Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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– Je veux qu’ils soient transférés hors de Reseune. Justin. Grant. Paul. Voilà mon prix.
– Je vous ai demandé d’être raisonnable. Vous pouvez obtenir leur sécurité. Rien de plus. Ils resteront ici. Si vous décidez de revenir sur notre accord, nous le pourrons également. Si vous tentez de fuir, si vous vous suicidez, si vous êtes trop bavard ou si vous envoyez un messagec ils en subiront les conséquences. Tels sont les termes du marché. D’une extrême simplicité.
Un long, très long silence.
– Alors, placez-les avec moi.
Giraud secoua la tête.
– Je serai généreux. Rien ne m’y oblige, comprenez-le bien, mais je vous rendrai Paul. J’ai pour vous une certaineestime. Votre azi sera soumis aux mêmes clauses que vous.
– Vous ne toucherez pas à lui.
– Que croyez-vous ? Que je compte le rééduquer afin qu’il vous espionne ? Non. Il n’arrivera rien à Paul, pas plus qu’à votre fils et à son azi. Respectez votre engagement et je tiendrai parole. Sommes-nous d’accord ?
Un instant plus tard Jordan hocha la tête. Ses lèvres frémissaient.
– Vous resterez ici, ajouta Giraud. En attendant l’enquête officielle des Affaires Intérieures vous serez en détention, mais vous bénéficierez d’un confort acceptable. Pour voir Paulc nous nous arrangerons. En ce qui concerne votre filsc les visites seront limitées. Laissez-moi vous donner un conseil : il voudra vous aider. Pour son bien, empêchez-le de tenter quoi que ce soit. Vous êtes la seule personne capable de le faire tenir tranquille. Sommes-nous d’accord ?
– Oui.
– Je tiens malgré tout à vous montrer cette bande.
– Non.
– Vous devriez accepter. Vraiment. Il est préférable que vous connaissiezc ce que nous pourrons utiliser si vous ne trouvez pas de motivations politiques à votre crime. Je vous fais confiance pour être convaincant, parler de rapports avec les extrémistes et les centristes. Il faut bien que vous ayez eu un mobile, non ?
Il pressa un bouton. L’écran mural s’alluma. Il regarda Jordan, dont les yeux s’étaient rivés sur un angle de l’image. Son visage évoquait une sculpture aux reliefs accentués par la clarté réverbérée. Des voix murmuraient. Des corps s’enlaçaient. Il ne voyait rien mais il entendait. Et il réagissait.
Giraud n’en doutait pas.
– Jordan Warrick a-t-il en ta présence exprimé son opinion sur Ariane Emory ?
– Oui, ser, répondit Grant.
Assis devant le bureau, les mains croisées sur le plateau du meuble, il regardait clignoter le voyant du scripteur : une petite boîte noire posée entre lui et l’homme qui disait appartenir au bureau des Affaires Intérieures et qui lui posait des questions.
Justin n’était pas revenu. Après lui avoir servi un repas ils l’avaient laissé prendre une douche en l’informant que quelqu’un viendrait l’interroger dans l’après-midi. Puis ils l’avaient remis au lit et sanglé. Il supposait donc que c’était l’après-midi, ou qu’ils voulaient le lui faire croire. Il n’était pas en colère, c’eût été inutile. Cela n’eût rien changé à la situation. Il se sentait terrifié, mais c’était un autre élément négatif. Il se détendit et répondit aux questions, sans tenter d’en dégager une structure cohérente, conscient que cela eût influencé ses réactions. Il aurait alors voulu les contrôler, ce qui eût créé une situation conflictuelle. Il ne le désirait pas. Et dès qu’il commençait à comprendre il effaçait aussitôt ses pensées, comme il avait appris à le faire pendant l’enfance, la prime enfancec une tactique d’azi. C’était sans doute une autre différence entre lui et Justin, lui et un homme-né. Cela le rendait peut-être inférieur à un être humain. Ou supérieur. Il l’ignorait. Mais il savait une chose : c’était utile lorsqu’on voulait le manipuler.
