Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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Grant lut et se renfrogna. Il réfléchit, écrivit, effaça la phrase, recommença. Encore. Un succinct : Je ne crois pas. Je pense aux trop nombreux sondages.
Lui : Alors, pourquoi as-tu pris cette ardoise pour dialoguer avec moi alors que nous sommes dans notre appartement ?Souligné trois fois.
Grant haussa imperceptiblement les sourcils. Il écrivit : Parce que aucune possibilité n’est à exclure, celle d’un blocage mental décidé en haut lieu exceptée. Ton esprit a subi des dommages. Quand Giraud y a pénétré, Ari n’avait pas terminé ses manipulations. Si ce n’est pas suffisant, rien ne le serait. Quoi qu’ait pu effectuer cette femme, ce devait être à la fois profond et subtil. Nous savons de quoi elle était capable. Et quand Giraud est entré par effraction il a dû casser quelque chose.
Justin but une gorgée de whisky et sentit le froid le pénétrer. Il mâchonna le style pendant un instant avant de répondre : Il avait visionné les bandes et savait ce qu’elle venait de me faire subir. C’est un spécialiste du psychset des militaires, et ce n’est pas fait pour me rassurer. S’il a obtenu un statut de Spécial c’est pour des raisons politiques, pas pour ses compétences. Dieu seul peut savoir ce que m’a fait cet homme. Ou encore Petros.
Grant lut et grimaça. Il écrivit : Pas Petros. Giraud. Mais Ivanov ne lui est pas inféodé.
Lui : Ce med m’inspire de la méfiance. Et me voilà condamné à me présenter à ses visites de contrôle, faute de quoi Us risquent de me retirer mon travail, de me déclarer instable, d’annuler mon autorisation Alpha et de te transférer. Tout recommencerait.
Grant s’empara de l’ardoise : Tu es le clone de Jordan. Si tu te révèles aussi compétent que ton père sans programme psychogénique pendant qu’ils poursuivent le projet Rubin, tu pourras faire remettre leurs décisions en question. Moi aussi. Souviens-toi qu’Ari m’a créé à partir d’un généset de Spécial. À nous deux, nous pourrions exercer un contrôle sur cette expérience. Est-ce le but qu’Ari voulait atteindre ? Est-ce pour cela que Giraud désire se débarrasser de nous ?
Il sentit son estomac se nouer. Je ne sais pas,écrivit-il.
Grant : Giraud et Denys ne disposeront que de Rubin pour établir des comparaisons, et rien ne les empêchera de falsifier les résultats. Ils nous assimilent à des gêneurs. Ari n’aurait jamais procédé de cette manière. Elle effectuait des contrôles, dans la mesure où c’est réalisable quand on a affaire au psych d’un être humain. Je crois qu’elle voulait nous voir participer au projet.
Lui : Denys affirme que les chances de réussite sont bonnes mais que le moindre détail risque de tout compromettre, à n’importe quel stade.
Grant : On pourra assimiler l’expérience à un succès si les résultats sont probants. Tu dis toi-même qu’ils n’ont pas l’intention de divulguer quoi que ce soit, si ça marche. Les labos de Reseune ne communiquent jamais leurs découvertes, ils s’en servent pour accroître leurs profits. S’ils reconstituent Ari – je parle d’une Ari capable de reprendre ses précédentes recherches et de les approfondir – ses notes feront-elles l’objet d’une publication ? J’en doute. La Défense signera des contrats importants avec Reseune qui verra son influence s’accroître et bénéficiera d’un secret plus absolu encore. Je ne parle pas des profits. Mais les labos se chargeront de tout, sans jamais communiquer leurs découvertes. Ils travailleront pour les militaires et obtiendront d’eux tout ce qu’ils souhaitent, aussi longtemps que l’armée croira pouvoir reconstituer certains individusc un exploit que nul ne pourrait réaliser sans une documentation aussi importante que celle stockée sous cette montagne, là-bas. Ça durera des années. Des vies entières. Entre-temps, les labos rendront quelques services à la Défense et serviront surtout leurs intérêts. Dis-moi, ai-je bien analysé les motivations des hommes-nés ?
