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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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– Je vous comprends, ser Nye.

Corain vida sa tasse et décida de se renseigner sur le prix du café authentique. Il trouvait cette folie justifiée et estimait pouvoir s’autoriser une telle dépense, même avec un fret qui s’élevait à deux cents crédits la livre entre la Terre et Cyteen. À un autre niveau de son esprit il se disait qu’une caméra filmait la scène, et ailleurs encore que Nye venait de lui dresser la liste de tous les avantages qui découleraient de la mort d’Ariane Emoryc

S’il était possible d’arriver à un accord, de trouver un compromis. Son interlocuteur était rusé. Il devrait reprendre de zéro l’étude des expressions de son principal adversaire, comme il l’avait fait longtemps auparavant avec Emory. Cet homme représentait un mystère, une inconnue en provenance d’un territoire où aucun de ses observateurs ne pouvait pénétrer. Son seul allié à Reseune était Warrick, et il venait de le perdre. C’était une des rares choses évidentes.

Tout évoluait trop vite, au sein de l’Union. L’explosion d’une conduite dans un laboratoire avait modifié le cours de l’histoire.

Le parti centriste aurait la possibilité de réaliser de rapides progrès, s’il ne se laissait pas impliquer dans des affrontements qui ne serviraient pas les intérêts des parties concernées et ne pourraient mettre en péril aucun des sièges occupés par les expansionnistes.

Les projets Rubin et Lointaine s’en trouveraient retardés. L’opération Espoir serait sans doute financée, mais toute politique expansionniste et colonisatrice ferait l’objet d’interminables débats. La période qui venait de débuter verrait de nombreux changements se produire, tant à Reseune que dans le monde extérieur, et des personnalités restées en arrière-plan pendant le demi-siècle de régime autocratique d’Emory (tous savaient qui prenait les décisions même après qu’elle eut démissionné de son poste d’administratrice) sortiraient de l’ombre afin d’accroître leurs pouvoirs dans ces laboratoires.

Et cela s’appliquait aussi aux autres alliances, dont celles qui existaient au sein du Conseil.

Ludmilla DeFranco était une nouvelle venue. Nye également. Les Sciences toutes-puissantes auraient un novice à leur barrec rusé mais inexpérimenté et privé d’une équipe à même de le soutenir. Deux expansionnistes sur cinq seraient dés débutants, et Ilya Bogdanovitch avait cent trente-deux ans et commençait à chanceler.

Corain murmura des politesses, remercia le nouveau représentant de Reseune, exprima ses condoléances à la Famille, et repartit en pensant à la possibilité, bien réelle à présent, d’obtenir sous peu une majorité centriste au sein du Conseil.

Il lui vint à l’esprit qu’il n’avait pas soulevé la question de la liquidation des azis ; le cheval de bataille de Merino. Il était trop tard pour le faire, et il s’en sentait presque soulagé. Il suspectait la sécurité de Reseune d’avoir donné cet ordre, pour les raisons que Nye venait de lui fournir. Il jugeait cela inadmissible, mais un peu moinsque s’il s’était agi d’azis sans défense. Ceux-ci avaient servi Ariane Emory pendant la majeure partie de ses cent vingt années d’existence. Même si aucun CIT ne pouvait évaluer l’impact psychologique de la mort de cette femme sur ses gardes du corps – à l’exception de ceux qui travaillaient en étroit contact avec les azis, sans doute –, Corain pensait en avoir malgré tout une idée assez précise. Il en parlerait à Warrick. Il lui demanderait si une telle mesure était justifiable et s’il pensait qu’Emory avait pu entrer une telle instruction dans le système informatique.

Non, mieux valait ne pas aborder ce sujet. Ces azis étaient morts. Comme Emory. La page était tournée. Soulever la question eût été sans objet et s’il s’en était abstenu sans doute fallait-il mettre cela sur le compte de son instinct.

C’était un problème aussi ancien que l’humanité. Les politiciens étaient libres de pactiser avec le diable si ce dernier pouvait leur apporter des suffrages, mais ils ne devaient ensuite pas se plaindre s’ils se faisaient roussir par les flammes de l’enfer.