Il se transférait ailleurs.Il continuait de fournir des informations. Ils les auraient obtenues en le rendant inconscient, s’il avait refusé de parler. Il s’attendait en outre à ce qu’ils vérifient ses dires par un psychosondage.
Il reconstituerait le sens de cet interrogatoire plus tard, en se remémorant les questions posées et ses propres réponses. Et il serait peut-être capable d’en tirer des conclusions. Mais pas maintenant.
Ailleurs,c’était tout.
Et l’homme des Affaires Intérieures se retrouva ailleurs,lui aussi. Des inconnus le remplacèrent et des portes inexistantes s’ouvrirent.
Il se retrouva dans le labo psych. Puis vint le plus difficile, rester ailleurspendant ce nouvel interrogatoire. Les drogues annihilaient sa volonté et conserver son équilibre précaire sur l’étroite ligne qui séparait iciet là-basréclamait une concentration intense. Il savait que s’il se mettait à osciller et s’aventurait trop loin dans l’ailleurs,s’il y séjournait trop longtemps, il lui serait ensuite impossible de trouver le chemin du retour.
Icitentait de s’ouvrir un passage dans son esprit, pour y semer le doute. Soit Justin n’était jamais venu dans sa chambre, soit la haine d’Ari venait de s’abattre sur eux et elle avait accusé les Warrick de son enlèvementc
Mais il chassa ces pensées. Il ne résistait pas aux techs comme à ses ravisseursc s’ils avaient tout simplement existé. Ces gens faisaient partie de Reseune et possédaient les clés de son esprit.
La première règle allait de soi : Il faut s’ouvrir aux ordres clés.
La deuxième précisait : Un ordre clé est absolu.
La troisième ajoutait : Un opérateur qui a les clés a toujours raison.
Il lui semblait évident qu’un opérateur de Reseune n’eût pas pris la peine de créer une illusion d’opérateur de Reseune, et seul un opérateur de Reseune pouvait avoir ses clés. Même si tout l’univers n’était qu’un flux de particules en dissolution autour de lui, il se sentait exister au plus profond de son être et l’homme aux clés possédait une réalité incontestable.
Contrairement à Justin, qui risquait de n’avoir été qu’une simple illusion, au même titre que ces laboratoires ou la planète baptisée Cyteen. Le tech qui lui murmurait certains nombres et mots pouvait pénétrer dans son esprit à sa guise et repartir sans laisser de traces ; ou prélever ceci ou cela pour l’étudierc sans toutefois rien changer. Le vase posé sur le guéridon de l’entrée oscilla un instant en cherchant à retrouver son équilibrec Au-delà s’étend le monde extérieur. Il faudrait un grand nombre de telles intrusions, de rotations de ce vase et d’autres déplacements, comme ceux d’une seconde table ou du divan, pour que le vase pût se stabiliser dans sa nouvelle orientation. Et, même alors, il aurait tendance à reprendre sa position initialec au fil du temps.
Tout eût été plus simple si le visiteur avait montré sa clé et déclaré : « Nous allons redécorer cette pièce », avant de lui ordonner de s’écarter et de se contenter de regarder. Il lui eût ensuite expliqué comment tout s’harmoniserait avec le reste de la demeure et, s’il se montrait convaincant, de tels bouleversements lui inspireraient de moins en moins d’appréhension.
Mais ce visiteur était brutal. Il bousculait le mobilier pour l’acculer dans un recoin de la pièce et lui poser des questions. Et cela l’angoissait, car Grant savait que de telles méthodes étaient parfois employées pour détourner l’attention par ceux qui désiraient déplacer le vase. Ou pour l’inciter à le croire pendant qu’ils s’appropriaient une chose dont il ne noterait pas la disparition de sitôt.
