mains commençaient à trembler et les extrémités de ses doigts devenaient aussi froides que de la glace. Il vida son verre, sans la regarder.

Je pourrais la tuer,se dit-il sans éprouver de colère. Lui briser le cou avant que ses azis n’aient le temps d’intervenir. Que feraient-ils ensuite ?

Un psychosondage révélerait les agissements de cette femme. Autant pour sa réputation.

C’est peut-être le meilleur moyen de me tirer de ce mauvais pas.

– Justin a terminé son verre, Florian. Apporte-lui-en un autrec Allons, mon cœur. Détends-toi. Tu ne peux pas faire une chose pareille, tu le sais aussi bien que moi. Désires-tu en obtenir la confirmation ? Est-ce ce que tu veux ?

– Ce que je veux, c’est une autre vodka-orange, marmonna-t-il.

Tout lui paraissait irréel, cauchemardesque. Dans un instant elle s’adresserait à lui comme elle l’avait fait lors de ses interrogatoires. Il était pris dans un piège et ne savait pas comment s’en libérer. Il décida de boire, de s’enivrer au point d’en être malade et impuissant, ce qui la contraindrait à renoncer à ses projets.

– Tu m’as déclaré n’avoir eu aucune expérience sexuelle, celles procurées par les bandes exceptées, fit-elle. Est-ce bien la vérité ?

Il sedétourna sans répondre pour découvrir si Florian lui apporterait bientôt un verre et chercher un moyen d’orienter la conversation vers un autre sujet.

– Penses-tu être normal ?

Il s’abstint à nouveau de répondre. Il étudiait le dos de l’azi qui versait et mélangeait les ingrédients, pendant que les doigts d’Ari pétrissaient son dos et que les coussins s’affaissaient sous le poids de la femme. Elle s’était collée contre lui pour faire glisser sa main le long de son flanc.

Florian lui tendit la vodka-orange, qu’il but en restant accoudé au dossier du divan. Ari continuait de le masser, avec lenteur et douceur.

– Je vais te dire une chose, déclara-t-elle à mi-voix. Te rappelles-tu ma réflexion sur les rapports sexuels entre membres de la Famille et sur ce qui en découle ? Je compte te faire une faveur. Demande-moi laquelle.

– Laquelle ? s’enquit-il, faute d’avoir le choix.

Les bras de la femme se refermèrent autour de son corps et il but, dans l’espoir que l’alcool emporterait ses nausées.

– Tu crois encore que le sexe et les sentiments sont liés. Rien n’est plus faux. On peut avoir des rapports charnels pour satisfaire un besoin naturel, pour des raisons personnelles, ou tout simplement parce que c’est agréable. Il arrive que l’on se sente très proche de son partenaire et que l’on désire que ce soit réciproque. On lui accorde alors sa confiance, et c’est une grave erreur. La première chose qu’il convient de bien assimiler, c’est qu’on peut faire cela avec n’importe qui. La deuxièmec qu’il s’établit des liens avec des gens qui ne font pas partie de la Famille et que cela fausse le jugement, hormis si on garde la règle précédente à l’esprit. Voilà la faveur que je te fais, mon chéri. Je t’évite de te méprendre sur la nature de ce qui va se passer entre nous. Est-ce agréable ?

Il avait des difficultés à respirer, à avoir des pensées cohérentes. Son cœur battait à contretemps et les caresses de la femme accentuaient la sensibilité de sa peau, elles le conduisaient au bord de la jouissancec ou d’un intense inconfort. Il n’aurait pu se prononcer. Il but une bonne dose de vodka-orange et tenta de projeter son esprit loin de là, dans le néant, au sein d’un étrange brouillard qui dissolvait le contrôle exercé sur son être.

– Comment te sens-tu, mon chéri ?

