Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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– Mais c’est James Carnath. Un scientifique, comme maman. Il était très brillant, tu sais ? Tu lui dois la moitié de ton intelligence. Celui qui va passer sous réjuv et veut avoir plus tard un bébé dépose son généset à la banque, afin de l’avoir à sa disposition quand il lui sera impossible d’en faire un. C’est ainsi que tu as pu venir au monde bien après la mort de ton papa. Tu as attendu des années dans la génébanque que maman se sente prête à s’occuper de toi.
– Je regrette que tu ne te sois pas décidée plus vite. Comme ça, j’aurais eu une maman moins vieille.
Maman pleura.
Et Ari aussi, parce que maman était malheureuse. Mais maman l’embrassa et lui dit qu’elle l’aimait, ce qui lui permit d’estimer que l’incident était sans gravité.
Elle y réfléchit un long moment. Elle avait toujours cru être sortie du ventre de maman, mais le fait de s’être développée dans une cuve ne changeait rien du tout. Elle n’en était pas une azie pour autant. Maman y avait veillé.
Avoir vu le jour au même endroit qu’Ollie lui faisait même plaisir. Cette pensée l’emplissait de satisfaction. Même si elle ne s’intéressait pas du tout à James Carnath, que cet homme eût été son père faisait d’elle une Carnath.Beurk. Comme Amy.
Il lui vint à l’esprit que le bébé Ollie devait avoir été très brun et très joli, bien plus qu’Auguste.
Elle décida que quand elle serait grande et vieille comme maman elle aurait elle aussi un Ollie. Ainsi qu’une Nelly.
Mais pas une Phaedra, qu’elle trouvait bien trop autoritaire.
D’ailleurs, les gens qui ne voulaient pas d’azis n’étaient pas obligés d’en avoir. Pour qu’ils viennent au monde, il fallait qu’on les ait commandés.
Et elle ne commanderait pas de Phaedra, qui s’empressait d’aller raconter ses moindres faits et gestes. Non, elle choisirait Auguste à la place, quand il serait grand. Et il resterait dans l’entrée et lui dirait bonsoir, sera ;comme le garde lorsqu’il s’adressait à maman.
Elle aurait aussi un Grant. Rouquin, lui aussi. Elle l’habillerait de noir, à la mode azie, et il serait très élégant. Elle ne savait pas encore à quoi il pourrait lui servir, mais elle commanderait un azi roux.
Elle serait riche, comme maman.
Et très belle.
Et elle prendrait l’avion pour aller en ville et acheter des montagnes de jolies toilettes et de bijoux, toujours comme maman. Et pour le Nouvel An tous seraient un peu envieux en les voyant.
Elle retrouverait Valery et lui dirait de revenir à Reseune. À sera Schwartz aussi.
Et ils seraient tous très heureux.
Audiotexte extrait de :
Formes de croissance
Bandétude de génétique n‹1
« Entretien avec Ari Emory »
2 epartie
Publications Éducatives de Reseune :
8970-8768-1 approuvé pour 80 +
Q : Il nous reste le temps d’aborder quelques autres sujets, docteur Emory. Si cela ne vous ennuie pas, bien sûr.
R : Allez-y.
Q : Vous faites partie des Spéciaux. Certains vous assimilent aux plus grands génies de tous les temps, tels que Vinci, Einstein et Bok. Que pensez-vous de cette comparaison ?
R : J’aimerais avoir pu les rencontrer. L’entrevue aurait été pleine d’intérêt. Cette question me permet de déduire la suivante.
Q : Oh ?
R : Posez-la.
Q : Comment vous situez-vous par rapport aux gens « normaux » ?
R : Mmmm. J’avoue que je ne m’y attendais pas. Les gens ordinaires, dites-vous ? Eh bien, je ne suis pas certaine de le savoir. Je mène une vie de recluse. Ceux qui conduisent un camion dans l’arrière-pays ou pilotent un vaisseau dans le vide de l’espace m’inspirent un profond respect, au même titre que les citadins qui osent s’aventurer dans le métro de Novgorod.(Rire.) Je présume que je devrais en être capable, mais je n’ai jamais essayé. L’existence est complexe. J’ignore s’il me serait plus difficile de faire ces choses qui m’intimident que de concevoir un génotype possédant les qualités requises pour les effectuer.
