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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Il pensa à son ami, à son équilibre mental ébranléc

L’azi possédait une beauté et un charme qui effaçaient tous les attraits de Justin aux yeux des filles qu’ils avaient connuesc

Il marchait lentement, enlisé dans un bourbier d’angoisse et d’épuisement, assailli par des flashes-bandes qui se réduisaient à des souvenirs honteux. Il savait qu’il ne pourrait satisfaire Ari, dans un pareil état. Il désirait s’isoler, pour vomirc il décida de la joindre et de l’informer qu’il ne se sentait pas bien. C’était la stricte vérité, il ne mentait pas. Elle reporterait leur rendez-vous etc

Ô Seigneur ! Il lui fallait respecter à la lettre l’accord qui lui permettait de rendre visite à son ami. Elle avait promis de le faire libérer, alors qu’elle pouvait effacer son esprit, effectuer sur lui tout ce qu’elle voulait. Elle avait en outre proféré des menaces à l’encontre de Jordan. Leur avenir à tous dépendait de son comportement et il ne pouvait le dire à Grant, pas dans son état actuel.

Il prit une inspiration et repartit vers le bas du chemin, en direction de l’entrée principale. Un jet approchait. Il l’entendait. Rien d’extraordinaire. En plus d’effectuer des vols hebdomadaires, les appareils de la RESEUNAIR décollaient en fonction des besoins. Il le vit atterrir, pendant qu’il suivait le lit de gravier bordé de buissons acclimatés. Un car démarra et le croisa, pour s’éloigner vers la route. Justin supposa qu’il allait chercher les passagers de l’avion, et il se demanda quel membre de la Maisonnée avait pu se rendre dans la capitale au cours d’une période si fertile en événements.

Il franchit les portes automatiques après avoir glissé sa carte dans la fente de la plaque de cuivre, remit le rectangle de plastique sous la pince de sa chemise et se dirigea vers les ascenseurs.

Il devrait en premier lieu téléphoner à son père, pour l’informer de l’amélioration de la santé de Grant. Il regrettait de ne pas avoir eu le temps de le joindre depuis l’hôpital, mais son ami ne voulait pas le voir s’éloigner. Il avait craint de le bouleverser.

– Justin Warrick.

Il se retourna vers les gardes et établit aussitôt un rapport entre leur présence, l’arrivée du jet et le départ du car. Il en déduisit qu’un visiteur important était attendu.

– Suivez-nous, je vous prie.

Il désigna les boutons de l’ascenseur.

– Je monte dans ma chambre. Je n’ai pas l’intention de rester là.

– Suivez-nous, ser.

– Oh, merde ! Utilisez un interphone, interrogez votre superviseurc Ne me touchez pas !

Il avait crié cela en voyant un des azis se pencher vers lui. Mais ils saisirent ses bras et le poussèrent contre la paroi.

– Bordel ! gronda-t-il, exaspéré par la fouille minutieuse à laquelle ils le soumettaient.

C’était une erreur. Ces azis avaient mal interprété leurs instructions et faisaient du zèle.

Ils lui tordirent les bras dans le dos et il sentit la froideur du métal sur ses poignets.

– Eh !

Les menottes se fermèrent en cliquetant. Les gardes le firent tourner sur ses talons et l’entraînèrent dans le couloir. Il s’arrêta, et ils le poussèrent en direction des bureaux de la sécurité.

Seigneur ! Ari venait de porter plainte. Contre lui, Jordan, Kruger, tous ceux impliqués dans la fuite de Grant. C’était la seule explication. Elle avait trouvé un nouveau moyen de pression, quelque chose qui les réduirait au silence et les ferait condamner. Et il en portait l’entière responsabilité, parce qu’il avait cru pouvoir pactiser avec cette femme.

Il cessa de résister et se laissa guider dans le couloir, jusqu’au bureau du superviseur.

– Là, fit l’homme en désignant la porte qui s’ouvrait au fond de la pièce.

– Mais qu’est-ce qui se passe, bon Dieu ?

Faute d’avoir une inspiration, il tenta de les intimider :

–  Contactez Ari Emory,bordel !

Mais ils l’entraînèrent dans un couloir puis le poussèrent dans une cellule de béton nue, avant de refermer et de verrouiller le battant.