Justin lut et hocha la tête. Son malaise ne cessait d’empirer.
Grant : Vous êtes vraiment bizarres, vous autres les CIT Parce que vous façonnez vous-mêmes vos psychsetsc en plaçant la logique à un niveau superficiel. Les azis savent quant à eux que leurs strates inférieures sont saines. Mais qui suis-je pour oser porter un jugement sur mes propres créateurs ?
11
Jane s’assit au bord du lit et écarta ses cheveux pour permettre à Ollie d’effleurer sa nuque du bout des lèvres.
Dieu merci, l’enfant s’était finalement endormie, et Nelly avait remporté pour un soir l’affrontement de volontés.
Contre une Ari surexcitée. Elle l’avait été toute la journée. Elle voulait retourner chez Valery, pour jouer.
Prendre des mesures s’imposait. Valery devenait un problème, ce qu’elle avait d’ailleurs prévu depuis longtemps. Il faudrait fournir à Ari un nouveau compagnon de jeu. Dans sa vie antérieure, elle n’avait jamais été si proche d’un autre enfant.
Zut ! C’était vraiment un sale tour qu’ils joueraient à cette gosse.
Ollie l’enlaça, la serra contre lui.
– Des soucis ? demanda-t-il.
– Change-moi les idées. Je ne veux penser à rien, ce soir.
Bon sang, voilà que je me mets même àparler comme Olga.
L’azi la caressa et déposa un baiser sur son épaule.
– Inutile de prendre des gants, Ollie. Je me sens d’humeur à tuer quelqu’un.
Il comprit. Il la repoussa en arrière et entreprit de lui faire oublier tout le reste, en immobilisant ses mains pour se protéger des griffures.
Ollie était un expert. Comme la plupart des azis qui avaient reçu sa formation il savait être un amant merveilleux et faire durer le plaisir. Il remportait sa victoire sur elle avec lenteur et mesure, en la minutant de façon à être d’une efficacité maximale pour sa partenaire.
Ce qu’il faisait sans coup férir. Jane soupira et s’abandonna bientôt à des techniques plus douces. Ce qu’il y avait de formidable, avec un azi, c’était qu’il se tenait toujours prêt à la satisfaire. Et qu’il se préoccupait plus d’apporter du plaisir que d’en prendre. Elle avait eu une douzaine d’amants CIT mais, chose étrange, elle n’éprouvait de l’attachement que pour Ollie. Sans doute ne le soupçonnait-il même pas.
– Je t’aime, lui murmura-t-elle à l’oreille.
Il sommeillait déjà, la tête contre son épaule. Elle fit courir ses doigts dans la chevelure humide de sueur de l’azi qui la regarda, à la fois étonné et ravi.
– Vraiment, Ollie.
– Serac
Il ne dit rien de plus. Peut-être attribuait-il ses propos à son âge, à la sénilité. Il était épuisé. Elle était insomniaque. Mais elle savait qu’il resterait éveillé si elle ressentait le besoin de lui parler. Il lui accordait déjà toute son attention.
– C’est tout, ajouta-t-elle. J’ai pensé qu’il était temps de te le dire.
– Merci.
Il ne bougeait toujours pas. Il paraissait croire qu’elle ne pouvait en rester là.
– C’est tout, fit-elle en caressant son épaule. N’as-tu jamais désiré devenir un CIT ? Recevoir ta dernière bande ? Partir d’ici ?
– Non.
Le sommeil l’abandonnait et sa respiration devenait plus rapide.
– Vraiment pas. Je n’y tiens pas. Il me serait impossible de vous quitter.
– Ne dis pas de bêtises ! Une bande réglerait ce problème.
– Je ne veux pas. Je sais que je regretterais cet endroit. Rien ne pourrait y changer quoi que ce soit. Ne me donnez pas cet ordre.
– Je n’en ai pas l’intention. Je m’interrogeais, voilà tout. Tu ne veux donc pas quitter Reseune. Mais que ferais-tu, si je devais partir ?