Q : C’est un point de vue très intéressant, mais placez-vous sur le même plan le fait de conduire un engin de chantier et celui de procéder à des recherches telles que les vôtres ? Un camionneur mériterait-il d’avoir le même statut que vous ? Pourquoi êtes-vous si importante ?
R : Parce que mes capacités sont uniques et que je suis la seule à pouvoir réaliser ce que je fais. Voilà ce qui permet de définir un Spécial.
Q : Qu’éprouve-t-on, lorsqu’on a un tel statut ?
A : C’est la question à laquelle je croyais devoir répondre tout à l’heure. Je peux seulement vous dire que c’est comparable à occuper un poste de conseillère, ou toute autre position de responsabilité. Une absence totale d’intimité, une existence réglée en fonction d’impératifs de sécurité draconiens, trop d’attention de la part des médias.
Q : Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par là ?
R :(Rire.) Un journaliste m’a autrefois demandé d’établir un menu composé de mes plats préférés ; un autre si je croyais en la réincarnation. De telles questions ont-elles un sens ? Je suis une psychochirurgienne et une généticienne, doublée à l’occasion d’une philosophe. C’est pour cela que la deuxième demande est à mes yeux moins absurde que la première, mais de tels détails peuvent-ils intéresser le public ? Plus que mes travaux scientifiques, me direz-vous. Non. Ce que cherchent les médias, c’est à établir un certain rapport entre mon psych et celui du téléspectateur moyenc ce personnage qui est à la fois un mythe et une réalité. Les thèmes abordés sont ennuyeux, mais c’est secondaire. Ce qui nous conduit à la question suivante.
Q : Vous me déconcertez.
R : Posez-la, et je vous dirai si j’ai vu juste.
Q : Entendu. Je pense que le moment est venu de vous demander ce que vous êtes la seule à savoir.
R : Oh ! je préfère ça. Ce que je sais et que les autres ignorent ? Voilà une excellente question, et vous êtes le premier à me la poser. Savez-vous ce que vos collègues me demandent ? Ce qu’éprouve une femme telle que moi. J’y répondrai d’ailleurs en peu de mots : la même chose que tout autre individu isolé, différent, et capable d’analyser les raisons de cet isolement et de cette différence.
Mais pour en revenir à ce que je saisc J’ai conscience d’avoir moins d’importance que mon travail. Voilà ce que n’a pu apprendre le journaliste qui s’intéressait à mes préférences culinaires. Savoir quels sont mes vins préférés n’intéresse que ceux qui, comme moi, souhaitent connaître ma biochimie. Il n’existe pas le moindre rapport entre un article sur les célébrités et la bonne chère. Si votre confrère établissait un lien de cause à effet entre certains fromages et le génie, cela me passionnerait et ce serait moi qui irais l’interviewer.
