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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Les matrices entrent en contractions et expulsent leur contenu dans des cuvettes emplies de liquide amniotique où des techs aux mains gantées les saisissent. On ne note pas de tension, peu de nervosité. Les filles de type Mu ont un visage large, un air placide, des cheveux incolores ; les Bêta sont moins potelés et gracieux, avec des membres grêles et une épaisse chevelure brune. Leurs grimaces font rire les techs.

Les cordons sont noués, la délivre vidée des plateaux et remplacée par de l’eau tiède dans laquelle les nouveau-nés prennent leur premier bain. Les techs les pèsent, par acquit de conscience, et enregistrent le poids dans les dossiers ouverts lors de la conception, deux cent quatre-vingt-quinze jours plus tôt : des fichiers qui recevront de moins en moins d’entrées au fur et à mesure que les bébés passeront d’un état de dépendance totale à une autonomie relative.

Des assistants azis les prennent et les langent. C’est avec beaucoup de douceur qu’ils les manipulent, les tiennent, les bercent dans leurs bras.

Entre les changements de couches et les tétées, ils demeurent désormais dans des berceaux qui, comme les cuves utérines, se balancent au rythme des battements d’un cœur, auxquels vient se superposer une voix lointaine. Elle leur est familière, elle s’est déjà adressée à eux dans la matrice, douce et rassurante. Il lui arrive parfois de chanter. Le reste du temps elle se contente de leur adresser des murmures.

Un jour, elle leur donnera des instructions. C’est une bande. À ce stade, l’effet est subliminal, sa seule utilité est de les rassurer, mais elle récompense déjà la bonne conduite. Un jour elle exprimera de la désapprobation, mais pour l’instant les enfants sont sages. Seuls les Bêta sont un peu turbulentsc


LOT AGCULT-789X : URGENCEURGENCE

AGCULT-789X pose un problème. Le généset expérimental n’a pas permis d’obtenir les résultats escomptés et, après avoir consulté son équipe, un tech arrête l’appareil et vide AGCULT-789X à des fins d’autopsie.

Des azis écouvillonnent la matrice, la lavent plusieurs fois, et le chef tech déclenche le processus qui la tapissera à nouveau de bioplasme.

Elle recevra un autre occupant dès cette opération terminée. Il convient de disposer des résultats de la dissection avant de chercher des solutions au problème.

Entre-temps la cuve utérine reçoit l’œuf mâle d’AGCULT-894, un spécimen de la même espèce. Ce n’est pas la première déconvenue. Provoquer des adaptations est un processus complexe et les échecs sont fréquents. Mais AGCULT-894 est différent et peut-être viable. Et, même si cette expérience échoue, elle permettra aux chercheurs de disposer d’éléments de comparaison valables.

Terraformer le sol et modifier la composition de l’atmosphère ne suffit pas pour faire d’un monde un habitat propre à recevoir des humains. Sur Cyteen, il est impossible d’attendre des millions d’années, le laps de temps qui a été nécessaire aux espèces terriennes pour s’adapter et à des écosystèmes complexes pour apparaître.

Reseune s’est fixé pour mission de remplacer le temps et la sélection naturelle. Comme la Nature, elle subit des pertes, mais ses choix sont plus rapides et guidés par l’intelligence. Certains avancent que de telles méthodes ont leur revers : l’élimination des éléments ornementaux et non fonctionnels qui apportent aux espèces terrestres leur diversité, en mettant l’accent sur certaines caractéristiques au détriment des autres.

Mais Reseune veille à ce que rien ne disparaisse. Les laboratoires ont leurs arches, des sortes de boîtes de conserve remisées autour d’étoiles lointaines, des vaisseaux privés de propulseurs et en conséquence peu coûteux, de simples modules de stockage de matériel génétique situés en divers points de la galaxie, blindés et protégés des radiations. Ces arches contiennent des échantillons et des enregistrements digitaux de génésets, ainsi que des fichiers qui contiennent des instructions destinées à en faciliter l’accès à toute espèce assez évoluée pour comprendre la nature du contenu de ces entrepôts orbitaux.

