Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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– Ce ne sont pas vos travaux.
– Ils n’incluent aucune de mes recherches, c’est exact.
– Votre fils, intervint Corain. Je crois savoir qu’il travaille en étroite collaboration avec le D r Emory.
– Justin poursuit ses études de concepteur de bandes. C’est au D r Emory de décider s’il apportera ou non sa contribution à une telle expérience. Ce serait pour lui une opportunité de démontrer sa valeur et, à condition qu’il s’acquitte de cette tâche, de demander son transfert à l’annexe de Lointaine. J’aimerais qu’il y parvienne.
Pourquoi ?se demanda Corain. Il regretta de ne pas oser poser cette question, mais il existait des limites à ne pas franchir en présence d’un informateur plein de bonne volonté et il circulait sur le compte d’Emory des rumeurs dont nul n’avait cependant apporté la moindre preuve.
– Un statut d’étudiant n’est pas le même à Reseune que dans une simple université, fit remarquer Lu.
– Oui, la différence est considérable, répondit Warrick.
Toute spontanéité avait déserté son visage. Il se tenait désormais sur ses gardes et plaçait ses expressions et ses réactions sous contrôle.
– Et quels sentiments vous inspire le projet Espoir ? s’enquit Corain.
– Est-ce une question d’ordre politique ?
– Oui.
– C’est un domaine que je prends soin d’éviter, hormis en tant que sujet d’étude.
Il baissa les yeux, puis les releva sur Corain.
– Reseune ne dépend plus du commerce des azis. Nous pourrions vivre de nos recherches, avec ou sans nouvelles colonies. Il existe un indéniable besoin pour ce que nous faisons, quel que soit le destin des autres labosc qui ne pourraient pas nous concurrencer, quoi qu’il en soit. Notre avance est bien trop importante dans tous les domaines. Les bénéfices s’en trouveraient réduits, mais ils resteraient malgré tout largement suffisants. Ce n’est pas sur le plan économique que je m’inquiète. Il faudra se revoir pour en discuter, un de ces jours.
Corain cilla, surpris. Il ne s’était pas attendu à ce qu’un chercheur de Reseune pût lui faire une telle proposition. Il fourra les mains dans les poches de sa veste et regarda les autres.
– Le P rWarrick pourrait-il s’abstenir d’aller à cette autre réunion sans que cela paraisse suspect ?
– Aucun problème, répondit Lu avant d’ajouter : Si c’est le souhait du principal intéressé, cela va de soi.
Warrick prit une inspiration puis posa sa mallette sur le sol et tira un fauteuil vers la table de conférences.
– Entendu, déclara-t-il en se laissant choir dans le siège.
Corain s’assit à son tour. Gorodin et Lu prirent place en bout de table.
L’expression de Warrick ne révélait toujours rien de ses intentions.
– Je connais ces messieurs, dit-il en lorgnant les militaires. Et je vous connais de réputation, conseiller Corain. Je sais que vous êtes un homme intègre. Ce que je vais dire pourrait avoir pour moi dec graves conséquences. J’espère que vous ne déformerez pas mes propos et que vous ne les attribuerez pas à une quelconque animosité personnelle. Il est exact que je ne suis pas toujours du même avis que le D r Emory. Vous comprenezc lorsqu’on travaille à Reseune il est parfois nécessaire de prendre des décisions délicates. Nous procédons à des expérimentations sur des êtres humains. Dans certaines situations, il n’existe aucun précédent. Faute de disposer d’une éthique, nous devons alors nous fier à notre jugement, et les avis peuvent être contraires.
» Le D r Emory et moi avons euc un peu plus d’accrochages que la moyenne. J’ai même écrit quelques articles dirigés contre cette femme. Je m’oppose àc certains aspects de ses travaux. Et si elle découvre que je vous ai fait des confidences elle pensera que j’ai voulu lui nuire. Mais j’espère sincèrement que vous lui accorderez la possibilité de réaliser le projet Lointaine. Son financement sera assuré par Reseune et le gouvernement n’aura qu’à accorder ce statutc
– Faire d’un homme un Spécial pour les besoins d’une expérience constituerait un précédent regrettable. Je parle de prendre une telle mesure pour pouvoir limiter ses déplacements.
