Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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– Et vous, vous avez perdu le sens de la mesure, mon garçon. Tant dans votre vie privée que professionnelle ! Vous puisez dans la situation de quoi alimenter votre impression d’insécurité. Vous interprétez les faits sans rien observer, sans rien analyser. Vous ne faites plus preuve d’objectivité et je dois vous retirer les travaux qui se rapportent au Projet jusqu’au jour où vous reprendrez vos esprits et viendrez m’en informer. En attendant, sortez d’ici ! Et ne me faites plus perdre de temps avec vos conneries avant d’avoir résolu tous vos problèmes. Dehors !
– Je me demande ce que j’aurais pu lui répondre.
Il fut parcouru d’un frisson quand Grant s’approcha du divan pour lui tendre un verre. Les cubes de glace s’entrechoquèrent. Il but une gorgée de whisky pendant que son ami s’asseyait près de lui et lui montrait l’ardoise :
Attends quelques jours. Yanni a explosé, mais il finit toujours par se calmer.
Il secoua la tête et fit un geste d’impuissance, avant de se plonger dans la contemplation de ses mains pendant que la chaleur de l’alcool se répandait dans son sang et le froid de la glace dans son estomac.
– C’est possible. Yanni a peut-être eu raison de me traiter de concepteur novice qui passe son temps à se ridiculiser.
– C’est faux.
– Il a déchiré en morceaux mes deux dernières études. À juste titre, bon sang, car il en aurait résulté une catastrophe, une vague de suicides.
Grant prit la tablette pour écrire :
Ne renonce pas. Selon Denys, Ari n’a pas faussé les résultats de tes tests d’aptitude. Tu le croyais et tu pensais que ta place était à l’éducation. Mais Ari t’a voulu à la conception. Pourquoi ?
Il lut, et sentit ses entrailles se nouer.
Puis Grant ajouta : Cette femme ta fait subir beaucoup de choses, mais jamais un refus de jeter un coup d’œil à tes travaux.
– Ils m’ont écarté du projet, dit-il.
Parce que les services de sécurité et ceux qui les écoutaient le savaient déjà.
– Yanni est persuadé que je hais cette gosse. Mais c’est faux, c’est faux, c’est faux !
Son ami le prit par l’épaule.
– Je sais, je sais. Et ils le savent eux aussi. Yannic Il te psychait. Il t’enregistrait.
– Tout juste, et il m’a d’ailleurs déclaré que j’avais raté le test.
– Bon Dieu, ne peux-tu pas comprendre que c’est sa technique ? Tu connais ses motivations. Il continuait de te sonder. Il souhaitait provoquer une réaction, et il a été servi.
– Je me reproche ce que je lui ai dit.
Il réfléchissait aux propos qu’il avait tenus et tremblait toujours.
– Je me souviens du fond de ma pensée, mais je doute qu’il ait bien interprété mes paroles.
– Yanni est un type valable. Garde cela à l’esprit. Ne l’oublie jamais.
Il ne mit pas cette affirmation en doute et écrivit : Le seul problème, c’est que nous ignorons dans quel camp il se trouve.
12
Cheval baissa la tête pour manger de l’avoine dans la paume de Florian.
– Tu vois, il est très gentil. S’il semble un peu nerveux, c’est parce qu’il ne te connaît pas encore. Tu veux le caresser ?
Catlin le fit, avec méfiance. Cheval recula.
Mais quand elle ramena sa main, un véritable sourire incurvait ses lèvres.
– Il est intelligent.
C’était le seul animal de l’AG à même de faire impression sur elle. Les poulets serrés les uns contre les autres ne lui avaient inspiré que du dégoût et elle s’était reculée avec crainte en voyant les porcelets se ruer vers leurs auges, avant de déclarer qu’elle les trouvait stupides. Après que Florian eut fait remarquer qu’ils étaient sans égal pour différencier les plantes comestibles des toxiques, elle avait rétorqué que si les cochons étaient vraiment malins ils auraient trouvé un moyen de ne pas se laisser transformer en jambons.
Si les vaches semblaient très puissantes, elle les jugeait inintéressantes.
