Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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Une sorte de bâtiment administratif se dressait près de l’entrée. Des murs blancs, avec une porte hermétique. Il devait se présenter à l’ad, les bandes le lui avaient appris. Il se suspendit à la poignée puis entra dans un bureau où régnait une vive animation.
Il pouvait poser les coudes sur les comptoirs, depuis peu. Avec difficulté. Il n’était pas aussi grand que d’autres garçons de son âge mais plus que certains. Il attendit que quelqu’un eût n otésa présence.
Une femme vint lui demander ce qu’il voulait.
– Je suis Florian AF-9979, déclara-t-il en présentant le mot. Je suis affecté à l’AG.
Elle le salua de la tête et prit le bout de papier rouge. Il resta sans bouger, en humectant ses lèvres desséchées, pendant qu’elle glissait le mot dans une machine.
– C’est exact, fit-elle. Sais-tu suivre les couleurs ?
– Oui, répondit-il sans la moindre hésitation.
Et il ne posa pas de questions parce qu’elle lui fournirait des explications. On ne devait interroger les grands que si on n’avait pas tout compris, après qu’ils avaient terminé. Ça leur permettait de se concentrer et de ne pas faire d’erreurs. Distraire quelqu’un qui travaillaitc eh bien, c’était très vilain. Il le savait.
Elle s’assit devant un clavier et tapa sur les touches. La machine cracha une carte. Elle la prit et y fixa une pince. Il ouvrait de grands yeux. Il avait compris que c’était une clé : saclé, étant donné qu’elle s’occupait de lui.
Elle revint et se pencha sur le comptoir pour lui montrer ce qui était imprimé sur le bout de plastique. Florian se leva sur la pointe des pieds et se tordit pour qu’ils puissent regarder en même temps.
– Voilà ton nom, et voilà tes couleurs. C’est une clé. Tu l’accroches à ta poche. Quand tu changes de vêtements, tu la gardes sur toi. C’est très important. Et s’il t’arrive de la perdre, viens tout de suite nous le signaler. D’accord ?
– Oui, dit-il.
Tout correspondait à ce que lui avaient appris les bandes.
– Tu as des questions à me poser ?
– Non, merci.
– Il n’y a pas de quoi, Florian.
Une petite courbette. Marcher,ensuite, ressortir et suivre le trottoir, en levant les yeux vers l’angle de l’immeuble où débutaient les couleurs. Mais il pouvait quoi qu’il en soit lire tous les mots écrits sur la carte, et sur le bâtiment.
Marcher.Il ne devait plus courir, à présent. Il travaillait, et c’était important. Son code était bleu, avec du blanc dedans et du vert dans le blanc. Il se dirigea vers la zone bleue, s’y retrouva, et continua jusqu’au blanc dans le bleu. Des carrés imbriqués l’un dans l’autre lui indiquaient le chemin à suivre. De plus en plus passionnant. Il atteignait les enclos. Il vit du vert sur le panneau d’une intersection et prit l’allée gravillonnée pour s’éloigner dans la direction indiquée. Finalement, il aperçut un bâtiment vert et put y lire : AG 899. C’était bien là.
Il voyait une grande bâtisse, juste à côté. Il demanda où était le super à un azi qui lui désigna un gros homme chauve occupé à discuter avec quelqu’un, sur le seuil des grandes portes. Florian alla attendre près de lui qu’il eût fini de parler.
– Florian, dit l’homme rond après avoir regardé la carte. Parfait.
Il l’étudia de la tête aux pieds. Puis il chargea un azi nommé Andy de le prendre avec lui et de lui montrer son travail.
Mais il le connaissait déjà, grâce aux bandes. Il devrait nourrir les poulets, veiller à ce qu’ils aient toujours de l’eau propre, contrôler la température des couveuses et de l’endroit où ils mettaient les petits cochons. Il était conscient de ses responsabilités.
– Tu es très jeune, lui dit Andy. Mais tu sembles avoir compris.
– Oui, dit-il.