Malade, pensa-t-il. Il devait être ivre, mais il enregistra à la frontière de ses sens une dislocation, une perte de perception des relations spatialesc comme si Ari se trouvait à un millier de kilomètres, que sa voix provenait d’un point situé à la fois très loin derrière lui et sur le côtéc

Il reconnaissait les symptômes propres aux cataphoriques, cette drogue qu’on prenait pour suivre les bandétudes. La panique l’envahit et engendra un véritable chaos dans son cerveau. Les stimuli étaient innombrables et parvenaient bien trop vite à son corps qui paraissait s’attarder dans un univers à l’atmosphère sirupeuse. Une dose peu importante, il s’en rendait compte. Il sentit Ari remonter sa chemise et caresser sa peau nue, alors même qu’il perdait son sens de l’équilibre et avait des vertiges. La pièce se mit à tournoyer autour de lui. Il lâcha le verre et la boisson glacée se répandit sur sa hanche et sous ses fesses.

– Ô mon Dieu ! Florian, ramasse ça.

Il sombrait. Toujours conscient, il tenta de bouger. Mais la confusion l’envahit, un tumulte de sons assourdissants et de sensations vertigineuses. Il essaya de restaurer son sens critique. C’était difficile. Il savait que l’azi venait de récupérer le verre et que sa tête reposait désormais sur les cuisses d’Ari, dans la dépression de ses jambes croisées, qu’il regardait le visage de la femme la tête en bas et qu’elle déboutonnait sa chemise.

Et elle n’était pas la seule à le dévêtir. Il entendait des murmures, mais aucun ne s’adressait à lui.

– Justin, dit une voix pendant que les mains d’Ari inclinaient sa tête.

Elle chuchotait, comme dans les bandes.

– Es-tu à ton aise ?

Il l’ignorait. La peur et la honte l’assaillaient, et tout au long d’un interminable cauchemar il fit l’objet d’innombrables caresses. Puis il se sentit soulevé, emporté, et allongé sur le sol.

C’étaient Catlin et Florian, qui se penchaient vers lui. C’étaient Catlin et Florian qui le touchaient, le déplaçaient, et lui faisaient des choses dont il n’avait que vaguement conscience mais qu’il savait répréhensibles, honteuses et avilissantes.

Arrêtez, leur ordonnait-il en pensée. Arrêtez. Je ne suis pas d’accord.

Je ne veux pas.

Mais il y avait le plaisir, une explosion qui affectait ses sens en un lieu infini, en un lieu de ténèbres.

Au secours.

Je ne veux pas.

Il n’était qu’à moitié conscient, quand Ari lui demanda :

– Tu es éveillé, n’est-ce pas ? Comprends-tu, à présent ? Il n’y a rien d’autre. Il n’existe rien de supérieur. Tu ne pourras rien trouver de plus, peu importe avec qui. De simples réactions biologiques. La première règle et la deuxièmec

» Regarde l’écran.

La bande défilait. Des images érotiques qui se fondaient dans ce qu’il vivait. Il trouvait cela très agréable, mais à son corps défendant. Il n’était responsable de rien, ce n’était pas sa fautec

– Je crois qu’il émergec

– Il lui en faut encore un peu. Il va s’en remettre.

– Rien ne peut procurer autant de sensations que les bandes. Pas vrai, mon garçon ? Peu importe l’individu. De simples réactions biologiques. Quoi qu’on te fassec

» Ne bouge pasc

» Plaisir et souffrance, la frontière qui les sépare est étroite. Il est possible de la franchir toutes les dix secondes et la douleur devient alors jouissance. Je peux te guider sur cette voie. Tu te souviendras de ce que j’ai fait pour toi, mon chéri. Tu penseras à cela, tu t’en souviendras jusqu’à la fin de tes joursc et rien ne sera plus jamais comme avantc

Il ouvrit les yeux sur une ombre qui le surplombait. Il était nu, dans un autre lit que le sien, et une main caressait son épaule. Elle se déplaça pour écarter une mèche de cheveux tombée devant ses sourcils.

– Là, là, réveille-toi, dit Ari.

C’était son poids qui inclinait le bord du matelas, Ari assise près de lui, habillée alors quec

Son cœur bondit et s’emballa.

– Je dois me rendre au bureau, mon chéri. Tu peux dormir, si tu le souhaites. Florian t’apportera ton petit déjeuner.

– Je rentre chez moi.

Il remonta le drap pour couvrir sa nudité.

– Comme tu voudras.

Le matelas redevint horizontal lorsqu’elle se leva pour aller s’étudier dans le miroir mural : une manifestation d’indifférence qui tendit les nerfs de Justin et brassa son estomac.

