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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Une embarcation partie de la station de précip, sans doute. Il ignorait si on en trouvait, à cette extrémité de Reseune.

Il reporta son attention sur la proue. Son ami lui avait dit de rester au centre du cours d’eau. Justin ne s’était-il pas rendu à Moreyville à bord du même bateau ? Il avait parlé à des habitants de cette agglomération qui avaient descendu la Volga jusqu’à Novgorod.

Pendant que Justin discutait, Grant avait surtout prêté attention à ce qui concernait Novgorod, son principal sujet d’intérêt. Ils envisageaient déjà de prendre un jour la vedette et de fuir sur le fleuve.

Il tourna brusquement la barre pour esquiver un obstacle : une branche dressée au-dessus des flots.

Un arbre énorme. Il vit la masse de ses racines emmêlées approcher dans le faisceau du projecteur, tel un énorme buisson, et il continua de changer de cap, avec désespoir.

Seigneur, si un de ces troncs arrivait par le travers et percutait la prouec

Il poursuivit sa route.

Les feux de l’autre bateau étaient toujours visibles dans le rétroviseur, lorsqu’il repéra les lumières dont Justin lui avait parlé. Elles brillaient sur la droite, au sein des ténèbres. Une embuscade, pensa-t-il le temps d’un battement de cœur. Car tout s’apparentait à des pièges, tout se liguait contre lui.

Mais elles étaient trop élevées et nombreuses : des points de clarté qui papillotaient derrière l’écran des saules pleureurs et des écorces-de-papier, bien trop hauts pour se trouver sur la rivière, des lueurs rouges qui clignotaient au sommet des collines afin d’informer les appareils aériens de la présence des tours de précip.

Puis ses genoux commencèrent à flancher et ses bras à trembler. Il ne vit pas les feux de son poursuivant, lorsqu’il se retourna pour regarder, et il pensa à glisser la note de Justin dans sa poche et à prendre la feuille suivante, au cas où quelqu’un ramènerait le bateau à Reseune.

Il réduisit les gaz pour chercher un endroit où accoster, et s’inquiéta comme le projecteur révélait une succession de parois métalliques verticales attaquées par la rouillec

Des péniches, comprit-il. La station Kruger était une installation minière. Il voyait des barges à minerai, plus petites que celles qui descendaient du nord. Il venait d’atteindre un port fluvial et voyait un espace où sa vedette pourrait se glisser. L’échelle qui reliait le quai au niveau supérieur lui indiquait qu’il n’était plus en pleine nature et pouvait ouvrir la porte hermétique. Il ne le fit pas. Et il s’abstint d’utiliser la radio, étant donné que Justin ne lui avait fourni aucune instruction à ce sujet. Il se contenta d’actionner la corne de brume, de façon répétée, jusqu’au moment où les quais s’illuminèrent et où des gens intrigués par ce vacarme sortirent des maisons.

5

–  Un appel téléphonique, ser,annonça le concierge.

Et Justin, recroquevillé sur le divan de la salle de séjour, fut tiré du sommeil dans lequel il avait sombré sans seulement s’en rendre compte. La voix l’incita à se redresser sur un coude, puis un bras, et à se lever quand l’appareil passa sur la fonction répondeur.

– Je vais répondre, déclara Justin.

Le concierge en prit note et déclara :

–  Ser Justin va prendre cet appel. Veuillez patienter un instant, s’il vous plaît.

Il massa son visage qu’une barbe naissante rendait râpeux.

– Oui ?

Son rythme cardiaque s’emballa, alors qu’il s’apprêtait à entendre de mauvaises nouvelles.

–  Bonjour, lui dit Ari. Désolée de t’importuner si tôt, Justin, mais j’aimerais savoir où est Grant.

– Je l’ignore.

Si tôt ? Quelle heure est-il ?Il se frotta les paupières et tenta de reconnaître les chiffres indistincts de l’horloge murale. 5 heures du matin. Il a dû arriver chez les Kruger, à présent.

– Pourquoi ? Il n’est pas auprès de vous ?