Elle avait eu son premier sourire véritable en découvrant Cheval. Elle grimpa sur la barrière et regarda l’animal jouer avec eux, hennir et rejeter sa tête en arrière.
– Nous ne mangerons pas ses bébés, lui expliqua Florian qui se hissa près d’elle. Ils travailleront et ne nous serviront pas de nourriture.
Catlin enregistra cette information sans faire de commentaire, comme à son habitude. Mais il la vit hocher la tête pour exprimer son approbation.
Il aimait bien cette fille. Un certain temps lui avait été nécessaire pour arriver à cette conclusion, car elle gardait la plupart de ses mystères, mais ils avaient effectué de nombreuses traversées de la Pièce et connu un seul échec complet : la fois où les Ennemis étaient innombrables et qu’ils avaient Eu Catlin la première. Elle s’était encore laissé Avoir le jour même, mais elle lui avait alors crié :
– Vas-y !
Avant d’occuper leurs Ennemis, pour lui laisser le temps de faire sauter la porte et de sortir de la Pièce. À cause de Florian, de sa lenteur. Elle avait Eu tous leurs adversaires, à l’exception de celui qui l’avait prise de vitesse et que Florian avait ensuite éliminé avec une grenade. Il bénéficiait de l’effet de surprise, car les techs n’étaient presque jamais armés et il était en outre occupé à désamorcer un piège. Catlin se déclarait très fière de lui.
Florian avait remercié le Ciel que ce fût une simulation et précisé à l’instructeur qu’il était le seul responsable de ce semi-échec, pour s’entendre répondre qu’ils formaient une équipe, que seul le résultat comptait, et qu’ils auraient droit à la moitié de leur temps de rec.
Une permission assez longue pour leur permettre de faire un saut jusqu’à l’AG. Il avait pu convaincre Catlin de l’accompagner, pour voir Andy et les animaux.
Il craignait que ses amis ne s’entendent pas, mais Catlin se déclarait fascinée par Cheval.
Et il demanda à Andy de lui montrer le poulain.
– Il est formidable, commenta-t-elle lorsqu’il se mit à jouer à cache-cache avec eux.
Sa queue dessinait des cercles dans les airs et ses sabots labouraient le sol de terre battue de l’écurie.
– Regarde-le ! Regarde-le se déplacer !
– Elle est aussi formidable, murmura Andy qui inclinait la tête en direction de Catlin.
Ce qui était un sacré compliment, de sa part. Florian en fut fou de joie. Il était heureux parce que tout ce qu’il aimait s’accordait : Catlin, Andy, et le reste.
Puis il se souvint qu’ils devaient être de retour avant l’extinction des feux. Il leur fallait se hâter.
– C’est l’heure, dit-il à Catlin avant de se tourner vers Andy : Je reviendrai dès que possible.
– Au revoir, leur dit Andy.
– Au revoir, répondit Florian.
– Au revoir, dit à son tour Catlin.
Ce qui le surprit. En temps normal, elle n’adressait la parole qu’aux membres des services de sécurité.
Ils devaient presser le pas. À l’aller, Florian avait montré les raccourcis à sa coéquipière, et elle n’en avait oublié aucun. Elle enregistrait toujours tout dans son esprit.
Ses jambes étaient plus longues que celles de Florian, ce qui lui permettait de le distancer. S’il avait cru les garçons plus grands et plus forts que les filles, l’instructeur lui avait expliqué que ce n’était pas toujours le cas à leur âge.
Et il pressait le pas pour rester à sa hauteur, ce qui lui valut d’être bien plus essoufflé qu’elle lorsqu’ils arrivèrent aux Baraquements verts.
Quand ils se présentèrent au comptoir de l’entrée, l’azi de faction regarda sa machine et leur ordonna :
– Présentez-vous au rapport auprès du super de la section blanche.
À l’autre bout de la Ville. À l’hôpital. Ils recevraient une bande, au lieu de regagner leurs quartiers.
– Bien, dit Catlin.
Elle reprit sa carte et la glissa sous la pince de sa chemise.
Il récupéra la sienne.
– Mêmes instructions, dit l’azi.