8

L’amiral Leonid Gorodin s’assit au bord du fauteuil et prit la tasse qu’on lui tendait. Il était venu rendre la visite de politesse d’usage et Nye lui avait dit :

– Il existe une chose dont je dois vous parler. Cela concerne l’annexe de Lointaine et les projets Rubin et Espoir. Auriez-vous quelques instants à me consacrer ?

Il n’était pas dans les habitudes de Gorodin de s’entretenir de n’importe quel sujet avec des adversaires politiques ou des journalistesc pas sans disposer de l’assistance fournie par ses aides et des dossiers correspondants, et surtout pas dans des locaux que son équipe n’avait pu passer au peigne fin. Mais, tout en le mettant en garde, son instinct lui avait murmuré qu’il s’agissait d’une opportunité unique de discuter avec cet homme sans que Corain pût apprendre qu’il entretenait des contacts avec l’opposition.

Et les projets qui venaient d’être cités l’intéressaient au plus haut point.

– Je répugne à parler de ces affaires le jour des funérailles d’Ari, déclara Nye. Mais je n’ai pas le choix. La situation risque de dégénérer rapidement.

Il but une gorgée de café.

– Vous savez que je vais briguer le siège d’Ari.

– Je m’en doutais. Et je m’attends à ce que vous l’obteniez.

– C’est une période très délicate, pour Reseune. Nous venons de subir deux pertes : celle d’Ari, et celle potentielle de Warrick pour couronner le tout. Nous ne serons pas les seuls à en pâtir. L’Union en pâtira. C’est un coup porté contre nos intérêts nationaux. Vous devez savoir que j’avais accès aux dossiers confidentiels, au même titre qu’Ari. C’était indispensable. Je ne vous demanderai pas de me fournir la moindre confirmation, mais sachez que je suis associé à vosprojetsc et que j’ai collaboré avec votre prédécesseur, pendant la guerrec

– Je sais que vous êtes autorisé à partager nos secrets, que vous connaissez bien toutes ces affaires, et que vous ferez le nécessaire pour empêcher les enquêteurs d’y fourrer leur nez.

– Absolument. Pas un seul mot sur ces projets, et aucun interrogatoire du personnel. Vous n’avez pas à craindre des fuites, amiral. Pas plusqu’un éventuel procès.

Le cœur de Gorodin bondit. Il eût préféré ne rien avoir entendu. Cette conversation devait être enregistrée et il lui fallait exprimer sa position sans laisser planer la moindre ambiguïté.

– Que me dites-vous là ?

– Je parle d’un règlement à l’amiable. Warrick est coupable. Il a avoué son crime. Une sordide histoire de chantage et de harcèlement sexuel dont son fils a été victime. Le tout dans un contexte très compliqué, ce qui – soit dit entre nous – pourrait être préjudiciable à ce garçon. Les désirs de Warrick sont simples : il voudrait disposer d’un laboratoire où il pourra poursuivre ses recherches. Lointaine est hors de question. Il devra rester sur Cyteen. Mais j’ai parlé à Corain.

– Déjà ?

– Il y a une heure. Je ne lui ai rien dit de confidentiel. Notre entretien ne s’est pas écarté des questions politiques. Vous savez aussi bien que moi que des éléments extrémistes sont impliqués à des degrés divers dans cette affaire, amiral, et que certains comptent éplucher les dépositions des témoins pouvantêtre psychosondés, les analyser dans leurs moindres détails. Or, on trouve par exemple dans celles de Justin Warrick des références au projet Lointaine, alors que ces informations sont top secret.

– Jordan Warrick en aurait donc parlé à son gosse ?

– S’il voulait obtenir ce transfert, c’était avant tout pour son fils. Ce dernier saitc des choses qu’il devrait ignorer. S’il s’est produit des fuites, amiral, nous les devons aux Warrick. Et je crains qu’en cas de procès la recherche des mobiles de Jordan ne révèle l’existence d’accords difficiles à justifier. Par ailleurs, nous ne ferions qu’alimenter la suspicion en censurant de trop nombreux passages de la transcription.