L’homme le frappa à une ou deux reprises et le laissa groggy. Lorsqu’il entendit la porte se refermer, Grant demeura prostré sur le sol, pour attendre que les morceaux du vase brisé se soient réunis et recollés, les meubles redressés.
Il resta un long moment immobile, jusqu’à ce que tout eût regagné sa place originelle. Le tech aurait pu provoquer des dégâts plus importants encore, s’il était descendu à un étage inférieur pour le pourchasser dans des pièces de plus en plus profondes et l’acculer dans un réduit sans issue. Cela lui eût permis de trouver le passage secret qui conduisait au cœur de son être et de s’aventurer dans un territoire ténébreux qu’il convenait d’explorer avec circonspection.
Tout cela n’était qu’une métaphore, une représentation, le dessin d’enfant naïf qu’un tech l’avait autrefois aidé à esquisser. Le vase était une barrière anti-altérations. Le témoin oui-non/es-tu-en-sécurité. Cette protection était placée à l’entrée de son esprit et tout opérateur qui souhaitait le rassurer veillait à ne pas la bousculer.
Celui-ci l’avait fait tomber par terre.
Il revint à lui dans une chambre plus terne et dépouillée que celles de sa demeure mentale. Des ombres allaient et venaient et s’adressaient à lui, mais il était encore ailleurs.Il était épuisé et le désordre régnait toujours en maître dans les pièces de son esprit : les meubles se déplaçaient encore, apparemment au hasard, et pour les remettre à leur place il lui fallait sans cesse retourner à l’intérieur, pendant que des inconnus le frappaient : des coups qui cinglaient ses joues aux chairs mortes. Ils s’adressaient à lui, mais les mots éclataient en fragments. Et il n’avait en outre pas de temps à leur consacrer. Il se désagrégeait et doutait que son agencement psychique pût redevenir tel qu’autrefois, s’ils réussissaient à le réveiller à présent.
Quelqu’un lui fournit les mots clés déjà utilisés par le visiteur et lui ordonna d’ouvrir les yeux. Il le fit, pour voir Petros Ivanov assis sur son lit.
– Ils vont t’installer dans le fauteuil. Vas-tu leur résister ?
– Non, dit-il.
Il les laisserait agir à leur guise. Peu lui importait leur identité. Il était trop occupé à remettre les bibelots sur les étagères, pour les voir retomber sitôt après.
La pièce se métamorphosait. Il y voyait des fleurs. Il y avait une cascade d’où s’élevaient des sons privés de rythme. Un mot lui vint à l’esprit : fractal. Les fractals étaient omniprésents, dans la nature. Il se mit à chercher une structure. Des menottes l’immobilisaient dans un fauteuil. Il doutait que ce détail eût le moindre rapport avec le reste. Il travaillait ses maths, étant donné qu’on lui avait donné ce problème à résoudre. Il ignorait pour quelle raison.
Il dormit, peut-être. Il savait qu’ils avaient trafiqué son esprit, parce que la barrière anti-altération restait instable : le vase vacillait et paraissait sur le point de tomber du guéridon installé près de la porte. Danger. Danger.
Puis il se rappela que Justin devait venir. Ou qu’il aurait dû le faire, avant cette intrusion. Il viola une règle primordiale et se permit d’envisager que la vérité pouvait être différente de celle fournie par l’opérateur.
S’il faisait fausse route il ne pourrait revenir sur ses pas et il ne disposait d’aucun plan des lieux.
En cas d’erreur, se reconstituer serait très difficile.
Il remit le vase à sa place et s’assit, pour attendre.
Justin viendrait. Sinonc rien n’avait jamais existé.
Dans leur monde, il pouvait utiliser les sens de la vue et du goût, et il avait même la possibilité de se déplacer. Mais pas vraiment. Ils feraient de lui une épave. Mais pas vraiment. Ici, rien n’étaitc
c réel.
De toute façon.