– Je veux être transféré hors de Reseune avec mon fils.
Corain cessa de respirer, un court instant.
– Vous êtes un Spécial, au même titre que cette femme.
– Mais je ne suis pas un politicien. Je n’ai pas autant d’influence qu’elle. Emory prétendra que ma présence est indispensable, en avançant comme arguments tout ce qui m’a valu ce statutc et je dois rester là où le gouvernement estime que je suis le plus utile. Jusqu’à présent, il a jugé que c’était à Reseune. Mon fils collabore à ce programme pour deux raisons : premièrement, parce que c’est sa spécialité et que cette femme est la meilleure ; deuxièmement, parce qu’il est mon fils, qu’Ari veut avoir sur moi un moyen de pression, et que je n’ai pas la moindre influence sur ce qui relève de la politique interne des labos. Je compte tout faire pour recouvrer ma liberté et, sitôt hors de Reseune, demander que mon fils soit affecté à un autre projet pour des raisons personnelles. C’est entre autres pour cela que je souhaite voir construire les installations de Lointaine. Ce serait une excellente chose tant pour l’État que pour Reseune. Surtout pour Reseune.
– Il pourrait en résulter des changements. Est-ce le fond de votre pensée ?
– Je ne porte aucune accusation. Et je vous interdis de répéter mes propos à qui que ce soit. J’estime simplement qu’Ari détient un pouvoir bien trop grand, tant à Reseune que hors des labos. Je ne remets pas en question sa contribution aux progrès de la science. Sur un plan professionnel, je n’ai pas eu le moindre accrochage avec elle. Mais je sais comment tout fonctionne, là-bas, et c’est pourquoi trouver des appuis politiques me paraît constituer l’unique moyen de me dégager d’une situation qui devient de plus en plusc explosive.
Il convenait d’être prudent, très prudent. Corain occupait un poste gouvernemental depuis vingt ans et il avait appris à ne pas interpréter de telles déclarations au premier degré. Et à ne pas risquer d’effrayer un témoin jusqu’alors plein de bonne volonté. Aussi de-manda-t-il :
– Que désirez-vous exactement, professeur Warrick ?
– Voir ce projet aboutir, puis déposer une demande de transfert. Emory s’y opposera. J’aimerais pouvoir bénéficier d’un soutienc quand je ferai appel.
Warrick se racla la gorge. Ses doigts étaient serrés, annelés de blanc.
– À Reseune, la situation devient intolérable. Un départ seraitc tout ce que je peux souhaiter. Je vous avouerais quec je n’approuve pas ce projet d’expansion. Je partage le point de vue de Berger et de Shlegey : il ne peut rien résulter de bon d’une telle dispersion hâtive de l’humanité. Nous venons à peine de mettre un terme à un surpeuplement catastrophique et nous ne sommes pasles colons qui ont quitté la Terre, nous ne sommes pasles hommes qui sont partis de Station Gloire, et nous ne sommes pastels que les fondateurs nous avaient imaginés. Et si nous accentuons encore cette tendance un fossé se creusera entre nous et nos descendantsc et il ne faudra pas compter sur un miracle, Estelle Bok, ou les progrès de la science pour combler cet abîme. C’est mon point de vue, mais je ne peux l’exprimer tant que je reste à Reseune.
– Nous diriez-vous que la liberté d’expression y est limitée ?
– Je dis simplement que j’ai d’excellentes raisons de me taire. Je précise en outre que si les médias ont vent de cette conversation je m’empresserai de tout démentir et de soutenir la position officielle des labos.
– Dois-je en déduire que c’est ce transfert que vous souhaitez obtenir de nous ?