–  Malédiction, vous devez m’informer des charges retenues contre moi !

Ils ne prirent pas la peine de lui répondre.

5

Le corps était gelé, totalement gelé, et il était tombé de guingois contre la porte de la chambre froide. Une pellicule de givre recouvrait toutes les surfaces, à l’intérieur de la salle.

– On dirait qu’elle a glissé sur du verglas, déclara l’enquêteur.

Et il utilisa sa caméra pour filmer la scène, faisant ainsi subir à Ari une indignité posthume. Elle en eût été outrée, pensa Giraud. Il regardait le cadavre, incapable d’admettre qu’Ari n’allait pas bouger, que ses membres raides, ses yeux vitreux et sa bouche entrouverte ne reviendraient pas à la vie. Elle portait un sweater. Comme tous les chercheurs qui devaient travailler dans la vieille chambre froide elle choisissait toujours des tenues ne risquant pas d’entraver ses mouvements. Mais même un vêtement plus chaud n’aurait pu la sauver.

– La glace n’avait pas encore pu se former, marmonna Petros. Impossible.

– Elle s’enfermait, pour travailler ?

L’enquêteur de Moreyville, la seule agglomération où résidait un représentant de la loi dans un rayon de mille cinq cents kilomètres, posa la main sur la porte de la salle souterraine. Il ne fit que l’effleurer, mais ce fut suffisant pour déplacer le battant.

– Merde.

Il le retint, trouva un point d’équilibre et le lâcha, avec méfiance.

– Il y a un interphone, fit remarquer Petros. En fait, cette porte s’est refermée sur tout le monde, ici. Nous sommes tous au courant. Le faux aplomb est dû au tassement de l’immeuble. Celui qui est coincé à l’intérieur appelle la sécurité, ou le bureau de Strassen, et quelqu’un descend aussitôt le délivrerc un détail sans importance.

– Il en a eu, cette fois.

Le policier – il s’appelait Stem – leva la main et pressa la touche de l’interphone. Le plastique se brisa sous son doigt, comme une pellicule de glace.

– Le froid. Je veux cette pièce à conviction, dit-il à son assistant qui le suivait en tenant un scripteur. Quelqu’un m’entend ?

Aucun son ne s’éleva de l’appareil.

– En panne.

– C’est peut-être un effet de la basse température, fit remarquer Giraud. Mais il n’y a eu aucun appel.

– C’est donc cette baisse de pression brutale qui vous a permis de comprendre que quelque chose clochait.

– Dans la cuve d’azote. Les techs se sont doutés de ce qui se passait et j’en ai été informé une minute plus tard.

– Il n’y a donc pas de système d’alarme ?

– Si, et il s’est déclenché, répondit Giraud qui désignait le module mural. Mais il n’y avait personne dans les parages et compte tenu des phénomènes acoustiques il était impossible de déterminer son point d’origine. C’est l’appel des techs qui nous a fait penser à une conduite d’azote. Et à la chambre froide. Nous sommes venus ici au pas de course.

– Hmmm. Et l’azi de sera Emory s’était absenté juste après l’arrivée de Jordan Warrick, qui avait regagné le niveau supérieur quand l’alarme s’est déclenchée. Je veux un rapport sur cet interphone.

– Nous pouvons nous en charger, proposa Giraud.

– Je préfère confier l’expertise à mes services.

– Nous vous avons fait venir pour la forme, capitaine. Vous vous trouvez hors de votre juridiction.

Stem le fixac un individu corpulent et peu démonstratif, aux yeux pétillants d’intelligence. Il possédait un esprit assez vif pour comprendre que Reseune voulait garder ses secrets.

Et que compte tenu des rapports qui existaient entre la direction de ces laboratoires et les hauts responsables des Affaires Intérieures la décision qu’il prendrait lui vaudrait une promotion ou de sérieux ennuis.

– Je souhaiterais interroger ce Warrick, déclara-t-il.

Il indiquait ainsi qu’il acceptait d’interrompre ses recherches sur les lieux du crime. Giraud fut tout d’abord tenté de le suivre, pour couvrir tout ce qui devait rester confidentiel. Puis il fut pris de panique. Il prenait conscience de la calamité qui venait de s’abattre sur Reseune et de mettre en péril la totalité des projets en cours : le fait qu’un cerveau si fertile et détenteur de tant de secretsc n’était plus qu’un bloc de glace. Gelé ainsi, le corps ne pouvait être transporté avec la moindre dignité. Même cette simple nécessité leur posait un problème.