Il dirigea son regard sur la porte voûtée et l’autre chambre toujours éclairée. Le lit n’était pas défait : la preuve qu’il n’avait pas rêvé, que Grant avait pris la fuite, que les événements dont il gardait le souvenir s’étaient réellement produits.

Il est impossible que nous ayons réussi.

–  Passe me voir dès ton arrivée au bureau.

– Oui.

Sa voix se brisa. Il était si tôt. Il tremblait.

–  À 8 heures. Au labo de la section un.

– Oui, sera.

La liaison fut coupée. Justin se massa le visage et ferma les yeux, mâchoires serrées. Il découvrait des signes annonciateurs de nausées.

Il envisagea d’appeler son père. Ou de passer le voir.

Mais en fixant ce rendez-vous Ari lui laissait le temps d’avoir un entretien avec Jordan. Peut-être espérait-elle qu’il irait voir son pèrec ou qu’il s’en abstiendrait après être parvenu à cette conclusion. Déduire les intentions de cette femme s’avérait aussi difficile que de se montrer plus rusé que son père.

Et il lui faudrait obtenir ces deux résultats.

Il se prépara un petit déjeuner composé de pain grillé et de jus de fruits, les seuls aliments qu’accepterait son estomac rebelle. Il prit une douche, se vêtit, et fit les cent pas dans la pièce. Il n’était pas pressé. Il avait du temps devant lui, trop de temps.

C’était de propos délibéré qu’elle lui imposait cette attente interminable. Il le savait. Elle n’agissait jamais sans raison.

Grant pouvait être aux mains de la police.

De retour à Reseune.

Ou mort.

Ari comptait lui annoncer quelque chose, susciter une réaction de sa part et l’enregistrer. Il prépara des réponses à tout ce qu’elle pourrait lui dire, même la pire des possibilités. Il s’exerça à répondre, si nécessaire : Je ne sais pas. Il est parti. J’ai pensé qu’il allait vous rejoindre. Comment aurais-je pu me douter de ce qu’il ferait ? Il n’avait jamais agi ainsi.

Il quitta son appartement à 7 h 45, prit l’ascenseur pour descendre dans le hall principal, franchit le poste de contrôle de la section un, gagna son bureau, déverrouilla la porte et fit la lumière, comme chaque matin.

Puis il repartit dans le corridor et passa devant les services de Jane Strassen, qu’il salua de la tête. Arrivé à l’angle du passage, il emprunta l’escalier de la section d’expérimentation située à l’extrémité du bâtiment.

Il inséra sa carte dans la fente des portes de sécurité puis suivit un couloir sur lequel donnaient de nombreux bureaux. Tous étaient clos. Au bout du passage une double porte permettait d’accéder au vieux labo défraîchi dont l’odeur d’alcool, la fraîcheur et l’humidité faisaient renaître des souvenirs de l’époque où il avait débuté ses études en ce lieu. La pièce était éclairée. Une clarté plus vive provenait de la chambre froide située sur la gauche.

Il laissa la double porte se clore derrière lui et entendit des voix. Florian sortit du labo.

Sa présence n’avait rien d’étonnant, pas plus que celle des techs. Le labo un n’était pas aussi moderne que les installations du bâtiment B, mais bon nombre de chercheurs préféraient s’y rendre plutôt que de devoir faire une longue marche jusqu’aux centres de naissance du B, allant même jusqu’à préférer travailler avec ce matériel démodé à réglage manuel plutôt que sur les appareils récents automatiques. Ari y passait désormais de nombreuses heures. Elle effectuait une grande partie de ses recherches dans cette vieille chambre froide.

Le projet Rubinse dit-il. Les premiers temps il avait été intrigué par la présence d’Ari, car elle disposait d’excellents techs qui auraient pu se charger de ces préparatifs. Il ne trouvait plus cela étonnant.

Je tiens à superviser ce programmec pour prouver que je peux être encore active. Ou par vanité, peut-êtrec

Ce qui l’attendait avait également un caractère personnel. Il se retrouvait dans la situation qu’il s’évertuait depuis longtemps à éviter.

– Sera vous attend, déclara l’azi.

– Merci. Sais-tu de quoi il retourne ?

Il avait posé cette question avec une désinvolture feinte.

– J’espérais que vous le sauriez, ser.