– Vos services de sécurité ne sont pas à la hauteur de leur réputation. Qui d’autre est au courant ?

– L’azi qui a été enlevé, sans doute. Il appartient à Justin.

– Seigneur !

– Je doute que les sbires de Rocher aient pu le faire parler. C’est un Alpha et il est concepteur de bandesc je me réfère à cet azi. Il a dû leur donner du fil à retordre. Hormis s’il ignorait que ces informations étaient confidentielles. C’est pourquoi nous nous sommes adressés à Lu, lorsque nous avons eu besoin d’un coup de main pour le libérer. Nous devions le prendre vivant pour pouvoir l’interroger, au cas où certains de ses ravisseurs auraient réussi à nous échapper. Heureusement, la chance nous a souri et aucun extrémiste n’a pu s’enfuir. Nous l’espérons, tout au moins. Mais nous n’avons pas exagéré en disant à Lu que cet azi représentait un danger pour la sécurité. En fait, nous avons tous été un peu dépassés par les événements. Ari allait m’envoyer faire un rapport à votre secrétaire quandc

– Ne pensez-vous pas que Warrick ait pu agir ainsi à cause de l’azi et de Rocher ?

– Vous parlez du meurtre ? Non, il n’a pu supporter ses provocations et l’a frappée. Lorsqu’il a pris conscience de la gravité de sa blessure, il a compris qu’il venait de compromettre son affectation à Lointaine et a décidé de l’achever en simulant un accident. Il n’a agi ni de sang-froid ni sous le coup de la colère. Il la haïssait. Ari avait des faiblesses pour les adolescents. Un génie, avec ses bons et ses mauvais côtés. Je vous avouerais que nous ferons tout notre possible pour que le public ne puisse découvrir cette facette peu flatteuse d’Ari. Quant à un complotc non. C’est de l’affabulation pure et simple. Vous pourrez interroger Warrick, si vous le souhaitez. Ou son fils. Nous avons enregistré sa déposition sous psychosonde et ses déclarations permettent de se faire une idée assez précise de ce qui s’est passé. Nous disposons de quelques vidsc très explicites. S’il n’est pas dans nos intentions de les effacer, nous ne les communiquerons pas non plus aux médias. Il s’agit en fait d’une histoire banale. Un chantage. Un père outragé. Une altercation qui s’achève sur un drame.

– Merde.

Obtenez le départ de mon fils,leur avait dit Warrick. Il y avait accordé plus d’importance qu’à son propre transfert.

– Merde.

– Nous voulons honorer nos engagements. J’envisage d’attribuer à Jordan Warrick un labo où il restera sous bonne garde. Il pourra ainsi continuer de travailler pour la Défense. Nous testerons ses bandes, afin que vous n’ayez pas à vous inquiéter de leur contenu. C’est la plus humaine des solutions, et elle nous permet en outre d’utiliser un talent dont nous ne pouvons nous passer.

– En avez-vous parlé à Corain ?

– Il a demandé un délai de réflexion. Je lui ai laissé entendre qu’il n’a rien à perdre en nous apportant son soutien. À qui bénéficierait un procès, Rocher et ses acolytes exceptés ? Et nos pertes sont déjà très lourdes. Nous n’avons pas renoncé à ces projets, voyez-vousc

– L’installation de Lointaine.

– Nous comptons poursuivre les travaux. Il est même possible quec les militaires puissent en utiliser une plus grande partie que prévu.

– Mais vous allez annuler le projet Rubin.

– Non. Nous n’y renoncerons pas.

– Sans le D r Emory ?

Gorodin prit une inspiration profonde.

– Vous pensez pouvoir réussir sans elle.

Nye resta un instant silencieux.

– Ressers-nous, dit-il à son azi.

Le serviteur grisonnant vint remplir les deux tasses.

Nye but une gorgée de café, l’air pensif. Puis :

– Désirez-vous que je vous fournisse des détails techniques ?

