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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Denys se pencha et posa sa main sur celle de Justin.

– Ce qui n’est pas le cas. Bon sang, tout aurait été différent si vous n’aviez eu à subir que le psychosondage de Giraud au cours de ces dernières semaines, pas vrai ?

Justin retira sa main.

– Ne me touchez pas !

– Voulez-vous un sédatif ?

– Je ne veux rien. Seulement sortir d’ici ! Et parler à mon père !

– Non. Impossible. Pas avant que vous vous soyez calmé, c’est compris ? Il part. Il ne reviendra pas.

Il fixa Denys. Il ne reviendra pasc

– Le Conseil a l’intention de mettre un laboratoire à sa disposition, là-bas à Planys. Il ne sera pas autorisé à se déplacer. Ni à vous contacterc pas avant un certain temps, tout au moins. Et je ne tiens pas à ce que vous le bouleversiez, mon garçon. Il se présentera demain matin devant la commission d’enquête du Conseil, et il est impératif qu’il soit au mieux de sa forme. Vous comprenez ? C’est très important.

Denys ne mentait pas. De tels événements s’étaient effectivement produits. Il plongea le regard dans les yeux de son interlocuteur et eut l’impression que l’univers avait sombré dans le chaos. Et il sut que lorsqu’il se réordonnerait ce serait sous une forme différente. Tous ceux qu’il aimait n’en feraient plus partie.

– Avez-vous changé d’avis, pour ce sédatif ? Ce n’est pas un piège, Justin, je vous le promets. Je voudrais vous permettre de vous détendre un peu avant de le rencontrer.

Un frisson le parcourut.

– Non. Je dois m’habiller, faire un brin de toilette.

– Vous pourrez utiliser la douche, au bout du couloir. Je leur ai dit de vous apporter des vêtements.

Il hocha la tête.

– Et je vais demander à Petros de vous examiner.

– Non.

– Quand vous aurez vu votre père et obtenu la confirmation que tout va bien. Personne ne touchera à votre esprit. Dieu sait qu’il a déjà subi trop de manipulations, ces derniers temps. Êtes-vous sujet à des flashes-bandes ?

La question en déclencha un. À moins que ce ne fût un simple souvenir. Il en eut honte. Comme d’une facette obscure et perverse de sa personnalité qui étaitc fort semblable à celle d’Ari. Et cette partie de son être avait compris ce que faisait cette femme, aimé cela. Il refusait qu’un psychtech pût explorer son esprit. Il ne voulait pas que Jordan pût apprendre de telles choses. Il redoutait de laisser apparaître ce qui se tapissait dans ses ténèbres intérieures. Et peut-être le savaient-ils déjàc tous.

Ari lui avait déclaré posséder des enregistrements. S’ils ne mentaient pas en disant qu’elle était mortec les enquêteurs de la Maison disposaient de ces bandes.

Il ne lui resterait alors plus la moindre dignité. Il en serait réduit à feindre d’ignorer qu’ils étaient au courant et refuser d’admettre la vérité.

– Écoutez-moi, mon garçon.

La main de l’homme se referma à nouveau sur la sienne, douce et chaude. Mais tout contact lui était désormais insupportable.

– Il n’est pas dans mes intentions de chercher des excuses à la conduite inqualifiable d’Ari. Mais on pourrait dire sur elle bien plus de choses quec

Il eut un brusque mouvement de recul.

Denys lisait en lui. Il vit la pensée traverser ses yeux et il tenta alors d’endiguer un afflux de sang vers son visage.

– c vous n’en devez souhaiter entendre, conclut Denys. Je sais. Écoutez-moi. Écoutez-moi et faites en sorte de ne rien oubliercD’accord ?

– Oui.