6
La veillée funéraire évoquait une cérémonie barbare. Les marches funèbres lugubres se réverbéraient à l’intérieur du Palais de l’État envahi de fleurs et de verdurec un faste hérité de Vieille Terre, avaient fait remarquer certains commentateurs pendant que des analystes politiques comparaient ces funérailles à celles de Corey Santessi, le principal architecte de l’Union. Qu’il eût occupé quarante-huit ans un siège au Conseil, en tant que détenteur du portefeuille des Affaires Intérieures puis du bureau des Citoyens, avait donné le coup d’envoi à l’inertie actuelle des électoratsc et en raison de l’éloignement des colonies et de la rapidité avec laquelle les rumeurs pouvaient se répandre et croître il s’était alors avéré nécessaire de démontrer que Santessi avait cessé de vivre, d’organiser une transmission de flambeau spectaculaire, d’offrir aux adversaires de cet homme une opportunité de verser quelques larmes en public et d’enliser les spéculations dans une succession interminable de discours soporifiques.
Le besoin devenait encore plus grand quand la défunte avait été assassinée et que son nom était associé aux mots « Reseune » et « résurrection ».
– Nous n’avons pas toujours partagé le même point de vue, déclara Mikhaïl Corain pendant son panégyrique de la défunte. Mais l’Union vient de subir une perte irréparable.
Il eût été déplacé de préciser qu’ils subissaient en l’occurrence une double perte, avec le meurtrier présumé.
– Ariane Emory était une femme de principes et une visionnaire. Pour en avoir la preuve il suffit de songer aux arches placées en orbite autour de tant d’étoiles lointaines et dans lesquelles est préservé notre héritage génétique, de penser au rapprochement avec la Terre et aux accords qui ont rendu possibles la préservation et la renaissance d’espèces raresc
C’était un de ses meilleurs discours. Il avait sué sang et eau pour l’écrire. Il circulait des rumeurs troublantes. On parlait de la disparition de certaines pièces à conviction et d’une instruction enfouie dans les mémoires des ordinateurs de Reseune : un ordre par lequel Emory avait exigé la liquidation de ses gardes du corps et que les techniciens du laboratoire s’étaient empressés d’exécuter sans poser la moindre question. Il y avait en outre le battage fait autour de l’enlèvement de l’azi du fils Warrick, séquestré et soumis à un interrogatoire sous bande par les extrémistes de Rocher avant d’être récupéré par Reseune, et le fait que Rocher lui-même faisait des discours incendiaires et se réjouissait publiquement de cet assassinat. Ses propos outranciers attiraient plus l’attention des médias que les déclarations des abolitionnistes affiliés aux centristes, comme celles de Ianni Merino qui s’était déclaré horrifié par ce meurtre, avant de protester contre la liquidation des azis : des discours jugés trop embrouillés par la presse. Ianni n’était jamais parvenu à comprendre qu’il ne fallait aborder qu’unsujet à la fois. En outre, ses paroles rappelaient un peu trop celles de Rocher. Les journalistes s’essaimaient dans les escaliers et sur les seuils des bureaux, tels des rapaces qui attendaient de pouvoir fondre sur les centristes du Conseil et du Sénat, pour leur demander en brandissant un scripteur : « Pensez-vous à un complot ? » ou encore : « Quels commentaires vous inspire le discours de Rocher ? »
Ils avançaient sur une corde raide, et certains de ses amis n’y conservaient qu’un équilibre précaire.
Il regrettait de ne pas avoir calmé le jeu par une mise au point pouvant être citée.
Ne jamais rappeler que les services de presse dépendaient du bureau de l’Information, dont le conseiller n’était autre que Catherine Lao, la porte-parole d’Ariane Emory au sein du Conseil ; ne jamais dire que des promotions et des carrières récompensaient les journalistes qui rapportaient des reportages à même de satisfaire leurs supérieurs. Ils n’étaient pas responsables du fait que leurs chefs souhaitaient mettre l’accent sur l’hypothèse du complot. Ce genre de nouvelles à sensation faisaient grimper l’audience.