– Je laisse cela aux scientifiques. Ce qui m’intéresse, ce sont les applications pratiques. Et stratégiques. Pouvez-vous poursuivre ces recherches à partir des notes d’Emory ?

– Qui choisiriez-vous de dupliquer ? Un chimiste censéavoir un brillant avenir devant lui ou Emory elle-même ?

Gorodin déglutit une gorgée de café.

– Vous êtes sérieux ?

– Je dois vous exposer quelques-unes de nos nécessités. Il est indispensable de disposer d’une documentation abondante sur le sujetc dans le domaine biochimique. De nombreux individus possèdent les qualités requises et ont un dossier qui contient de telles informations. Ari et Rubin, entre autres : ce dernier à cause de ses problèmes médicaux, Ari parce que ses parents étaient âgés de plus d’un siècle lorsqu’ils ont décidé de la concevoir. Elle est donc née dans nos labos selon un processus que nousavons dirigé et enregistré. Son père était mort, à sa naissance, et sa mère est décédée quand elle avait sept ans. Elle a ensuite été élevée par son oncle Geoffrey, auquel elle a succédé comme directrice de Reseune à l’âge de soixante-deux ans. Elle a fait l’objet d’études intensives. Il y a eu tout d’abord sa mère, Olga Carnath, puis son oncle Geoffrey. Nous avons sur elle une documentation égale à celle dont nous disposons sur Rubin, pour ne pas dire plus importante. Et, surtoutc Ari souhaitait que cette expérience fût un jour tentée sur elle. Elle a laissé de nombreuses instructions à l’intention dec son futur double.

– Seigneur !

– Pourquoi pas ? À présent qu’elle est décédée, et à condition que ses théories soient valables, nous avons le choix entre dupliquer un chimiste qui – est-il utile de le préciser – n’a pour nous qu’un intérêt tout relatif, ou Aric dont l’esprit – je n’hésiterai pas à le dire – est d’un niveau équivalent à ceux de Bok et de Strehler et dont les recherches ont été capitales pour notre sécurité nationale. Et nous pouvonsle faire.

– Vous êtes sérieux ?

– Absolument. Nous n’avons aucune raison d’abandonner ce projet, mais des gens comme Warrick sont essentiels à sa réussite. Vous comprenezc plus nous serons entourés d’individus qui ont connu Ari et influencé sa vie, plus les chances de succès seront grandes.

– Etc et Rubin ?

– Rien ne nous oblige à renoncer. Il nous serait d’ailleurs utile, en tant qu’élément de comparaison. Et comme double couverture, pour ainsi dire. Je ne veux pas de lui à Reseune, car sa présence pourrait fausser l’expérience. C’est presque comparable à un jeu de piste, voyez-vous. Cela nécessite des contrôles intensifsc Ari y était accoutumée, mais son double devra tout ignorer de ces travaux. Il est impératif que les deux sujets du projet Rubin se trouvent à Lointaine.

– Vous semblez laisser entendre que vous le ferezc avec ou sans notre appui.

– Je cherche un tel soutien. Je veux sauver Warrick et je souhaite coopérer avec les militaires. Nous avons besoin de la sécurité et de la couverture qu’ils peuvent nous fournirc jusqu’au moment où la nouvelle Ari pourra paraître au grand jour. La paternité du projet reviendra alors à Reseunec une expérience civile.Je présume que vous en voyez tous les avantages, n’est-ce pas ?

– Seigneur !

Gorodin vida sa tasse et la tendit à l’azi.

– Abban, dit Nye.

L’azi vint servir l’amiral, qui mettait cette pause à profit pour effectuer quelques calculs.

– Quel est le rapport avec Warrick ?

– Nous avons besoin de lui, de ses travaux.

– Cet homme ? Pour lareconstituer ? Pour préparer ses bandes ?