– Je m’en irais avec vous !
– Vraiment ?
– Où ?
– À Lointaine. Mais pas avant un certain temps. Je désirais m’assurer que ça ne t’ennuierait pas trop. Parce que je t’aime. Je t’aime plus que tout au monde. Assez pour renoncer à toi et te laisser ici si tel est ton désir, t’emmener avec moi dans le cas contraire, ou faire ce que tu voudras. Je te dois bien ça, après tant d’années. Je ne veux que ton bonheur.
Il se redressa sur un coude, pour répondre : une protestation prompte et sincère de loyauté. Elle posa sa paume sur les lèvres de l’azi, afin de l’empêcher de parler.
– Non. Écoute-moi. Je suis très âgée, Ollie. Je ne suis pas immortelle. Et ils craignent que je ne refuse de m’effacer de l’existence d’Ari, le moment venuc Et cet instant approche. Dans deux ans. Dieu, comme le temps passe ! Parfois, j’ai envie de l’étranglerc Parfois, elle m’inspire de la pitié. Et c’est ce qui les inquiète. Ils craignent que je ne décide de changer les règles du jeu. C’est le fond de l’affaire. Les frères Nyec Ces salopards pensent qu’elle s’attache trop à toi. Ils veulent y remédier. Tu la verras moins souvent. Tu devras à l’avenir te montrer froid et distant avec elle. Ce sont leurs instructions. Il m’arrive de penser qu’ils espèrent me voir tomber raide morte au moment prévu dans ce maudit scénario. J’ai eu un entretien avec Giraud, aujourd’huic
Elle prit une inspiration et sentit des tiraillements, derrière ses yeux et autour de son cœur.
– Ils m’ont proposé la direction de RESEUNESPACE. À Lointaine. Le projet Rubin, sur un plateau et avec de jolis rubans autour.
– Avez-vous accepté ?
Elle hocha la tête, mordit sa lèvre et se reprit.
– Oui. Ce cher Giraud. Vous n’aurez qu’à vous retirer dans la section un lorsqu’elle aura sept ans, m’avaient-ils dit au début. Mais ils ont peur, à présent, et ils veulent m’expédier hors d’atteinte. Ça ne suffit pas,vient de déclarer Giraud. Olga estmorte quand Ari avait sept ans. Vous cloîtrer dans la section un pour sortir de sa vie ne peut suffire, vous serez trop proches.Merde. Et ils m’ont proposé ce poste. Morley s’en va, et je le remplace.
– Vous disiez toujours que vous souhaitiez retourner dans l’espace.
D’autres inspirations.
– C’est exact, Ollie. Je l’ai espéré pendant des années et des années. Jusqu’à ce quec je sois trop âgée pour le faire. Ils m’offrent cela et je découvre que je ne veux plus partir. C’est pénible, pour une gosse de spatiaux. J’ai passé trop de temps sur une planète, et tout ce que j’aime est ici, tout ce qui m’est familier. Je ne désire pas le perdre, voilà toutc
Une autre inspiration.
– Mais ce souhait ne peut être exaucé. Ils ont le choix entre m’accorder une promotion et me mettre au rancart. Je n’ai pas envie de prendre ma retraite. C’est ce qui arrive à ceux qui pensent plus à leur travail qu’à acquérir de la puissance. Ce parvenu de Giraud peut me virer. Tout se résume à cela. Qu’il soit maudit ! Je partirai donc pour Lointaine. Et je devrai tout recommencer de zéro, avec un autre sale morveux qui a des problèmes de santé pour couronner le tout. Merde, Ollie. Rends des services et vois comment on te récompense.
Il caressa ses cheveux, son épaule. Il souffrait, parce qu’elle était son superviseur et qu’elle se sentait malheureuse.