– Viens au labo quand ça te chante. Tu peux aller tout raconter à ton père, si tu le souhaites.

– Que suis-je censé faire ?

– Ce que tu veux.

– Ne voulez-vous pas que je reste ici ?

La panique rendait sa voix tranchante et il avait peur qu’Ari pût le remarquer, et s’en servir contre lui. Il assimilait les propos de la femme à une menace. Sa voix était atone, dépouillée du moindre indice qui lui eût permis de déduire ses pensées, et il oublia un court instant que Grant constituait toujours pour lui un moyen de pression.

– Ça ne marchera pas.

– Vraiment ?

Ari donna de petites tapes à ses cheveux. Elle était très élégante, dans cet ensemble beige. Elle se retourna, pour lui sourire.

– Viens quand tu voudras. Ce soir, tu pourras rentrer chez toi. Nous recommencerons peut-être, qui sait ? Pourquoi ne pas en informer ton père et l’inciter à rendre tout cela public, hmmm ? Raconte-lui ce que tu veux. Au fait, j’ai tout enregistré. Les preuves ne manqueront pas, s’il décide de s’adresser au bureau.

Il avait froid, jusqu’au fond de son être. Il tenta de ne pas le laisser voir. Il la foudroya du regard et serra la mâchoire, alors qu’elle souriait et sortait de la chambre. Puis il resta allongé un très long moment, le corps glacé. Son ventre le faisait souffrir et les élancements d’une violente migraine reliaient le sommet de son crâne à sa nuque. Son épiderme paraissait hypersensible, douloureux par endroits. Il voyait des ecchymoses sur ses bras, des marques de doigts.

Ceux de Florianc

Une image traversa son esprit, issue des ténèbres et accompagnée d’une sensation intense. Il enfouit son visage entre ses paumes, dans l’espoir d’effacer tout cela. Un flash-bande. Une bande-profonde. Il s’en produirait d’autres, bien d’autres. Il ignorait ce qui lui reviendrait en mémoire, mais il savait que ces réminiscences referaient surface pour un bref instant ; impressions, visions et mots partis à la dérive qui traverseraient son être avant de sombrer dans le néant ; de simples fragmentsc mais de plus en plus nombreux. Et il ne pourrait endiguer leur flot.

Il repoussa les draps et se leva. Il s’efforçait de ne rien voir chaque fois que ses yeux se portaient sur son corps. Il entra dans la salle de bains d’un pas titubant et fit couler la douche. Il se savonna, très longtemps. Il se frotta, le regard rivé sur les murs. Il essayait de ne rien ressentir, de ne pas se souvenir, de ne se poser aucune question. Il lava son visage, ses cheveux, et même l’intérieur de sa bouche avec une savonnette parfumée, faute de savoir s’il avait autre chose à sa disposition. Il cracha et crut étouffer en raison du goût âcre mais il ne se sentit pas propre pour autant. La senteur lui rappelait celle d’Ari. À présent, il se dégageait de luila même fragrance, et il en gardait le goût au fond de sa gorge.

Et lorsqu’il arrêta le souffleur de la cabine et retrouva l’air frais de la salle de bains, Florian vint lui apporter une pile de vêtements : les siens.

– Il y a du café, ser, si vous le souhaitez.

L’expression neutre, comme si rien ne s’était passé.

Comme si tout cela n’avait été qu’un rêve.

– Où pourrais-je trouver un rasoir ?

– Sur la tablette, ser.

Florian désigna la paroi en miroir de l’extrémité de la pièce.

– Brosse à dents, peigne, lotions. Désirez-vous autre chose ?

– Non.