– Je me demande à quoi ça rime, déclara-t-il une fois à l’extérieur.
– Il n’est pas bon de se poser trop de questions, lui répondit-elle.
Mais elle paraissait elle aussi préoccupée et marchait d’un pas rapide. Il devait sans cesse piquer un sprint pour la rattraper.
Le soleil avait disparu depuis longtemps derrière les falaises. Le ciel virait au rose et la ville serait illuminée avant leur retour. Les rues étaient presque désertes, car la plupart des gens étaient allés dîner. Ce n’était pas une heure normale pour prendre une bande, et cela l’angoissait.
Ils atteignirent l’hôpital. L’employé de la réception prit leurs cartes, les lut, et leur indiqua où ils devaient se rendre.
Florian vit Catlin s’éloigner seule et il eut peur, sans savoir de quoi ou de qui. Il se sentait en danger. Elle l’était aussi. On venait ici recevoir des bandes pendant le jour, pas à la tombée de la nuit. Son estomac lui rappelait qu’il était vide. Il avait tout d’abord pensé à un de ces exercices d’alerte auxquels devaient participer les grands ; on les tirait du lit en pleine nuit et ils se précipitaient dans les couloirs.
Mais ils étaient à l’hôpital, pas dans la section des Pièces. Il dut obéir, enlever sa chemise et la suspendre, puis grimper sur la table et attendre l’arrivée du super en essayant de faire le vide dans son esprit.
Il n’avait encore jamais vu cet homme, qui brancha le lecteur avant de le regarder et de lui dire :
– Bonsoir, Florian. Comment vas-tu ?
– J’ai un peu peur, ser. Pourquoi recevons-nous une bande à une heure pareille ?
– Elle te l’apprendra. Ne t’inquiète pas.
Il prit un pistolet hypodermique et lui fit une injection dans le bras. Florian sursauta. Ces sifflements le rendaient toujours nerveux. Le super tapota son épaule puis la soutint : une forte dose, aux effets déjà perceptibles.
– Tu es courageux.
Les mains du super étaient plus douces que sa voix. Sans le lâcher, il le fit tourner et l’aida à placer ses jambes sur la table. Florian sentait toujours le contact de sa paume sous son omoplate, sur ses épaules ou son front.
– C’est une bande-profonde. Tu n’as plus peur, à présent ?
– Non, répondit-il.
Et il sentait en effet ses craintes se dissiper.
Mais pas la pénible impression d’être mis à nu.
– Encore plus loin. Le plus possible, Florian. Va m’attendre au cœur de ton êtrec
13
– Je n’aime pas les fêtes, déclara Ari qui s’affala dans le fauteuil. Je n’en veux pas. Je ne peux pas supporter tous ces sales gosses avec qui je dois être gentille.
Ses rapports avec oncle Denys s’étaient dégradés, depuis l’emprunt de la carte de Nelly. Cette idiote avait tout raconté à Denys et Giraud dès qu’ils avaient abordé le sujet. L’azie ne voulait pas lui attirer des ennuis, mais elle s’était affolée. Et oncle Denys leur avait ensuite tenu un interminable discours sur la sécurité en général et celle de l’immeuble en particulier, avant de dresser la liste des lieux où elle était ou non autorisée à aller.
Mais c’était surtout contre Justin et Grant que Denys était en colère, parce qu’ils ne l’avaient pas informé qu’Ari passait parfois les voir. Ils s’étaient fait disputer, eux aussi. Oncle Denys leur avait adressé un avertissement et ils devraient à l’avenir lui signaler si elle s’aventurait dans leur secteur.
Ari était elle aussi en colère, contre oncle Denys qui lui disait :
– Tu refuses de voir les autres enfants.
Sur un ton pouvant laisser supposer que c’était une question.
– Parce qu’ils sont trop bêtes.
– Eh bien, que dirais-tu de faire une fête avec des grandes personnes ? Il y aura du punch et des gâteaux. Et tu recevras des cadeaux. Je ne parle pas de réunir toute la Famille, mais par exemple Ivanov et Giraudc
– Je n’aime pas Giraud.