C’était pour lui une certitude. Andy lui demanda de lui montrer quelle quantité de nourriture il donnerait aux volailles, ce qu’il devrait marquer sur leur fiche après avoir distribué l’aliment et vérifié la pureté de l’eau, et quelles précautions il convenait de prendre pour ne pas effrayer les poulets qui auraient pu se blesser. Il aimait les voir se regrouper et se déplacer tous ensemble d’un côté et de l’autre, comme une sorte de mer duveteuse. Il y avait aussi les porcelets. Ils criaient et risquaient de renverser un enfant qui se laissait encercler. C’était pour cela qu’il tenait un bâton.
Il exécuta ces tâches avec application et Andy se déclara satisfait. Florian fut très fier de lui, bien plus qu’il ne l’avait jamais été.
Après qu’il eut porté des seaux et changé l’eau des abreuvoirs, Andy l’autorisa à tenter de saisir un porceletc dès l’instant où il était présent et pourrait intervenir. L’animal se débattit, hurla et piétina les pieds de Florian avec ses petits onglons, avant de s’enfuir pendant que l’enfant riait. Andy, qui riait lui aussi, déclara qu’il fallait les tenir d’une certaine façon et promit de lui apprendre comment il convenait de procéder.
Cette sensation était agréable. Le contact de ce corps chaud et bien vivant entre ses bras. Mais il savait que ces animaux étaient destinés à faire des petits et à être mangés, et il devait garder cela à l’esprit pour ne pas les assimiler à des humains.
Il s’épousseta et sortit pour aller reprendre son souffle. Il s’accouda à la barrière d’un enclos situé sur le côté de la grande bâtisse.
Et il y vit une créature dont la beauté lui coupa le souffle. Il resta figé sur place, bouche bée. Il n’osait même pas ciller, de peur qu’elle ne pût en profiter pour disparaître. Son poil était roux comme celui des vaches, mais plus brillant. Un animal très puissant aux pattes démesurées qui ne se déplaçait pas comme les autres bêtes. En fait, il aurait été impossible de dire qu’il marchaitc et il semblait jouer, tout seul.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda Florian en entendant Andy approcher. Ça s’appelle comment ?
– AGCULT-894X. C’est un cheval. Le premier de son espèce, sur ce monde.
2
Ari aimait aller à la garderie. Ils sortaient jouer en plein air tous les après-midi. Elle adorait rester pieds nus et s’asseoir dans le bac à sable pour tracer des routes avec la niveleuse, pendant que Tommy ou Amy ou Sam ou René poussaient les camions et les vidaient. Il leur arrivait de dire qu’il y avait une tempête, et tous les ouvriers miniatures devaient alors se réfugier dans les véhicules. Parfois, un platythère s’aventurait dans les parages et saccageait les routes, ce qui les obligeait à tout recommencer. Sam le leur avait expliqué. Sa mère était ingénieur des ponts et chaussées et lui parlait souvent de ces monstres. Ari avait demandé à maman si c’était vrai et obtenu une réponse affirmative. Elle en avait vu un gros comme le divan du séjour, mais on en trouvait qui étaient énormes, plus à l’ouest. Aussi gros qu’un camion. Le leur était de taille moyenne et très vilain, mais Ari adorait faire le platythère. Pour détruire les routes et les murs il suffisait de le pousser sous le sable, et tout s’effondrait.
Elle le prit et le fit avancer. Le sable recouvrait déjà sa main lorsqu’elle cria :
– Attention ! Il arrive.
Ari en avait assez de voir Amy construire sa maison : un tas de sable haut comme ça, avec des tas de portes et de fenêtres qu’Amy avait creusées avec une cuillère en faisant des simagrées insupportables. Ce n’était pas amusant du tout. Quand Sam avait construit une tour sur le toit, Amy s’était empressée de la raser en lui disant qu’il ferait mieux d’ouvrir une route jusqu’à l’entrée, parce que c’était samaison et qu’elle ne voulait pas de tour sur samaison. Elle avait construit un mur devant et percé une voûte sous laquelle passerait la route de Sam. Et ils devaient se contenter d’attendre pendant qu’elle s’amusait toute seule. Pour toutes ces raisons, il était grand temps qu’un platythère charge le mur d’enceinte et le fasse écrouler.
– Attention !
– Non ! hurla Amy.