Justin ne put lire aucune pensée dans les yeux noirs de Florian qui se tournait vers la chambre froide.

– Vous pouvez entrerc Sera, Justin Warrick est arrivé.

– Parfait, répondit Ari.

Justin gagna la porte de la longue salle. La femme était assise sur un tabouret, devant un séparateur démodé.

– Merde, grommela-t-elle sans relever les yeux. Je n’ai aucune confiance en cet appareil. Va m’en chercher un autre au B, Florian. Je ne vais tout de même pas travailler sur du matériel défectueux.

Elle releva la tête et le mouvement brusque de sa main surprit Justin, qui lâcha la porte. Il prit conscience d’avoir déplacé le battant et le repoussa en arrière, irrité par cette maladresse qui sapait une assurance dont il n’avait jamais eu autant besoin.

– Foutue porte, marmonna Ari. Jane et son besoin maladif de faire des économiesc il suffit de l’effleurer pour qu’elle se rabatte sur celui qui la franchit. Il va falloir prendre des mesures. Alors, comment vas-tu, ce matin ?

– Très bien, merci.

– Où est Grant ?

Son cœur battait déjà la chamade. Il devait veiller à l’empêcher de s’emballer plus encore.

– Je l’ignore. Je le croyais avec vous.

– Allons, Justinc hier soir, il a volé une vedette et saboté l’autre bateau. La sécurité l’a suivi jusqu’à la mine des Kruger. Que sais-tu sur cette affaire ?

– Rien. Rien du tout.

– Je m’en doutais.

Elle fit pivoter son tabouret.

– Ton compagnon a tout organisé sans aide.

– C’est probable. Il en est capable.

Et Ari était quant à elle capable de prolonger cette attente plutôt que d’aller droit au but. Il ne s’autorisa pas à éprouver du soulagement, comme s’il était emporté par le courant du fleuve. Florian n’était pas revenu. Nul témoin ne pourrait entendre ce qu’elle diraitc ou ordonnerait. Les portes du labo avaient un verrou. Et peut-être enregistrait-elle leur entretien.

– Je regrette qu’il ne m’ait pas informé de ses intentions.

Ari fit claquer sa langue.

– Désires-tu prendre connaissance des rapports de la sécurité ? Vous êtes sortis tous les deux, cette nuit, mais tu es le seul à avoir regagné la Maison.

– Je cherchais Grant. Il m’avait dit qu’il voulait aller emprunter un sac pour transporter ses affaires. Je me suis inquiété.

Les sourcils de la femme s’incurvèrent.

– À d’autres !

– C’est la stricte vérité.

– Tu me déçois. J’aurais cru ton imagination plus fertile.

– Je vous ai dit tout ce que je sais.

– Écoute-moi, jeune homme. As-tu conscience de t’être rendu coupable d’un vol ?Sais-tu ce qui se passera, si une plainte est déposée ?

– Oui, fit-il d’une voix qu’il espérait posée et lourde de sous-entendus. Je le pense.

– Nous ne dépendons pas des lois de Cyteen.

– Je sais.

– Tu me parais sûr de toi. Pourquoi ?

– Parce que vous ne saisirez pas la justice.

– Serais-tu prêt à le parier ?

Il était censé réagir. Il lui sourit. Il avait jusqu’à présent réussi à se contrôler, sans seulement savoir si son ami était toujours en liberté.

– Je suis même prêt à miser gros. Vous me tenez, mais vous ne l’avez pas repris. Tant qu’il ne nous arrivera rien de fâcheux à mon père et à moi, Grant ne dira rien et tout sera parfait pour tout le monde.

– Voilà donc pourquoi tu as décidé de rester.

C’était celaqui l’avait inquiétée. L’aspect irrationnel de son acte.

Il sourit, afin d’entretenir son triomphe, seul en territoire ennemi.

– L’un de nous devait demeurer à Reseune, pour vous garantir que l’autre ne dirait rien tant que vous ne prendriez aucune mesure de rétorsion.

– Naturellement. Je présume que c’est Jordan qui a tout organisé ?

Ce compliment inattendu et détourné le fit sursauter.

– Non.

– C’est donc toi.