Corain était en sueur chaque fois qu’il voyait un scripteur à côté d’un de ses partisans. Il leur avait donné des conseils, en les exhortant à faire montre de circonspection et de dignité. Mais les caméras avaient un pouvoir enivrant, les nombreuses réunions qui accompagnaient des funérailles étaient harassantes et mettaient les nerfs à rude épreuve, et tous les conseillers et membres de la coalition centriste n’approuvaient pas la ligne politique suivie par son parti.
Les caméras se braquaient sur de nouveaux visages : celui du directeur de Reseune, Giraud Nye, par exemple. Les journalistes ne ménageaient pas leurs efforts pour expliquer aux téléspectateurs que, contrairement à une idée très répandue, Ariane Emory n’avait pas été l’administratrice de ces laboratoires, qu’elle n’y avait tenu aucun poste administratif depuis un demi-siècle. Ils avaient des noms à mémoriser : Giraud Nye, Petros Ivanov, Yanni Schwartz.
Nye, ce maudit intrigant, qui était tout à fait à son aise devant les micros.
Et quand un conseiller mourait sans avoir désigné un successeur, le secrétaire du bureau de son électorat assurait l’intérim. Il s’agissait en l’occurrence de cet homme.
Qui n’aurait qu’à démissionner de son poste à Reseune pour pouvoir briguer le siège d’Emory.
Avec résignation, Corain pensa qu’il l’obtiendrait. Hormissi des révélations explosives étaient faites lors du procès de Jordan Warrick, si le prévenu utilisait le prétoire comme un podium du haut duquel il porterait des accusations. Mais ses informateurs du bureau des Affaires Intérieures disaient que Warrick était toujours en résidence surveillée. Les centristes ne pourraient prendre Merild pour assurer sa défense, car cet homme était désormais suspecté d’être un conspirateur et faisait l’objet d’une enquête. Pour couronner le tout, un avocat abolitionniste venait de proposer ses services à Warrick. Si ce dernier avait fait preuve de bon sens en refusant cette offre, il s’était montré moins judicieux en demandant aux Affaires Intérieures de lui fournir un conseillerc ce qui avait éveillé l’intérêt des médias. Cet homme était un Spécial qui occupait une position importante, et il se présenterait à une audition du Conseil assisté par un avocat commis d’office, tel un indigent, pour la simple raison que la société qui l’employait avait bloqué ses comptes financiers et qu’elle ne pouvait décemment charger ses services légaux d’assurer à la fois l’accusation et la défense.
Une musique solennelle résonnait dans les salles. Les membres de la Famille se réunirent une dernière fois autour du catafalque, puis la garde d’honneur rabattit le couvercle du cercueil et le scella. L’escorte composée de militaires et de membres des services de sécurité de Reseune attendait à l’extérieur.
Ariane Emory s’en irait dans l’espace. Pas de monument, avait-elle dit. Incinération et transfert de ses cendres jusqu’au contre-torpilleur Gallantqui croisait dans le système de Cyteen, d’où un missile les enverrait dans le soleil. Un ultime caprice que le gouvernement de l’Union exaucerait.
En fait, cette mégère avait voulu s’assurer que nul ne pourrait prélever sur elle le moindre échantillon. Et elle s’était choisi une étoile pour tombeau.
7
En cas d’assassinat, les funérailles devaient être organisées trop rapidement pour permettre à la totalité du Conseil de se réunirc mais les secrétaires se trouvaient à Novgorod ou à bord de la station. Le Sénat était en session, de même que le Conseil des Mondes. Quant aux ambassadeurs de la Terre et de l’Alliance, ils n’avaient eu qu’à descendre de Station Cyteen. Seuls trois conseillers assistaient à la cérémonie : Corain du bureau des Citoyens, Ilya Bogdanovitch du bureau de l’État, et Leonid Gorodin de la Défense.