Je suis heureuse que mon entourage me protège des simples curieux. L’État me distingue du peuple pris dans son ensemble, parce qu’il sait que je suis une monomaniaque et qu’en m’offrant la possibilité de travailler sans contraintes je mènerai à bien ce que j’entreprends. Il y a en moi une dimension émotionnelle que vos confrères ont vainement tenté de mettre à nu. Disons qu’il s’agit d’un sens de l’esthétique qui se rapporte à ce que je sais : ce qu’un Spécial du passé appelait la recherche de la Beautéc Je pense d’ailleurs que cela s’applique à tous, à des niveaux différents. Ce sage la plaçait sur un pied d’égalité avec la Vérité. Je qualifierais cela d’Équilibre, en l’assimilant à la Symétrie. Telle est la nature profonde d’un Spécial, le but véritable de sa quête : son esprit jongle avec des concepts abstraits à même de transcender les limites de l’expression orale. Il dispose d’une vision à la fois rapprochée et globale, dont le champ embrasse trop de choses pour que le langage permette de les décrire, parce qu’il est commun à toute notre espèce. Et que le Mot – le Mot avec un M majuscule – qu’un Spécial appréhende dans son sens fondamental se situe à l’extérieur du vécu de tout autre individu. Il le qualifie de Beauté, de Vérité, d’Équilibre ou de Symétrie. Il lui arrive de s’exprimer grâce au langage malléable des mathématiques ou, quand la discipline ne s’y prête pas, il donne une signification particulière à des termes connus et tente de traduire sa pensée grâce au contenu sémantique qu’ils ont acquis au fil des siècles. Mon langage est à la fois mathématique, biochimique et sémantique : j’étudie la biochimie des êtres humains, qui réagissent de façon prévisible aux stimuli reçus par des récepteurs à la sensibilité prédéterminéec le hardware, dont les microprocesseurs ont un seuil de déclenchement établi par un système biochimique autoprogrammable qui assemble des logiciels adaptés pour recevoir des informations d’un autre être humain avec une spécificité qui n’est limitée que par les capacités de l’ordinateur biologique, des programmes, et du langage qui lui est propre. Nous laisserons de côté le hardware et les logiciels de l’interlocuteur, de même que l’ensemble complexe du milieu culturel et la possibilité de concevoir des mathématiques applicables aux systèmes sociaux. Je ne travaille pas au même niveau que les statisticiens et les démographes. J’avoue laisser à mes assistants le soin de s’occuper des microstructures et consacrer plus de temps à méditer qu’à effectuer des expériences dans un laboratoire. Je ne puis décrire l’ordre qui règne dans mes pensées que comme un état de simplicité. D’extrême simplicité. Des rapports s’établissent entre des éléments qui pourraient à première vue paraître sans aucun lien. Réordonner tout cela procure une sensation agréable qui entraîne l’esprit dans des dimensions non associées aux sens. Accorder de l’importance aux choses de la vie quotidienne devient alors de plus en plus problématique et c’est pourquoi je dois parfois obtenir la confirmation que mon corps a des besoins, d’éprouver des émotions fortesc sous peine de finir par douter d’exister. Et je suis un être de chair et de sang.
Un jour, je prononcerai un Mot qui concernera l’humanité tout entière. J’ignore si d’autres que moi pourront en assimiler le sens, mais je l’espère. Car si je réussis à transmettre un tel message, mon successeur réalisera une chose que je ne puis voir qu’imparfaitement : en un sens, je la discerne déjà, car se projeter aussi loin dans le temps est un accomplissement. Mais la chair doit se reposer des visions. Même prolongées par la réjuv, nos vies sont brèves. J’exprime la Vérité. Quelqu’un comprendra un jour le contenu de mes notes.
On m’y retrouve, parlant un langage que même un de mes pairs ne pourrait assimiler : car nous avons de la Beauté un concept différent et il suit sa propre voie. Un croyant dirait que nous voyons la même chose. Ou tout au moins que le but de nos quêtes est identique. Je n’ai aucune certitude. Pour répondre à un autre Spécial du passé, je nous comparerais aux dés de Dieu.
Je vous ai dit plus de choses qu’à tout autre journaliste, car vous êtes le seul à m’avoir posé des questions dignes d’intérêt. Je regrette de ne pas pouvoir vous fournir des réponses plus claires. De nos jours, la plupart des citoyens comprennent Platon et Einstein, mais Bok laisse toujours perplexes de nombreux scientifiques. Dans quelques siècles, tous sauront ce que je sais à présent. Cependant, au niveau du macrocosme, l’humanité fait preuve d’une grande sagesse. Prise dans son ensemble, elle est aussi visionnaire que n’importe quel Spécial. Elle m’apporte la liberté, et je démontre le bien-fondé de son jugement.
Q : Vous ne pouvez interpréter ce que vous voyez.
R : Je le ferais, si j’en étais capable. S’il existait des mots pour décrire ce que je vois, je ne serais pas ce que je suis.