– Oui, conseiller. Mon départ. Puis celui de mon fils. Ensuite, je pourrai exprimer mes opinions. Me comprenez-vous ? La plupart des gens assez qualifiés pour pouvoir émettre un avis digne de foi contre le projet Espoir sont à Reseune. Faute de voix s’élevant au sein même du bureau des Sciences, sans articles publiésc de telles idées manquent de poids. Les xénologues sont divisés. Les arguments les plus décisifs relèvent de notre domaine. Vous ne disposez pasd’une majorité au sein du Conseil. C’est le bureau des Sciences que vous devez gagner à votre cause, l’électorat d’Ari Emory. Ceci,ce projet de psychogenèse, lui tient à cœur. À tel point qu’elle ne laisse même pas ses assistants s’en occuper. Le facteur temps, à nouveau. D’un côté, nous en avons si peu pendant notre vie. De l’autrec une expérience qui porte sur l’existence humaine est scindée par une multitude de parenthèses et de points, alors que seul le temps permet d’obtenir des résultats.
– Ce qui signifie que nous devrons encore compter avec elle.
– Elle fera partie du Conseil jusqu’à la fin de ses jours. Et c’est pourquoi je pense que nous devrions tous tirer parti de son désir de créer une annexe à Lointaine. J’aimerais prendre position à vos côtés. Des critiques provenant de l’intérieur même de Reseune – surtout de la part d’un autre Spécial – auraient beaucoup de poids auprès du bureau des Sciences. Mais je ne peux rien faire pour l’instant, compte tenu de ma situation.
– Il est important de savoir si le projet Rubin a des chances d’aboutir, intervint Gorodin. S’il est solide.
– Il est probable qu’elle le mènera à bon terme, amiral. Cette entreprise est plus valable que l’expérience tentée avec Bok. Vous devez savoir qu’il est rare de créer des Spéciaux à partir d’un généset. Même nos gènes sont légalement protégés. En pratique, c’est toujours le vieux problème de « l’étroite frontière » qui sépare le génie de la folie. Ces craintes ne sont pas infondées, notez bien. Quand nous créons des azis, les types Alpha nécessitent bien plus de contrôles et d’ajustements que les autres. Ce qui a cloché dans le cas du clone de Bok, c’est ce qui aurait pu arriver si cette femme avait eu d’autres expériences, si elle n’avait pas été soumise à des influences dont nous n’avons gardé aucune trace. Nos chances de réussir la duplication d’un Spécial toujours en vie sont bien plus grandes. Nous disposons de renseignements plus complets sur Rubin. Bok est arrivée avec les autres colons et son dossier est reparti à bord du vaisseau, qui a été ensuite détruit. Trop d’informations ont disparu, trop de faits n’ont jamais été enregistrés. J’ignore s’il sera un jour possible de reconstituer le génie de Bok, mais cela ne pourra se faire dans le cadre d’un projet tel que celui-là. D’autre part, reproduire par exemple Kleigmann et bénéficier de son génie pendant un siècle et demi supplémentaire, voilà qui serait vraiment positif.
– Ou Emory elle-même, marmonna Corain à mi-voix. Dieu. Est-ce ce qu’elle recherche ? L’immortalité ?
– Au même titre que tout individu qui souhaite avoir des enfants à son image. On ne peut assimiler cela à une quête de la vie éternelle, pas dans le sens d’une continuité de l’identité. Nous parlons de similitudes mentales, de deux individus plus semblables que ne pourraient l’être des jumeaux, et sans élément dominant. Essentiellement, de la récupération d’une capacité latente dans l’interface située entre le généset et ce que nous appelons la bande chez un azi.
– La bande ?
Warrick secoua la tête.
– Ces dernières ne pourraient nous permettre d’obtenir un tel résultat. Pas en fonction de nos connaissances actuelles, tout au moins.
Corain y réfléchit.