Il veillait à garder une voix posée. Il voulait regagner son appartement. Il entretenait des pensées de suicide : couteaux dans la cuisine, pilules dans l’armoire de toilette. Mais l’enquête qui aurait lieu ensuite déboucherait sur des conclusions d’ordre politique et entraînerait la perte de son père. Il pensa alors aux messages subliminaux qu’on avait pu enfouir dans son subconscient pendant la nuit ; des incitations à se donner la mort. Dieu sait quoi. Toute idée irrationnelle était désormais suspecte. Il savait ne plus pouvoir se fier à son esprit. Il vit une succession de flashes-bandes : sensations, images érotiques, paysages et vieilles œuvres d’artc

Puis des images qui avaient pour cadre l’avenir. Des visions de la colère de Jordan et de son propre corps privé de vie qui gisait sur le carrelage de la cuisine. Il changea le décor, pour rendre la scène plus romanesque : lui-même, qui s’éloignait au-delà des tours de précip, un cadavre qui ferait penser à un bout de chiffon blanc lorsqu’on le découvrirait depuis les airs, quelques heures plus tardc « Désolé, ser, mais il semble que nous ayons retrouvé votre filsc»

Ce n’était pas un test valable pour découvrir les ordres subliminaux qu’Ari avait pu insérer dans la bande. L’esprit qui s’abreuvait à une bandétude assimilait systématiquement tout ce qu’elle contenait. Les images s’effaçaient pendant que l’implant-structure s’imbriquait dans la mémoire résidente et s’y développait de façon indépendante. Il n’existait aucune méthode fiable pour détecter les instructions enchâssées dans le reste, ces suggestions qui ne pouvaient d’ailleurs contraindre quelqu’un à agir à l’encontre de ses convictions profondes mais permettaient de déclencher des tendances préexistantes. C’était uniquement quand les drogues agissaient en terrain favorable que la victime acceptait de tels stimuli sans les censurer, répondait aux questions, faisait tout ce qu’on lui ordonnaitc

À condition que ces ordres franchissent les barrières subconscientes des valeurs et des blocages naturels. Un psychochirurgien non pressé par le temps aurait pu obtenir des réponses à même de révéler les ensembles et leur configuration, insérer quelques arguments capables de désorienter la logique interne, puis réordonner le tout, créer une nouvelle microstructure et la placer à un point stratégiquec

Toutes les questions, ces maudits tests psych auxquels Ari l’avait soumis en les qualifiant de contrôles de routine pour les assistants de la section un – des interrogations qui se rapportaient à son travail, ses croyances, ses expériences sexuelles – et qu’il avait comme un imbécile attribués à un simple désir de le tourmenterc

Il se vêtit sans regarder les miroirs, se rasa, se lava les dents et se peigna. Il ne nota rien d’inhabituel sur son visage, pas de marques, rien à même de révéler ce qui s’était passé. Il possédait toujours les mêmes traits. Ceux de son père.

Un sujet de satisfaction supplémentaire pour Ari.

Il s’adressa un sourire, afin de vérifier s’il pouvait se contrôler. C’était le cas. Il en était à nouveau capable ; quand cette femme n’était pas présente, tout au moins. Il se sentait d’attaque pour affronter ses azis.

Nuance. Pour affronter Florian.Il remercia le Ciel qu’Ari n’eût pas laissé Catlin en sa compagnie et fut aussitôt pris de panique. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Pour quelle raison la simple pensée d’avoir affaire à cette azie froide et distante détruisait-elle son équilibre nerveux ? Une peur de la gent féminine prise dans son ensemble ?

Aurais-tu peur des femmes, mon cœur ? Tu sais combi en ton père est misogyne.

Il se peignait, lorsqu’il eut envie de rendre. Mais il sourit à son reflet puis massa le pourtour de ses yeux pour atténuer les effets de sa migraine, avant de répéter l’opération sur ses épaules. Il fit un autre sourire, à l’intention de Florian.

Il le lui dira. Mon crâne semble se fendre et je ne peux avoir des pensées cohérentes. Bon sang, il m’est seulement possible d’essayer de donner le change, de feindre d’être détendu et de ficher le camp le plus vite possible.

Le boudoir, le tapis blanc, les toiles sur les murs furent à l’origine d’un autre flash, des réminiscences de douleurs et de sensations érotiques.

Mais le pire lui était arrivé. Ce serait pour lui une sorte de cuirasse. Il ne lui restait plus rien à redouter. Il prit la tasse que lui tendait l’azi et but une gorgée de café en empêchant sa main de trembler : un frisson dû à sa tension nerveuse et à un souffle glacé du climatiseur.

– J’ai froid, dit-il. La gueule de bois, je présume.

– J’en suis désolé, répondit Florian.


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