Il n’a fallu à l’humanité qu’un million d’années pour passer du stade de l’existence primitive à celui de la sapience astropérégrine. Grâce à ces arches, l’homme disposera dans un million d’années des enregistrements génétiques de son passé et du passé de toutes les espèces que Reseune peut étudier. Il s’agit de notre patrimoine, et de celui de tous les mondes connus où existe la vie, sauvegardé contre les dangers et le tempsc

Dans ces arches sont également conservés les codes fragmentaires récupérés sur des spécimens humains vieux de milliers d’années, le pool génétique de la planète-mère précurseur des génébanques du XX esiècle, les restes des animaux et des hommes qui ont été préservés au fil des siècles par des phénomènes de congélation naturelle ou autres.

Pouvons-nous imaginer ce que représenteraient de nos jours de telles arches contenant l’information génétique du passé géologique de la Terre, ce monde où se sont produites des extinctions cataclysmiques de formes de vie évoluées ? Grâce à de telles généthèques il serait possible de reconstituer tous les processus d’évolution et d’apporter des réponses aux nombreuses énigmes que pose son lointain passéc

Reseune n’a pas abandonné une seule option génétique. Elle assure la préservation de tous les gènes à un degré sans précédent dans l’histoire de l’humanité et, tout en s’efforçant de diriger le processus de l’évolution, elle veille à conserver toutes les autres optionsc

Chapitre III

1

Le temps avait cessé de s’écouler. Il n’existait plus que les bandes, un flot tour à tour paisible ou plein de turbulences. Le courant était parfois interrompu par des interludes d’éveil brumeux, mais il sentait les effets des tranksc lorsqu’il remontait vers la surface.

– Allons, tu as de la visite, fit une voix.

Et un linge humide caressa son visage. Le lavage continua vers le bas, avec douceur, cou et poitrine. Il remarqua l’odeur d’un produit astringent.

– Réveille-toi.

Il entrouvrit les paupières et vit un plafond. On procédait toujours à sa toilette, et il espéra qu’on lui rendrait bientôt sa liberté, sans trop y croire. Il voulait recevoir d’autres tranks, car la peur venait de réapparaître et il se sentait bien mieux tant que duraient leurs effets.

Un courant d’air frais descendit effleurer son corps humide. Il frissonna. Il eût aimé que quelqu’un vînt remonter le drap. Mais il ne le demanda pas. Il avait renoncé à communiquer avec son entourage. On ne le torturait plus et il s’estimait comblé. Il pensa à ciller. Il ne vit rien. Il tenta de faire abstraction de la froidure. Il perçut un élément du monde extérieur quand le tech fit bouger l’aiguille plantée dans son bras. Son dos était douloureux et il eût aimé qu’ils modifient l’inclinaison de son lit.

– Là.

Le drap le recouvrit. Une petite tape claqua sur sa joue, mais il ne la sentit pas.

– Allons. Ouvre les yeux.

– Oui, murmura-t-il.

Il entrouvrit ses paupières puis les referma dès que le tech l’eut laissé seul.

Il entendit alors une autre voix, sur le seuil, jeune et masculine. Il redressa la tête, regarda, et vit Justin. Il douta aussitôt de la réalité de cette vision et tira sur ses liens.

Mais Justin vint vers lui, s’assit au bord du lit et prit sa main immobilisée par des sangles dans la sienne. La paume était chaude. Elle paraissait bien matérielle.

– Grant ?

– Arrêtez, par pitié.

– Grant, pour l’amour de Dieuc Grant, tu es revenu. Tu me comprends ?

Le simple fait d’admettre une telle possibilité était dangereux, comparable à un renoncement. Il n’existait pas le moindre signe de reconnaissance que son esprit n’aurait pu reproduire. Il n’y avait aucune illusion qu’une bande ne pouvait engendrer. Que ce fût son ami était logique.

– Grant ?