– Ce serait pour le moins imprudent. Je pense à Reseune. Souvenez-vousc nous devons faire des projets à long terme, sur vingt ou même cinquante ans. Jordan est encore jeune. Pour l’instant, il ne fait que démontrer de quoi il est capable. Ses recherches sont complémentaires de celles d’Ari. Je vais être franc avec vous : les notes laissées par cette femme sont fragmentaires. Lorsqu’on a affaire à des génies, il n’est pas facile de suivre la logique de leur raisonnement. Certaines déductionslui paraissaient si évidentes qu’elle n’a pas jugé utile de les porter par écrit. Nous ne pouvons garantir que nous réussirons, compte tenu de la nature de ce programme. Mais nous savons que nos chances de succès sont plus grandes avec Ari – que nous connaissions bien – qu’avec un obscur chimiste que la plupart d’entre nous n’ont jamais rencontré. Elle a en outre codé un grand nombre de choses et ses bonds d’un stade au suivant, dans un domaine dont elle était l’unique spécialiste, font de l’ensemble de ses notes un véritable casse-tête. Il est indispensable de connaître tous les faits marquants de la vie d’Ari. Si des épisodes de son existence restent dans l’ombre, parce que nous ne pouvons consulter certains de ses proches, nos chances de voir ce projet aboutir diminueront. Nul ne parviendra à interpréter les informations contenues dans ses notes. La matrice sera perdue, les références sociales deviendront irrécupérables. Mais ce n’est pour l’instant pas le cas et je crois que nous pouvons réussir. Je le sais.

– À quoi servira cette expériencec en plus de reconstituer Emory ? Combien d’individus disposent d’autant d’enregistrements sur leur compte ? À quels domaines de telles recherches peuvent-elles s’appliquer ? Ce n’est pas ce qui nous rendra Bok.

– Retrouver Emory sera déjà très important. Elle reprendra ses travaux au stade où elle les a laissésc mais à vingt ans. Plus tôt, peut-être. Nous ne savons pas. Nous le découvrirons. Comprenez-moi bien : cela nous permettra de savoirquelles données sont indispensables pour assurer la réussite de tels projets. Nous pourrons alors tenter l’expérience sur d’autres sujets. Bok, par exemple. Mais nous devrons être très prudents. Parce que toutesles précautions sont nécessaires, toutes les influences sont irremplaçables. Faire revenir Ari parmi nous constitue la première phase. S’il peut y avoir un approfondissement de ses travaux sur la formation de la personnalitéc elle en est la clé. Nous avons une chance, avec elle. Nous la connaissons si bien qu’il sera possible de combler les lacunes des informations dont nous disposons et d’y apporter des corrections éventuelles. Par rapport, nous ne savons presque rien sur Rubin. Dans son cas, nous débuterons déjà avec un handicap. En fait, dupliquer Rubin est un luxe et recréer Ari Emory est une nécessité. Nous pouvons essayer seuls, mais notre tâche serait facilitée sic nous pouvions bénéficier du soutien du bureau de la Défense.

– Sur le plan financier ?

Nye secoua la tête.

– Une couverture. La possibilité de garder Warrick. Le pouvoir de ne pas divulguer la nature de nos travaux. La protection de nos recherches – et du sujet d’expérience – de la curiosité des Affaires Intérieures.

– Ah ! fit le militaire en prenant une inspiration profonde. Mais l’argentc tout revient toujours à l’argent.

– Nous pourrons financer nos recherches, si vous prenez en charge le projet Rubin. Mais le besoin de protéger nos sujets est absolu. La réussite ou l’échec en dépendent.

Gorodin se carra dans son fauteuil et mâchonna sa lèvre inférieure. Il se souvint des enregistreurs.

– En avez-vous parlé à Lu ?

– Pas encore.

– Nul n’est donc au courant, hors de Reseune ?

– Non. Et je n’ai pas l’intention de révéler cette information. Il s’est déjà produit une fuitec je me réfère à cet azi. Nous avons réussi à étouffer l’affaire. Cela ne se reproduira pas.

Gorodin y réfléchitc Des scientifiques pourraient procéder à leurs expériences sous une couverture militaire. Une brèche dans la Défense, et Dieu sait quoi d’autre. Trop de civils.