Ari passa sous la voûte. Patatras ! Le mur s’écroula. Le sable recouvrit son bras mais elle continua d’avancer, parce que rien ne pouvait stopper l’élan d’un platythère. Même si Amy le saisissait et tentait de le retenir.
Sam lui donna un coup de main pour raser la maison.
Amy cria et poussa Ari. Ari cria et poussa Amy. Phaedra arriva en courant pour leur rappeler qu’il était très vilain de se battre et leur ordonner de rentrer.
Plus tôt que d’habitude.
À cause de cette chipie d’Amy Carnath.
Qui ne revint pas le lendemain. C’était toujours la même chose, quand Ari se battait. Elle le regrettait. Dès qu’ils échangeaient quelques coups Phaedra venait chercher son adversaire, et ensuite elle ne le revoyait qu’à l’occasion des fêtes. Il y avait eu Tommy et Angel et Gerry et Kate, qui étaient partis et ne pouvaient plus jouer avec elle. Lorsqu’elle découvrit qu’Amy avait subi le même sort, Ari bouda et déclara à Phaedra qu’elle voulait la revoir.
– Nous demanderons à sera, répondit l’azie. À condition que tu promettes de ne plus te battre avec elle.
Et Amy revint. Mais elle n’était plus amusante. Et Sam non plus. Chaque fois qu’elle les embêtait, ils la laissaient faire.
Ce n’était pas drôle du tout. Elle décida de leur mener la vie dure. Elle vola les camions de Sam, et quand elle les lui rendit il la foudroya du regard mais ne lui dit pas un seul gros mot. Elle rasa la maison d’Amy avant qu’elle l’eût terminée, et Amy se contenta de bouder.
Elle bouda à son tour.
Sam décida de renverser ses camions et de faire comme s’ils avaient eu un accident. L’idée était excellente et Ari l’aida à dépanner les véhicules. Mais comme Amy continuait de faire la tête dans son coin, elle décida de l’écraser.
– Non, cria Amy en voyant l’engin foncer sur elle. Non !
Ari lui donna un coup de camion. Amy recula. Ari se leva et Amy se leva. Amy la poussa.
Et elle la poussa plus fort, puis lui lança un coup de pied. Amy riposta. Elle fit de même. Telles étaient leurs occupations quand Phaedra la saisit. Amy pleurait, et ce fut en mettant toutes ses forces à contribution qu’Ari lui donna un dernier coup de pied, juste avant d’être tirée à l’intérieur par Phaedra.
Quant à Sam, il s’était contenté du rôle de simple spectateur.
– Amy est un bébé, déclara-t-elle ce soir-là.
Maman venait de lui demander pourquoi elle avait frappé son amie.
– Amy ne reviendra pas. Pas si c’est pour vous battre.
Elle promit de ne jamais recommencer, tout en sachant qu’elle ne tiendrait pas sa promesse.
Amy fut absente pendant deux jours, puis elle revint. Elle boudait et demeurait dans son coin. Ce n’était pas intéressant du tout. Même quand Sam essayait d’être gentil avec elle, Amy restait muette.
Exaspérée, Ari alla vers elle et lui donna beaucoup de coups de pied, pour de bon cette fois. Sam tenta de s’interposer. Phaedra la saisit par le bras, l’accusa d’être méchante, et lui ordonna de s’asseoir et de jouer toute seule.
Ce qu’elle fit. Elle prit la niveleuse et traça des routes, aux courbes accentuées par des mouvements de colère. Sam vint y faire rouler un camion, mais Ari se sentait toujours humiliée. Amy restait assise dans son coinc et elle pleurnichait, comme disait maman. Amy nejouerait plus. Ari sentit sa gorge se serrer et eut des difficultés à avaler sa salive, mais elle ne pleurerait pas car elle n’était plus un bébé. En outre, elle ne supportait plus les jérémiades d’Amy. Ça l’empêchait de s’amuser. Sam était triste, lui aussi.
Ensuite, elle ne revit Amy que rarement. Et lorsqu’il lui arrivait de venir, elle restait assise à l’écart. Ari en profita pour la frapper dans le dos.
Cette fois, ce fut Amy que Phaedra prit par la main et emmena à l’intérieur.