Q : Vous avez consacré des décennies à faire de la politique. N’est-ce pas gaspiller votre temps précieux ? N’aurait-il pas été plus judicieux de laisser de telles activités à d’autres que vous ?
R : Je trouve votre question très pertinente. Non. Pas à cette époque. Pas en ce lieu. L’Union doit prendre des décisions importantes. Les événements des cinquante dernières années nous en apportent la preuve. Il m’est en outre nécessaire de rester en contact avec la réalité. Cela m’est bénéfiquec sur le plan de l’esprit, pourrait-on dire. De telles activités permettent à mes systèmes biochimiques de conserver un juste équilibre. Il n’est pas bon de laisser se multiplier les abstractions sans exercer un contrôle simultané sur ses perceptions. En termes plus simples, c’est à la fois un remède contre l’isolement intellectuel et un service que je rends à mon entourage. Celui qui se consacre aux mathématiques pures est sans doute moins bien informé que le plus jeune des conseillers sur les futurs marchés interstellaires et les tenants et aboutissants d’un système de protection médical applicable aux négociants établis dans les stations de l’Union. Mes obligations politiques m’imposent de me tenir au fait de ces choses et m’évitent de me couper de notre société. Notre mode de gouvernement ne suscite pas une approbation unanime et nombreux sont ceux qui lui reprochent de faire perdre du temps à des spécialistes. Mais si les experts ne pouvaient donner leur avis, à quoi serviraient-ils ? Il est exact que des théoriciens sont dans l’incapacité de porter un jugement sur ce qui n’appartient pas à leur champ d’activité. Mais d’autres le peuvent, et doivent le faire. Nous avons parfois des opinions divergentes. Il arrive que certains d’entre nous ne puissent comprendre ce qui relève d’autres domaines que les leurs. Presque toujours parce qu’il est impossible de concilier la théorie et la pratique. C’est pourquoi il est indispensable de faire appel à des experts. Posséder une connaissance pluridisciplinaire est une nécessité absolue, tant dans le cadre des réunions du Conseil qu’en privé, pour assurer la viabilité de cette société unique en son genre qu’est l’Union.
C’est un des aspects de la simplicité qu’il m’est sans doute le plus facile d’expliquer : tous les humains ont des intérêts communs, moi incluse, et la politique n’est en fait que l’expression sur le plan pratique des mathématiques sociales.
Chapitre VI
1
– Cette sonnette doit tinter une fois si on presse le bouton de gauche et deux fois si c’est celui de droite, lui expliqua le super.
Florian l’écoutait avec attention et le savoir inculqué par les bandes s’imbriquait au fur et à mesure dans les données du problème. Jusque-là, le câblage serait facile à réaliser.
– Maisc
Les difficultés allaient débuter, il le savait.
– Elle ne doit pas sonner si on presse d’abord le bouton de gauche, ou deux fois celui de droite sans presser ensuite le gauche. Le temps qui te sera nécessaire entrera en ligne de compte, pour la note. La qualité de la réalisation aussi. Tu peux commencer.
Tous les composants et les outils étaient posés sur l’établi. Florian prit ce dont il savait avoir besoin. Ce fut facile.
Il dut ensuite étudier un appareil réalisé par un autre élève, en suivre les circuits et expliquer quelle était son utilité.
Il était très habile de ses doigts. Il pourrait terminer dans les temps. Sans difficulté. Ce qui s’annonçait ensuite était plus délicat. Le dernier exercice consistait à préparer le travail d’un de ses camarades. Il disposait d’un quart d’heure.
Il expliqua son projet à l’instructeur.
– Montre-moi comment tu obtiens ce résultat, répondit ce dernier.
Et il réalisa le montage.
L’homme grimaça, hocha la tête, et déclara :
– Florian, tu vas reprendre cette bande.
Il en fut profondément déçu.
– Je suis désolé. Ça ne marchera pas ?
– Bien sûr que si, fit l’instructeur avant de lui sourire. Mais je ne peux donner cet exercice à un élève de ton âge. Tu vas étudier la leçon suivante et nous verrons comment tu te débrouilles. D’accord ?