– Eh bien, si tu veux me suivre dans ce merdier, pense un peu à ce que sera ta vie. Je mourrai dans quelque tempsc une simple addition t’en apportera la confirmation. Tu te retrouveras alors seul, à vingt années de lumière de la civilisation. Puis-je condamner à cela quelqu’un dont les choix sont encore plus limités que les miens ? Je ne veux pas te placer dans une telle situation. Si tu te sens bien à Reseune, je t’obtiendrai une bande CIT et tu pourras rester ici, dans le monde civilisé : sans keis, sans croquettes de poisson et sans coursives où les gens marchent au plafondc
– Jane, si je vous dis que je souhaite malgré tout vous accompagner, que me répondrez-vous ? Que je suis un azi stupide ? Je le sais. Mais puis-je vous laisser partir avec un jeunot droit sorti de la Ville ?
– J’ai plus de cent ansc
– C’est secondaire. Je m’en fiche. Ne faites pas notre malheur. Ne me jouez pas cette comédie. Vous souhaitez m’entendre dire que je ne peux me passer de vousc Eh bien, c’est chose faite. Mais il est cruel de m’imposer cette attente. Je peux vous entendre : Bon sang, Ollie, je dois te quitter, je le feraicJe ne veux pas écouter de tels propos pendant deux ans. Je ne veux même pas y penser.
Ollie n’était pas du genre à se laisser bouleverser. Mais il l’était. Elle finit par s’en rendre compte et se redressa pour caresser sa joue.
– Je ne le ferai pas. Merde, c’est bien trop sérieux. Maudit soit Giraud. Maudit soit ce projet. Ollie, il ne faudra plus que tu aies de contacts avec Ari.
Ses sourcils se plissèrent, de désarroi.
– Qu’ont-ils à me reprocher ?
– Rien, rien, rassure-toi. Ils ont constaté qu’elle s’est attachée à toi. Cette saloperie de programme. Ils voulaient t’expédier loin d’ici sans plus attendre et je leur ai rétorqué d’aller au diable. Je les ai menacés de tout laisser tomber, de révéler la vérité à Ari. Ils étaient conscients d’avancer sur un fil et avaient préparé une contre-proposition. Une offre que je m’empresserais d’accepter et une menace : la mise à la retraite. Que pouvais-je faire ? J’ai cédé. J’ai opté pour mon départc et le tien. Je devrais me sentir flattée de cette promotion.
– Je regrettec
– Mais tu n’y es pour rien, bon sang. Et moi non plus. Nul n’a rien fait. Olga n’a jamais frappé la gosse, et j’en remercie le Ciel, mais je ne peux plus supporter cette comédie, Ollie. Je n’en peux plus.
– Ne pleurez pas. C’est trop pénible, pour moi.
– Je ne vais pas craquer, rassure-toi. Cesse de discuter et passe dessous. C’est mon tour.
12
– Certainement pas, rétorqua-t-il à Petros.
Ils étaient séparés par un bureau sur lequel trônait un scripteur. Justin avait conscience qu’on analysait sa voix et que les résultats défilaient sur le moniteur placé devant le médecin. Ivanov adressait des regards à l’écran, entre deux sourires professionnels.
– Vous avez des rapports très étroits avec votre compagnon, dit Petros. Cela ne vous donne-t-il pas quelques inquiétudes ? Vous savez qu’un azi ne peut se protéger contre ce genre de choses.
– J’y ai beaucoup réfléchi. J’ai même abordé la question avec lui. Mais c’est ainsi qu’on nous a élevés, non ? Et pour diverses raisons – que vous êtes bien placé pour connaître – nous avons tous deux des problèmes qui nous coupent du reste de la Maisonnée et devons nous apporter un certainc réconfort mutuel.
– Décrivez-moi ces problèmes.
– Allons, Petros, vous savez comme moi que nous sommes des parias. Contagion politique. Il serait superflu de fournir des précisions.
– Vous vous sentez donc isolés ?
Il rit.
– Mon Dieu, n’étiez-vous pas invité à la soirée du Nouvel An ?
– Si.
Un coup d’œil au moniteur.
– J’étais présent. C’est une charmante enfant, n’est-ce pas ?
Il regarda Ivanov, haussa un sourcil et se permit un rire empreint d’amertume.