– Ce que tu dis là n’est pas gentil, Ari. Giraud est mon frère. Il est ton oncle, lui aussi. Et il t’aime beaucoup, tu sais ?
– M’en fiche. Tu ne me laisses pas inviter qui je veux.
– Aric
– C’est tout de même pas la faute de Justin si j’ai pris la carte de Nelly.
Oncle Denys soupira.
– Aric
– Je ne veux pas d’une fête où il n’y aura que des vieux.
– Écoute, Ari, je doute que Justin puisse se libérerc
– Je veux qu’il y ait Justin, et Grant, et Mary.
– Mary ?
– La tech qui s’occupe des nouveau-nés, en bas dans les labos.
– Mary est une azie, et elle serait sans doute très gênée en notre compagnie. Si tu y tiens vraiment j’essayerai d’arranger ça, pour Justin. Mais je ne te promets rien. Il a beaucoup de travail. Il faudra que je lui en parle. Mais tu peux quoi qu’il en soit lui adresser une invitation.
Voilà qui était mieux. Elle se redressa et fit reposer ses avant-bras sur les accoudoirs du fauteuil pour poser sur oncle Denys un regard un peu moins méchant.
– Et je ne veux pas que Nelly retourne à l’hôpital.
– C’est nécessaire, ma chérie. Parce que ce que tu as fait l’a bouleversée. Je n’en suis pas responsable. Tu l’as placée dans une situation délicate et elle a besoin de prendre du repos.
– C’est pas gentil, oncle Denys.
– Crois-tu que voler sa carte était « gentil » ? Elle reviendra demain matin, remise de ses émotions. Quant à moi, je contacterai Justin et j’informerai Mary que tu as pensé à elle. Elle en sera ravie. Mais je ne te promets rien. Sois sage et nous verrons. D’accord ?
– D’accord.
Se voir condamnée à suivre le couloir du bas lorsqu’elle allait aux bandétudes et en revenait la faisait bouillir de rage. Elle cherchait donc un moyen de contourner cette interdiction, mais ne l’avait pas encore trouvé.
Cette année, sa fête d’anniversaire n’aurait pas pour cadre la grande salle à manger du rez-de-chaussée. Selon oncle Denys, tous avaient tant de travail qu’il y aurait de nombreuses défections et qu’il serait suffisant d’organiser une petite réception dans leur appartement. Les plats seraient montés des cuisines et ils feraient un très bon repas, avec du punch et des gâteaux, puis elle recevrait des cadeaux. Elle établirait le menu avec Nelly et occuperait la place d’honneur en bout de table. Il disait aussi que Justin et Grant avaient promis de venir.
Et ils tinrent parole.
Ils se présentèrent sur le seuil et Justin serra la main d’oncle Denys.
Une onde de peur se répandit au même instant dans la pièce. Justin était terrifié. Grant aussi. Et tous les invités se figèrent, paralysés par quelque chose qu’ils essayaient de combattre.
Mais c’était sa fête, bon sang. Elle se leva et perçut une sensation de malaise au creux de l’estomac. Elle s’avança et se montra très aimable avec tout le monde. Ce n’était pas en disant aux gens qu’ils devaient être gentils qu’on obtenait des résultats. Il fallait attirer leur attention, pour la détourner de ce qui l’accaparait, puis ne pas ménager ses efforts pour la retenir. Faute d’avoir le temps de rechercher les causes et de déterminer les responsabilités, elle se dirigea vers Justin. C’était lui qui faisait l’objet de cette réaction de rejet collective, elle l’avait compris tout de suite.
Il y avait oncle Giraud et son azi, Abban ; le D r Ivanov et une jolie azie appelée Ule ; le D r Peterson et son azi Ramey ; le D r Edwards, son instructeur préféré, et son azie Galec plus âgée que lui mais très mignonne. Le D r Edwards faisait partie de ses invités : un biochimiste au savoir encyclopédique qui s’entretenait de longs moments avec elle après les séances de bandétudes. Et il y avait oncle Denys, qui parlait à Justin.
– Bonjour ! dit-elle en venant les rejoindre.
– Bonjour, répondit Grant.
Il lui remit leur cadeau.