– Oui, dit-il.
Car il n’avait pas le choix. Mais cela l’ennuyait. Il travaillait avec les plus grands. C’était difficile, il devait y consacrer beaucoup de temps, et ils insistaient pour qu’il prenne des recs alors qu’il eût préféré aller à l’AG.
Il arrivait toujours en retard, et Andy le regardait de travers parce qu’il devait l’aider.
S’il estimait qu’il aurait dû en parler au super, tous paraissaient heureux de le voir travailler plus que les autres. Il gardait le rythme, même si chaque soir il était épuisé et s’effondrait dans son lit sans se rappeler quelles venaient d’être ses activités.
Quand l’instructeur l’autorisa à partir, il était une fois de plus en retard. Andy lui grommela que les porcs se fichaient de ses études et qu’il avait dû les nourrir à sa place.
– Je me charge de l’eau, dit-il.
Et il s’occupa des animaux d’Andy. Un juste retour des choses. Son ami revint à de meilleurs sentiments.
À tel point qu’il lui permit d’aller étriller Cheval avec lui puis de l’accompagner dans l’annexe où il y avait le petit : une femelle qui bénéficiait de soins particuliers et à laquelle ils donnaient des céréales dans un grand seau. Florian était trop jeune pour s’en charger. Avant d’aller voir le bébé, il fallait prendre une douche et se changer, pour ne pas risquer de le contaminer. Mais la pouliche se portait bien. Elle s’amusait à les esquiver puis venait renifler leurs doigts avant de se remettre à jouer.
Florian s’était senti soulagé lorsque Andy lui avait dit que les humains ne mangeaient pas les chevaux.
– À quoi servent-ils, alors ? avait-il demandé.
Il redoutait d’apprendre qu’on leur réservait un sort encore moins enviable.
– Ce sont des Expérimentaux. Je ne sais pas. Mais j’ai entendu dire qu’on les élève pour les faire travailler.
Comme certains porcs. Ils n’avaient pas leur pareil pour renifler les herbes locales dont le vent apportait les graines jusqu’à l’AG. Des azis passaient leur temps à promener dans les enclos et les champs ces animaux qui ne seraient jamais transformés en jambons et à griller tout ce qui franchissait la protection des clôtures. À en croire Andy, les modules renifleurs étaient efficaces mais bien moins que les cochons.
Et Florian savait grâce aux bandes que la première de toutes les Règles consistait à chercher les meilleurs moyens de se rendre utile.
2
Ari lut l’exercice, mit à contribution les connaissances inculquées par les bandétudes et demanda :
– Est-il important de savoir combien il y a de garçons et de filles ?
Maman réfléchit un instant.
– Oui, en effet. Mais ce n’est pas indispensable, pour cet exercice.
– Pourquoi ?
– Parce que certaines choses sont parfois secondaires, en fonction du problème. Tu dois toujours garder cela à l’esprit. Il faut que tu apprennes à analyser l’énoncé, éliminer le superflu et te concentrer sur ce qu’il faut trouver. En fait, tout a de l’importance – sexe, conditions météorologiques, nourriture disponible, présence ou absence de prédateurs –, mais seuls les gènes entrent en ligne de compte, à ce stade. Quand tu sauras utiliser les autres paramètres, les bandes t’apprendront à en tenir compte. Une dernière chosec elles ne te diront jamais que tu disposes de tous les éléments, car il peut toujours exister un détail auquel nul n’a pensé. Et si tu croyais tout savoir, cela pourrait te jouer un mauvais tour. C’est pourquoi on commence par des choses très simples, sans même préciser si ce sont des mâles ou des femelles. Tu as compris ?
– C’est pourtant important, insista Ari. Parce que les garçons se battent entre eux. Si aucun ne se fait manger, il y aura vingt-quatre bleus. Mais ils se feront ensuite dévorer parce qu’ils se voient de loin et ne peuvent pas se cacher. Et s’il y a des gros poissons avec eux, il ne restera pas un seul bébé bleu.
– Sais-tu si les poissons différencient les couleurs ?