Ari retourna s’asseoir près de Sam. Valery ne venait plus jamais. Pete non plus. Ceux avec qui elle aimait le plus jouer. Il ne lui restait que Sam, et Sam n’était que Sam : un gosse à la figure toute ronde et inexpressive. Oh ! elle n’avait rien à lui reprocher mais il ne parlait presque jamais, sauf pour raconter ce qu’il savait sur les platythères et les camions. Elle le trouvait sympathique, en fait. Mais elle avait perdu tous les autres. Elle avait entendu dire que les meilleurs partaient les premiers.
Ce n’était pas Amy qu’elle regrettait, mais Valery. Sa maman avait été transférée et il s’était vu contraint de partir avec elle. Ari lui avait demandé s’il passerait la voir, mais malgré sa réponse positive maman disait qu’ils habitaient désormais bien trop loin. Il était évident qu’il ne reviendrait jamais. Ari lui en voulait de l’avoir abandonnée, mais elle savait que ce n’était pas sa faute. Il lui avait même donné son vaisseau spatial avec la lumière rouge, ce qui prouvait à quel point il était ennuyé. Maman avait exigé qu’elle lui rende ce jouet. Ari lavait fait, juste avant de dire adieu aux Schwartz.
Elle n’en comprenait pas la raison mais Valery pleurait, et elle aussi. Sera Schwartz lui avait dit qu’elle était très gentille et qu’elle lui manquerait, mais Ari avait compris que cette dame était irritée contre elle.
Maman l’avait ramenée à la maison et elle s’était endormie en pleurant. Maman semblait en colère, elle aussi. Ça se voyait à la façon dont elle lui avait ordonné d’arrêter de pleurnicher. Mais elle ne le pouvait pas et maman semblait bouleversée, tout le monde paraissait tenduc tendu : le seul mot qui lui venait à l’esprit. Elle avait conscience de faire de la peine à maman.
Il lui arrivait d’avoir peur. Sans pouvoir dire pourquoi.
Elle était triste à cause du départ d’Amy et elle essayait de se montrer très gentille avec Sam. Et avec Tommy, quand il venait. Mais elle savait que si Amy était revenue elle lui aurait encore tapé dessus.
Elle eût aussi donné des coups à Sam et à Tommy, si elle n’avait pas su qu’elle se retrouverait alors sans personne avec qui jouer. Phaedra lui disait de se tenir tranquille, parce que les compagnons de jeu devenaient rares.
3
– Nous y sommes, dit l’instructeur.
– Oui, ser, répondit Catlin.
Elle était à la fois inquiète et impatiente. Elle avait entendu les grands parler de la Pièce. Elle savait ce qui l’attendait : ils couperaient et remettraient la lumière, feraient couler de l’eau sur le sol. Mais il fallait toujours exécuter les ordres de l’instructeur. Et il lui avait dit de traverser le tunnel, le plus vite possible.
– Es-tu prête ?
– Oui, ser.
Il poussa la porte, sur un réduit minuscule où il y avait une deuxième porte. Celle qu’elle venait de franchir se referma et tout fut plongé dans l’obscurité.
L’autre s’ouvrit et un courant d’air glacé et humide vint cingler son visage. Les moindres bruits résonnaient, là-dedans.
Elle se déplaça, sans savoir où était le tunnel. Peut-être s’y était-elle déjà engagée.
– Halte ! hurla une voix.
Un point rouge lumineux sur le mur, un bruit sec.
On avait tiré sur elle. Elle le savait. Son corps fit le nécessaire. Elle plongea et roula sur le sol, pour se mettre à couvert, mais le plancher se déroba sous elle et elle poursuivit sa descente, à l’intérieur d’un tube et splash ! dans de l’eau froide.
Elle battit des bras et se releva. L’eau lui arrivait aux genoux. Ne jamais se croire en sécurité. Quand on vous tirait dessus, il fallait courir et s’abriter.
Mais l’instructeur lui avait dit : Traverse. Le plus vite possible.
Elle repartit, le plus vite possible, pour être arrêtée par un mur. Elle le suivit. Le sol montait. Il était sec et réverbérait ses pas. Les bruits signalaient sa présence et son teint et ses cheveux clairs la rendaient facile à repérer dans le noir. Elle hésitait entre la rapidité et la discrétion, mais vitesignifiait viteet c’était un ordre de l’instructeur.