Elle secoua le paquet. Léger. Ce qu’il contenait ne faisait aucun bruit.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.
Elle savait qu’ils ne le lui diraient pas mais devait continuer de retenir l’attention. Tous la regardaient.
– Vous devrez attendre encore un peu avant de le savoir, fit Justin. Sinon, il serait inutile d’emballer les cadeaux.
Elle porta la boîte à Nelly, qui se chargea d’aller la poser sur celles déjà empilées autour du fauteuil, dans l’angle de la pièce. Ari eut l’impression que tous les invités prenaient une inspiration en même temps. Elle attendait leur réaction, à présent qu’ils avaient obtenu la confirmation que Justin et Grant avaient été officiellement invités.
Les adultes se remirent à boire et à discuter. Cette fête d’anniversaire s’annonçait agréable. Ari ferait le nécessaire pour que tout se passe bien, même si oncle Denys disait des méchancetés à Justin. C’était sa réception et elle était décidée à passer un bon moment. Et ceux qui voudraient gâcher son plaisir s’en repentiraient.
Il y avait un méchant, dans la bande : Giraud, qu’elle surveillait de près. Quand nul ne leur prêtait attention elle le fixait droit dans les yeux, pour lui faire comprendre qu’elle n’était pas dupe. Elle prit la main de Justin et l’emmena admirer la montagne de cadeaux, avant de le présenter avec Grant à Nelly. L’azie en fut embarrassée, mais Ari savait qu’elle ne ferait rien à même d’envenimer la situation.
Puis elle alla dans sa chambre et en revint avec ce qu’elle possédait de plus beau ou de plus curieux, pour faire voir ces objets à tout le monde. Elle attira à nouveau l’attention générale et tous achevèrent de se détendre. Ils discutaient, s’amusaient, buvaient l’apéritif. Pas elle. Elle se réservait pour le repas.
C’était très différent de ses anniversaires précédents, ceux avec les enfants. Elle portait un chemisier bleu pailleté et un coiffeur était venu tresser ses cheveux dans l’après-midi. Elle faisait bien attention à ne pas se salir, ou froisser ses vêtements quand elle s’asseyait par terre. Elle se jugeait très élégante, grande et importante. Elle adressait des sourires à tous les convives, à présent qu’ils étaient charmants. Quand Seely annonça que le moment de passer à table était venu et que le personnel des cuisines apporta les premiers plats, elle fit asseoir Justin entre elle et le D r Ivanov, en face du D r Edwards, pour le mettre à l’abri de Giraud. Cette protection fut renforcée par le D r Peterson qui prit place à côté du D r Edwards. Ses oncles furent ainsi relégués bien plus loin. Les convives assis autour de la table étaient en nombre impair et Ari avait exprimé le souhait que Grant pût s’installer avec eux, mais oncle Denys estimait qu’il se sentirait plus à son aise avec les autres azis : un point de vue que Nelly avait confirmé, pendant qu’elle l’aidait à s’habiller. Selon elle, Grant serait gêné d’être le seul azi au milieu des CIT. Et comme Nelly partageait l’opinion d’oncle Denys, Ari n’avait pas insisté.
Elle se retrouvait en bout de table et était entourée d’adultes qui parlaient de leurs travaux et de choses qu’elle ne connaissait pas, mais les écouter l’instruisait et elle ne se sentait pas offensée quand ils cessaient de l’interroger sur ses études et ses sujets d’intérêt pour discuter entre eux.
Oui, cette fête était bien plus agréable que celles où l’on invitait une marmaille d’enfants mesquins ou stupides.
À l’arrivée de Justin et de Grant, tous s’étaient comportés comme le faisaient les gosses quand elle allait les rejoindre. Cette réaction avait exaspéré Ari, qui ne pouvait comprendre pourquoi des adultes se comportaient ainsi. Elle aurait cru les grands plus grands. Découvrir que ce n’était pas le cas la déprimait un peu.
Mais au moins savaient-ils mieux dissimuler leurs pensées. Et elle prit conscience qu’il était plus facile de supporter cette réaction de rejet lorsqu’on n’en faisait pas l’objet. Elle s’attela ensuite à dresser la liste des gens qui risquaient de poser des problèmes.