– Ils le font ?
– Nous en reparlerons plus tard. Peux-tu me dire ce qui se passera si les femelles préfèrent les bleus ?
– Pourquoi est-ce qu’elles les préféreraient ?
– C’est une simple supposition. Saute d’une génération.
– Dans quelle proportion ?
– Vingt-cinq pour cent.
– Les bleus engraisseront les gros poissons et auront un tas d’enfants. Ça se complique.
Maman eut une expression bizarre, comme lorsqu’elle allait éternuer, rire, ou se mettre en colère. Elle lui adressa un drôle de regard qui n’était pas drôle du tout et se rapprocha pour la prendre dans ses bras.
Elle se conduisait souvent ainsi, ces derniers temps. Ari fut étonnée de ne pas se sentir plus joyeuse. Maman lui consacrait de nombreuses heures, désormais. Ollie aussi.
Mais Ari captait une sorte de signal de danger. Maman paraissait malheureuse. Tout comme Ollie. Il se conduisait en azi et maman ne s’emportait plus contre lui. Elle ne se mettait plus en colère avec qui que ce soit, d’ailleurs. Pas même contre Nelly qui paraissait désorientée. Phaedra était très azie, elle aussi.
Ari avait peur et voulait interroger maman, mais elle craignait de la voir pleurer. Elle avait toujours un air triste, à présent. Et Ari était peinée quand sa maman pleurait.
Elle se contenta de l’étreindre avec force.
Le lendemain elle retourna à la garderie. Elle était assez grande pour y aller toute seule. Maman l’accompagna jusqu’au seuil de l’appartement et la prit dans ses bras. Ollie vint les rejoindre et fit la même chose. Pour la première fois depuis très longtemps.
Ari tourna la tête et vit la porte close. C’était bizarre, mais elle n’eut pas le temps d’y réfléchir car elle craignait d’arriver en retard.
3
RESEUNE UN quitta la piste et Jane referma les doigts sur les accoudoirs de cuir de son siège, sans regarder le hublot. Elle refusait de voir Reseune s’amenuiser dans le lointain. Elle se mordit la lèvre et ferma les yeux. Des larmes coulèrent sur son visage pendant que l’accélération la collait au dossier du fauteuil.
Elle reporta son attention sur Ollie dès qu’ils eurent atteint l’altitude de croisière.
– Va me chercher un verre, s’il te plaît. Un double.
– Oui, sera.
Il déboucla sa ceinture et se leva pour gagner le bar.
Phaedra fit pivoter son siège vers Jane, de l’autre côté de la petite table.
– Je peux faire quelque chose pour vous, sera ?
Seigneur, il faut lui fournir une occupation ! Elle est terrifiée.
– Oui, dresse une liste de tout ce dont nous pourrons avoir besoin à bord. Nous passerons une commande dès notre arrivée à la station. Il y a un manuel dans la poche externe. Tu y trouveras un rappel de la marche à suivre.
– Bien, sera.
C’était un pansement provisoire appliqué sur ses blessures superficielles. Celles d’Ollie étaient plus profondes. Il lui avait même demandé une bande. Commec comme un azi qui se serait adressé à son superviseur. Elle avait refusé.
– Tu es trop proche d’un CIT, Ollie. J’ai besoin qu’il en soit ainsi. Comprends-tu ce que je veux dire ?
– Oui.
Et à présent il paraissait mieux surmonter cette épreuve qu’elle.
– Sers-t’en un.
Le grondement des moteurs la contraignait à crier pour se faire entendre.
Il se tourna et hocha la tête.
– Et un pour Phaedra !
Peggy alla le rejoindre au bar. Les turbulences qui secouaient l’appareil la faisaient tituber. Elle se baissa et prit deux verres.
Pour Julia et Gloria, installées à l’arrière de l’habitacle.
– Tu détruis mon existence !lui avait hurlé sa fille.