Une majorité des deux tiers pour les centristes, se dit Corain. Mais sans aucun intérêt pour des funérailles, bon sang.
Ils devraient aller débiter à Nye les banalités d’usage et le féliciter pour sa nomination en tant que conseiller intérimaire. Pas de réception : les circonstances l’interdisaient, bien qu’il ne fût pas un cousin d’Emory. Mais Corain était dans l’obligation de gagner les ex-bureaux d’Ari, de rencontrer Nye pour lui présenter ses respects et ses condoléancesc et d’étudier cet individu. Il mettrait cette brève entrevue à profit pour porter un jugement sur lui et tenter de deviner qui était cet homme sorti des ombres de l’enclave de Reseune pour prendre la relève d’Ariane Emoryc Apprendre en cinq minutes, à condition que ce fût réalisable, si ce Spécial parviendrait à conserver la puissance que cette femme avait, il fallait le lui accorder, réussi à obtenir et consolider.
– Ser, dit Nye en lui serrant la main, il me semble que nous sommes de vieilles connaissances, tant j’ai entendu parler de vous par Ari au cours de nos dîners. Vous lui inspiriez un profond respect.
Corain était déjà en position désavantageuse, car si Nye le connaissait ce n’était pas réciproque. En outre, il n’avait pas oublié ce qu’était cet homme et pensait savoir comment Ariane Emory eût réagi à cette déclaration.
Pendant une fraction de seconde il la regretta presque. Il avait consacré vingt années de son existence à apprendre à interpréter les attitudes et les expressions de cette mégère arriviste et impitoyable. Nye restait pour lui une énigme et il en ressentait du regret et de la frustration.
– Nous nous sommes fréquemment opposés, murmura Corain.
Il lui était arrivé de tenir de tels propos à d’autres successeurs, au cours de sa longue carrière politique.
– Mais pas dans notre désir de servir les intérêts de la nation. J’éprouve une profonde sensation de perte, ser. Et je doute qu’un seul d’entre nous ait pris conscience de ce que sera l’Union sans elle.
– Je souhaite discuter avec vous de questions importantes, déclara Nye qui n’avait pas encore lâché sa main. Il s’agit de problèmes qu’elle aurait jugés prioritaires.
– Je serai heureux de vous rencontrer à votre convenance, ser.
– Tout de suite, si votre emploi du temps l’autorisec
Corain n’aimait guère ce genre de situation ; une réunion inattendue, sans les moindres préparatifs. Mais cela lui permettrait de sonder cet homme et d’entamer des relations avec lui, des relations importantes. Il ne pouvait laisser passer une pareille opportunité.
– Si vous préférez, dit-il.
Et il se retrouva avec Nye dans l’ex-bureau d’Emory. Florian et Catlin avaient été remplacés par un certain Abban : un azi à la chevelure blanche naturelle, contrairement à celle de son interlocuteur teinte en brun argenté. Nye devait être plus que centenaire, et son azi aussi. Abban leur servit du café, et Corain pensa aux journalistes et aux politiciens qui montaient la garde devant les locaux pour noter les allées et venues, ainsi que la durée des entretiens.
Il n’aurait cependant pu précipiter les choses sans manquer aux règles les plus élémentaires du savoir-vivre.
– Vous êtes conscient que la situation a évolué, déclara Nye qui l’étudiait par-dessus le rebord de sa tasse. Et vous devez vous douter que je compte briguer le siège d’Emory.
– Cela ne me surprend pas.
– Je suis un administrateur valable, mais je ne suis pas Ari. J’aimerais voir le projet Espoir aboutir, car elle y tenait beaucoup. En outre, je crois à ce qu’il peut nous apporter.
– Je présume que vous connaissez mon point de vue sur la question.
– Nous aurons encore des opinions divergentes. Sur le plan philosophique, tout au moins. Si je suis choisi par l’électorat des Sciences, naturellement.
Une gorgée de café.
– Mais ce qu’il convient de régler au plus vite – et je pense que vous en conviendrez avec moi –, c’est l’affaire Warrick.