Gorodin intervint :
– Ce qui signifie qu’avec votre savoir en matière de génétique et de reconstitution psych nous pourrions dupliquer des Spéciaux vivants autant que décédés.
– Ce serait réalisable, à condition d’abroger certaines lois. Mais je m’élèverais contre de telles pratiques. Je comprends pourquoi elle n’a choisi qu’un seul cobaye. Mais le risque de troubles psychologiques est très grand, même si le modèle et le clone ne se rencontrent jamais. Ce danger existe même dans le cas d’un disparu. Si je faisais l’objet d’une telle expériencec eh bien, je m’inquiéterais pour mon fils, et cet individu qui ne serait ni son frère ni son père, quel que soit le sens qu’on puisse donner à ces termes. Tout se complique, dès l’instant où on manipule des êtres humains. Les Neuf se sont intéressés à l’affaire Bok. Bien trop. Sur ce point, je partage l’opinion du D r Emory : seuls le bureau des Sciences et Reseune devront avoir des contacts avec les deux sujets. C’est le but de cette implantation à Lointaine. Nous ne parlons pas d’un bureau ou d’un labo, mais d’une enclave, d’une réserve où Rubin ne pourra sortir que comme je sors de Reseune : rarement et accompagné d’une escorte.
– Mon Dieu, laissa échapper Gorodin. Lointaine opposera son veto.
– Ce sera une installation orbitale distincte. Voilà ce qu’elle a dû promettre à Harogo. Une zone compartimentée dont Reseune financera la construction.
– Vous connaissez les termes de ces accords ?
– Je suis au courant de cette clause, mais il doit y en avoir bien d’autres. C’est une affaire juteuse pour certains entrepreneurs de Lointaine.
Ses propos avaient un accent de vérité. Corain mordilla sa lèvre inférieure.
– Permettez-moi de vous poser une question délicate. Si vous disposiez d’autres informationsc
– Je n’hésiterais pas à vous les communiquer.
– Et si vous deviez apprendre des faits nouveauxc
– Me demanderiez-vous de devenir un de vos informateurs ?
– Un homme qui possède une conscience. Vous savez quels sont mes principes. Je sais quels sont les vôtres. Nous avons bien des points communs. Reseune serait-elle propriétaire de votre âme ?
– Même l’amiral n’a pu me réquisitionner. Je suis un pupille de l’État. Pour changer de lieu de résidence, je dois demander l’aval du gouvernement de l’Union. C’est le prix que doit payer un Spécial. Gorodin pourrait vous le dire : Reseune considère ma présence comme indispensable. Un vote automatique de cinq des Neuf, ce qui signifie que je devrai rester là-bas. Voici ce que je compte faire, conseiller. Je vais transmettre à l’amiral Gorodin une demande de transfert, sitôt aprèsqu’un statut de Spécial aura été accordé à Rubin et juste avantle vote sur le projet Espoir. Officiellementc c’est alors que tout se produira.
– Dieu ! Pensez-vous qu’une telle proposition puisse justifier notre intervention ?
– Conseillerc vous ne pourrez trouver une majorité contre la Station Espoir. DeFranco est dans la poche d’Ari. Je parle en fait de son compte en banque, par l’entremise des Industries Hayes. Leur accord est le suivantc DeFranco commencera par s’abstenir pour ne pas mécontenter ses électeurs, mais elle finira par donner sa voix à vos adversaires. Je ne vous ai rien dit, bien sûr. Mais si vous n’obtenez pas un ballottage et ne renvoyez pas cette proposition devant le Conseil Général, elle sera acceptée. Faites-moi transférer et obtenez le départ de monfils, et j’exprimerai mon point de vue. Je vous serai utilec une fois à Lointaine, hors de son domaine. Il se peut qu’elle obtienne sa Station Espoir, ou que ses projets soient contrecarrés. Si vous voulez qu’une voix soutienne votre point de vue au sein du bureau des Sciences, je vous propose la mienne.