– Je pense que c’est une petite peste au même titre que tous les autres gosses et que je peux m’estimer heureux de ne pas risquer de tomber enceint,car vous risqueriez de vous en prendre à ma progéniture. Notez avec soin ce commentaire. Au fait, ça se présente comment ? Je parle de l’analyse des inflexions de ma voix.
– La tension est acceptable.
– Je m’en doutais. Vous essayez de me pousser à réagir, mais est-il pour autant nécessaire de sombrer dans le grotesque ?
– Vous trouvez donc cette fillette grotesque.
– Charmante, tout au contraire. C’est la situation, qui est ridicule. Mais ça ne vous pose aucun problème de conscience. Vous gardez en permanence une arme braquée sur mon père pour me dissuader de tenter quoi que ce soit. Est-ce que je mens ?
Petros ne souriait plus. Il surveillait le moniteur.
– Une bonne réaction. Excellente, même.
– Je n’en doute pas.
– Vous êtes furieux, pas vrai ? Que pensez-vous de Giraud ?
– Je l’adore. Qu’est-ce que ça donne, pour les comparaisons ? Vrai ou faux ?
– Ne jouez pas avec ça, vous pourriez vous blesser.
– Je tiens à faire enregistrer que vous venez d’adresser des menaces à votre patient.
– Ce n’était pas mon intention. Je dois insister pour que vous suiviez un traitement. Mmmmmc le pouls s’emballe.
– Il y a de quoi. J’accepte de me faire soigner si mon azi assiste aux séances.
– Ce n’est pas prévu par le règlement.
– Écoutez, Petros. J’ai vécu un véritable enfer, dans vos services. Allez-vous achever de me faire sombrer dans la folie ou m’accorder quelques garanties ? Même un non-professionnel a le droit d’assister à une intervention psych, si c’est à la demande du principal intéressé. Et je souhaite savoir ce qu’en pense un observateur impartial. C’est tout. Acceptez, et je viendrai de mon plein gré. Refusez, et je chercherai d’autres solutions. Je ne suis plus un gosse paralysé par la panique, Petros. Je sais où m’adresser pour déposer une plainte en bonne et due forme. Le seul moyen de m’en empêcher consisterait à me bouclerc ou encore à m’éliminer. Mais ça ferait assez mauvais effet, ne croyez-vous pas ?
– Je peux faire mieux.
Petros poussa un interrupteur et l’écran se rétracta dans le plateau du bureau.
– Je vais vous donner une bande que vous emporterez chez vous. Mais promettez-moi de l’utiliser.
– Bravo pour l’effet de surprise ! Il est dommage que vous ayez arrêté le moniteur.
– La peur vous fait perdre tout bon sens. Ce n’est pas un reproche, notez bien. Vous contrôlez votre voix, mais le pouls est rapide. Vous êtes-vous psyché avant de venir ? Je pourrais demander une analyse sanguine. Intervention orale ? Grant vous a préparé à cette entrevue ?
– Il faudra obtenir mon consentement écrit.
Petros libéra son haleine, les avant-bras posés sur le bureau.
– Ne vous attirez pas d’ennuis, Justin. C’est un conseil d’ami. Évitez les complications. Obéissez aux ordres. Cette autorisation pour les appels téléphoniques sera reportée à plus tard.
– C’est logique.
La déception pesait sur sa poitrine.
– Je m’en doutais. Ils se jouent de moi, quoi qu’il en soit. J’ai eu tort de croire Denys. J’aurais dû me méfier.
– Denys n’y est pour rien. C’est la sécurité militaire qui a opposé son veto. Il va préparer un dossier, pour tenter de persuader la Défense de revenir sur sa décision. Soyez bien docile pendant quelque temps. Ce n’est pas avec des petits numéros de ce genre que vous améliorerez votre situation. Vous comprenez ? Évitez les ennuis. Vous continuerez de recevoir les lettres.
Un autre soupir, un air malheureux.
– Je dois rendre visite à votre père. Y a-t-il quelque chose que vous souhaitiez lui dire ?
– Qu’allez-vous lui faire ?