Elle eut un petit rire qu’il ne trouva pas de bon augure, bien qu’elle parût surprise.

Ari savait jouer avec les réactions de ses interlocuteurs – aussi bien que son père – et elle y consacrait toute son habileté tant qu’elle n’était pas arrivée à ses fins.

Il devrait en faire autant. Il haussa les épaules.

– Ton plan est excellent, déclara Ari. Le problème, c’est que tu as placé toutes tes mises sur Grant.

Il est mort, se dit-il. Et il s’apprêta à entendre la nouvelle qu’il redoutait le plus. Mais elle peut aussi bluffer.

– J’ai confiance en ses capacités.

– Tu as oublié un détail.

– Et ce serait ?

– Jordan. Je doute qu’il apprécie.

– Je lui parlerai.

Il avait des frissons. Les conduites cryogéniques qui passaient au-dessus de leurs têtes paraissaient absorber sa chaleur corporelle. Son assurance s’effritait et il dut faire un violent effort de volonté pour se reprendre. Son père lui avait appris la tactique qu’utilisait Ari. Elle alternait attaques et répits, en étudiant des indices tels que la dilatation de ses yeux et la rigidité de ses membres. Le rythme était comparable à celui d’un affrontement au fleuret, parade, riposte, parade, riposte, puis un assaut à contretemps sitôt qu’il aurait assimilé les règles du jeu. Il pouvait le prévoir. Il lui sourit. Cette pensée venait de lui permettre de se contrôler à nouveau.

– Il trouvera cela très amusant.

Les lèvres d’Ari s’incurvèrent, parce qu’il venait de marquer un point ou qu’elle baissait volontairement sa garde afin de l’inciter à le croire.

– Tu as du cran, car tu es loin de te sentir sûr de toi. Bon sang, mon garçon, tout s’effondre, tu doutes de la valeur de tes atouts, mais je reconnais que ta manœuvre est habile même s’il serait difficile de la réaliser deux fois.

– Je n’aurai pas à partir avant mon père.

– Voilà bien le problème, n’est-ce pas ? Comment allons-nous remettre un peu d’ordre dans cet embrouillamini ? As-tu songé un seul instant à ce qui va se passer ? Dis-moi ce qui se produira quand Jordan pourra quitter cette planète. Ton point de vue m’intéresse.

– Peut-être aurez-vous une proposition à me faire.

Elle eut un sourire radieux.

– C’est merveilleux. Toi qui étais si effacé ! Qu’as-tu fait, faussé les résultats de tes tests psych ?

– Vous êtes censée pouvoir trouver seule la réponse.

– Oh, quel culot ! s’exclama-t-elle avant d’éclater de rire. Tu es plein de ressource. Et tu viens de m’apprendre une chose. À mon âge, on sait l’apprécier. Tu as beaucoup d’affection pour Grant, puisque tu n’as pas hésité à jeter bas le masque pour le sauver. Tu tiens beaucoupà cet azi.

Elle s’accouda au comptoir et le dévisagea avec calme.

– Je vais te dire une chose, mon garçon. Jordan a pour toi un amour sans bornes qui transparaît dans la nature de tous vos rapports. Et je dois reconnaître qu’il s’est admirablement occupé de Grant. Il est indispensable que les enfants soient élevés ainsi. Mais il existe un prix à payer. Nous sommes mortels. Nous perdons nos proches. Nous souffrons de leurs peines. Nos liens affectifs nous font vivre un véritable enfer. Que comptes-tu raconter à ton père ?

– Je ne sais pas encore. Le strict nécessaire, sans doute.

– Juste de quoi l’informer qu’il a gagné ?

Désengagement et repos. Il se contenta de sourire. Il refusait de croiser à nouveau le fer avec un tel bretteur.

– Eh bien, il sera sans doute très fier de toi. Je ne dis pas que tu as agi avec sagesse, car si ton plan est adroit tes motivations sont stupides. Maisc les sentiments vont rarement de pair avec la raison, n’est-ce pas ? À ton avis, que ferait ton père si je portais plainte contre toi ?

– Il rendrait cette affaire publique. Il s’adresserait au bureau. Et vous n’y tenez pas.