Elles étaient dans le terminal, en compagnie de Denys, des azis et des membres de la Famille venus assister à leur départ. Pendant que Gloria restait figée, le menton agité de tremblements et les yeux larmoyants. Elle n’était pas un démon, mais une enfant à qui on avait donné tout le superflu et rien d’essentiel. Gloria dévisageait une grand-mère qu’elle n’avait rencontrée que rarement. Sans doute cherchait-elle sur ses traits ce qui permettait de reconnaître en elle l’incarnation du mal. La fillette ignorait tout du lieu où elle irait, de la discipline qui régnait à bord d’un vaisseau et de l’univers clos d’une station.
– Bonjour, Gloria, lui avait-elle dit au prix d’un effort.
Elle essayait de ne pas – Seigneur, surtout pas ! – établir de comparaisons avec Aric Ari qui entendrait peut-être un avion décoller, lèverait les yeux vers le ciel et reconnaîtrait RESEUNE UN sans se douter de rien.
Gloria avait alors couru vers sa mère : cette idiote qui allait éclater en sanglots et donner à leur départ un tour ridicule. Jane se félicita de la présence des gardes de Reseune. S’ils ne les avaient pas accompagnés, Julia eût pris la fuite sitôt arrivée à Novgorod.
À cause de la peur irrationnelle que lui inspiraient la navette, le vide, les sauts : tout ce qui relevait de ces sciences physiques auxquelles elle ne s’était jamais intéressée et qui lui inspiraient tant de méfiance.
Dommage, ma fille. J’aurais pu t’offrir un univers à ta convenance. Je suis désolée que la situation t’ait dépassée à ce point.
Mais tout s’est dégradé sitôt après ta naissance. Excuse-moi. Je regrette.
Je regrette que tu partes avec moi.
Ollie revenait. Il était blême mais conservait un calme admirable. Elle réussit à lui adresser un sourire quand il lui tendit sa boisson et s’assit près d’elle.
Elle vida la moitié de son verre sans s’en rendre compte.
– Tout se passera bien, affirma-t-elle avant de trinquer avec lui. À notre santé, Ollie. Je retourne là d’où je viens. Je rentre enfin chez moi.
Et, lorsqu’il l’eut resservie :
– Il me semble retrouver mes vingt ans, comme si rien de tout cela ne s’était jamais produit.
Ses paroles dépassaient ses pensées mais elle venait de reléguer au second plan les événements récents de son existencec à titre temporaire, tout au moins.
4
Phaedra n’était pas venue à la garderie. Elle avait été remplacée par Nelly, qui la laissait faire tout ce qu’elle voulait. Quand Sam la poussait très haut sur la balançoire, l’azie était folle d’inquiétude mais s’abstenait d’intervenir. Elle savait qu’Ari se mettrait en colère et n’aimait pas se faire disputer.
En conséquence, Sam la poussa et elle le poussa, et ils firent de l’escalade dans la cage.
Jan vint chercher Sam et Nelly raccompagna Ari à la maison. Elles avaient atteint le niveau résidentiel quand elles virent oncle Denys venir à leur rencontre.
– Nelly, tu dois aller te présenter à la sécurité, déclara-t-il.
– Pourquoi ? voulut savoir Ari.
Elle avait peur à nouveau. Elle ne pouvait établir un rapport entre les gardes et l’azie. C’était comme tout le reste, ces derniers temps. Plus rien ne lui paraissait logique.
– Tout de suite, ordonna oncle Denys à Nelly.
– Oui, ser.
Et l’énorme oncle Denys s’agenouilla pour prendre les mains de la fillette, pendant que l’azie s’éloignait.
– Ari, nous avons eu un grave problème que seule ta maman pouvait régler. Elle a dû partir.
– Où ça ?
– Très loin d’ici. Je ne sais même pas si elle reviendra. Tu vas t’installer chez moi, avec Nelly. Elle restera avec toi, dès qu’elle aura reçu une bande pour la réconforter.
– Maman va revenir !
– J’en doute, Ari. Elle a de lourdes responsabilités, un travail à accomplir. Elle doit allerc Eh bien, aussi loin qu’un vaisseau peut l’emmener. Elle savait que tu en aurais de la peine, et comme elle ne voulait pas t’inquiéter à l’avance elle m’a chargé de te faire ses adieux à sa place. Elle a dit que tu devrais vivre avec moi.