Elle courait avec souplesse. Elle se guidait dans le noir en laissant une main glisser le long de la paroi et tendait l’autre devant elle afin de ne pas percuter un nouvel obstacle.
Le passage tournait. Elle gravit une pente, redescendit, se retrouva sur une dalle de béton, toujours dans l’obscurité.
Là ! Quelque chose !L’Embusqué la saisit au même instant.
Elle lui donna un coup de coude, se contorsionna. Les doigts de l’Ennemi ne se refermèrent que sur du tissu et elle se dégagea d’une secousse. Vite, vite, le plus vite possible, le cœur battant.
Le tunnel changeait à nouveau de direction et elle heurta la paroi, bang ! Bien qu’à moitié assommée, elle se releva et repartit, toujours plus loinc
Un rectangle d’une blancheur aveuglante apparut devant elle.
Son instinct l’incita à plonger et elle se retrouva sur le sol de la petite pièce, avec un goût de sang dans la bouche, une lèvre entaillée et le nez ensanglanté.
Dans son dos, la porte claqua. L’autre s’entrebâilla, sur un homme qui n’était pas son instructeur. Il portait l’uniforme brun de l’Ennemi et tenait un pistolet.
Elle tenta de lui donner un coup de pied mais il l’Eut. Elle entendit le bourdonnement de son arme.
Pendant qu’elle se relevait, rouge de colère et de honte, le battant se referma et se rouvrit.
Sur son instructeur, cette fois.
– L’Ennemi n’est jamais loyal, lui dit-il. Allons voir comment tu t’en es tirée.
Catlin s’essuya le nez. Elle avait mal partout et se sentait toujours aussi irritée et gênée, mais elle avait traversé. Elle regrettait seulement de ne pas être arrivée à Avoir l’Ennemi, à la fin. Mais c’était un grand. Une autre chose déloyale. Et son nez saignait toujours.
L’instructeur lui donna un linge humide et lui dit de l’appliquer sur son cou, avant d’ajouter que le med examinerait son nez et sa bouche. Puis il mit en marche son scripteur et lui demanda de raconter ce qu’elle avait fait, tout en précisant que peu de six ans réussissaient à traverser le tunnel d’un bout à l’autre.
– Tu es très forte.
Et elle se sentit bien mieux, soulagée. Mais elle n’oublierait jamais l’Ennemi qui l’avait Eue à la fin. Ils vous attendaient au tournant, même quand tout était terminé. Et elle n’aimait pas du tout se faire Avoir. Elle avait même cela en horreur, car elle savait qu’une fois grand on en mourait. Elle savait ce qu’était la mort. Les six ans devaient descendre à l’abattoir, pour voir tuer un porc. C’était vite fait, et le cochon cessait d’être un cochon. Ils le hissaient en l’air et le découpaient en monceaux. C’était ça, la mort : on s’arrêtait de fonctionner et ensuite on n’était plus que de la viande. Il n’y avait pas de prochaine fois, et c’était pour ça qu’il fallait Avoir l’Ennemi le premier.
Si Catlin était très forte, l’Ennemi ne se montrait pas loyal : une révélation effrayante. Elle se mit à trembler. L’instructeur le remarqua et lui répéta que le med allait l’examiner.
– Oui, ser, fit-elle.
Le linge était tout rouge, comme les bulles qui sortaient toujours de son nez. Elle s’éloigna en le tamponnant. Ses jambes vacillaient mais elle marchait droit.
Le med lui apprit que son nez n’avait pas été cassé et qu’elle ne devait pas s’inquiéter parce qu’une de ses dents bougeait : ça s’arrangerait tout seul.
L’instructeur lui annonça qu’il l’inscrivait aux leçons de tir et précisa que son génotype ferait d’elle une des meilleures. Il ajouta qu’il s’était attendu à la voir réaliser un bon score dans la Pièce, comme tous les azis de sa série, et lui rappela qu’il était toujours possible d’améliorer les résultats d’un génotype et que c’était le but qu’elle devait se fixer ; ce que tous les azis avaient pour devoir d’essayer de surpasser. Même si elle n’avait jamais vu un seul autre AC-7892.