– Ce n’est pas la seule possibilité qui m’est offerte. N’oublie pas que tu t’es rendu coupable de vol, d’actes de vandalisme, d’accès à des fichiers confidentielsc Si Jordan peut porter des accusations, moi aussi. Il n’obtiendra pas son transfert, malgré ses appuis actuels. Ses amis l’abandonneront à son sort sans la moindre hésitation. Mais tu le sais déjà. Tu penses que vous pourrez vous en tirerc hormis si je décide de prendre des mesures pour récupérer Grant et poursuivre vos complices en justice. Mais il existe un élément dont tu as omis de tenir compte. C’est que je peux décider d’agir comme toi, dans l’illégalité. Si quelqu’un révélait le rôle que tu as joué dans cette affaire, et si ton père apprenait quelles sont tes motivationsc s’il avait vent de nos petites réunions privées, hmmm ? Voilà qui risquerait de saper sa belle assurance.

– Vous perdriez trop de choses, si la justice devait trancher ce différend. Vous ne pouvez vous le permettre. Vous avez obtenu l’accord du Conseil. Pour voir s’effondrer tous vos projets, vous n’avez qu’à vous en prendre à Grant. Je parlerai, et tous vos rêves s’envoleront en fumée.

– Maudit serpent. Tu crois tout savoir.

– Je sais en tout cas que mes amis n’utiliseront leurs atouts que si vous les y contraignez.

– De quoi as-tu menacé les Kruger, pour qu’ils acceptent de courir de tels risques ? T’est-il venu à l’esprit qu’ils n’agissent pas nécessairement par pur altruisme ? As-tu pensé qu’ils veulent peut-être se servir de toi ?

– Vous ne m’avez pas laissé le choix, il me semble ? Mais la situation restera sous contrôle tant que vous ne remettrez pas en question le transfert de Jordan et que vous laisserez Grant tranquille. Si on me soumet à un psychosondage, je devrai dire beaucoup de chosesc sur vos projets. Et je ne pense pas que vous souhaitiez voir des enquêteurs débarquer à Reseune en ce moment.

– Très dangereux, jeune homme.

Elle se pencha vers lui et le menaça de l’index.

– C’est Jordan qui a tout manigancé.

– Non.

– Il t’a donné des conseils, alors ?

– Non.

– Voilà qui me sidère. Et je ne serai pas la seule à éprouver de la surprise. Si cette affaire est portée devant les tribunaux, les membres du bureau refuseront de croire qu’il ne t’a pas incité à agir de la sorte. Et ce sera pour lui un sérieux handicap, lors du vote. Voilà ce que je te propose. Nous allons passer cette affaire sous silence. Tu es libre de dire ce que tu veux à ton père et nous considérerons avoir fait match nul. Je ne toucherai pas Grant, je ne ferai pas arrêter les Kruger, et je m’abstiendrai même de commanditer un seul assassinat. Eh oui, j’en ai la possibilité. Je pourrais organiser un accident dont tu serais victime. Toi ou Jordan. Les machines agricolesc Elles sont si dangereuses.

Il en fut choqué. Et effrayé. Il ne s’était pas attendu à la voir brandir une menace si directe.

– Je veux que tu réfléchisses à une chose, ajouta-t-elle. Ce que tu diras à ton père peut tout détruire ou permettre de garder la situation sous contrôle. Je ne remets pas en cause son affectation à Lointaine, et voilà ce que je te propose pour nous sortir du merdier dans lequel tu nous as fourrés. Jordan quittera Reseune dès que les nouvelles installations pourront l’accueillir. Quand son vaisseau appareillera de Station Cyteen, tu resteras ici. Tu feras en sorte que Grant suive ton père dès que le couloir Espoir aura été ouvert et que le projet Rubin sera en bonne voie. Voilà qui devrait vous inciter à rester tranquilles et protéger mes intérêts. Les militaires empêcheront ton père d’être trop bavardc ils n’aiment guère attirer l’attention des médias sur leurs activités. L’autre possibilité consiste à tout révéler au grand jour et laisser à la justice le soin de nous départager. Je me demande cependant qui serait le gagnant, si Reseune décidait de faire revenir Rubin à Cyteen et renonçait à s’installer à Lointaine.