Mais par ailleurs Reseune souhaitait coopérer avec l’armée pour un projet que Gorodin considérait comme un moyen de faire pencher l’équilibre des forces en présence en faveur de l’Unionc

Expérimenter la théorie d’Ariane Emory sur un jeune chimiste inconnu lui paraissait bien moins risqué. Ce désir de ressusciter les morts lui inspiraitc

c et puis zut, après tout ! Il fallait essayer de remporter le gros lot. Risquer le tout pour le tout.

C’était une aubaine, pour la Défense.

– Les difficultés ne sont pas insurmontables, déclara l’amiral. Nous allons réquisitionner l’installation de Lointaine et nous invoquerons le secret militaire : Nous couvrirons tout ce que vous souhaitez dissimuler.

– Pas de problème, fit Nye. Dès l’instant où ce sera top secret.

– C’est chose faite.

– Nous nous chargeons du projet Rubin. Nous construisons l’installation de Lointaine, nous poursuivons les recherches dans le plus grand secret, et vous couvrez les travaux que nous effectuons à Cyteen.

– Deux pour le prix d’un seul ?

Gorodin prit conscience que cette expression était pour le moins déplacée, le jour des funérailles d’Emory. Mais, bon sang, c’était sarésurrection qu’ils négociaient. Pas l’identité, avait dit Warrick. Les capacités. C’était presque la même chose.

Il suspectait Giraud Nye de vouloir assurer le contrôle de Reseune sur la totalité du projet. Ce projet qui porterait sur un embryon flottant dans une cuve utérine puis sur une enfant élevée à Reseune. Vingt ans.

Il les ajouta à son âge. Il avait cent vingt-six ans, en temps au sol. Il en aurait alors cent quarante-six, et Nyec Cet homme n’était plus très jeune, lui non plus.

Il en prenait conscience pour la première foisc de ce que Warrick avait voulu dire en parlant des problèmes temporels inhérents à leurs travaux. L’amiral était habitué à la dilatation du tempsc selon le sens que lui donnaient les spatiaux. Il savait que cent quarante-six ans pèseraient moins lourd sur ses épaules que sur celles d’un homme qui n’avait pas perdu des mois d’existence en quelques jours de déplacements ultraluminiques. Mais à Reseune de telles entreprises duraient toute une vie.

– Nous ne voudrions rien négliger, déclara Nye. Disposer d’un sujet sur lequel nous pourrions faire une étude comparative serait d’une importance capitale en cas d’imprévu, et nous avons dépassé le stade des essais et des théories. Nous trouverons les réponses dont nous aurons besoin. Ce n’est pas un luxe.

Que le projet Rubin fût exécuté à Lointaine permettrait aux militaires d’avoir accès à un grand nombre de données. Et ce serait une sécurité. Gorodin était toujours partisan de garder des réservesc dans tous les domaines. Le sens de la prudence des spatiaux. Avoir un élément de rechange n’était jamais superflu.

– Allez-y, dit-il. Ça rendra la couverture plus facile à assurer.

Il lui faudrait encore mettre les choses au point avec Lu et les chefs de son état-major. Mais il savait que ces hommes ne s’opposeraient pas à un accord qui permettrait d’obtenir de tels avantages et mettrait les travaux d’Emory à la disposition de la Défense.

Leur bureau parrainait un grand nombre de projets. Et si certains se soldaient par des échecs, ceux qui pouvaient être menés à bon terme les compensaient largement.

9

Les allées et venues étaient nombreuses, devant la porte. L’animation lui paraissait plus intense que d’habitude. Il y avait des voix. Justin croyait en reconnaître certaines. Quelqu’un venait de s’arrêter derrière le battant.

S’il vous plaît,pensa-t-il. S’il vous plaît.Arrêtez-vous. Pendant un moment, il connut l’espoir et la peur. Il tendit l’oreille, assis sur le matelas qui constituait la totalité du mobilier de la cellule. Il joignit les mains entre ses jambes croisées.

– Avertissez Ari, ne cessait-il de répéter. Dites-lui que je veux lui parler.