– Rien. Rien. Calmez-vous. Je vais à Planys pour vérifier du matériel et contrôler le travail des techs. J’ai cru que ça vous ferait plaisir. Je compte lui apporter une photo de vous. Je pense qu’il appréciera. Je vous en rapporterai une de luic si c’est réalisable.
– Bien sûr.
– Je le ferai. Pour Jordan autant que pour vous. J’étais son ami.
– Mon père avait beaucoup d’amis.
– Il n’est pas dans mes intentions d’en discuter. Alors, un message ?
– Dites-lui qu’il me manque. Que pourrais-je ajouter qui ne soit pas censuré ?
– Je ferai de mon mieux. Toujours à titre officieuxc Je travaille ici, et si on me remplaçait votre situation n’en serait pas améliorée. Pensez-y. Rentrez chez vous. Continuez de travailler. Et n’oubliez pas de demander votre bande au bureau des entrées.
Après être parti, alors qu’il traversait la cour intérieure pour regagner la Maison avec la bande et une ordonnance, il ne pouvait décider s’il venait de remporter une victoire ou de subir une défaite. Ou encore quelle faction avait gagné ou perdu.
Mais c’était une question qu’il se posait depuis de nombreuses années.
Audiotexte extrait de :
Formes de croissance
Bandétude de génétique n‹1
« Entretien avec Ari Emory »
1 repartie
Publications Éducatives de Reseune :
8970-8768-1 approuvé pour 80 +
Q : D r Emory, je dois en premier lieu vous remercier d’avoir accepté de nous apporter quelques éclaircissements sur la nature de vos travaux.
R : J’en suis ravie. C’est moi qui vous remercie. Vous pouvez commencer.
Q : Vos parents ont fondé Reseune. Nul ne l’ignore. Savez-vous que certains biographes voient en vous la principale architecte de l’Union ?
R : J’ai déjà entendu porter cette accusation.(Rire.) J’aurais préféré qu’ils attendent ma mort pour tenir de tels propos.
Q : Niez-vous l’importance de vos réalisationsc tant politiques que scientifiques ?
R : Je fais de la recherche, au même titre que Bok. Ce sont deux domaines distincts, bien qu’ils puissent s’influencer. Nous disposons de peu de temps et j’aimerais faire une remarquec qui devrait me permettre de répondre à plusieurs de vos questions.
Q : Je vous en prie.
R : Le pool génétique des humains partis de la Terre était sélectionné, filtré par des considérations d’ordre politique et économique, et par une volonté commune d’explorer l’espace. La plupart des colons et des spatiaux qui ont atteint les premières étoiles avaient été choisis par les responsables de Station Sol. Les candidatures de ceux qui ne correspondaient pas à un certain profil avaient été rejetées. Seuls subsistaient les plus qualifiés, les esprits supérieurs. Je pense que tout s’est joué au cours de cette période. Le temps que l’humanité atteigne Pell, son pool génétique s’était élargic sans être pour autant un reflet de la population de Station Sol, et encore moins de celle de la Terre. Puis le durcissement de la politique terrienne a provoqué un second exode, celui des futurs fondateurs de l’Union. Ils étaient pour la plupart originaires de ce que l’on appelait à l’époque le bloc de l’Est. Cette ruée vers les étoiles – avant que la Terre n’impose son embargo et ne provoque une brusque interruption de l’apport de gènes – a permis de diversifier notre pool génétique.
À Cyteen se concentrait l’élite de l’élite, et s’il a jamais existé un noyau d’humanité sélectionné à l’extrême, c’était bien la population de ce monde : composée principalement de scientifiques, peu importante, coupée des courants commerciaux etc de ce que j’appellerais la pollinisation des marchands. Une telle situation était précaire et c’est pourquoi Reseune fut fondée. Telle est l’origine de nos laboratoires, leur utilité. Lorsqu’ils entendent parler de Reseune, la plupart des gens pensent aux azis. Mais ces derniers ne constituent qu’un moyen d’atteindre les buts que nous nous sommes fixés. Un jour, quand la population aura atteint un taux de croissance tech positif – après avoir franchi le point d’équilibre entre la consommation et la production –, les labos n’engendreront plus un seul azi dans les zones concernées.