Elle obtint une note excellente, pour cet exercice. Elle ne pourrait cependant s’en vanter. C’était interdit. Il lui serait également impossible de parler du tunnel. L’instructeur venait de le lui préciser. Et c’était une Règle.
Une seule chose l’ennuyait : s’être laissé Avoir par le dernier Ennemi. L’instructeur lui déclara qu’elle n’aurait pu s’en tirer. Elle était trop petite et n’avait pas d’arme. Plonger dans la pièce n’avait pas été une erreur, bien qu’elle se fût trouvée sur le sol lors de l’ouverture de la porte.
– J’aurais pu passer devant lui et m’enfuir en courant.
– Pour te faire Avoir dans le dos pendant que tu courais dans le couloir ?
Elle n’y avait pas pensé et y réfléchit, longuement.
4
– Arrête la vid.
Le concierge s’exécuta. Justin était assis sur le divan du séjour, en peignoir de bain. Grant vint le rejoindre. Il portait une tenue identique et se séchait les cheveux avec une serviette de toilette.
– Quoi de neuf, ce soir ? demanda-t-il.
Justin éprouva une étrange sensation.
– C’est l’effervescence, à Novgorod. À cause d’une découverte qu’ils viennent de faire dans le système de Géhenne.
– C’est où, ça ?
C’était la première fois qu’il entendait parler de cette étoile. Il cilla s’asseoir de l’autre côté de la fosse du salon.
– Dans la zone de l’Alliance. Au-delà de Viking.
Le journaliste n’avait pas fourni d’autres précisions.
– Il y a une planète, là-bas. Habitée par des humains. Et tout laisse supposer que l’Union l’a colonisée en secret il y a une soixantaine d’années.
– Seigneur !
– L’ambassadeur de l’Alliance a déposé une protestation officielle. Le Conseil a réuni une cellule de crise. Nous avons violé le Traité. Une bonne douzaine de clauses.
– Une colonie de quelle importance ?
– Ils l’ignorent. Ils ne l’ont pas dit, tout au moins.
– Et personne n’était au courant ?Une sorte de base de la Défense, je présume ?
– Ça se pourrait. Ça se pourrait bien. Mais ce n’est plus le cas. Ce monde serait redevenu primitif.
L’azi siffla.
– Une planète habitable ?
– Ça me paraît évident. Je ne pense pas que des hommes pourraient vivre sur un bloc de roche nue. D’après le commentateur, ce serait un projet top secret datant de la période des hostilités.
Grant ne répondit rien. Il était pensif.
La guerre remontait à la génération précédente et nul ne souhaitait que tout pût recommencer, mais la menace n’avait pas disparu pour autant. Les marchands de l’Alliance ne restaient pas inactifs. En explorant le secteur opposé de l’espace, Sol avait fait une rencontrec dangereuse. Avec une espèce extraterrestre isolationniste à la culture complexe. Sur le plan politique, Sol essayait de se rapprocher de l’Union pour ne pas tomber sous la coupe de l’Alliance et dépendre des vaisseaux des marchands, sans pousser pour autant ces derniers à se prévaloir des avantages que leur accordait le Traité de Pell ou provoquer un conflit d’intérêts entre les deux blocs politiques. La situation était délicate, mais la tension avait décru.
Une génération avait cru que ces problèmes se résoudraient d’eux-mêmes.
Mais de nombreux missiles tirés un siècle plus tôt par les vaisseaux de guerre représentaient toujours un danger pour la navigation. Parfois, le passé resurgissait avec un désir de vengeance.
Et des animosités ancestrales remontaient à la surface tels des spectres, pour troubler la tranquillité d’esprit d’une espèce qui se savait à présent concurrencée dans sa colonisation de l’espace.
– À les entendre, il n’y pas que trois ou quatre survivants, déclara-t-il à Grant. Ils ont parlé d’une « colonie illégale » et reconnu que nous sommes ses fondateurs.
– Existe-t-elle toujours ? Sous une forme organisée ?
– Ils n’ont pas été très explicites à ce sujet.