Le cœur de Corain s’emballa. Piège ou proposition ?
– C’est une épouvantable tragédie.
– Une catastrophe, pour nous. En tant que chefc ex-chef de la sécurité de Reseune, je me suis entretenu avec le P rWarrick. Je peux vous dire qu’il a agi pour des raisons personnelles. Cette situation a été provoquéec
– Voudriez-vous me dire qu’il est passé aux aveux ?
Nye toussa, mal à l’aise. Il but une gorgée de café avant de regarder Corain droit dans les yeux.
– Ari avait tendance à s’intéresser d’un peu trop près à ses assistants. C’est ce qui s’est produit. Justin, le fils de Jordan, est un dupliqué parental. Une vieille affaire, entre le D r Emory et Jordan Warrick.
La situation paraissait de plus en plus confuse. Corain se sentait mal à l’aise face à tant de franchise et il demeura silencieux.
– Ari a fait procéder au transfert d’un expérimental qui faisait partie de la famille Warrick. Dans le but d’exercer une pression sur Justinc et sur Jordan par la même occasion. Nous le savons, à présent. Le fils Warrick a voulu protéger son compagnon et l’a envoyé se réfugier chez des gens qu’il croyait être des amis de son père. Nous manquons encore de détails, mais nous avons de bonnes raisons de penser que ces individus étaient liés au parti de Rocher. Et aux extrémistes.
Bon sang. Cette piste de preuves était trouble. Il était censé percevoir la menace.
– Nous avons libéré l’azi, poursuivit Nye, et c’est là que réside tout le fond de l’affaire. Il était hors de question de le livrer à Ari, et nous l’avons placé en observation à l’hôpital. C’est alors que Jordan Warrick a découvert ce qu’Emory avait fait à son fils. Il a eu une explication avec elle dans un labo. Ils étaient seuls. La discussion a dégénéré. Ari l’a giflé et il a riposté. Elle est tombée et son crâne a heurté l’angle d’un comptoir. Il s’agissait d’un simple accident. C’est devenu un meurtre quand Jordan s’est emparé d’un tabouret et l’a abattu sur les conduites cryogéniques pour les endommager, avant de fermer la porte de la chambre froide et d’augmenter la pression dans tout le circuit. Malheureusement pour lui, nos ingénieurs se sont rendu compte de la supercherie.
– Ce sera au Conseil d’en décider.
Un meurtre, entre deux Spéciaux. Et une trop grande preuve de confiance d’un troisième membre de cette élite, dangereux de surcroît. Corain réchauffa ses mains en les refermant autour de la petite tasse.
– Warrick ne veut pas d’un procès.
– Pourquoi ?
– La loi n’a qu’un pouvoir limité sur lui, mais des réputations pourraient en souffrir. Dont celle de son fils.
– Ne pourrait-on pas supposer – et je vous demande de bien vouloir m’excuser – qu’on s’est chargé de le lui faire comprendre ?
Nye secoua la tête, avec gravité.
– S’il y a procès, ses mobiles seront révélés au grand jour. Il sera impossible de l’éviter. Nous devons quant à nous faire entrer d’autres considérations en ligne de compte. Je ne vous cacherai pas que nous avons l’intention de passer certains faits sous silence. C’est pourquoi je tenais à avoir un entretien avec vous, serc car j’estime important de vous informer que nous sommes au courant de votre entrevue avec le D r Warrick. Vous savez comme moi que des détails gênants seront rendus publics, dans le cadre d’une enquête officielle. Dans le milieu politique, il en résultera une sorte dec chacun pour soi. Ce n’est pas en portant cette affaire devant le Conseil que nous servirons la justice. Merino fera peut-être preuve de modération, mais ce ne sera pas le cas de Rocher. Ce serait préjudiciable à nos intérêts et aux vôtres, sans parler de ceux du bureau de la Défense, de notre sécurité nationale, et même de Jordan Warrick. Il nous a remis sa confession. Il ne veut pas témoignerc il ne peut demander un psychosondage pour confirmer ses dires et la déposition de son fils est accablante. Je précise que nous ne désirons pas l’utiliser contre son père. Ce garçon vient de vivre de pénibles épreuves et ce serait en outre de la cruauté gratuite, car le meurtrier bénéficie d’une immunité légale.