Les bandes l’incitaient à se croire éveillé, à imaginer que le matelas s’enfonçait et que Justin le tenait par l’épaule. Seul son dos douloureux paraissait être un fragment de réalité qui perçait l’illusion. Cette dernière n’était donc pas parfaite.

La réalitéc Elle abondait de telles discordances.

– Ils ne m’ont pas encore autorisé à te ramener chez nous. Ari s’y oppose. Que font-ils ? Est-ce que ça va ?

Des questions. Il ne pouvait établir de liens entre elles. Ses ravisseurs les enchaînaient selon un ordre logique, afin de leur apporter de la crédibilité. C’était la règle du jeu.

– Grant, bordel !

Justin lui donna une tape sur la joue, avec douceur.

– Allons. Ouvre les yeux. Ouvre les yeux.

Il résista et put constater qu’il venait d’effectuer des progrès. Il prit plusieurs inspirations et son dos et ses épaules le torturèrent. Il était en dangerc parce qu’il commençait à croire cette illusion réelle. Ou parce qu’il ne savait plus faire la distinction.

– Allons, bon sang.

Il ouvrit les yeux, avec méfiance. Et il vit le visage de son ami, son expression angoissée.

– Tu es revenu. À l’hôpital. Tu comprends ? Ari a envoyé tous ces salopards en enfer et t’a délivré.

(Du sang qui éclaboussait les murs. Une odeur âcre de brûlé.)

Ce lieu rappelait effectivement une chambre d’hôpital. Cet individu ressemblait à Justin. Il n’existait pour lui aucun moyen d’être fixé. Il n’aurait pu savoir, même s’ils l’avaient autorisé à aller se promener. Seul le temps lui permettrait de trier le vrai du faux, le temps qui se prolongeait bien au-delà de toute illusion.

– Allons, Grant. Dis-moi que ça va.

– Ça va.

Il prit une inspiration et la douleur qui s’éleva de sa colonne vertébrale lui permit de savoir qu’il pouvait reconnaître la réalité de certaines choses.

– Mon dos me torture. Et mes bras. Pourrais-tu remonter le lit ?

– Je vais leur dire de te retirer ces sangles.

– Je doute qu’ils acceptent. Mais j’aimerais me redresser un peu. Làc

Sous son corps, le matelas s’inclina et ondula tel un être vivant. Sa tête remonta. Le lit fut parcouru par une série de vagues qui massèrent ses muscles et fléchirent ses articulations.

– Oh ! Ça va mieux.

Justin se rassit, ce qui eut pour effet de perturber les ondes.

– Ari a suivi ta trace jusqu’à la mine de Kruger. Nous savons désormais que cet homme était soumis à un chantage. Il t’a livré à des abolitionnistes. J’ai dû m’adresser à Ari. Elle a envoyé quelqu’un – j’ignore qui – te délivrer. Elle dit qu’ils t’ont passé des bandes.

Cette période n’avait pour lui aucune structure temporelle et spatiale. Il reporta ses pensées sur le présent, et y réfléchit.

– Combien de temps ?

– Deux jours.

Possible.

– Tu es icidepuis vingt-quatre heures, ajouta Justin. J’ai été autorisé avec Jordan à venir te voir dès ton retour, et on m’a accordé un droit de visite permanent.

Grant prit peur. Cette illusion voulait donc s’installer à demeure dans son esprit, ce simulacre de réalité auquel il était vulnérable. Sa défaite s’annonçait inévitable. Il resta assis dans le lit et pleura.

– Grant.

– Ça va. Mais si je te demande de me laisser, ne discute pas.

– Ce n’est pas une bande, Grant. Tu es revenu, bon sang.

Justin serra sa main dans la sienne, si fort que les os en furent comprimés.

– Regarde. Regarde-moi. D’accord ?

Il le fit.

– Mais si je te dis de sortirc

– Je partirai. C’est entendu. Veux-tu que je m’en aille tout de suite ?

– Arrêtez. Pour l’amour de Dieuc

– Je vais chercher Ivanov. Les salauds. Les salauds !

Justin se levait. Grant agrippa sa main, pour le retenir. Il la serra et ne lâcha pas prise. Son ami finit par se rasseoir, pour l’étreindre avec force.