Corain dut attendre un moment avant de pouvoir reprendre le contrôle de sa respiration. Il regarda Lu puis Gorodin. Il tentait de se rappeler de quelle manière Lu l’avait incité à organiser cette rencontre. Il nourrissait désormais des soupçons envers ces deux éminences grises qui déplaçaient leurs pions derrière un rideau de secrets.
– Vous devriez faire de la politique, dit-il alors à Warrick.
Puis il se souvint qui était cet homme : un psychomanipulateur de Reseune, et un de ces personnages que l’Union voulait conserver à tout prix tant ils étaient habiles.
– Le psych est mon domaine, répondit Warrick.
On pouvait lire une franchise gênante dans son regard qui n’avait plus rien d’ordinaire, d’innocent ou de banal.
– Je veux pouvoir exercer mes activités sans contraintes. La politique ne m’est pas étrangère, conseiller. Je peux vous assurer qu’elle nous rappelle son existence, à Reseune. Et que nous ne l’oublions jamais. Aidez-moi et je vous aiderai. C’est très simple.
– Bien moins que vous ne le pensez, rétorqua Corain.
Mais il s’adressait à Warrick. La personne qui l’avait attiré dans cette réunionc ce pouvait être Lu, Gorodin, ou encore Warrickc
Il se demanda si ce n’était pas Emory. Un homme risquait de sombrer dans la démence, lorsqu’il était confronté à l’habileté des Spéciaux. Surtout lorsque ces derniers étaient des spécialistes de la perception.
Mais il fallait parfois accorder sa confiance sans disposer d’aucun gage. Faute de quoi, rien ne pouvait jamais être réalisé.
3
– La première proposition à l’ordre du jour porte le numéro 2405 : le collectif budgétaire des Sciences déposé par sera Ariane Emory conformément à la disposition 2595 des Statuts de l’Union, section 2c
Emory se tourna vers Corain. Alors, demandaient ses yeux mi-clos, allez-vous vous dresser contre moi pour un vote de pure forme ?
Il sourit et s’abstint de dissiper ses inquiétudes.
Le maillet redescendit, et il était encore très tôt.
– La séance est levée, annonça Bogdanovitch.
Des murmures étouffés s’élevèrent dans la salle.
Ariane Emory pouvait à nouveau respirer. Ses adversaires n’étaient pas intervenus et Rubin obtiendrait son statut, hormis si le Conseil des Mondes opposait son veto. Mais elle savait qu’il n’interviendrait pas. Si Corain pouvait lui réserver une mauvaise surprise, sans doute attendrait-il que l’enjeu fût plus important pour se manifester. Plus important à sesyeux. La Station Espoir servirait de leurre, et si DeFranco avait des velléités d’abstention elle se verrait contrainte de prendre position.
Des assistants se ruaient vers la porte, dans le sillage des conseillers. Les journalistes resteraient parqués au rez-de-chaussée jusqu’à l’ajournement de séance. Après les deux heures de pause du déjeuner, les membres du gouvernement devraient se prononcer sur les autorisations sollicitées par les Sciences : une liste interminable et monotone de propositions que les neuf membres de l’exécutif étaient censés étudier et approuver mais qui avaient déjà été analysées par les secrétariats et dont l’acceptation n’était plus qu’une simple formalité. C’était d’ailleurs le cas de la plupart des décisions de ce Conseil qui s’était métamorphosé en léviathan administratif en une seule génération.
Elle ne pourrait respirer normalement avant que le feu vert eût été donnéc que les faits noyés dans le texte de la demande d’utilisation du généset d’un Spécial non décédé aient été acceptés en même temps que le reste.
Chaque année, le Conseil Général tentait d’obtenir une réduction des subventions accordées aux Sciences. Chaque année les abolitionnistes et d’autres fanatiques déposaient une proposition de loi visant à rendre illégales les créations d’azis et les expérimentations sur les êtres humains, et chaque année le Conseil des Mondes faisait preuve de bon sens en rejetant de telles motions. Mais ces factions hostiles existaient et les centristes pourraient s’en servir pour faire pression contre le projet Espoir. Et si les marginaux et les centristes réussissaientà s’entendre sur une cause, ils approcheraient de la majorité et représenteraient un danger pour le courant expansionniste.