– Brave garçon ! Écoutez bien. Jordie ne dira pas ce qui s’est passéc pour nous éviter des désagréments et pour vous protéger. Il va mentir aux médias etau Conseil. Il dira qu’Ari s’opposait à son transfert. N’importe quelle raison plausible est préférable à la vérité, et ils ne pourront vérifier ses dires par un psychosondage. Il faut comprendre, Justinc vous êtesc autant cet homme que son fils. Cela éclaire sous un autre jour ce qui s’est produit entre vous et Ari, etc c’est pour cette raison qu’il a perdu son sang-froid. Il s’agissait d’une vieille histoire, entre eux. Il comprend ce qui vous est arrivé. Oui. Et il vous aime beaucoup. Mais sa dignité était en jeu. Ceux qui travaillent icic ils savent à quel point l’amour paternel peut prendre des formes compliquées et confuses, lorsqu’il est poussé à l’extrême. Il a perdu tout ce qu’il peut désirer, vous excepté. Et si vous ne parvenez pas à contrôler vos émotions quand vous le rencontrerez vous lui ferez perdre le reste. C’est pour cela que je vous demande de vous reprendre. Pour qu’il puisse quitter Reseune en connaissant une tranquillité d’esprit relative. Prouvez-lui que son fils n’a pas besoin de lui. Pour son bien.

–  Pourquoi ne m’autorise-t-on pas à l’accompagner ?

– Parce que vous êtes légalement mineur, pour des raisons de sécurité, et parce que je n’ai pu convaincre Giraud de donner son accord. Ils ne cessent d’invoquer leurs sacro-saints secrets.

– C’est un mensonge !

– J’ai l’intention de prendre des dispositions pour vous faire accorder un droit de visite. Pas dans l’immédiat. Sans doute pas cette année. Mais le temps et le silence sont des facteurs importants, dans une telle situation. Ils sont tous terrifiés à la pensée d’un complotc à cause de l’histoire Winfield-Kruger.

Ô Seigneur ! Ma faute. C’est ma faute.

– Ils ne peuvent tout de même pas croire que Jordan y est mêlé. Je suis le seul responsable. Giraud m’a psychosondé. Recommencez ! Je peux jurer que mon père ignorait tout de mes projetsc

– Le problème, mon garçon, c’est qu’il s’agit justement de ce que Jordie veut empêcherc que l’enquête remonte jusqu’à vous. On dit qu’il n’y a pas de fumée sans feu, et je crains que votre père n’ait entretenu des contacts avec un certain Merild – dont les relations sont plus que douteuses – et avec des centristes haut placés proches de Ianni Merinoc ainsi que des abolitionnistes. Or, Rocher a fait des déclarations incendiaires sur la mort d’Ari et Merino ne les a pas désapprouvées. De nombreux membres du gouvernement vivent dans la crainte : la peur de faire l’objet d’une enquête, d’être assimilés à des complices. Les Affaires Intérieures voulaient soumettre Grant à un interrogatoire. Giraud a refusé et a dû psychosonder votre azi pour les satisfairec

– Oh, non !

– Il n’a pas eu le choix. Je sais, je sais, mon garçon. Mais ils auraient pu apprendre trop de choses de vous ou de votre azi. Justin, l’onde de choc engendrée par la mort d’Aric c’est un vrai raz de marée. Vous ne pouvez imaginer son importance. Elle a provoqué une crise gouvernementale. Des gens craignent pour leur carrière. Et aussi pour leur vie. La plupart pensent que le fond de cette affaire est politique, que leurs vies n’ont pu être bouleversées à ce point parce que sur un coup de colère un chercheur a fendu le crâne de son supérieur hiérarchique. Cette réaction est humaine. Et elle est accentuée par le fait que Jordie ne peut témoigner sous psychosonde et que Florian et Catlin ont été liquidésc des ordres posthumes d’Ari, croit-on. Oui, ses azis sont morts, eux aussi. Les gens sont persuadés que tout cela cache quelque chose. Ils le souhaitent.Qu’un concepteur de bandes éducatives puisse commettre un crime sous le coup de la colèrec il y a de quoi donner froid dans le dos. Nous sommes censés posséder du bon sens, ici. Jordie devra se surpasser, devant la commission d’enquête. Et plus la situation se calmera au cours des prochaines années mieux cela vaudra. Il faudra faire preuve de patience. Votre père ne restera pas sans amis. Il n’est pas âgé. Il n’a que quarante-six ans. Il pourra attendre que cette histoire ait sombré dans l’oubli, si vous vous tenez tranquille et ne détruisez pas tout ce que nous avons organisé.