La pièce paraissait s’être rétrécie. Corain eut la certitude que leur conversation était enregistrée.
– Que souhaitez-vous me demander ?
– Nous ne voulons pas que tous puissent apprendre quels étaient les petits travers d’Ari. Vous conviendrez avec moi qu’il n’en résulterait rien de positif. D’une part nous comprenons la réaction du D r Warrick, et nous avons beaucoup de sympathie pour lui ; de l’autre, nous craignons que la divulgation de certaines tractations ne fournisse des arguments aux tenants de la théorie du complot. Nous aimerions que toute la vérité soit faite sur le compte de Rocher, mais cela lui offrirait une opportunité de s’exprimer qu’il se verrait autrement refuserc Pire, il obtiendrait un droit de réponse. Je doute que vous le souhaitiez plus que nous.
Les enregistreurs, bon sang !
– Nous n’avons rien à cacher.
– Nous ne parlons pas de dissimuler des preuves compromettantes mais d’épargner à un jeune homme innocent une épreuve inutile. Jordan Warrick a confessé son crime. Il ne veut pas que sa vie privée et celle de son fils soient révélées dans le cadre d’une audition publique. Il est légalement impossible de le soumettre à un effacement mental. La plus lourde des peines qu’il encourt est une assignation à résidence accompagnée d’une obligation d’interrompre ses travauxc ce qui serait à mes yeux aussi regrettable que l’acte qu’il a commis.
Corain réfléchit un moment. Il savait qu’il y avait un piège, dans la situation ou la proposition, mais il ne parvenait pas à le trouver.
– Vous proposez en quelque sorte un arrangement à l’amiable. Vous semblez oublier qu’il s’agit d’une affaire criminelle.
– Une affaire qui met en péril notre sécurité nationale. Une affaire dans laquelle le meurtrier, la famille de la victime et les autorités compétentes souhaitent une telle solution. Si nous voulons servir la justice et non ouvrir un débat politique, une délibération à huis clos est de loin préférable.
– Il n’existe à cela aucun précédent.
– Les précédents doivent être établis un jour ou l’autrec en l’occurrence, ce serait dans un but humanitaire. En outre, nul ne serait lésé. À l’exception de Rocher qui perdrait ainsi une opportunité de s’exprimer. Même Ari en serait satisfaite. Elle n’aurait pas voulu que sa mort permette aux extrémistes de porter atteinte à l’institution à laquelle elle a consacré toute son existence. Nous comptons installer un laboratoire séparé pour le D r Warrick et lui fournir tout ce dont il aura besoin pour poursuivre ses recherches. Ce ne sont pas des mesures punitives. Nous voulons qu’il se retire de la vie publiquec par crainte qu’il n’essaie d’en tirer avantage une fois l’accord conclu. Très sincèrement, ser, je pense que nous devons unir nosforces pour empêcher la politisation du débat. Et cela inclut le P rWarrick. Nous conviendrons simplement de repousser le jugement, au cas où il ne respecterait pas cette obligation de réserve. Nous ne tenons pas à avoir les mains liées.
– Je dois y réfléchir. Et, avant d’accepter quoi que ce soit, j’aimerais avoir la possibilité de m’entretenir avec Jordan Warrick, en terrain neutre. Une question de conscience, vous comprenez. Un grand nombre d’entre nous – ceux qui constituent votre opposition – partageraient ce désir.
– C’est bien naturel. Zut, je n’aime guère régler de telles questions le jour même des funérailles d’Ari. Mais les affaires passent avant tout. Il le faut.