Et Corainc Les médias l’apprendront avant l’aube.

Que faut-il faire, bon sang ? Que faut-il faire ?

Que faut-il faire, Ari ?


Florian attendait, assis sur un banc de la salle d’attente, dans l’aile ouest de l’hôpital. Ses coudes reposaient sur ses genoux, sa tête entre ses paumes, et il pleurait faute de pouvoir agir. Les policiers ne l’avaient pas autorisé à s’approcher d’Ari, hormis pour lui permettre d’obtenir la confirmation que ce qu’on lui avait dit était exact. Elle avait cessé de vivre, et son univers serait désormais différent. Les ordres venaient de Giraud Nye : il devait se présenter dans ce service pour recevoir le réconfort que pouvait apporter une bande.

Il comprenait le bien-fondé de cette décision. S’adresser à son superviseur en cas de problème était une règle qu’il respectait depuis sa plus tendre enfance ; et il existait des bandes pouvant effacer l’affliction, les doutesc elles permettaient de comprendre le monde, ses lois et ses règles.

Mais au matin Ari ne serait pas revenue à la vie et il doutait que de simples bandes pussent lui permettre de s’y résigner.

Si les policiers n’avaient pas arrêté Jordan Warrick, il serait allé tuer cet homme. Il le ferait, si l’opportunité s’en présentait. Mais il devait pour l’instant suivre les consignes écrites sur ce bout de papier, cette invitation à trouver le réconfort offert aux azis. Et il ne s’était jamais senti aussi seul et impuissant. Toutes les instructions reçues étaient désormais caduques, ses obligations venaient dec disparaître.

Quelqu’un suivit le couloir et entra, sans faire de bruit. Il releva les yeux sur Catlin, qui paraissait bien moins tendue que luic toujours calme, quelles que soient les circonstances, même à présentc

Il se leva et la prit dans ses bras pour l’étreindre, la tenir contre lui comme au cours de toutes ces nuits où ils avaient dormi ensemble, pendant tant d’années qu’il en avait perdu le compte, dans les bons et les mauvais moments.

Il baissa la tête, pour la laisser reposer sur l’épaule de l’azie. Catlin le serra contre elle ; un réconfort au sein de ce néant.

– Je l’ai vue, dit-il.

Un souvenir insoutenable.

– Que devons-nous faire, Cat ?

– Nous sommes ici. Nous n’avons nulle part ailleurs où nous rendre.

– Je veux recevoir une bande. Je n’en peux plus, Cat. Il faut que ça s’arrête.

Elle prit son visage entre ses mains et le regarda droit dans les yeux. Ceux de Catlin étaient bleu clair, elle seule en possédait de pareils. Elle n’avait pas perdu son calme. Pendant un instant il fut effrayé par son expression, sa tristesse qui paraissait indiquer qu’il n’existait plus pour eux aucun espoir.

– Ça va finir, dit-elle. Ça va finir, Florian. Bientôt. Tu m’attendais ? Entrons. Allons dormir, d’accord ? Sous peu, nous ne souffrirons plus.


Justin entendit des pas, mais les allées et venues étaient nombreuses et il avait tant crié qu’il souffrait d’une extinction de voix. Recroquevillé en position fœtale contre le mur de béton, il entendit déverrouiller la porte.

Il voulut se lever et se redressa en prenant appui contre la paroi. Il recouvra son équilibre à l’instant où deux gardes venaient le chercher.

Il ne résista pas. Il ne dit pas un mot jusqu’au moment où il fut dans une pièce où ne se trouvait qu’un bureau.

Derrière lequel Giraud Nye était assis.

– Giraud, fit-il d’une voix rauque, avant de se laisser choir dans un fauteuil, pour l’amour de Dieuc qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui leur a pris ?

– Un crime a été commis et vous êtes accusé de complicité, voilà ce qui se passe. Conformément aux lois de Reseune, vous avez la possibilité de faire une déposition de votre plein gré. Vous savez que vous êtes soumis aux règlements administratifs et que nous pouvons réclamer un psychosondage. Je vous conseille donc de ne rien nous cacher.