Il put respirer à nouveau. Il se concentra, pour y réfléchir. Il essaya de penserc à ce qui était préférable pour son père, et ses aspirations. Et il tenta de chasser de son esprit que cette situation résultait de seserreurs.

– Ça va aller ?

– Oui, je pense. Et Grant ?

Mon Dieu ! Ils peuvent effacer son esprit. Florian mort ! Catlinc

– Giraud va vous le rendre.

Il n’acceptait plus les bonnes nouvelles. Il ne pouvait plus y croire. Elles lui inspiraient trop de méfiance.

– C’est même chose faite, ajouta Denys. Je viens de signer les documents. Sitôt après cette entrevue avec votre père, vous pourrez aller le chercher à l’hôpitalc Alors que décidons-nous, pour ce sédatif ?

Justin secoua la tête. S’il prenait un calmant, Jordan se rendrait compte qu’il était drogué. Il lisait en lui depuis toujours. Il espéraitc

Il espérait qu’il ne se produirait pas de flashes-bandes si Jordan l’étreignait. Ce qu’Ari lui avait fait était grave à ce point. Il aillait perdre son père. Il ne le reverrait jamais. Et il ne pourrait même pas lui faire ses adieux sans avoir l’impression que les mains de cette maudite femme se posaient sur lui.

– Je n’en ai pas besoin, affirma-t-il.

S’il pouvait mentir à Denys et rendre ses propos crédibles, l’espoir d’y parvenir avec Jordan eût été vain. Il lui fallait se ressaisir, et tout de suite. Faute de quoi, il n’y réussirait jamais.

10

Mikhaïl Corain regarda avec impatience l’assistant qui venait de poser une fiche sur son bureau.

– Dell ? demanda-t-il.

L’azi hocha la tête.

Corain le renvoya d’un geste de la main puis glissa la carte dans le lecteur et modifia l’inclinaison de l’écran.

Dell Hewitt travaillait aux Affaires Intérieures et était une amie de Ginny Green, la candidate centriste lors des dernières élections au sein de ce bureau. Et en cette période où les enquêtes se multipliaient et où des comités fourraient leur nez dans tous les recoins de Novgorod, elle avait mis en jeu bien plus que sa carrière en transmettant ces informations à Yvonne Hahner, qui les avait à son tour fait passer à Dellarosa, un membre de l’équipe de Corain. Cela équivalait à en faire un colis et l’expédier par la poste.

En ce qui concerne les azis Catlin et Florian : aucune conclusion. La liquidation a pu être ordonnée de l’extérieur du système. Ou de l’intérieur, par des individus non identifiés. Ariane Emory a pu prendre de telles dispositions pour empêcher qu’ils ne soient soumis à un interrogatoire, ou encore dans un but humanitaire. Il n’est pas à exclure que les azis eux-mêmes aient scellé avec elle une sorte de pacte. D’après les responsables de Reseune, ils auraient été très affectés à la simple pensée de la perdre. Ils appartenaient à la sécurité mais leur loyauté envers Emory était prioritaire et il en découle qu’ils auraient pu agir à l’encontre des intérêts de ces laboratoires. Une rééducation eût été délicate, pour ne pas dire irréalisable, sans un effacement mental ; un processus qu’ils n’auraient pu subir compte tenu de leur grand âge. Giraud Nye refuse de nous communiquer leurs psychsets. L’ordre de liquidation a été transmis sous le code d’Emory. Nye invoque des impératifs de sécurité pour interdire l’accès des ordinateurs de Reseune aux techniciens des Affaires Intérieures.

Corain but une goutte du café maintenu à bonne température par la plaque chauffante du bureau. À deux cent cinquante creds la livre, il devait se contenter de petites gorgées. Mais un homme pouvait s’accorder quelques menus plaisirs, surtout après avoir vécu comme lui une existence de fermier misérable au fin fond des terres intérieures pendant la majeure partie de son existence.