Oncle Giraud était le pire. Comme toujours. Il ruminait de sombres pensées, pendant qu’il parlait de son travail à oncle Denys qui s’en serait bien passé.
Justin ne disait rien. Il n’avait pas envie de discuter. Le D r Peterson, un personnage assommant, s’entretenait avec le D r Ivanov qui s’ennuyait ferme et essayait de suivre en même temps les explications que le D r Edwards fournissait sur le Projet algues. Oncle Denys surveillait tout le monde, se montrait aimable, et tentait de faire taire son frère qui refusait de le laisser tranquille.
Le D r Edwards lui avait parlé du Projet algues. Il lui avait montré des bouteilles cachetées qui contenaient diverses variétés de ces plantes, en lui précisant de quels océans de la Terre elles provenaient et quelles étaient les différences entre ces mers et celles de Cyteen.
Elle essayait donc de l’écouter, quand elle n’avait pas à répondre au D r Peterson qui décidait parfois de lui adresser la parole plutôt qu’au D r Ivanov.
C’était bien plus distrayant que de jouer avec Amy Carnath. Et personne ne pleurnichait, ici.
Quand ils eurent mangé le gâteau et que les adultes se mirent à boire des boissons d’adultes, elle prit Justin par la main et le guida vers le cercle de fauteuils, pour le faire asseoir à côté d’oncle Denys. Etc Oh ! Justin était hypertendu.
Normal. Il n’était pas stupide et savait que si oncle Denys lui adressait des reproches la fête d’Ari serait gâchée. Mais elle avait plus d’un tour dans son sac pour empêcher la situation de se dégrader. Elle déballa en premier lieu le présent d’oncle Denys : une montre-bracelet avec toutes les fonctions qu’on pouvait imaginer. Une vraie montre, qui lui fit très plaisir. Mais même si ce présent l’avait laissée indifférente elle eût feint le contraire, pour faire plaisir à oncle Denys. Elle alla l’embrasser sur la joue et lui dit plein de choses gentilles.
Elle ouvrit ensuite le cadeau de Giraud, afin qu’oncle Denys fût encore plus content. Un holo magnifique de la planète Cyteen qu’il suffisait de bouger pour que les nuages tournent autour. Tous en restèrent béats d’admiration, surtout le D r Edwards auquel Giraud expliqua que c’était une technique holographique révolutionnaire. Oncle Giraud la surprenait : il s’était donné la peine de lui chercher un très joli présent, qu’il paraissait lui-même beaucoup apprécier. Elle n’aurait jamais cru qu’il aimait ce genre de choses. Puis elle se rappela que c’était lui qui avait acheté l’oiseau dans le cube. Elle découvrait une nouvelle facette de Giraud, auquel elle donna un gros baiser avant d’aller ouvrir le paquet du D r Ivanov : un casse-tête.
Et celui du D r Edwards : une plaque dorée sur laquelle on n’avait qu’à poser un doigt ou toute autre chose pour qu’apparaisse son empreinte, dont la couleur variait en fonction de la température de l’objet. Le motif subsistait un moment. C’était vraiment joli, mais elle avait su que tous ses présents le seraient. Elle ne manifesta pas une joie plus grande que pour le casse-tête du D r Ivanov et le livre du D r Peterson, et un peu moins que pour la montre d’oncle Denys et l’holo d’oncle Giraud.
C’était parfait, tous paraissaient satisfaits. Elle défit le paquet de Nelly : des sous-vêtements – c’était bien d’elle ! – puis celui de Justin : une boule, dans une boule, dans une boule. Des sphères en bois sculpté. Absolument magnifique. C’était le genre d’objet que maman eût gardé pour elle en lui disant : Et surtout, n’y touche pas, Ari ! Et il lui appartenait ! Mais elle devait prendre garde à ne pas manifester trop de joie. Peu importait à quel point elle était heureuse. Elle se contenta donc de dire merci puis alla découvrir les cadeaux offerts par ceux qui n’étaient pas venus à sa fête.