Le temps ralentit son cours. Ses pensées bondissaient dans toutes les directions. Il ne pouvait croire que cela pût lui être arrivé. Il ne rêvait pas. Il savait que tout était sa faute, que son père avait des ennuis à cause de luic et qu’un psychosondage révélerait tout.

Absolument tout. Jordan apprendrait ce qu’il lui avait caché. Nye s’empresserait de l’en informer.

Il souhaita mourir.

– Ari me soumettait à un chantage, déclara-t-il.

Il lui était difficile de régulariser le débit de ses paroles, tant l’écart était grand entre le monde qui tournait au ralenti et ses pensées qui tourbillonnaient à une vitesse folle. Il savait que cela continuerait à jamais, en suspension dans le silence. Dois-je parler de Jordan et préciser pourquoi Grant a dû partir ? Peuvent-ils le découvrir ? Dans quelle mesure est-il possible de leur mentir ?

– Elle m’avait promis de rendre sa liberté à Grant, si je me pliais à ses volontés.

– Étiez-vous au courant des liens qui unissent Kruger à Rocher ?

– Non !

C’était facile. Les mots se bousculaient.

– Kruger devait aider Grant à s’enfuir parce que Ari lui aurait fait du mal si jec si je nec ellec

Il allait avoir des nausées. Les flashes-bandes l’assaillaient. Il se pencha en arrière autant que le permettaient ses bras, dans l’espoir de détendre les muscles noués de son ventre.

– Quand j’ai appris que Grant n’était pas arrivé à Novgorod, je suis allé la voir. Je lui ai demandé de m’aider.

– Qu’a-t-elle répondu ?

– Elle m’a traité d’imbécile, avant de me parler de Rocher. Je ne savais rien sur cet homme.

– C’est tout ? Vous n’êtes pas allé voir votre père ?

– C’était impossible. Il ne savait rien. Il risquait dec

– Qu’aurait-il fait ?

– Je ne le pouvais pas. J’ignore quelle aurait été sa réaction. Mais je suis le seul responsable. Il n’est pour rien dans ce qui s’est passé.

– Vous vous référez au départ illégal de Grant ?

– À tout. Kruger, Rocher, le reste.

– Et Ari n’est pas intervenue ?

Cela paraissait inconcevable. Un piège,se dit-il. Elle n’a pas empêché le départ de Grant. Peut-être espérait-elle qu’il réussirait. Peut-êtrec

c peut-être existait-il une autre raison. Elle était folle de rage. Ellec

Mais comment savoir, avec Ari ? Cette femme sait feindre les sentiments avec autant d’aisance que s’il lui suffisait de pianoter sur un clavier pour les programmer.

– Je pense poursuivre cet interrogatoire sous psychosondage. À moins que vous ne désiriez me fournir quelques précisions au préalable ?

– Qui s’en chargera ?

Il y avait sondeurs et sondeurs. Il voulait connaître l’identité de celui à qui il ouvrirait son esprit.

– Giraud, si mes révélations sont enregistrées Ari ne l’appréciera pas du tout. Sait-elle où je suis ? Sait-ellec

C’est peut-être une manœuvre politique que Giraud dirige contre Ari. A-t-il ordonné mon arrestation pour pouvoir faire pression sur elle ?

– J’exige de voir Ari. Je devais aller la retrouver. Elle va se demander où je suis. Si elle n’a pas de mes nouvelles, elle vac

c se venger sur mon père, prendre des mesures de rétorsion qu’il sera peut-être impossible d’annuler ensuite. Ils vont tout lui dire. Giraud s’en chargera. L’administration cherche peut-être à nuire à Jordan, auquel cas c’est un travail d’équipe : Ari s’occupe de moi et Giraud de mon père. Ô Seigneur ! Dans quelle situation me suis-je fourré ?

– c se demander où je me trouve.

– J’en doute. Et je compte procéder à cet interrogatoire. Alors, que décidez-vous ? Vous avez le choix entre tenter de résister ou vous soumettre de bon gré à ce psychosondage. J’espère que vous comprenez que ce n’est pas en vous opposant à nous que vous rendrez votre sort plus enviable.