– Ounnnh.

Sa souffrance paraissait bien réelle. Justin pourrait le ramener dans l’univers de la réalité. Il savait ce qu’il faisait, il connaissait son problème, et les raisons de ses peurs. Il était son allié. Il le fallait, car dans le cas contraire rien n’aurait pu le sauver.

– Un certain temps sera nécessaire.

– Tu pourras sortir d’ici dans une semaine, d’après Ari.

Il se rappela qu’il n’était pas le seul à avoir des ennuis. Il regarda Justin qui se rasseyait. Il se souvint des raisons de son départ nocturne sur le fleuve.

– Elle t’a mené la vie dure ?

– Rien d’important.

Un mensonge. De plus en plus réel. S’il s’était agi d’une bande, son ami lui eût fait une réponse plus convaincante. Dans un moment il connaîtrait une fois de plus le doute et serait terrifié. Mais pour l’instant sa frayeur avait une cause différente, plus tangible. Le transfert de Jordan, son ami qui lui ordonnait de partirc tous ces fragments d’un récent passé retrouvaient un ordre chronologique. Le mot quandavait à nouveau une signification. Le monde réel dissimulait des pièges, des chausse-trappes préparées par Ari. Justin avait tenté de le libérer de l’un d’eux, il était revenu à son point de départ, et son ami se trouvait dans une situation critique.

Non. Prudence.

Prudence.

– Qu’a-t-elle fait, après avoir découvert mon départ ?

– Je te le dirai plus tard.

Bon sang, craignait-il de le bouleverser ? Ces tergiversations évoquaient bien la Maison. Secrets, Ari, problèmes, et tous ceux qu’il aimait. Il prit une inspiration lente, profonde.

– Je tiendrai, dit-il en sachant que Justin comprendrait. Je ne veux plus qu’on me passe une seule de ces maudites bandes. Je ne veux plus de sédatifs. Je dois rester éveillé. Dis-leur de laisser la lumière. Tout le temps. Et oblige-les à retirer ce maudit tube de mon bras.

– Je ne peux pas leur donner des ordres. Tu le sais. Mais j’en parlerai à Ivanov. Je ferai tout mon possible pour le persuader, crois-moi. Quant à ce tube, je l’enlève tout de suite. Voilà.

Une piqûre.

– Il va se vider sur le sol.

– Oh, merde ! Ça y est.

Il arrêta le goutte-à-goutte.

– Au fait, ils comptent t’installer un téléphone. Et une vid.

Son cœur s’emballa. Il venait de se souvenir qu’il lui fallait contacter Merild. Mais non, il n’était plus dans le désert. À moins que rien de tout cela ne se fût jamais passé. Peut-être existait-il une autre possibilité qu’il n’avait pas envisagée.

– Tu sais que je manque de souplesse.

– Tiens, je ne l’avais pas noté.

Il fut heureux de constater que son ami pouvait encore plaisanter. Puis il prit conscience d’avoir passé un cap. La réponse de Justin venait de le déconcerter. Il s’était attendu à entendre des propos empreints de commisération aseptisée, professionnelle. Or il n’était pas amusé mais surpris.

S’il s’était agi d’une bande, le simulacre de Justin n’aurait pu faire une chose que son esprit eût été dans l’impossibilité absolue de prévoir ; pas quand il résistait et que son subconscient refusait de coopérer.

Il rit. Son ami en parut terrifié et cela fit renaître l’espoir.

– C’est un ver, dit-il.

Et il rit de plus belle en voyant l’expression horrifiée de Justin.

– Espèce de dingue !

Il riait toujours. C’était douloureux, mais agréable. Il tenta de remonter ses jambes. Une erreur.

– Oh, merde ! Tu crois qu’ils refuseraient de détacher mes chevilles ?

– Ils le feront dès que tu sauras avec certitude où tu te trouves.