Rien de vraiment nouveau. C’était décevant. Il lut la longue liste des refus que Reseune avait opposés aux Affaires Intérieures, et les justifications invoquées. Les conseillers juridiques des laboratoires remportaient tous les rounds contre un adversaire qui n’osait pas riposter.

Puis :

Les Affaires Intérieures s’intéressent à une rumeur qui circule à Reseune. Certains génésets auraient en effet été utilisés sans que l’opération ait été portée sur les registres. Si ces bruits sont fondés, quelqu’un a pu dupliquer illégalement des échantillonsc

Une contrebande d’azis ? Seigneur, on pouvait obtenir un généset à partir d’un prélèvement sanguin. De n’importe quoi. Pourquoi aurait-on pris la peine d’en voler ?

c d’Expérimentaux et de Spéciaux, introuvables ailleurs.

Pour détourner des génésets, il faut disposer de conteneurs cryogéniques. Il devrait être facile de découvrir qui s’en est procuré – hormis s’il ne figure pas sur le manifeste du transporteur – mais la lecture digitalisée d’un généset pose moins de problèmes. L’administrateur Nye nie qu’on ait pu se livrer à une activité de ce genre ou que de la documentation ait pu être fournie sans que ces opérations aient été dûment enregistrées.

Il circule encore au sein du personnel des rumeurs selon lesquelles on aurait procédé à des liquidations d’azis injustifiées. Reseune oppose son veto à toute enquête sur ce sujet.

Corain mordilla sa lèvre inférieure et pensa : Je ne veux rien savoir. Pas pour l’instant. La situation est bien trop délicate. Seigneur, si les médias l’apprennentc tous nos accords s’en iront en fumée.

Une note annexe de Dellarosa : Quelles sont les possibilités pour qu’Emory ait employé ces génésets ? Ou ordonné de les utiliser ? Quelle est la valeur d’un Spécial, pour celui qui a à sa disposition un labo de naissance ?

Des voix. Un siège de Conseiller. Le soutien des plus riches. Corain but une gorgée de café, désormais angoissé.

Nous manquons de preuves matérielles en raison des négligences de la police de Moreyville. Elle a relevé dans le labo extérieur et à l’intérieur de la chambre froide les empreintes digitales de Jordan Warrick, d’Emory, des assistants azis et d’autres utilisateurs habituels de ces installations, comme par exemple des étudiants qui se sont spontanément présentés aux enquêteurs. Des traces similaires ont été trouvées sur la porte. Mais le capitaine qui a procédé au constat ne disposait d’aucun détecteur de présence. L’utilisation ultérieure d’un tel appareil eût été sans objets en raison des allées et venues des policiers et des résidents. Les renseignements enregistrés dans le module mémoriel de la porte de sécurité confirment les témoignages oraux. Mais Reseune s’oppose à nouveau à ce que les techniciens des Affaires Intérieures aient accès à ses ordinateurs.

Selon les résultats de l’autopsie, Emory serait morte de froid. La fracture crânienne a contribué au décès dans la mesure où cette femme avait dû perdre connaissance quand la conduite s’est rompue. Ariane Emory était handicapée par une baisse d’efficacité de sa réjuv et souffrait d’arthrite ainsi que d’asthme : des faits connus du corps médical. Le seul élément inattendu est une tumeur au poumon gauche, localisée et ignorée par son médecin traitant. Rare de nos jours, ce type de cancer était relativement répandu chez les premiers pionniers de Cyteen. Une intervention chirurgicale immédiate suivie d’une chimiothérapie aurait sans doute permis d’obtenir des résultats positifs. De tels cancers réagissent aux traitements mais réapparaissent presque toujours, et compte tenu des carences immunitaires dues aux problèmes de réjuv le pronostic n’aurait pu être favorable.

Seigneur !

Elle avait été quoi qu’il en soit condamnée.

11

Justin s’éloignait dans le couloir, au côté de Denys. Il se détendit en respirant à fond. Il venait de prendre une douche, puis de se raser et de se changer : une tenue de travail, pull-over bleu et pantalon marron. Il ne tremblait pas. Il avait demandé de l’aspirine et s’était assuré que les cachets ne contenaient rien d’autre avant de les avaler. Conjugués à sa lassitude, ils suffiraient sans doute à le calmer.