Un autre silence. Grant se souvint qu’il devait se sécher les cheveux, s’il ne voulait pas qu’ils restent en bataille.
– Un foutu merdier, commenta-t-il. Ont-ils précisé s’ils les ont récupérés, ou s’ils comptent le faire ? Quelles sont leurs intentions ?
– Ils hésitent sur la conduite à tenir.
– Eh bien, nous avons malgré tout une certitude. Nous savons où Giraud passera la semaine prochaine.
5
Ari n’aimait pas les bureaux. Assise à une table, au fond de la salle, elle s’occupait en observant les allées et venues et en faisant des découpages dont elle découvrait les motifs symétriques lorsqu’elle les dépliait. Elle prit une feuille vierge et y dessina un poisson à la queue démesurée.
Finalement, elle se leva et sortit en catimini pendant que Kyle regardait ailleurs et que maman s’attardait dans l’autre pièce. Tout semblait indiquer qu’elle en aurait encore pour longtemps.
Ari en déduisait que maman ne pourrait pas se mettre en colère si elle allait se promener dans le couloir. Il n’y avait que des bureaux, ici. Pas de magasins, pas de jouets, pas de vid : rien pour s’occuper. Elle aimait bien rester assise et dessiner, mais elle préférait que ce soit dans le bureau de maman parce qu’il avait une fenêtre et qu’elle pouvait regarder à l’extérieur.
Ici, elle ne voyait que des portes, de toutes parts. Elle décida de marcher en équilibre sur une des bandes métalliques encastrées dans le sol. Elle la suivit, et jeta des coups d’œil au passage dans les pièces latérales.
Ce fut ainsi qu’elle vit Justin.
Il était assis devant un clavier et un écran, absorbé par son travail.
Elle s’immobilisa sur le seuil et attendit qu’il eût remarqué sa présence.
Il lui semblait très différent des autres. Elle gardait de lui un vague souvenir, dans une salle où tout scintillait. Il avait été accompagné par Grant. Elle ne le voyait presque jamais et quand elle demandait à maman pourquoi les gens semblaient mal à l’aise en sa présence, elle s’entendait répondre que c’était un fruit de son imagination.
Mais Ari avait la certitude de ne pas se tromper. Il paraissait soucieux, apeuré. Elle savait qu’elle n’aurait pas dû l’ennuyer, mais ça ne pouvait pas être interdit puisqu’elle suivait un couloir où tout le monde avait le droit de se promener. En outre, elle n’avait pas l’intention d’entrer. Elle resterait sur le seuil.
Elle changea de position, et il la vit.
– Bonjour, lui dit-elle.
Et elle perçut une onde de peur. La frayeur de Justin, qui cessait de fixer l’écran. Et la sienne, due à la prise de conscience que maman se mettrait en colère.
– Bonjour.
Il était nerveux. Comme toujours, en sa présence. Sa nervosité ne l’abandonnait jamais, et elle empirait quand Ari approchait de lui. C’était une énigme qu’elle ne pouvait élucider, et comme maman esquivait toutes ses questions sur Justin il était évident qu’elle n’aimait pas en entendre parler. Ollie non plus. Ils invitaient Justin pour les grandes fêtes et elle le voyait à l’autre bout de la pièce, mais maman venait la prendre par la main dès qu’elle voulait aller lui dire bonjour. Cela semblait indiquer que personne n’aimait Justin, parce qu’il avait fait de vilaines choses ou qu’il n’était pas tout à fait normal et qu’on craignait qu’il pût mal se conduire. Ça arrivait parfois à des azis. Et à certains CIT. Maman le disait. Elle ajoutait qu’il était plus difficile de réadapter un CIT que de déstabiliser un azi. Alors, elle ne devait pas les embêter. Sauf Ollie, qui n’en était plus à ça près.
Justin ressemblait beaucoup à un azi, mais elle savait qu’il n’en était pas un. Justin était Justin. Et s’il se conduisait de façon un peu bizarre avec elle il n’était pas le seul à ne pas aimer les enfants.
– Maman est là-bas, avec ser Peterson, lui expliqua-t-elle.