Il soupira et sentit la tension le quitter. Il se fondit dans le lit en mouvement et regarda Justin avec un calme différent de celui apporté par les tranks et les bandes. Il souffrait toujours. Tension musculaire. Foulure. Dieu seul savait ce qu’il s’était fait, ou ce qu’on lui avait fait.

– Je t’ai bien eu, pas vrai ?

– Si tu me joues une comédiec

– J’aimerais que ce soit le cas. Je suis dans le brouillard. Je sens que je vais avoir des flashes-bandes. Je ne pense pas que ça durera. Mais ce que je redoute, c’est que tu ne reviennes pas. C’est bien le D r Ivanov qui est le patron, ici ?

– Il s’occupe de toi. Tu as confiance en lui, non ?

– Pas quand il obéit aux ordres d’Ari. J’ai peur. J’ai vraiment peur. J’aimerais que tu puisses rester près de moi.

– Je ne partirai qu’après le dîner. Et je reviendrai demain matin pour le petit déjeuner. Je passerai près de toi toutes mes heures de liberté, tant qu’ils ne me mettront pas à la porte. Je compte parler à Ivanov. Pourquoi ne pas essayer de te reposer, pendant que je suis là ? Je vais m’installer dans ce fauteuil, là-bas.

Ses yeux tentaient de se clore. Il en prit conscience et voulut résister.

– Réveille-moi, avant de partir.

– Je ne te laisserai pas dormir plus d’une demi-heure. Ils serviront bientôt le dîner, et tu dois manger quelque chose, c’est compris ? Tu ne dois plus refuser la nourriture qu’on t’apporte.

– Mmm.

Il permit à ses paupières de se clore et se laissa emporter loin de son inconfort. Il sentit son ami se lever et l’entendit s’asseoir dans le fauteuil. Un moment plus tard il entrouvrit les yeux pour s’assurer que Justin était toujours là, puis il prit encore du repos.

Il oubliait ses problèmes. Il éprouvait même une étrange sensation de sécurité. Il n’avait jamais douté que Justin, ou Jordan, viendrait le chercher pour le ramener vers la réalité. D’une manière ou d’une autre. Cela venait de se produire et il devait chasser ses doutes, sous peine de ne jamais revenir de ce voyage.

2

Les comptes rendus parvenaient à Giraud Nye. Il mordilla son style et étudia le moniteur pendant que la tension brassait son estomac.

Les médias signalaient l’enlèvement d’un azi de Reseune par des éléments extrémistes, ainsi qu’un raid mené par les forces de police et les services de sécurité des laboratoires contre une station de précip isolée sur les hauteurs qui surplombaient Grand Bleu. Ces propos étaient illustrés par des scènes de carnage filmées par les policiers : l’azi rouge du sang de ses ravisseurs, sauvé et évacué. C’était une opération de grande envergure. Les tireurs d’élite en scaphandre avaient dû se rapprocher de la station en rampant, forcer une porte latérale pour pénétrer dans le garage et se lancer à l’assaut dans un petit escalier. Un policier avait été blessé et trois abolitionnistes tués, devant les caméras. Cette couverture de l’événement par les médias permettait de justifier les morts et ne laissait aucune possibilité à Ianni Merino et aux centristes abolitionnistes de faire de l’esclandre et de réclamer une réunion du Conseil : Merino prenait officiellement ses distances. Et si Rocher faisait pleuvoir sur le bureau de l’Information des demandes de conférence de presse, il n’obtiendrait rien. La police le surveillait de prèsc la dernière fois que cet homme n’avait pu s’exprimer, ses partisans avaient déployé l’étendard de l’Abolition totale dans le métro de Novgorod et saboté les voies pour provoquer un blocage du trafic que les médias n’auraient pu ignorer.

Cette action n’avait pas attiré à Rocher la sympathie des usagers des transports en commun, mais de telles manifestations de force impressionnaient ses sympathisants et lui apportaient de nouvelles recrues.

Giraud pensa qu’il était presque temps de prendre des mesures contre cet homme, et contre DeForte. Jusqu’alors, ces individus leur avaient été utiles en plaçant dans l’embarras Corain et Merino et en discréditant les centristes aux yeux de l’opinion publique. Mais Rocher venait d’aller trop loin et devenait gênant.