Je suis tombé dans un piège,se dit-il. Mais comment aurais-je pu l’éviter ? Quelle erreur ai-je commise ?

– Acceptes-tu ? ajouta-t-elle.

– Oui. Si vous tenez parole et si je suis transféré dans la section de mon père.

– Oh ! Il n’en a jamais étéquestion. Tu resteras à Reseune. Plus important : nous allons devoir coopérer étroitement, tous les deux. Ton père a beaucoup de fierté et tu sais à quel point il en souffrirait, s’il devait choisir entre s’adresser au bureau et perdre ainsi tout ce qu’il a acquis, ou se taire et t’abandonner à ton sort pour préserver ses intérêts. Parce que c’est la situation qui résulte de tes actes irréfléchis. Tu viens de me fournir toutes les armes légales et illégales dont je pourrais avoir besoin. Je dispose désormais d’un excellent moyen de faire tenir ton père tranquille, sans provoquer de remous et sans lui nuire pour autant. Quant à toi, tu n’auras qu’à te taire et effectuer ton travail. Tu as bien cherché ce statutc celui d’otage garant de la conduite de ton père. Ce que je veux que tu fasses, jeune homme, c’est poursuivre tes travaux, me remettre les rapports BRX en fin de journée et me donner entière satisfaction. Quant au reste, tu es libre d’agir à ta guise. Tu peux appeler ton père, lui annoncer que Grant a disparu, lui raconter ce que tu veux. Je ne peux t’en empêcher. Et tu passeras à mon appartement àc disons 21 heures, pour me faire part de ta décision. Faute de quoi j’en déduirai que tu as opté pour l’autre solution.

Elle se tut, et il mit le silence à profit pour réfléchir, analyser les propos d’Ari et ce qui en découlait. Il tenta de répertorier les pièges. Il ne lui était pas difficile de voir celui dans lequel il venait de tomber. C’était l’invitation de cette femme qu’il redoutait le plus. Et tout le contraindrait à s’y rendre.

– Tu peux disposer, fit-elle.

Il passa devant Florian qui attendait dans le labo extérieur, suivit le couloir, franchit les portes et regagna les corridors de la section un. Il se dirigeait vers son bureau, quand quelqu’un le croisa et lui souhaita une bonne journée ; il n’en prit conscience qu’une fois arrivé à l’extrémité du passage, sans même savoir de qui il s’était agi.

Il ignorait comment annoncer la nouvelle à son père. Par téléphone, pensa-t-il. Puis il le retrouverait pour le déjeuner. Et il se débrouillerait d’une manière ou d’une autre. Jordan s’attendrait à le voir fou de douleur.

Ari avait raison. Si son père se trouvait impliqué dans cette affaire tous les accords passés deviendraient caducs, et il doutait que Jordan eût encore des atouts dans sa manche.

Il jugea préférable d’attendre de s’être calmé avant de décider s’il devait tout lui dire, en dépit de la torture qui accompagnerait cette attente.

6

– Ce que nous avons faitc

Justin faisait tourner le pied de son verre afin d’avoir un prétexte pour ne pas lever les yeux sur son père.

– Nous nous sommes contentés de mettre à exécution un projet élaboré il y a longtemps, en prévision du jour où l’un de nous se trouverait pris au piège. Si elle m’a retiré la garde de Grantc c’est pour faire pression sur moi. Je saisc j’aurais dû venir t’en parler. Mais elle nous a placés devant le fait accompli, sans nous laisser le temps d’effectuer quoi que ce soit, hormis adresser une protestation au bureau. Mais la décision ne pouvait être suspendue et Dieu sait ce qu’elle aurait fait subir à Grant avant que nous n’obtenions gain de causec

Il haussa les épaules.

– À condition que le verdict ait été rendu en notre faveur, ce dont je doute. Elle a la loi pour elle, et une telle action aurait entraîné l’annulation de toutes les mesures prises pour ton transfert à Lointaine. Alors j’aic j’ai opté pour la seule possibilité qui me paraissait avoir des chances de réussite. C’est tout ce que je peux dire.