Les présents des gosses. Même de cette chipie d’Amy, qui lui envoyait une écharpe. Et Sam lui offrait un insecte robot qui courait sur ses petites pattes autour de l’appartement. Elle savait qu’il coûtait très cher, car elle l’avait vu dans la vitrine d’un magasin, et elle estima que c’était très gentil de sa part.
Elle se retrouva avec une montagne de livres et de bandes, quelques tableaux, une pile de vêtements – et il lui vint à l’esprit qu’oncle Denys avait dû indiquer sa taille à tout le monde parce que tout lui irait – ainsi que de l’argile à modeler, de nombreux jeux et des bracelets divers, deux voitures et un labyrinthe en bois dans lequel se déplaçait une boule. C’était un cadeau que lui envoyait Mary, l’azie des labos de naissance. Elle le trouva très joli et décida de lui écrire un mot de remerciement.
À Sam aussi.
Il n’existait rien de mieux que les cadeaux pour que tout le monde fût content. Les grands burent du vin et oncle Denys lui en servit un quart de verre. Le goût paraissait douteux, comme si ce breuvage était gâté. Sa réflexion fit rire les adultes, et même Justin sourit. Mais oncle Denys déclara que le goût qui lui inspirait cette méfiance était en fait celui d’un des meilleurs crus pouvant exister, avant de préciser qu’elle ne pourrait en boire plus sans se sentir bizarre et avoir sommeil.
Elle s’abstint donc d’y goûter à nouveau. Elle prit le casse-tête et le démonta, pendant que les grands buvaient et riaient et qu’oncle Denys réussissait enfin à mettre sa montre à l’heure. C’était une fête très réussie.
Elle bâilla et tous déclarèrent qu’ils devaient rentrer chez eux. Ils appelèrent leurs azis et lui souhaitèrent un bon anniversaire. Elle vint s’installer à côté de la porte avec oncle Denys, comme une maman, pour leur dire au revoir et merci d’être venus.
Tous étaient bruyants et joyeux, comme l’autre fois, longtemps auparavant. Denys sourit au D r Edwards et lui serra la main en se déclarant ravi qu’il ait pu se libérer. Ce qui emplit le D r Edwards de satisfaction, parce que oncle Denys occupait le poste d’administrateur de Reseune. Ari était elle aussi satisfaite, étant donné qu’elle souhaitait que les deux hommes deviennent amis. Oncle Denys fut même très gentil avec Justin quand ce dernier prit congé avec Grant.
Tout se passa très bien, avec tous ses invités.
Ils partirent, même oncle Giraud, et vint le moment de ranger les cadeaux et le reste. Mais Ari estima qu’il n’était pas trop tard pour consolider sa position auprès d’oncle Denys. Elle alla l’étreindre, très fort.
– Merci, lui dit-elle. La fête a été formidable. Et j’aime beaucoup ta montre. Merci encore.
– C’est moi qui te remercie, Ari. J’ai trouvé la soirée très agréable.
Et il lui adressa un drôle de sourire, comme s’il avait des raisons de s’estimer satisfait.
Il l’embrassa sur le front et lui dit d’aller se coucher.
Mais elle était animée de si bonnes intentions qu’elle décida d’aider les azis à ramasser ses cadeaux. Et elle en profita pour dire à Nelly de faire bien attention à ses préférés.
Elle remit en marche l’insecte de Sam, qui bondit en avant et traversa la pièce en effrayant Nelly, qui s’écria :
– Qu’est-ce que c’est ?
Et oncle Denys vint se renseigner sur les causes de son émoi.
Ari claqua des mains pour stopper l’insecte, le ramassa et l’emporta dans sa chambre.
Très vite, parce qu’elle tenait à se conduire comme une petite fille bien sage.
14
Au matin, Ari fut réveillée par la sonnerie du gardien, auquel elle ordonna de l’arrêter en précisant qu’elle l’avait entendue. Puis elle se frotta les yeux et regretta de ne pouvoir rester à la maison. Mais elle devait aller à ses bandétudes et ne pourrait effectuer un détour par le bureau de Justin en chemin.
Jouets et vêtements encombraient sa chambre, mais elle eût surtout aimé demeurer dans son lit et se rendormir. Elle savait toutefois que Nelly ne tarderait guère à entrer pour lui dire de se préparer.