Mais ses geôliers étaient des azis et devaient suivre la voie hiérarchique, passer par leur superviseur. Et malgré ses suppliques Giraud Nye ne venait pas le voir.

Ils l’avaient enfermé dans une petite pièce capitonnée, avec un lavabo, une cuvette hygiénique et un matelas. La lumière y brillait en permanence. Ses repas lui étaient apportés dans des emballages solubles guère plus résistants que du papier toilette. Il n’était pas autorisé à avoir un couvert et ils lui avaient pris ses vêtements, pour les échanger contre un pyjama d’hôpital en papier blanc. Ils ne le soumettaient plus à des interrogatoires. Ils ne lui adressaient plus la parole. Il ignorait depuis combien de temps il était en ce lieu et effectuait des sommes irréguliers, dus à sa dépression et à l’absence de repères temporels tels qu’un cycle lumineux ou l’observation de l’activité extérieure. Et il subissait toujours des flashes-bandes, qui le séduisaient et le détruisaient à la fois. Il refusait de laisser les visions et les sensations affermir leur emprise sur lui à la faveur de son isolement. Il les rejetait, bien qu’elles eussent été pour lui une consolation.

Pas moi,ne cessait-il de se répéter en essayant de se maintenir éveillé, de rester loin des rêves. Ce n’est pas mon choix. Je ne lui appartiens pas. Je refuse d’avoir les mêmes pensées qu’elle.

Ari le gardait en otage. Elle avait fait arrêter Justin, et peut-être Grant, pour dissuader Jordan de s’adresser au bureau des Sciences. Si elle n’avait pas ordonné son incarcération. Son père pouvait être dans l’impossibilité de l’aider. Mais, dans un cas comme dans l’autre, les Affaires Intérieures interviendraient. Ils ne l’avaient pas soumis à un nouveau psychosondage et ils pourraient employer cette technique sur Jordan.

Le plus vulnérable était Grant. Ari l’utiliserait contre son pèrec et se servirait également de lui. Il ne pouvait en douter.

Il attendait l’arrivée des enquêteurs de la police, des Affaires Intérieures, du bureau des Sciences. Peu importait qui.

Il espérait que c’était la raison des bruits qu’il entendait à l’extérieur.

Mais il avait déjà eu cet espoirc tant de fois.

Grant avait espéré sa visite, et reçu celle des gardes azis venus le chercher pour le soumettre à de nouveaux interrogatoiresc

Il entendit le cliquetis du verrou électronique. La porte s’ouvrit.

– Ser Nye veut vous parler, dit un des deux azis en uniforme. Veuillez nous suivre.

Il se leva. Sur des jambes de coton. Il sortit dans le couloir et réunit tout son courage en prévision d’une nouvelle séance de psychosondage. Au moins cela lui offrirait-il une opportunité de parler à Giraud, de prononcer une demi-douzaine de mots avant que la drogue n’eût raison de sa volonté.

Il fut surpris de découvrir qu’ils le laissaient libre de ses mouvements. Il avait des étourdissements, ses genoux le torturaient et tremblaient, ce qui rendait sa progression difficile.

Un nouveau flash-bande. La vision de Florianc

Vers le bas du couloir, en direction du réduit où il s’était déjà rendu pour ses interrogatoires. Il atteignit la porte, entra et se figea. Il ne reconnaissait pas l’homme assis derrière la petite table : un individu trapu et à la figure ronde que son esprit décontenancé tenta pendant une seconde de superposer à la silhouette décharnée de Nye.

Pas Giraud.

Denys, qui se levait, l’air désolé.

– Où est Grant ? demanda Justin. Où est mon père ? Que se passe-t-il ?

Sa voix se brisa. Ce fut en titubant qu’il s’avança jusqu’au meuble, sur lequel il s’appuya pour se pencher vers son interlocuteur.

– J’ai le droit de voir les membres de ma famille, bon sang ! Je suis mineur ! Ne l’oubliez pas !

– Asseyez-vous, fit l’homme en agitant la main. Asseyez-vous, je vous en priec

Il se tourna vers les azis :

– Apportez-lui à boire.