Ils déjeunaient dans la cuisine de l’appartement de Jordan. Paul s’était chargé de leur préparer quelques sandwiches qu’ils avaient à peine entamés.

– Malédiction, grommela son père.

Il s’était jusqu’alors abstenu d’intervenir pour permettre à Justin de lui exposer la situation.

– Bon sang, il fallait m’informer de ce qui se passait. Je t’avais ditc

– Je ne pouvais te joindre. Autrement, tous auraient cru que c’était ton œuvre. Je ne voulais pas laisser de traces.

– Y es-tu parvenu ? Ont-ils des preuves contre toi ?

– Irréfutables, je le crains. Mais c’est un élément de mon plan. C’est pour cela que je suis resté. À présent, Ari me tient et veut m’utiliser contre toi, comme elle comptait se servir de Grant contre moi. Elle n’a plus besoin de lui, désormais.

– Tu peux le dire ! Justinc

– C’est moins grave que tu ne sembles le penser. Je l’ai forcée à abattre son jeu, en restant. Elle a ditc voilà ce qu’elle propose : tu obtiendras ton transfert sitôt l’installation construite, puis j’enverrai Grant te rejoindre et ainsic

– Ainsi, tu resteras à Reseune. À sa merci.

– Et ainsic reprit-il en prenant le temps de choisir ses paroles. Elle sait qu’elle me tient et que tu ne feras rien contre elle jusqu’au jour où ses projets seront trop avancés pour pouvoir être interrompus. Elle estime en outre que les militaires t’empêcheront de parler. C’est ce qu’elle désirait. La voilà comblée. Mais il existe des limites à ce qu’elle peut fairec et nous finirons tous par échapper à son emprise.

Jordan ne dit rien pendant un long, très long moment. Puis il leva son verre, but une gorgée de vin, le reposa.

Le silence s’éternisait.

– Je n’aurais pas dû garder Grant avec nous quand mes rapports avec Ari se sont dégradés, déclara-t-il enfin. Je me doutais de ce qui se passerait. Je le savais, depuis des années. Il ne faut jamais, jamaisaccepter la moindre faveur de la part d’un adversaire.

– Mais il était déjà trop tard, non ?

Cette brusquerie ébranlait ses nerfs, l’amenait au bord des larmes, engendrait en lui une colère privée de cible précise.

– Et je te demande un peu ce que nous aurions pu faire !

– Es-tu certain que tout s’est bien passé, pour lui ?

– Je n’ai pas osé tenter de me renseigner. Mais je pense qu’Ari me l’aurait dit, si elle l’avait repris. J’ai tout prévu. Je lui ai fourni un indicatif téléphonique, et si personne ne répond les Kruger le garderont chez eux.

– Le numéro de Merild ?

Justin hocha la tête.

– Seigneur, soupira Jordan.

Il passa la main dans sa chevelure, et son regard traduisait son désespoir.

– Mon fils, Merild n’est pas de taille à tenir tête à la police.

– Tu m’as toujours dit de m’adresser à lui en cas d’urgencec Et également qu’il était un ami des Kruger. Je sais en outre qu’Ari n’avertira pas les autorités. Elle ne tentera rien, elle l’a précisé. Je pense être le maître de la situation.

– En ce cas, tu pèches par excès de confiance, mon garçon. Nous ignorons où se trouve Grant, la mine des Kruger est peut-être cernée par la police, Merild risque d’être absentc bon Dieu, il exerce sur tout le continent.

–  Je ne pouvais tout de même pas lui téléphoner pour l’avertir.

Le visage de Jordan s’empourpra. Il but à nouveau et le niveau du verre baissa considérablement.

– Merild est avocat. Il a une éthique.

– Et aussi des amis, il me semble ? De nombreux amis.

– Il n’appréciera pas ce que Grant va lui dire.

– C’est pareil que si je lui avais demandé asile, non ?

Justin s’était placé sur la défensive et tentait de couvrir sa retraite.

– Grant n’est pas différent de moi. Merild le sait. Que deviendraient ses grands principes, s’il le livrait à nos ennemis ?