– J’accepte.

– Parfait.

Nye se leva. Justin se pencha en avant et se redressa, sur des jambes tremblantes. Le froid l’engourdissait et les pensées qui se bousculaient dans son esprit perdirent leur diversité et s’assemblèrent pour former une muraille circulaire où n’existait aucune issue.

Giraud lui ouvrit la porte. Il sortit, avant de suivre le couloir avec cet homme et une escorte de gardes, en direction d’une salle dont il entendait parler depuis l’enfance : une pièce parmi tant d’autres dans cette section de l’hôpital, un lieu où se rendaient les azis pour recevoir des bandes de rééducation, une cellule aux murs verts, avec un lit et une caméra installée dans un angle.

– Chemise, dit Giraud.

Il savait ce qu’on attendait de lui. Il retira le vêtement et le posa sur le comptoir puis alla s’asseoir sur le petit lit et tendit son bras à l’azi qui avait préparé l’injection. Il l’aida même à placer les électrodes sur son corps. Il effectuait toujours cette opération lui-même, les rares fois où il décidait de se passer une bande. Mais la drogue diluait déjà sa concentration. Il se laissa aller entre les mains qui se tendaient vers lui, puis il sentit qu’on soulevait ses jambes afin de l’allonger sur le divan. Il remarqua que les assistants s’affairaient à installer les biosondes et il ferma les yeux. Il lui vint à l’esprit qu’il aurait dû dire à Giraud de les faire sortir, parce que ce qu’il révélerait se rapportait à Ari et que les azis qui entendraient cela devraient ensuite être soumis à une bande sélective.

Nye lui posa des questions, avec calme et assurance. Il eut conscience des premières, pour les oublier aussitôt. Un tech aurait pu se charger de l’interrogatoire, mais Giraud était le meilleurc un professionnel qui ne laisserait pas le moindre fardeau émotionnel derrière lui. Un expert. Et il irait au fond des choses, il essayerait de découvrir la vérité.

Justin lui dit tout. La drogue l’eût empêché de mentir.

Nye ne fut pas choqué par les agissements d’Ari. Il avait vécu longtemps et vu beaucoup de choses. Il paraissait compatir et croire Justin. Un jeune homme tel que lui, au voisinage d’Aric ce n’était pas la première fois. Que cette femme eût essayé d’obtenir un moyen de pression contre son père était évident. Qui aurait pu en douter ? Jordan avait dû le deviner.

– Non, rétorqua-t-il.

Un flash illumina le plafond blanc et lui indiqua qu’il venait de remonter très près de la surface. Il se rappellerait avoir vu Giraud caresser son épaule.

Vous avez pris soin de le cacher à votre père. Que pensiez-vous qu’il ferait, s’il le découvrait ?

Qu’il s’adresserait au bureau des Sciences.

Ah !

Mais il n’en a rien su.

Dormez, maintenant. Vous serez frais et dispos, à votre éveil. Laissez-vous aller. Tout va s’arranger.

Quelque chose était anormal. Il essaya de découvrir quoi, mais cela partit à la dérive et sortit de son champ de vision.


– Je ne pense pas qu’il subsiste le moindre doute, déclara Giraud en regardant Jordan.

À quarante-six ans, cet homme était trop athlétique et fort pour qu’il courût des risques, mais ils devaient veiller à ne pas laisser de traces. Ils utilisaient donc des sangles pour l’immobiliser et ils ne procéderaient pas à un psychosondage. En tant que Spécial, Jordan Warrick faisait partie du patrimoine national. Même le bureau des Affaires Intérieures n’aurait pu lui nuire, dans tous les sens du terme.

Qu’un Spécial fût accusé du meurtre d’un autre Spécial était sans précédent. Mais même si cet individu avait massacré une douzaine d’enfants en bas âge sur la Grand-Place de Novgorod ils n’auraient pu le contraindre à révéler ses raisons, le soumettre à un sondage, ou utiliser sur lui une des bandes rééducatives destinées aux simples vandales.

Jordan le foudroyait du regard depuis le fauteuil dans lequel les gardes l’avaient attaché.

– Vous savez bien que je ne l’ai pas tuée.

– Comment espérez-vous le démontrer ? En réclamant un psychosondage ? Vous savez que nous ne pouvons rien vous faire. Vous le saviez, quand vous avez commis ce meurtre.