Par ailleurs, si Grant avait subi des dommages irrémédiables, la remise aux médias d’un clip où l’azi apparaîtrait avant et après sa détention montrerait les abolitionnistes sous leur jour véritable. Les spécialistes exceptés, nul n’avait vu les résultats d’un effacement mental, ou d’une rééducation ratée. Cela leur fournirait peut-être un prétexte pour reprogrammer l’azic ou justifier sa liquidation. C’était un Alpha, un pur produit des Warrick, et Dieu seul savait quel effet avaient eu sur lui les bandes des extrémistes. Il jugeait préférable de l’empêcher de nuire et s’était permis de le dire à Ari.

Absolument pas, avait-elle rétorqué. À quoi pensez-vous donc ? Il constitue un excellent moyen de pression et il est en outre un témoin à charge contre Rocher. Ne touchez pas cet azi.

Un moyen de pression contre qui ? se demanda Giraud avec amertume. Ari avait couché avec Warrick junior et lorsqu’elle n’était pas occupée à aggraver les ulcères de Jane Strassen en voulant faire moderniser le labo un et envoyer ailleurs les huit étudiants qui y suivaient des cours, le projet Rubin l’obsédait à tel point que nul ne pouvait l’approcher : exception faite de ses azis et, bien sûr, de Justin.

Elle s’offre une petite dépression. La nostalgie de la jeunesse, ce genre de chose.

Elle s’enferme dans sa tour d’ivoire et me laisse le soin de régler tout ce merdier à Novgorod. « Ne touchez pas à Merild ou aux Kruger. Il ne faut surtout pas inciter l’ennemi à passer dans la clandestinité. Parvenez à un accord avec Corain. Cela ne devrait pas être très difficile, pas vrai ? »

Bon sang !Le téléphone sonna. C’était Warrick. Senior. Il demandait que Grant lui fût confié.

– Je ne suis pas habilité à prendre une telle décision, Jordie.

–  Bordel, tout le monde semble vouloir dégager sa responsabilité, dans cette affaire. J’exige que ce garçon quitte l’hôpital.

– Écoutezc

–  Je me fiche de savoir qui est responsable et qui ne l’est pas.

– Vous devriez vous estimer heureux qu’on n’ait pas porté plainte contre votre môme, Jordie. Il est le seul fautif, pour ce qui s’est passé. Alors, ne vous en prenez pas à moic

–  Selon Petros, vous seul pouvez autoriser sa sortie.

– C’est une décision d’ordre purement médical. Elle n’est pas de mon ressort. Si vous tenez à ce garçon, je vous suggère de permettre à Petros d’effectuer son travail et de resterc

–  Ivanov s’est déchargé sur vous de ses responsabilités, Gerry. Denys également. Nous ne parlons pas d’un fichier mais d’un gosse qui a peur.

– Dans une huitaine de joursc

–  Laissez tomber. Vous allez me délivrer un laissez-passer pour cette section et ordonner à ce med de me recevoir.

– Votre fils est auprès de Grant, en cet instant même. Il a reçu un sauf-conduit permanent, pour des raisons que je ne peux d’ailleurs pas comprendre. Il s’occupe de lui.

Un long silence.

– Écoutez, Jordie. Ils parlent d’une autre semaine, deux au maximum.

–  Justin a un sauf-conduit.

– Il est auprès de Grant, en ce moment. Tout va bien. Croyez-moi. Ils ont cessé de lui administrer des sédatifs. Justin a obtenu un droit de visite permanent. J’ai cette autorisation sous les yeux.

–  Je veux que Grant sorte de la section médicale.

– Je vais en parler à Petros. Ça vous va ? Pour l’instant votre fils est avec Grant, et c’est sans doute le plus efficace des traitements. Laissez-moi quelques heures. Je vous ferai parvenir un exemplaire des rapports médicaux. Vous estimez-vous satisfait ?

–  Je passerai vous voir.

– Entendu, je serai à mon bureau.