Jordan paraissaiten forme. Il fallait s’y attendre. Son père était ainsi.

Dieu, il n’a pas pu la tuer. Il ne l’a pas pu. Il a avoué sous lacontrainte. Quelqu’un ment.

– Bonjour, mon fils.

La rencontre n’avait pas lieu dans une petite salle d’interrogatoire austère mais à l’intérieur d’un des bureaux administratifs. Denys ne les laisserait pas seuls. Il l’avait précisé. Les gardes azis ne ressortiraient pas, eux non plus. Et ils enregistreraient leurs propos pour pouvoir prouver à d’éventuels enquêteurs que les Warrick ne s’étaient communiqué aucune information importante au cours de l’entrevue.

– Bonjour, répondit-il.

Et il lui vint à l’esprit qu’il aurait dû s’avancer pour étreindre son père, ne serait-ce qu’à l’intention de ceux qui visionneraient la bande. Mais, bon sang, Jordan ne l’y invitait pas. Il était réservé et silencieux. Sans doute réordonnait-il tout ce qu’il désirait lui dire. Justin ne pourrait que lui faire ses adieux. Toute autre chose – toute – constituerait peut-être une erreur qui, une fois enregistrée, détruirait encore plus radicalement leurs vies que ses fautes précédentes.

Des propos du genre : Je regrette d’avoir cru ce que disait Ari. Je m’en veux de ne pas t’en avoir informé. Je suis désolé que tu l’aies appris par toi-même.

Je suis le seul responsable. De tout.

Ne parlez pas de Grant, l’avait averti Denys. Pas un seul mot. Dans le cas contraire, les membres du comité voudront l’interroger.

Ils devaient faire oublier jusqu’à son existence.

– Est-ce que ça va ? lui demanda Jordan.

– Très bien. Et toi ?

– Mon fils, jec

Ses lèvres frémissaient.

Oh, non ! Il va craquer. En public.

– Ils m’ont tout expliqué. Il est inutile d’en parler. Je t’en prie.

Son père prit une inspiration profonde, retint son souffle, le libéra.

– Il faut que tu saches pourquoij’ai fait cela, Justin. J’ai tué Ari parce que son influence était néfaste. Je l’ai éliminée comme j’aurais effacé un passage défectueux dans une bande. Je n’ai aucun remords. Je n’en aurai jamais. Ma décision était logique. À présent, c’est quelqu’un d’autre qui dirige Reseune et on va me transférer, ce qui a toujours été mon désir. Là où j’irai, Ari ne pourra pas modifier ce que je conçois et s’approprier mes travaux après les avoir dénaturés. Me voici libre. Je regrette de ne pas m’être conduit plus intelligemment. Je suis plus doué pour la recherche que pour la plomberie. Je cite les enquêteurs. J’ai augmenté la pression, et ils n’ont eu qu’à consulter les enregistrements des systèmes de contrôle pour le savoir.

La colère qui bouillait en lui, profonde et destructrice, finit par s’atténuer. Il semblait à présent réciter un rôle appris par cœur, et vouloir indiquer qu’il jouait une comédie. Justin fut soulagé quand il se tut.

Je connais tes motivations,voulait-il dire. Mais il lui vint à l’esprit que de tels propos pourraient être mal interprétés et il se contenta de déclarer :

– Je t’aime beaucoup, tu sais.

Et il faillit perdre tout contrôle sur ses émotions. Il mordit sa lèvre inférieure, au point de la faire saigner. Il remarqua que son père serrait les dents.

– Je ne sais pas s’ils m’autoriseront à t’écrire.

– Je le ferai.

– J’ignore s’ils me remettront tes lettres.

Jordan se força à rire.

– Ils doivent s’imaginer qu’il est possible d’insérer un message codé dans un salut, quel temps fait-il aujourd’hui ?

– Je t’écrirai malgré tout.