– Il aurait pu se justifier, dans ton cas. Si tu avais eu le bon sens de partir toi aussic

– Grant ne nous appartient pas ! Il est la propriété des labos ! L’accompagner n’aurait pas apporté la moindre légalité à son départ.

– Ton statut de mineur t’aurait permis de bénéficier de circonstances atténuantesc

– Mais Ari n’aurait pas hésité à porter plainte, en nous accusant de Dieu sait quoi. Je me trompe ?

Jordan libéra l’air que contenaient ses poumons et regarda son fils en fronçant les sourcils.

Justin espérait l’entendre dire qu’il se trompait, qu’il existait une solutionc Alors, l’espoir renaîtrait.

Mais son père répondit à voix basse :

– Non.

Ce qui balaya toutes ses espérances.

– La question est donc réglée. Et tu n’auras pas à intervenir tant qu’Ari respectera la parole donnée. Je te le dirai, si elle me cherche des ennuis.

– Comme tu l’as fait cette fois ?

– C’est une promesse. Je te le jure. D’accord ?

Jordan mordit dans son sandwich, pour justifier l’absence de tout commentaire. Le problème n’était pas réglé. Justin le savait. Mais il ne pouvait rien espérer obtenir de plus pour l’instant.

– Tu ne resteras pas ici après mon transfert, déclara Jordan. Je trouverai un moyen.

– Ne lui cède rien.

– Je n’en ai pas l’intention. Mais Ari ne se résignera pas. Il serait préférable que tu le comprennes. Elle reviendra sur cet accord dès qu’elle pourra se le permettre. Grant en est la preuve. Cette femme n’hésiterait pas à trancher quelques gorges, tu m’entends, et je te conseille d’en tenir compte la prochaine fois que tu envisageras de lui lancer un défi. Elle n’accorde pas plus d’importance à ta vie, ou à la mienne, qu’à celle des cobayes de ses labos. Bon Dieu, il suffit de penser à ce pauvre azi de neuf ans dont elle a effacé l’esprit avant de l’envoyer trimer dans une mine, pour la simple raison qu’il ne correspondait pas à ses espoirs et qu’elle avait besoin de place ! Elle ne transmet même pas à mon équipe les cas qui lui posent des problèmesc elle se contente de ne pas réutiliser leur généset. Le mois dernier, elle a ordonné la liquidation de trois azis sains de corps et d’esprit en les passant aux pertes et profits, parce qu’elle n’avait pas de temps à leur consacrer. L’expérience à laquelle ils servaient était terminée et ces pauvres bougres ne lui étaient plus d’aucune utilité. Je ne peux le prouver, faute d’avoir accès à leurs dossiers, mais je le sais. Voilà qui est la femme avec qui tu joues au chat et à la souris. La vie des gens n’a aucune valeur à ses yeux et je plains ses cobayes. Elle a en outre dépassé le stade où elle se préoccupait de l’opinion publiquec voilà ce qu’elle est devenue. Ari est si méfiante qu’elle rédige ses comptes rendus d’expériences de façon que nul autre qu’elle ne puisse les lire. Elle ne doit répondre de ses actes que devant les hautes instances de l’Union, qu’elle manipule à sa guise. Elle se fiche de nos vies et nous garde tous sous son microscopec

Jordan repoussa son assiette et l’étudia un instant avant de relever les yeux.

– Ne va pas t’imaginer qu’elle reculerait devant quoi que ce soit, mon fils. Rien ne pourrait l’arrêter.

Il écoutait, avec attention. Et il entendit à nouveau Ari déclarer qu’il était très facile d’organiser un accident, à Reseune.

7

Il lut 20:30, lorsqu’il sortit de la cabine de douche et glissa sa montre à son poignetc dans un appartement silencieux et vide, déprimant.

Il éprouvait du soulagement à la pensée de ne pas devoir y passer la nuit, à présent que l’autre chambre était inoccupée, un peu comme s’il venait de s’écraser un doigt et se mordait la lèvre afin d’atténuer par comparaison la souffrance. La perte de Grant était la plus pénible de ses épreuves. Les harcèlements d’Ari devenaient en quelque sorte anodins, par rapport à la solitude insoutenable à laquelle il se trouvait condamné.


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