–  Merci,entendit-il marmonner.

– Il n’y a pas de quoi, murmura Giraud avant de grommeler sitôt la liaison interrompue : Maudite tête brûlée.

Il reprit la rédaction de la liste des sujets qu’il devrait aborder avec Corain puis s’interrompit pour taper une demande adressée à Ivanov : l’envoi rapide d’une copie du dossier médical de Grant au bureau de Jordan Warrick. Et il ajouta sur une arrière-pensée, parce qu’il ignorait ce que pouvaient contenir ces fichiers et quels avaient été les ordres d’Ari : SRIS (sous réserve des impératifs de sécurité).

3

Le nouveau séparateur fonctionnait. Le reste du matériel devait subir une vérification. Ari prenait des notes sur une transplaque, pour la simple raison que la présence d’un scripteur sur le comptoir eût gêné ses mouvements. En certains domaines seul le nec plus ultra pouvait convenir, mais l’appareil démodé transmettait ses écrits à l’ordinateur central qui les classait dans ses fichiers personnels en reconnaissant sa calligraphie. Le processus était archaïque, mais il servait à éviter toute indiscrétion. L’ordinateur entreprenait alors de traduire, transcrire et archiver les informations en leur donnant son code d’accès et son empreinte.

Les travaux qu’elle effectuait ce jour-là n’avaient rien de confidentiel. Il s’agissait d’un test banal, d’un travail de laborantin que n’importe quel tech azi aurait pu faire à sa place. Mais elle aimait effectuer ces sortes de retours dans le passé. Elle avait contribué à polir les tabourets en bois du labo un en utilisant ce matériel pendant d’innombrables heures, occupée au même genre de contrôles sur des antiquités qui faisaient d’un séparateur mis au rebut l’équivalent du fruit d’une technologie futuriste.

Elle n’espérait pas faire la moindre découverte mais voulait pouvoir écrire son rapport à la première personne du singulier, marquer ces travaux de son empreinte et en avoir l’exclusivité, de leur conception à leur achèvement. J’étais plus méticuleuse, au débutc

Je préparais moi-même les cuvesc

Peu de gens auraient été capables de se charger de tous les stades d’un tel projet. Tous se spécialisaient. Mais elle avait débuté dans cette voie pendant la période coloniale, celle des balbutiements de la science. À présent, les collèges formaient des singes savants, de soi-disant scientifiques qui se contentaient d’appuyer sur des touches et de lire des bandes sans rien comprendre à la biologie. Elle luttait contre cette tendance presse-bouton et jugeait indispensable de produire des bandes de méthodologie, bien que ces dernières fussent classées confidentielles par Reseune.

Elle révélerait certains de ses secrets dans son livre. Elle en avait la ferme intention. Ce serait un ouvrage scientifique classiquec elle décrirait l’évolution des procédés employés et présenterait le projet Rubin sous sa véritable perspective : en tant qu’expérimentation des théories qu’elle avait développées au fil des décennies. IN PRINCIPIO était le titre quelle avait retenu en attendant d’en trouver un meilleur.

La machine fournit la réponse à une séquence connue et un point rouge se mit à clignoter pour signaler une divergence.

Merde. Était-ce une contamination ou une erreur de l’appareil ? Elle en prit note, avec honnêteté. Puis elle se demanda si elle devait prendre le temps de faire remplacer le matériel et d’effectuer un nouvel essai avec un autre échantillon, ou tenter de cerner la cause et de l’analyser afin de faire figurer ses conclusions dans le fichier. La première solution eût dénoté un manque de conscience professionnelle évident. Dans le second cas elle risquait de ne rien trouver de probant – c’était fréquent en cas de pannes mécaniques –, ce qui la ridiculiserait ou la contraindrait à s’adresser à des spécialistes de ce genre de matériel.

Arrêter l’appareil etle confier aux techs, passer l’échantillon suspect dans une autre machine, et en faire installer une troisième pour procéder à un contrôle.