Elle était inquiète. Elle nourrissait des craintes depuis que ses informateurs lui avaient appris que les centristes parlaient de se retirer. L’absence de toute intervention de la part de Corain la tracassait.
Et si une telle hâte n’avait pas été inconvenante, elle eût volontiers pressé le président de présenter cette loi de finances avant midi. Les obstacles s’effondraient trop vite, tout se déroulait trop bien, elle avait trop de raisons de s’estimer satisfaite. Ce qui s’était annoncé comme une session interminable s’achèverait en un temps record et, après avoir fait acte de présence pendant trois jours, les Neuf pourraient retourner vaquer à leurs autres occupations jusqu’au prochain semestre.
Ce système avait pour but d’accélérer les décisions de l’exécutif : les Neuf se prononçaient sur l’ensemble des mesures concernant leurs portefeuilles puis laissaient à leurs assistants, aux représentants élus du Conseil des Mondes et aux diverses commissions et assemblées le soin d’expédier les travaux de routine et de régler les détails administratifs.
En fait, les conseillers étaient des professionnels confirmés et efficaces. Ils se réunissaient, faisaient rapidement leur besogne et repartaient exercer leurs autres fonctionsc mais certains continuaient de fournir des directives à leurs bureaux, ce qui leur conférait un pouvoir que les auteurs de la constitution n’avaient pas prévu ; pas plus qu’ils n’avaient deviné ce qu’accomplirait Reseune pendant la guerre, la modification profonde de la composition de la population, la scission de Pell tant avec Sol qu’avec l’Union, et ce qui en avait résulté.
Le bureau de l’État aurait dû être dirigé par des diplomates, mais l’immensité de l’espace habité contraignait ces derniers à fonder leurs décisions sur des rapports fournis par la Défense.
La possibilité de découvrir des formes de vie extraterrestres évoluées ailleurs que dans le système de Pell avait incité le bureau des Sciences à assumer des fonctions diplomatiques et à former des spécialistes des contacts.
Le bureau des Citoyens disposait désormais d’un électorat d’une importance disproportionnée qui avait élu un homme capable et redoutable, un individu qui savait flairer les pièges qu’on lui tendait.
Corain devait ignorer que DeFranco était à la solde d’Emory. Cela expliquait peut-être sa décision de risquer son avenir politique en quittant le Conseil en cours de séance. Il ne pouvait espérer gagner à sa cause la boucle commerciale pan-parisienne placée sous la coupe de Lao. Il ne pourrait rien faire, hormis coûter de l’argent au gouvernement, ce qui dresserait contre lui d’autres intérêts. Qu’il s’opposât au vote du budget des Sciences paraissait improbable.
Certainement.
– D rEmory.
Bien qu’entourée par ses assistants et ses gardes du corps, elle sentit un contact sur son bras. Catlin se porta aussitôt à son côté, sur la défensive et surprise, car l’individu qui venait de l’aborder ne faisait pas partie de sa suite. C’était l’amiral Gorodin, qui avait trompé la vigilance de ses protecteurs.
– J’aurais deux mots à vous dire.
– Mon emploi du temps est très chargé.
Elle n’avait pas le moindre désir de s’entretenir avec ce militaire qui lui contestait l’attribution de dix vaisseaux pour le projet Espoir etfaisait cause commune avec la clique de Corain, alors que ses services se livraient à un gaspillage éhonté des deniers de l’État. Elle disposait de contacts au sein du bureau de la Défense, et les utilisait : une bonne partie des membres des renseignements et des services spéciaux étaient à ses côtés et elle savait que dans le cadre d’une nouvelle élection les militaires ne renouvelleraient sans doute pas le mandat de Gorodin et de Lu. Corain devrait y réfléchir, s’il voulait la guerre.