À la fois pour alimenter la conversation et l’informer qu’elle avait d’excellentes raisons d’être ici. Elle découvrait l’endroit où il travaillait : une pièce minuscule, avec des papiers partout. Elle se pencha un peu trop et dut se retenir à la porte. Idiote, eût dit maman. Debout. Redresse-toi. Ne sois pas empotée comme ça. Mais Justin n’était pas bavard.
– Où est Grant ?
– En bas, à la bibliothèque.
– J’ai six ans.
– Je sais.
– Comment ?
Il parut mal à l’aise.
– Votre maman va s’inquiéter de votre absence, Ari.
– Elle est en réunion. J’en avais assez de l’attendre.
Il allait l’ignorer, se remettre à taper sur son clavier. Elle ne lui permettrait pas de lui tourner le dos. Elle entra, se hissa dans le fauteuil placé à côté du bureau, se pencha sur le bras du siège et leva les yeux sur Justin.
– Ollie, il est toujours occupé.
– Moi aussi. J’ai à faire, Ari. Il faut me laisser.
– Qu’est-ce que vous faites ?
– Mon travail.
Elle comprenait qu’il voulait la chasser, mais rien ne l’obligeait à lui obéir. Elle s’allongea dans le fauteuil et se renfrogna, avant de tenter une nouvelle approche.
– J’ai commencé mon programme de bandétudes. Je sais lire ce qui est écrit là-dessus. Matc
Elle inclina la tête, parce que le deuxième mot était très long.
– Ma-tricec sub-li-mi-nale.
Il éteignit l’écran et se tourna vers elle, l’expression menaçante.
Elle eut peur d’avoir été trop loin et se reprocha de s’être ainsi couchée sur ses coudes. Mais elle n’aimait pas du tout battre en retraite. Elle eut une moue.
– Il faut retourner auprès de votre maman, Ari. Elle va vous chercher.
– Je ne veux pas. Qu’est-ce que c’est, une matrice subliminale ?
– Un groupe de choses. Une disposition particulière pour un ensemble.
Il repoussa son siège et se leva. Elle l’imita et recula.
– J’ai un rendez-vous et je dois fermer le bureau. Vous devriez aller rejoindre votre mère.
– Non.
Il était très grand. Aussi grand qu’Ollie, mais bien moins patient. Il la chassait. Elle ne bougea pas d’un pouce.
– Allez, ouste ! dit-il.
Il s’était placé sur le pas de la porte et lui désignait le couloir.
Elle sortit. Il la suivit et ferma son bureau à clé. Elle l’attendit. Elle avait tout prévu. Lorsqu’il s’éloigna, elle lui emboîta le pas. Il s’arrêta et tendit le doigt vers l’autre extrémité du passage, du côté où était maman.
– Là-bas.
Elle lui adressa un sourire malicieux.
– Vous ne pouvez pas m’y obliger.
Il paraissait angoissé, mais elle lut de la tristesse dans ses yeux quand il les baissa sur elle.
– Ce n’est pas gentil, Ari.
– Je n’ai pas à être gentille avec vous.
– Je vous aimerais beaucoup plus, si vous l’étiez.
Ces mots lui firent de la peine. Elle l’étudia pour voir s’il voulait être méchant avec elle, mais on aurait pu croire que c’était ellequi venait de le blesser.
Elle ne pouvait jamais le comprendre.
– Je peux vous accompagner ? demanda-t-elle.
– Votre maman ne serait pas d’accord.
Il avait un air très gentil, quand il lui parlait comme ça.
– Allez la retrouver.
– Je ne veux pas. Ils passent leur temps à discuter. J’en ai assez de les écouter.
– Je dois rejoindre mon équipe, Ari. Je suis désolé.
– C’est pas vrai.
Elle savait qu’il mentait. À son arrivée, il n’avait pas eu l’intention de s’absenter de son bureau.
– Je le dois. Retournez d’où vous venez.
Elle ne bougea pas. Mais il s’éloigna dans le couloir comme s’il voulait vraiment partir.
Elle désirait le suivre, elle eût aimé qu’il fût gentil avec elle. Elle s’ennuyait et était triste, et lorsqu’elle le voyait elle se rappelait tous ces gens couverts de paillettes qui riaient. Mais elle ne se rappelait plus quand ça s’était passé.