Toute expérimentation est sujette à de tels contretemps. Les chercheurs qui soutiennent le contraire sont des menteursc

Elle entendit ouvrir la porte externe du labo, puis des voix lointaines. Celles de ses azis et une autre, familière. Zut.

– Jordan ? cria-t-elle. Quel est votre problème ?

Elle entendit des pas. Ceux de Florian et de Catlin. Elle avait désorienté ses azis qui accompagnaient Jordan jusqu’à la chambre froide.

– Je dois vous parler.

– J’ai des ennuis, Jordie. Ça ne peut pas attendre une heure ? Dans mon bureau ?

– Cet endroit fera l’affaire. Tout de suite. En privé.

Elle prit une inspiration profonde. Tout recommençait. Grant,pensa-t-elle, exaspérée. Merild, ou encore Corain.

– Entendu. Bon sang, Jane et son groupe ne vont pas tarder à descendrec Florian, va dire au B que cette foutue machine ne fonctionne pas.

Elle se retourna et éjecta l’échantillon.

– J’en veux une autre. Nous les testerons toutes, si nécessaire. Et j’exige qu’ils la nettoient un peu mieux que d’habitude. Seigneur, je me demande quelles sont les tolérances admises, de nos jours. Et tu l’apporteras toi-même. Ces assistants ne m’inspirent pas confiance. Et toi, Catlin, va dire à Jane d’emmener sa bande d’étudiants se promener ailleurs. Le labo restera fermé tant que je n’aurai pas terminé cette expérience.

Elle prit une seconde inspiration et utilisa le bras mécanique afin de renvoyer l’échantillon douteux dans le système de conservation cryogénique puis éjecter la chambre d’analyse dans un compartiment de sécurité et lui faire suivre le même chemin. Lorsqu’elle se retourna, seul Jordan était encore présent.

4

L’hôpital était situé loin de la Maison elle-même. Pour s’y rendre, il fallait effectuer un détour interminable si les conditions météorologiques obligeaient à emprunter les couloirs et le tunnel. Le parcours était moins long lorsqu’on pouvait couper à l’air libre. Justin opta pour cette possibilité, en dépit du fait que les falaises projetaient leur ombre sur Reseune et qu’il eût été sage de se munir d’un manteau. Il vit un flash-bande. Cela se produisait fréquemment. Les sensations étaient puissantes et son estomac s’en trouvait nouéc

– Si tu veux que je mange, commence par me donner l’exemple, lui avait rétorqué Grant.

On venait de leur apporter deux repas.

– Je ferai comme toi.

Il s’était forcé à avaler la nourriture, en se demandant s’il ne la rendrait pas. Il n’eût reculé devant aucun sacrifice pour voir Grant s’asseoir et rirec ils lui avaient en effet retiré ses sangles pour lui permettre de prendre seul son repas. Assis en tailleur sur le lit, l’azi mangeait son dessert avec appétit. Il semblait avoir oublié que les infirmières devraient lui remettre ses liens lorsqu’il se retrouverait seul.

Justin eût volontiers passé la nuit dans cette chambre et Ivanov ne s’y serait pas opposé, mais il devait aller à ce rendez-vous dont il ne pouvait parler à son ami. Du travail à terminer au labo, avait-il dit pour se justifier. À son départ, l’état de Grant s’était amélioré. Malgré sa profonde lassitude, une étincelle de vie faisait briller ses yeux et il riait – un peu trop pour que ce fût naturel, peut-être – mais il n’avait qu’à regarder Justin pour obtenir la confirmation de son retour dans le monde réel.

Cela avait pris fin au départ de Justin. Grant était redevenu morose. Il paraissait très malheureux.

– Je reviendrai demain matin.

– Ne prends pas cette peine. C’est une longue marche.

– J’y tiens, d’accord ?

Et Grant avait paru soulagé.

C’était l’aspect positif de cette journée. Cela justifiait tout ce qu’il devait payer en échange. Pour la première fois depuis sa rencontre avec Ari dans le bureau de cette femme, il avait à nouveau l’espoir de se tirer d’affaire.

Sic si Ari était occupée ailleurs, sic


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