– Je vous accompagne, déclara Gorodin.
Il refusait de se laisser chasser et ses assistants se mêlaient à ceux d’Emory.
– Un instant, ser, dit Catlin.
Florian s’était rapproché. Ils n’avaient pas d’armes, contrairement aux militaires, mais ils étaient des aziset obéissaient en conséquence à Ariane et non à la logique.
– Tout va bien, dit-elle.
Elle leva la main, pour confirmer qu’elle ne tenait pas de tels propos sous la contrainte.
– J’ai appris de source sûre que vous disposiez de voix pour faire approuver le projet Espoir, lui déclara Gorodin.
Malédiction.Elle sentit son cœur s’emballer. Mais à haute voix, avec un calme inébranlable :
– Eh bien, il est possible que vos informateurs aient vu juste. Mais sachez que je ne considère jamais rien comme acquis d’avance.
– Corain s’en inquiète. Il va perdre la face.
Où diable veut-il en venir ?
– Mais vous savez que nous pourrions retarder la décision.
– C’est probable. Mais ce serait sans objet si vos informateurs ont dit vrai.
– Nous disposons d’un contact dans l’équipe de DeFranco, docteur Emory. Je sais de quoi je parle. Nous avons aussi des sympathisants au sein de la compagnie Andrus et des Industries Hayes. Un sacré portefeuille d’actions. Vont-ils obtenir ce contrat de construction spatiale ?
Mon Dieu.
Un des sourcils du militaire s’incurva.
– Vous savez que Hayes travaille également pour la Défense.
– J’ignore quelles sont vos intentions, mais il n’est pas dans mes habitudes d’avoir des discussions d’ordre financier à la veille d’un vote. Et si vous avez sur vous un enregistreur, sachez que je ne l’apprécierais pas du tout.
– Ma réaction serait la même, sera. Mais je ne parle pas de ce genre de transactions. J’ai chargé mes services de se renseigner auprès des contacts que nous avons chez Hayes, et nous savons parfaitement que la construction de ces installations ne dépend que de l’approbation du projet Rubin. Mon équipe a consacré toute la nuit à éplucher la charte de Reseune et un jeune assistant plein d’avenir a exhumé un article oublié qui accorde aux laboratoires le privilège de rattacher leurs annexes à leur Territoire administratif. Il en découle que les installations de Lointaine ne seront pasplacées sous la juridiction de cette station, mais sous la vôtre. Ce sera une enclave indépendante au sein de l’Union, en rapport étroit avec Rubin.
Malédiction ! Il n’a pas pu le découvrir tout seul, mais il le sait. Quelqu’un a parlé, et il ne cesse de se référer à Hayes et à Andrus. Voilà où il voudrait que je cherche les responsables de cette fuite.
– Vos informations paraissent très complètes, marmonna-t-elle.
Ils avaient atteint l’intersection du balcon et du couloir qui donnait sur les bureaux du Conseil, où elle voulait aller. Elle s’immobilisa puis se tourna vers l’amiral.
– Continuez.
– Nous estimons que les autorités militaires ont leur mot à dire dans cette affaire. Une telle installation à Lointaine posera des problèmes de sécurité nationale.
Pendant un instant tout s’arrêta. Elle s’était apprêtée à subir une attaque, mais pas d’une direction aussi inattendue. C’était absurde. Et logique, compte tenu de la situation politique.
– Ce n’est pas un centre de recherche, amiral.
– De quois’agit-il, en ce cas ?
– D’un simple lieu où Rubin pourra travailler en paix. Son labo, en quelque sorte.
– Vous semblez placer beaucoup d’espoirs en ce jeune homme.
Un piège. Mais lequel, mon Dieu ?
– Il est plein d’avenir.
– J’aimerais pouvoir discuter de ces problèmes de sécurité. Avant le vote de cet après-midi, si possible.
– Bon sang, on m’attend pour le déjeuner.