– Je n’ai rien fait. Bon sang, vous parlez d’assassinat avant même que les légistes n’aient procédé à l’autopsie du corps !

– Quelle que soit la cause du décès, le froid à lui seul aurait suffi. Cette conduite ne s’est pas rompue accidentellement, Jordan, vous ne l’ignorez pas. Et vous n’ignorez pas non plus pourquoi elle a cédé. Simplifiez-nous la tâche. Dites-nous ce que vous avez fait. Je pense que vous vous êtes contenté de taillader ce tuyau et de remplir les cuves du labo, puis de fermer la valve principale et d’augmenter le débit du circulateur. La conduite devait se rompre à son point le plus faible, là où vous veniez de l’endommager.

– Je constate que vous êtes un spécialiste de la question et que vous feriez un bien meilleur plombier que moi. Je travaille sur un ordinateur, Gerry, je passe mon temps à taper sur un clavier.Je ne me suis jamais demandé quel tracé suivait l’installation cryogénique du labo de la section un, et les choses de ce genre ne m’intéressent pas. Je relève en outre une autre faille dans votre raisonnement. Je n’ai pas accès à cette zone.

– Ce n’est pas le cas de Justin, ni de son azi.

– Oh ! C’est plutôt tiré par les cheveux. Auriez-vous oublié que Grant est dans un lit d’hôpital ?

– Nous avons procédé à l’interrogatoire de Justin et nous allons nous occuper des azis. Le vôtre et le sien.

Le visage de Jordan devint de marbre.

– Vous ne trouverez rien, pour la simple raison qu’il n’y a rien à trouver. Vous aurez des ennuis, Giraud. Vous devriez commencer à vous y préparer.

– C’est inutile, parce que je connais vos mobiles.

–  Quelsmobiles ?

Nye pressa le bouton de l’enregistreur du bureau. Il contenait une bande.

–  Ivanov s’est déchargé sur vous de ses responsabilités, Gerry. Denys également. Nous ne parlons pas d’un fichier mais d’un gosse qui a peur.

–  Dans une huitaine de joursc

–  Laissez tomber. Vous allez me délivrer un laissez-passer pour cette section et ordonner à ce med de me recevoir.

–  Votre fils est auprès de Grant, en cet instant même. Il a reçu un sauf-conduit permanent, pour des raisons que je ne peux d’ailleurs pas comprendre. Il s’occupe de lui.

Une pause.

–  Écoutez, Jordie. Ils parlent d’une autre semaine, deux au maximum.

–  Justin a un sauf-conduitc

Fin de la bande.

– Je ne vois pas le rapport.

– C’est alors que vous êtes descendu voir Ari, n’est-ce pas ? À la fin de cette conversation.

– C’est exact. Vous refusiez d’intervenir.

– Pas pour cette raison. Vous avez répété « Justin a un sauf-conduit ». Vous étiez visiblement surpris. A : votre fils vous cachait une chose dont il aurait dû vous informer. B : Ari ne renonçait jamais à ses avantages. C : vous connaissiez ses habitudes. Vous veniez d’obtenir la confirmation d’un soupçon qui vous rongeait depuis longtemps, depuis que vous saviez que Justin voulait sauver son azi.

– Vous avez une imagination débordante.

– Votre fils a tenté de faire pression sur Ari. Reconnaissons qu’il ne manque pas d’audace. Vous pensiez qu’il pouvait réussir. Vous l’avez laissé agir. Mais quand Grant a été ramené à Reseune, Ari s’est retrouvée avec tous les atouts. N’est-ce pas exact ? Tousles atouts. Et c’était à elle que Justin venait de s’adresser pour demander de l’aide, pas à vous. Il avait obtenu d’Ari une faveur qu’elle vous aurait refusée, malgré toutes vos menaces. Il y avait de quoi être intrigué.

– Voilà qui confirme que vous possédez une imagination très fertile. J’avoue que je ne m’en étais jamais douté.