– Je ne veux rien ! J’exige de savoirc

– S’il vous plaît, insista Denys d’une voix où perçait de l’angoisse.

Il désigna à nouveau le siège.

– Asseyez-vousc Apportez-lui quelque chosec Asseyez-vous, s’il vous plaît.

Justin se laissa choir dans le fauteuil. Il comprit qu’il allait pleurer et serra les dents. Il inspira, pour refouler ses larmes. Denys se carra dans son siège et croisa les mains devant lui. Il lui accorda le temps de se calmer pendant qu’un des azis apportait une boisson et la posait sur la table.

– Que contient-elle ?

– Rien. Rien. Pauvre garçon. Tout cela est bien regrettable. Vous ont-ils dit, pour Ari ?

Il trouva cette phrase étrange. Elle n’avait aucun sens. Les paroles qu’il entendait remontaient le long de ses nerfs tel un courant d’air glacé.

– Qu’y aurait-il à dire, pourAri ? Où est mon père ?

– Ari est morte, Justin.

Il eut l’impression que la pièce effectuait un écart. Pendant un instant, tout se troubla. Puis l’univers s’effondra et il ne subsista qu’un profond silence. Elle n’avait que cent vingt ans, son décès ne pouvait avoir des causes naturellesc

c un accident d’avion ?

c un déséquilibré, à Novgorod ?

– Jordan a découvert ce qu’elle vous faisait subir, précisa Denys de sa voix la plus douce. Et il l’a tuée. Il l’a enfermée dans la chambre froide et l’a laissée mourir.

Justin resta assis, paralysé. C’était faux. Son père ignorait tout des agissements d’Ari. Il avait bien pris soin de lui dissimuler la vérité. Et cette femme ne pouvait être morte. Non, il était impossible qu’on l’eûtc tuée.

– Jordan a avoué. Vous savez que la justice ne peut rien contre votre père, pas même le soumettre àc un interrogatoire, rien de ce genre. Pas de psychosondage. Et un effacement mental est hors de question. Jordie ne risque rien. Il est en sécurité. Vous pouvez me croire.

Il tremblait. Il prit le gobelet et fit tomber une partie de son contenu en le portant à sa bouche. Il en renversa encore lorsqu’il le reposa. Le liquide glacé se répandit sur son genou. Il ne trouvait aucun sens à ce qu’il entendait. Il ne pouvait faire fonctionner correctement son esprit.

– Et Grant ? Je lui ai dit que je retournerais le voir. Je n’ai pu allerc

– Il est toujours à l’hôpital. En sécurité. Jordan lui a rendu visite. Votre père partira pour Novgorod, cet après-midi même. S’ils arrivent à un accord, il pourra alors quitter Reseune.

– C’est faux !

Ils voulaient jouer des tours à son esprit. C’était évident. Il se leva et se retrouva nez à nez avec les deux azis venus le retenir. Il se figea. Eux également.

– Mon garçon. Justin. Asseyez-vous, je vous en prie. Écoutez-moi.

– Ari n’est pas morte ! hurla-t-il. C’est un mensonge ! Que cherchez-vous à obtenir ? Que veut– elleencore me faire ?

– Asseyez-vous. Et écoutez-moi. Votre père n’a guère de temps devant lui. S’il vous plaît. Oh, que mon frère soit maudit ! Il a eu peur de vous envoyer à l’hôpital etc Écoutez. Asseyez-vous.

Il obéit. Il n’avait pas le choix. Il était à leur merci.

– Écoutez bien, Justin. Les Affaires Intérieures ont interrogé Jordie, qui a supplié Giraud de ne pas vous mêler à cette affaire. Il ne tient pas à ce qu’on apprenne ce qui s’est passé, vous comprenez ? Il ne veut pas que vous soyez psychosondé. Et Giraud a tout d’abord refusé d’accorder à la police l’autorisation nécessaire, pour respecter les souhaits de votre père. Mais mon maudit frère est parti pour la capitale sans vous faire libérer. Et dire qu’il m’affirmait que vous alliez bienc


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