– Je serais désolé de devoir laisser au comité le soin de trancher la question, docteur Emory. Je m’efforce de me montrer conciliant, mais il me semble que les événements se précipitent. En outre, ce ne sont pas mes seules inquiétudes, et je doute que vous souhaitiez m’entendre les exprimer publiquement.
Quelqu’un a parlé. Il a des contacts.
Mais à voix haute, en s’adressant à Florian :
– Informe Yanni que je suis retenue. Dis-lui de prendre ma place. Je le rejoindrai dès que possible.
Elle regarda l’amiral, désormais moins tendue. Tout cela évoquait plus une offre de marchandage qu’un tir de torpille.
– Chez vous, ou chez moi ?
– Merci, dit-elle en prenant le café que lui tendait Florian.
Ils étaient dans son bureau, avec ses gardes du corps. Les aides du militaire étaient restés à l’extérieur de la pièce : une proposition de l’amiral.
Dans le cadre d’une tentative de conciliation, peut-être.
Gorodin prit son café noir, comme la plupart des gens qui n’en buvaient qu’à l’occasion. C’était une variété très rare et authentique, importée de l’hémisphère Sud de la Terre, dans le système de Sol. C’était un des petits plaisirs qu’Ariane s’accordait, et elle prenait le sien avec un nuage de lait. Du lait véritable. Une autre folie.
– L’AG poursuit ses travaux sur ces planètes, précisa-t-elle. Un jourc
Cyteen était un enfer pollué par les silicates, lorsqu’ils avaient effectué les premières tentatives de culture dans les vallées encaissées, là où les dômes et les précipiteurs créaient des microclimats.
Un autre souvenir : des collines dans des tons de brun et de bleu-vert. Les lignes qui s’entrecroisaient au-dessus du paysage évoquaient la toile d’une mouche tisseuse. Sur les sommets, les grands miroirs captaient la lumière en provenance de l’espace et la convertissaient en énergie, pendant que les météorisateurs en orbite déclenchaient des orages, de véritables ouragans qui ébranlaient le sol. Nous ne risquons rien, Ari,disait maman. Ce ne sont que des bruits. Le temps, voilà toutc
Leonid Gorodin buvait son café à petites gorgées, l’air détendu. Ce fut en souriant qu’il déclara :
– Selon certaines rumeurs, le projet Rubin serait placé sous votre unique responsabilité. Une expérience personnelle, en quelque sorte. Mais vous ne pouvez rien faire sans modifier l’équilibre actuel des forces entre nous, l’Alliance, et Sol. J’en ai parlé à Lu. Nous nourrissons de vives inquiétudes à ce sujet.
– Nous assurons notre propre sécurité. Nous y sommes toujours parvenus.
– Dites-moi une chose, docteur Emory. Cette expériencec pourrait-elle avoir des conséquences sur le plan stratégique ?
Piège.
– Je présume que pour certains de vos conseillers la mise au point d’une nouvelle lunette de cuvette hygiénique peut avoir une importance militaire, amiral.
Gorodin s’autorisa un petit rire puis attendit la suite.
– C’est entendu, fit-elle avec calme. Nous aimerions bénéficier du soutien de votre bureau, pour ce vote. Si vous préférez que cette installation soit construite à un autre emplacement, nous la déplacerons. À Station Cyteen, s’il le faut. Nous sommes disposés à nous montrer conciliants. Nous désirons simplement ne pas perdre Rubin.
– Serait-il important à ce point ?
– Oui.
– Je vais vous faire une proposition, D r Emory. Vous avez préparé un ordre du jour. Vous souhaitez qu’il soit accepté. Vous désirez que ces autorisations vous soient accordées et que les Finances entérinent votre budget le plus vite possible. Vous aimeriez regagner Reseune et je voudrais retourner à mon quartier général, où du travail m’attend. Je vous avouerais en outre que je suis allergique à la politique et que j’ai horreur des mondanités.