– Vous avez eu une explication avec Ari. Elle vous a dit, si vous ne le saviez pas déjà, quel genre de leçons particulières elle donnait à votre fils. Et vous l’avez tuée. Il ne vous a pas fallu beaucoup de temps pour coincer une valve et mettre une pompe en marche. Tous les membres de la section un étaient au courant des problèmes que posait cette porte. Vous pensiez camoufler le meurtre en accident, mais il vous a fallu improviser.

Jordan resta muet pendant un instant, puis :

– Vous oubliez un détail.

– Lequel ?

– Quelqu’un savait où je me trouvais. Vous. J’ai eu une explication avec Ari, mais elle était bien vivante quand je suis ressorti de la chambre froide. Vérifiez sur son scripteur.

– Elle utilisait une de ces fichues transplaques. Ces dernières n’enregistrent pas la parole. Et elle n’a pas laissé le moindre message, faute d’en avoir eu le temps. Vous l’avez assommée, avant de trafiquer la conduite, de refermer la porte et d’augmenter la pression. Quand l’alarme s’est déclenchée, vous aviez déjà gravi l’escalier.

– C’est faux ! Oh ! Je n’irais pas jusqu’à prétendre que sa disparition m’attriste, mais je ne l’ai pas tuée. Quant à Justin, vous dites vous-même dans cette bande qu’il était auprès de Grant, à l’hôpital. Coupez ce passage et je me fais fort de prouver que vous avez trafiqué des pièces à conviction.

– Avoir recours à de telles méthodes serait inutile. Parce que si vous passez en jugement je fournirai d’autres bandes, dont une que je souhaite vous montrer.

– C’est superflu.

– Ah ! Vous avez donc deviné de quoi il s’agit. Mais je tiens à ce que vous regardiez, Jordie. Je les ai toutes à ma disposition, si ça vous chante. J’aimerais bien connaître votre opinion.

–  C’est inutile.

– Ari disaitc que vous aviez vécu de bons moments avec ellec il y a longtemps.

Jordan prit une inspiration profonde et cessa de feindre le calme.

– Vous allez m’écouter, à présent. Vous allez me prêter attention, espèce d’ordure, parce que vous vous trompez en croyant être le maître de la situation. Si vous vous débarrassez de moi, à présent qu’Ari est morte, deuxsections de Reseune seront désorganisées. Vous ne pourrez pas respecter vos engagements. Vous aurez de sérieuses difficultés à remplir vos contrats et tous les politiciens qui vous soutiennent s’empresseront de ramasser leurs mises. Vous semblez en outre avoir oublié un détail. La mort d’un Spécial doit faire l’objet d’une enquête, et ce que la police découvrira n’intéressera pas que les gens qui vivent béatement à Reseune. Sitôt que les médias en seront informés, des chefs de service et des présidents de corporation se mettront à courir de tous côtés, comme des cafards lorsqu’on fait la lumière. Vous avez raison. Vous ne pouvez m’interroger. Je ne peux prouver ma bonne foi sans engager ma parole. Et savez-vous ce que je dirai ? Que vous avez utilisé vos bandes sur moi. Et vous ne pourrez prouver le contraire car la loi interdit de me soumettre à un psychosondage. Ce que vous allez faire, c’est m’offrir l’opportunité de m’exprimer devant des journalistes. J’attends cela depuis longtemps. Je n’aurais pu espérer une meilleure occasion. Lao, l’amie d’Ari, pourrait museler les médias maisc quand les événements ont une telle importance il est impossible de les passer sous silence. L’assassinat de la personnalité la plus en vue de Reseune entre dans cette catégorie. Je regrette de ne pas y avoir pensé plus tôt.

– C’est exact. Parfaitement exact.

– Vous envisagez de m’éliminer, n’est-ce pas ? Ne vous gênezpas. Mais n’oubliez pas que la mort d’un seulSpécial sera déjà bien difficile à expliquer.

– Vous exagérez la puissance de la presse. Les scandales ont tôt fait de retomber dans l’oubli.