– Non !
Maman ne lui aurait jamais fait ses adieux. Toute cette histoire lui semblait louche. Elle dégagea ses mains de celles d’oncle Denys et partit à toutes jambes dans les couloirs, en direction de leur appartement. Denys ne put la rattraper. Nul n’en fut capable. Elle courut jusqu’à sa porte, son foyer, et tira sa carte de la pince de sa blouse pour la glisser dans la fente.
Le battant s’ouvrit.
– Maman ! Ollie !
Elle traversa en trombe le vestibule et visita toutes les pièces, tout en sachant que maman et Ollie ne se seraient pas cachés.
Mais ils ne l’auraient pas non plus abandonnée. Il venait de leur arriver malheur. Il s’était passé une chose épouvantable qu’oncle Denys ne voulait pas lui apprendre.
Les affaires de maman et d’Ollie n’étaient plus dans les tiroirs de la commode, il n’y avait plus aucun vêtement dans la penderie.
Ses jouets avaient eux aussi disparu. Même Poo-Poo et l’étoile qu’on lui avait donnée chez Valery.
Elle respirait avec peine. L’air paraissait se raréfier. Elle entendit la porte se rouvrir et courut dans le séjour.
– Maman ! Ollie !
Mais elle se retrouva en face d’une très grande femme, qui portait l’uniforme noir des services de sécurité. Elle venait d’entrer, alors que la porte avait été fermée.
– Concierge ! cria Ari en tentant de se montrer courageuse et de se conduire comme une adulte. Appelle maman à son bureau.
L’appareil resta silencieux.
– Je suis Ari. Appelle le bureau de maman.
– Le concierge a été débranché, lui expliqua l’inconnue.
Elle ne mentait pas. Il ne l’avait pas saluée, à son entrée. Plus rien n’était normal.
– Où est ma maman ?
– Le D r Strassen est partie. Votre tuteur est le D r Nye. Veuillez vous calmer, jeune sera. Il ne va pas tarder à arriver.
– Je ne veux pas le voir !
Mais la porte se rouvrit, sur un oncle Denys essoufflé et livide. Dans l’appartement de maman.
– Tout va bien, Ari. S’il te plaît.
– Dehors ! lui hurla-t-elle. Dehors, dehors, dehors !
– Ari. Ari, je suis désolé. Écoute-moi.
– Non, c’est pas vrai ! Je veux ma maman ! Je veux Ollie ! Où sont-ils ?
Denys s’approcha et essaya de la saisir. Elle courut se réfugier dans la cuisine. Il y avait des couteaux, là-bas. Mais la femme de la sécurité plongea derrière le divan.
Elle s’empara d’elle et la souleva. Ari lui donnait des coups de pied et hurlait.
– Doucement ! ordonna Denys. Attention. Pose-la.
L’azie la laissa redescendre. Denys vint la serrer contre son épaule dès que ses pieds eurent touché le sol.
– Pleure, Ari. C’est une réaction normale. Reprends ta respiration et pleure.
Elle hoqueta, hoqueta encore, inspira.
– Je vais t’emmener à la maison, ajouta-t-il d’une voix douce tout en caressant son visage. Est-ce que ça va mieux ? Je ne peux pas te porter, tu sais ? Tu veux que cette femme te prenne ? Elle ne te fera pas de mal. Tu préfères que j’appelle les meds ?
T’emmener à la maisoncmais ce n’était pas samaison. Il était arrivé quelque chose, à tous ceux qu’elle aimait.
Il la prit par la main et elle le suivit, docile. Elle était trop lasse pour opposer la moindre résistance. Le simple fait de marcher achevait de l’épuiser.
Oncle Denys la conduisit chez lui, la fit asseoir sur le divan, et dit à son azi – Seely – de lui apporter une boisson.
Elle but. Elle avait des difficultés à tenir le verre sans renverser son contenu, tant ses mains tremblaient.