Mais ces derniers remplissent d’autres fonctions. Ils sont porteurs de tous les traits génétiques identifiés à ce jour, ceux préjudiciables à l’espèce exceptés. Mais le fait qu’un pool génétique soit réduit – même par sélection – a des conséquences négatives. Je pense en particulier à une diminution de la résistance physique et à une plus grande vulnérabilité en milieu hostile. Seule une politique d’expansion peut permettre d’éviter une trop grande concentration au point central de l’Union. Nous ne parlons pas d’eugénisme, mais de diaspora. Notre but est la dissémination de données génétiques selon un pourcentage comparable à celui que l’on trouvait sur la Terre de nos ancêtres. Et nous avons peu de temps devant nous.
Q : Pourquoic peu de temps ?
R : Parce que la croissance d’une population est exponentielle et qu’elle sature très vite l’écosystème dans lequel elle vit, que ce soit une planète ou une station. Si le groupe en question souffre d’un manque de diversité génétique, si sa densité est bien plus forte en son noyau qu’à sa périphérie – je pense à Cyteen – et s’il réside au centre culturel de l’Union, un facteur inaccessible aux formes de vie inférieures mais d’une importance capitale pour des êtres capables de façonner leur environnement selon toutes les acceptions imaginablesc si une telle population souffre d’une carence en matière d’informations génétiques, elle va au-devant de graves problèmes et est à brève échéance confrontée à des choix cruciaux tant sur le plan culturel que génétique. Ce système de sélection peut avoir de graves conséquences. Si l’humanité s’essaime dans l’espace selon un rapport de densité inférieur, de telles situations potentiellement catastrophiques se présenteront bien plus tôt – à cause de divergences trop importantes pour autoriser la survie ou de crises génétiques à l’issue imprévisible –, ce qui donnera lieu à l’apparition de nouvelles espèces de genus Homo et débouchera sur des impasses biologiques et des tragédies politiques. Il convient de garder à l’esprit que l’homme n’est pas qu’un animal social mais aussi un animal politiquec ce qui fait de lui son principal ennemi.
Q : Vous pensez à la guerre.
R : Ou au pillage. Ne l’oubliez jamais. La dispersion est essentielle, mais l’existence de pools génétiques différents dans des poches de vie dispersées l’est tout autant. C’est pour cela que les azis ont été créés et que nous continuons d’en produire. Ils sont les vecteurs de cette diversité, et le fait que certaines puissances économiques les aient trouvésc profitables est compréhensible mais regrettable. C’est mon point de vue, et celui de Reseune. On pourra porter contre moi maintes accusations, ser, mais l’avenir des azis est pour moi une préoccupation essentielle et j’ai utilisé toute mon influence pour assurer leur protection sur le plan légal Nous n’engendrons pas des Thêta afin de disposer de main-d’œuvre bon marché mais parce qu’ils représentent une des possibilités qui s’offrent à l’humanité. Les ThR-23 à coordination œil-main développée, par exemple, sont exceptionnels. Leur psychset les rend aptes à réaliser de véritables exploits dans des milieux où les plus grands génies CIT se verraient désemparés. Leur résistance est admirable, ser. Et s’il vous arrive un jour d’être en difficulté dans un des déserts de Cyteen, je vous souhaite que ce soit en compagnie d’un ThR, qui survivra pour perpétuer son modèle même si vous disparaissez. Telles sont les applications de la génétique alternative.
Un jour, il n’y aura plus d’azis. Ils auront tenu leur rôle qui consiste à croître, se multiplier, et combler les vides au fur et à mesure que l’humanité se disperse pour atteindre une densité de population idéalec ce qu’elle doit impérativement faire pour assurer son bien-être futur, sa vigueur génétique.