– Ils croientc ils pensent à un complot. Mais ils se trompent. Tu peux me croire, mon fils. Personne ne savait, et personne n’aurait dû savoir. Mais il souffle un vent de panique, à Novgorod. Les gens voient en Ari un personnage politique. Voilà en quoi elle était importante, à leurs yeux. Ils ne la considèrent pas comme une scientifique. Ils ne peuvent imaginer ce qu’on ressent quand on voit ses travaux dénaturés par des tiers. Ils ne comprennent pas qu’il est intolérable de voir l’éthique de notre profession foulée aux pieds.

L’éthique foulée aux pieds ? Bon sang, c’est aux caméras qu’il adresse ce discours. Le précédent était destiné aux membres de la commission d’enquête, mais celui-ci est un message codé à mon intention. S’il en rajoute, il va se faire coincer.

– Je t’aime plus que tout au monde, conclut son père.

Et il lui tendit les bras. C’était terminé. La représentation venait de s’achever. Il ne restait plus aux acteurs qu’à se donner une accolade. Il était autorisé à pleurer, à présent.

Il ne reverrait pas Jordan. Il n’aurait plus de nouvelles de lui.

Peut-être pour toujours.

Il franchit le petit espace qui les séparait, tel un automate. Ils s’étreignirent, avec force, longtemps. Très longtemps. Il mordit sa lèvre, parce que seule la souffrance lui permettait de se concentrer. Son père pleurait. Il sanglotait en silence. Cela lui permettrait sans doute de bénéficier d’une certaine indulgence. Peut-être avaient-ils bien tenu leurs rôles, devant les caméras. Il éprouvait lui aussi le besoin de pleurer mais, pour une raison incompréhensible, il était engourdi et n’avait conscience que de son chagrin et du goût de sang dans sa bouche.

Jordan n’apportait pas assez d’humanité à son personnage, il paraissait trop calme, dangereux. Une erreur. S’ils passaient cette bande aux informations les gens auraient peur de lui. Ils le prendraient pour un fou. Comme les Alpha devenus schizophrènes, comme le clone de Bok. Ils l’empêcheraient de poursuivre ses travaux.

Il faillit crier : Il ment. Mon père ment.Mais Jordan le serrait. Il avait agi comme il le souhaitait. Après tout, son père n’était pas resté enfermé dans une cellule pendant une semaine. Il avait pu se tenir informé de l’évolution de la situation, parler aux enquêteurs. Il leur jouait une comédie, il les manipulaitc tous. Il se présenterait devant la commission et obtiendrait ce qu’il désirait. N’essayait-il pas, par cette attitude, d’empêcher que la bande fût communiquée aux médias ? Compte tenu de l’importance que la Défense accordait à ses travaux, les militaires opposeraient leur veto ; ils en avaient le pouvoir.

– Venez, lui dit Denys.

Jordan ne retint pas son fils, que Nye guida vers la porte.

Sitôt après que le battant se fut refermé, Justin put enfin pleurer. Il s’adossa à la paroi et se mit à sangloter, au point d’en avoir mal à l’estomac.

12

Il s’attendait à subir d’autres chocs, mais pas à celui que lui réservait Petros Ivanov.

Le médecin vint l’accueillir à la porte de l’hôpital, le subtilisa à son escorte de gardes et l’accompagna vers la chambre de Grant.

– Comment va-t-il ? demanda Justin.

– Pas très bien. Je suis venu vous y préparer.

Ivanov lui fournit alors des explications. Ils avaient à nouveau psychosondé l’azi, qui était resté en état de choc. Chaque jour, ils le plaçaient dans un fauteuil roulant pour le sortir dans le jardin. Ils avaient attendu, pour le soumettre à un traitement, car Denys affirmait que Justin viendrait le voir sous peu. Ils n’osaient pas explorer une fois de plus son esprit car il avait atteint un point de non-retour et ils suspectaient l’existence de mots de passe illégaux non mentionnés dans son dossier psych.

Ils venaient d’atteindre la porte de la chambre et Justin était rongé par le désir d’étrangler Ivanov, de réduire cet homme en bouillie sanglante avant de massacrer tous les membres de son équipe et Giraud Nye, pour faire bonne mesure.