– Celui-ci durera assez longtemps pour vous empêcher de faire partie du Conseil. Ça ne fait aucun doute. Il est possible de commettre des meurtres, mais pas d’étouffer une telle affaire. Quelle que soit la puissance politique. Il n’existe pas de moyens de rendre les micros silencieux. Vous vous attirerez le mépris de l’opinion publique. Vous désirez donc voir Reseune perdre tout ce qu’elle a acquisc

– Une nouvelle banale. Un meurtre ou un suicide ? Vous n’avez pu supporter la publicité qui entourerait votre procès. Vous avez pensé que votre mort ferait clore le dossier. Vous ignoriez l’existence des bandes. Vous ne saviez pas qu’Ari enregistrait ses folles nuits. Le bon peuple en sera choqué, mais ce sera passager. Il est depuis toujours friand des scandales qui se rapportent à des gens riches et célèbres. Leurs turpitudes sont agrémentées de paillettes. Qui sait si votre fils ne se suicidera pas, lui aussi ? Ou s’il ne connaîtra pas une autre fin tragique ? Overdose, trip-bandec Une chose est sûre, en tout cas : il n’obtiendra pas un poste à Reseune. Et nulle part où nous avons un tant soit peu d’influence. Je ne parle pas de son azi. J’ai conscience qu’il est risqué de le soumettre à un interrogatoire, car il est désormais très fragile, mais nous devons connaître tous les faits.

Jordan en resta paralysé un long moment.

– Et il y a aussi Paul, ajouta Giraud.

Son interlocuteur ferma les yeux.

– Battu ?

– Je sais que vous avez une proposition à me faire. Vous avez préparé tout cela avec trop de minutie. Leur sécurité contre mon silence, c’est cela ?

Nye eut un sourire, sans paraître amusé pour autant.

– Vous savez qu’ils sont à notre merci. Vous nous avez livré un grand nombre d’otages et vous ne pouvez garantir leur sécurité qu’en obéissant à nos ordres. Vous ne voulez pas que tous puissent voir la bande des ébats de Justin ou qu’il soit poursuivi en justice, pas plus que les Kruger ou votre ami Merild, d’ailleurs. Je précise que cela compromettrait aussi tous vos amis du Conseil. Une fois l’enquête ouverte, il sera impossible d’interrompre la procédure. Vous ne désirez pas que Grant et Paul subissent une interminable succession d’interrogatoires. Vous avez conscience de ce qui en résulterait. Nulne veut une enquête et jene veux pas d’un scandale qui éclabousserait Reseune. Il n’existe qu’une solution : vous nous remettez une confession détaillée. Rien ne peut vous arriver, et vous le savez. Vous verrez même se réaliser votre plus cher désir : votre transfert. Nous affirmerons que vos travaux sont d’une importance capitale et vous vivrez en un lieu paisible et confortable, sans caméras, sans microphones, sans visiteurs. N’est-ce pas préférable au reste ?

– Je refuse. J’ignore ce qui s’est passé. Je suis descendu voir Ari, et nous nous sommes effectivement querellés. Je l’ai accusée de faire chanter mon fils. Elle a ri. Je suis reparti. Sans la menacer. Sans dire un mot. Lui révéler mes intentions aurait été stupide. Mais je précise qu’elles n’incluaient pas un meurtre. Je n’avais encore rien décidé. C’est la stricte vérité. J’hésitais à m’adresser au bureau des Sciences et je doutais pouvoir la faire fléchir.

– Voilà une nouvelle version des faits. En avez-vous d’autres en réserve ?

– C’est ce qui s’est passé.

– Mais comment le prouver ? Il est impossiblede vous psychosonder. Vous ne pourrez rien démontrer. Nous voici revenus au point de départ. Entre nous soit dit, je me fiche que vous soyez ou non coupable. Vous êtes notre principal cause de soucis et vous vous retrouvez en tête de la liste des suspects. Vous aimeriezl’avoir tuée, et si vous ne lavez pas fait vous êtes encore plus dangereux que l’assassin parce que ce dernier a alors agi pour des raisons personnelles. Dans votre cas, c’est différent. Nous allons examiner de près toutes les conduites, les valves, la totalité du système. Si nous ne trouvons rien, nous fabriquerons des preuves. Et je vous dirai tout ce que vous devrez déclarer quand vous vous présenterez devant le bureau. Vous vous en tiendrez à cette version des faits et je respecterai ma promesse. Demandez-moi ce que vous voulez. Dans les limites du raisonnable bien sûr. Vous plaidez coupable, vous vous retirez dans une petite installation bien confortable, et tout est parfait pour tout le monde. Dans le cas contrairec nous devrons prendre des mesures regrettables.


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