Je le répète : les azis sont les vecteurs de l’évolution et de l’adaptation, dans le cadre du plus grand des défis que l’homme ait jamais relevés. S’ils sont tels qu’ils sont, c’est parce que le laps de temps dont nous disposons pour accomplir cet exploit est très bref. Reseune a donné son aval à la création de labos de naissance concurrents parce que ses buts sont scientifiques et qu’une production massive est indispensable à cette expansion. Mais Reseune a conservé l’exclusivité de la création et de la sélection des génésets : nul autre laboratoire n’est autorisé à procéder à des manipulations de ce genre.
Je mettrai encore à profit votre patience pour insister sur deux points essentiels. Premièrementc Reseune exige l’intégration de tous les génésets azis dans la population de citoyens dès l’instant où le secteur de l’Union concerné est classé en zone un. En pratique, les azis constituent une solution pour une génération. Leur principale utilité n’est pas de fournir de la main-d’œuvre mais de coloniser un secteur, le développer pour lui permettre d’atteindre un niveau de productivité acceptable, et avoir une descendance qui se mêlera au pool génétique des CIT selon un rapport suffisant pour garantir la diversité du patrimoine génétique. Les seuls azis produits à d’autres fins sont ceux destinés à combler les vides dans les rangs de l’armée ou à servir à des tâches d’intérêt national ; ceux qui effectuent des travaux à haut risques ; et ceux créés à des fins de recherche dans des laboratoires habilités à procéder à de telles expériences.
Deuxièmementc Reseune s’opposera à quiconque cherchera à institutionnaliser les azis en tant qu’outils économiques. En aucun cas les labos de naissance ne devront être utilisés à des fins lucratives. Telle n’a jamais été leur destination.
Q : Me diriez-vous que vous poursuivez les mêmes buts que les abolitionnistes ?
R : Absolument. Depuis toujours.
Chapitre V
1
Florian courait sur le trottoir sans oublier pour autant les règles de politesse. Chaque fois qu’il croisait des grands il s’arrêtait, s’écartait de leur passage le souffle court, et effectuait une courbette ; une salutation retournée sous la forme d’un hochement de tête presque imperceptible. Parce qu’ils étaient plus vieux, parce qu’il avait six ans et que les petits garçons de son âge aimaient courir, et parce que les adultes avaient des occupations plus sérieuses.
Et ce serait sous peu son cas. Il venait de recevoir une bandétude et de se voir attribuer un travail. Il devrait s’y présenter chaque matin. C’était l’événement le plus important de son existence, et il exultait. Sa surexcitation était telle qu’il avait imploré la super de l’autoriser à s’y rendre tout de suite, sans passer par la salle de rec où tous allaient se détendre après les bandes.
– Quoi ? s’était-elle exclamée en souriant.
Mais l’éclat de ses yeux lui indiquait qu’elle accéderait à sa demande.
– Pas de rec ? Elles sont aussi nécessaires que le travail, Florian.
– J’en ai eu une juste avant la bande. S’il vous plaît ?
Elle lui avait alors donné le mot et un jeton de rec, pour plus tard, lorsqu’il serait allé se présenter à l’autre super, celui de l’AG. Et elle lui avait tendu les bras. Étreindre la super, la gentillesuper, penser à ne pasfaire de bruit dans le couloir, marcher et marcher encore, jusqu’à la porte, puis suivre le trottoir et – une fois au pied de la colline – courirà toutes jambes.
Autrement dit très vite, car s’il possédait l’intelligence d’un Alpha il était aussi un des meilleurs à la course.
Couper entre les baraquements 4 et 5, traverser la route, emprunter un raccourci par l’allée qui conduisait aux bâtiments de l’AG. Un point de côté le contraignit à ralentir. Il espéra alors – car tous déménageaient, les grands et les petits – qu’on lui attribuerait un logement moins éloigné de l’AG.
Les plus âgés qui avaient un emploi bénéficiaient d’une priorité sur les lits les plus proches de leur lieu de travail. Il l’avait entendu dire par un grand, un Kappa.
Il reprit haleine en montant vers l’AG-100. Il lui était déjà arrivé de venir ici. Il avait vu les enclos. Il aimait leur odeur. C’étaitc c’était l’odeur des AG, tout simplement, et aucune autre ne pouvait lui être comparée.