– Non, il n’y a pas un seul mot de passe illégal, répondit-il. Bon sang, je lui avais dit que je reviendrais. Et il m’attendait.

Et Grant attendait toujours. On venait de le peigner et il paraissait presque normal. Mais il ne pouvait se déplacer sans aide et avait perdu du poids. Son épiderme était translucide, et ses yeux vitreux, et il suffisait de prendre sa main pour découvrir la disparition totale de sa tonicité musculaire.

– Grant, fit-il en s’asseyant au bord du lit. Grant, c’est moi. Tout va s’arranger.

L’azi ne cilla même pas.

– Sortez, ordonna-t-il à Ivanov qu’il foudroya du regard par-dessus son épaule.

Le médecin obtempéra.

Il se pencha vers son ami, afin de desserrer les sangles qui l’immobilisaient toujours. Son calme le surprenait. Il souleva le bras de Grant et le posa sur ses cuisses, afin d’avoir la place de s’asseoir, puis il redressa le lit. Il s’inclina et prit la mâchoire de l’azi entre le pouce et l’index, pour tourner son visage vers lui. Il lui semblait manipuler un mannequin. Mais ce dernier cilla.

– Grant ? C’est Justin.

Un autre battement de paupières.

Ô Seigneur ! Il s’était attendu à voir Grant dans le coma. Il avait cru trouver un mort en sursis pour lequel ils ne pourraient rien faire, hormis le liquider. Il s’y était apprêté. Au cours des cinq minutes nécessaires pour gagner cette chambre, il était passé de l’espoir de repartir avec son ami à la résignation de le perdre.

Et à présent, il avait peur. Il eût été moins en danger, si son ami n’avait pas survécu.

Maudite pensée ! D’où me viennent de tels raisonnements ? Depuis quand suis-je devenu indifférent à ce point ?

Un flash-bande ?

Que m’a-t-elle fait ?

Il lui semblait qu’il se désagrégeaitc il sentait l’hystérie enfler en lui comme un raz de marée. Et c’était bien la dernière des choses dont Grant avait besoin. Il prit la main de l’azi dans la sienne. Il tremblait. Il revoyait l’appartement d’Ari, sa chambre. Il parla, pour se changer les idées, sans savoir ce qu’il disait ; dans le seul but d’empêcher le retour de l’horrible pensée qui avait traversé son esprit contre son gré, comme si ce dernier ne lui appartenait plus. Il savait qu’il ne pourrait plus toucher un être humain sans que ce contact eût une connotation sexuelle. Il lui était impossible d’étreindre un ami, ou d’embrasser son père. Il y pensait sans cesse, jour et nuit, et il savait qu’il serait pour lui dangereux d’aimer qui que ce soit à cause de la laideur de son esprit, de ses pensées abjectes.

Parce que cette maudite femme avait eu raison : le fait d’aimer quelqu’un rendait vulnérable. Comme Jordan, Grant constituait sonpoint faible. Naturellement. C’était pour cette raison qu’ils le lui rendaient.

Il n’était plus seul, désormais. Un jour, cet azi le livrerait à ses ennemis. Peut-être mourrait-il à cause de lui. Ou pirec peut-être connaîtrait-il le même destin que son père.

Mais en attendant cet instant il ne serait plus seul. D’ici-là, pendant quelques années, il bénéficierait d’une chose inestimable. Jusqu’au jour où Grant découvrirait la laideur qui se tapissait en lui. Même après, sans doute. Étant un azi, il lui pardonnerait.

– Grant, je suis ici. Je t’avais dit que je reviendrais. Je suis là.

Son ami pouvait toujours se croire le soir de son départ. Peut-être réussirait-il à remonter le temps jusqu’à leur séparation et à reprendre son existence le lendemain matin.

Un nouveau clin d’œil, un autre.

– Allons, Grant. Cesse tes enfantillages. Tu les as bien eus. Serre ma main. Tu peux le faire.

Les doigts se raidirent. La respiration devint plus rapide. Justin secoua l’azi avec douceur et se pencha pour donner une pichenette à sa joue.

– Eh, tu l’as sentie ? Allons. Ne me fais pas marcher. C’est Justin. Je veux te parler. Prête-moi attention, bordel !