Elle décida de prendre l’azie de vitesse. Elle roula jusqu’au bord du matelas et se leva. Elle alla dans la salle de bains, retira son pyjama, prit une douche et se brossa les dents.
Nelly devait à présent être dans la chambre.
Elle enfila les vêtements que l’azie lui avait préparés la veille et dit :
– Concierge, appelle Nelly.
– Elle n’est pas ici, jeune sera. Elle a dû se rendre à l’hôpital.
Et Ari eut peur, avant de penser que c’était peut-être un vieux message.
– Concierge, où est Denys ?
– Je suis dans la salle à manger, Ari, lui répondit la voix de son oncle.
– Où est Nelly ?
– À l’hôpital. Elle va très bien. Viens me rejoindre.
Elle se peigna, sortit de sa chambre et passa devant celle de l’azie. Elle franchit la porte qui donnait sur l’autre partie de l’appartement et gagna la pièce où l’attendait oncle Denys.
Il était assis à la table, au-delà de la porte voûtée. Elle entra en accrochant sa carte à son chemisier et il lui dit de s’asseoir et de prendre son petit déjeuner.
– Je n’ai pas faim. Je veux savoir ce qui est arrivé à Nelly.
– Assieds-toi.
Elle le fit, consciente qu’elle n’apprendrait rien avant d’avoir obéi. Elle connaissait bien oncle Denys. Elle prit un petit pain et le grignota sans rien mettre dessus. Seely vint lui servir un jus d’orange. Son estomac semblait vouloir refuser de coopérer.
Oncle Denys décida enfin de lui fournir des explications :
– Nelly doit recevoir d’autres bandes. Vivre en ta compagnie lui pose des problèmes, Ari, et il te faudra à l’avenir veiller à la ménager. Tu es devenue une grande fille, très intelligente, et elle se sent dépassée. Les médecins vont lui dire qu’elle n’est responsable de rien, qu’elle ne doit pas s’adresser de reproches. Mais il ne faut plus l’effrayer, compris ?
– Je ne l’ai pas fait exprès. Je ne savais pas qu’elle aurait peur de l’insecte de Sam.
– Tu l’aurais su, si tu t’étais donné la peine de réfléchir un peu.
– Oui, c’est probable, reconnut-elle.
Elle se sentait bien seule, sans Nelly. Mais elle était heureuse de savoir que l’azie n’avait rien de grave. Elle étala un peu de beurre sur son petit pain, qui eut ensuite un meilleur goût.
– En outre, elle devra s’accoutumer à la présence de deux nouveaux azis dans la Maisonnée.
Ari lui adressa un regard de reproche. Devoir supporter Seely était déjà pénible.
– Ce seront tes azis, ajouta oncle Denys. Un autre présent d’anniversaire, en quelque sorte. Mais il ne faudra surtout pas le leur dire : les êtres humains ne sont pas des cadeaux.
Elle avala un gros morceau de son petit pain. Non, elle n’était pas contente du tout. Nelly était la seule azie qu’elle voulait avoir près d’elle, mais si c’était un présent elle craignait qu’un refus pût froisser oncle Denysc et elle craignait de lui déplaire, pour de nombreuses raisons. Elle réfléchit à la situation, dans l’espoir de trouver une excuse valable.
– Tu n’iras pas aux bandétudes, aujourd’hui, dit oncle Denys. Tu passeras chercher tes azis à l’hôpital et ensuite tu consacreras la journée à leur montrer où ils vivront. Ils ne sont pas comme Nelly. Ce sont deux Alpha. Des Expérimentaux.
Une bonne gorgée de jus d’orange. Elle ne savait quoi en penser. Les Alphas étaient rares et il fallait prendre beaucoup de précautions, avec eux. Sans doute seraient-ils chargés de la surveiller. Tout cela n’était pas de bon augure. Oncle Denys avait dû prendre la décision de l’empêcher de faire tout ce qui lui était interdit. Puis elle se demanda s’il fallait attribuer ce « cadeau » à oncle Denys ou à oncle Giraud.