La bouche de Grant cessa d’être aussi flasquec le redevint. Il prenait désormais des inspirations hachées. Il cilla.

– Tu m’écoutes ?

Un hochement de tête.

– Parfait.

Justin tremblait, et il dut prendre sur lui-même pour se détendre.

– Nous avons un problème. Mais j’ai obtenu l’autorisation de te faire sortir d’ici. À condition que tu réussisses à te réveiller, cela va de soi.

– C’est le matin ?

Il inspira, alla pour fournir une réponse affirmative, puis se ravisa. Le moindre mensonge serait dangereux. Grant se méfiait. Il risquait de comprendre qu’il ne lui disait pas la vérité.

– Un certain temps s’est écoulé. Nous avons des ennuis. Assez sérieux. Je t’expliquerai plus tard. Peux-tu bouger le bras ?

Un mouvement spasmodique agita imperceptiblement le membre. La main se souleva.

– Je suis faible. Très faible.

– Ça va aller. Ils vont te ramener à la Maison. Ce soir, tu dormiras dans ton lit. À condition que tu leur prouves que tu es capable de t’asseoir.

La poitrine de l’azi se dilata puis redescendit. Le bras bougea et rampa sur le drap, avant de tomber sur le côté du lit ; aussi flasque qu’un serpent mort. Il avala de l’air et déplaça la totalité de son corps. Ses épaules se soulevèrent et l’oreiller glissa dans son dos.

– Ça y était presque, l’encouragea Justin.


La nourriture lui paraissait étrange. Trop consistante. Même la bouillie de céréales était difficile à mastiquer. Son ami lui avait fait manger à la cuillère la moitié du bol, quand il leva la main.

– Assez.

Justin parut ennuyé.

– C’est déjà beaucoup pour moi, précisa-t-il.

Parler lui était pénible, mais il devait le rassurer. Il se pencha et posa sa main sur la sienne. C’était plus facile que de s’exprimer. Son compagnon le regardait et l’enfer paraissait se refléter dans ses yeux. Il aurait voulu pouvoir dissiper ses craintes.

La nuit précédente, Justin avait mis son épuisement à profit pour tout lui expliquer, en précisant : Ça m’a secoué, et je suppose que le choc sera moins violent si tu es encore à moitié sonné.

Ensuite, ils avaient pleuré. Justin ne voulait pas le laisser seul et s’était allongé près de lui, pour s’endormir tout habillé sur le lit.

Grant essaya de le couvrir, mais les forces lui manquaient. Il dut se contenter de rouler de côté, pour laisser la couverture sous son ami, avant de reprendre sa place.

Ensuite, il eut froid, très froid, jusqu’au moment où Justin se réveilla et alla chercher une couverture supplémentaire, avant de l’étreindre et de pleurer sur son épaule, pendant un long moment.

– J’ai tant besoin de toi, lui dit-il.

Et, parce qu’il était un azi ou parce qu’il était un humain – il n’aurait pu se prononcer –, il considéra cet aveu comme la chose la plus importante qu’on lui avait jamais dite. Il pleura à son tour, sans savoir pour quelle raison. Il avait seulement conscience que Justin était toute sa vie, qu’il était tout,pour lui.

– J’ai moi aussi besoin de toi, répondit-il.

À la faveur de l’obscurité des heures qui précèdent l’aube, quand il est possible d’exprimer des choses trop profondes pour pouvoir être dites en plein jour.

Grant s’éveilla le premier et resta allongé sans bouger, heureux d’avoir son compagnon près de lui. Puis Justin ouvrit les yeux à son tour, se leva, et lui demanda de l’excuser d’avoir dormi dans son lit.

Comme s’il avait été incommodé par sa présence, comme si Justin n’était pas ce qu’il considérait comme le plus important au monde, la seule personne capable de le rassurer. Pour lui, Grant eût fait n’importe quoi.

Il l’aimait, bien plus qu’aucune femme ou quoi que ce soit qu’il eût jamais désiré.

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–  La série d’Ari est positive,annonça la voix qui provenait du labo.


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