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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Parce qu’il refusait de voir son ami se comporter en serviteur devant témoins, même pour lui rendre service.

Mais il lui laissa le soin de ranger la mallette et le sac dès qu’ils se retrouvèrent dans leur appartement. Il retira sa veste et s’affala sur le divan, avant de déclarer :

– C’était parfait. J’ai des difficultés à admettre que j’ai pu aller à Planys. Et en revenir. Tout est si différent là-bas.

– Un whisky ?

– Un doigt. J’ai dormi pendant le vol mais je me sens toujours aussi crevé.

L’azi sourit à Justin dont la tête dodelinait. Un effet du décalage horaire. Il se chargea de servir le whisky, à présent que nul ne pouvait les voir. Il prit deux verres.

– Et ça s’est passé comment, pour toi ?

Cette question fit renaître le malaise de Grant.

– Bien, très bien.

L’impression s’accentua quand il apporta la boisson.

Justin but une gorgée d’alcool. Sa main tremblait, et il posa sur son ami un regard voilé par la lassitude. Grant leva son verre afin de porter un toast, les lèvres incurvées par un rictus ironique. Ils ne pouvaient savoir si leur compagnon n’avait pas fait l’objet de manipulations psychiques.

Ils auraient dû s’y résigner, car plus rien ne justifiait de se battre, pensa Grant.

Il leva son verre et but.

Puis il gagna la chambre pour prendre un mot glissé sous l’oreiller et le rapporter à son ami.

Si je te montre ceci c’est que j’ai tous mes esprits, mais si tu le trouves on m’aura fait subir un lavage de cerveau. Agis en conséquence.

Justin se tourna vers lui. Son expression qui traduisait jusqu’alors de l’effroi se fit interrogatrice.

Grant lui sourit, roula le bout de papier en boule et s’assit pour boire son whisky.

7

S’esquiver par les cuisines était aisé. Ils ne les traversèrent pas en groupe. Catlin et Florian passèrent les premiers, car les cuisiniers ne se méfieraient pas de deux membres des services de sécurité : les gardes avaient libre accès à tous les secteurs de Reseune.

Puis Ari entra à son tour. Elle Travailla les azis et se comporta en véritable peste avec un apprenti chargé de préparer des crêpes. Après avoir goûté la pâte, elle s’approcha d’un marmiton qui hachait des oignons et lui reprocha de la faire pleurer : un prétexte qui lui permit de gagner le pas de la porte, de sortir des cuisines et de partir à toutes jambes vers le bas de la colline où Florian et Catlin l’attendaient.

Elle plongea et roula sur le sol, avant d’adresser un large sourire aux deux azis qui étaient déjà à plat ventre.

– Venez, dit alors Catlin.

Elle serait leur éclaireur. Elle était la plus habile, pour ce genre de choses.

Ils la suivirent jusqu’à la station de pompage. Une fois là, Ari retira son chemisier et son pantalon, puis enfila les vêtements que lui tendait Florian : une tenue noire d’azie, moins difficile à se procurer que des chaussures à sa pointure. Elle avait dû utiliser la carte d’oncle Denys pour acheter des bottes qui feraient l’affaire, si nul ne les regardait de trop près. Elle les portait déjà. Puis Florian prit la carte d’Ari et colla en travers une bande noire qui rappelait celle des services de sécurité et dans la case vierge des CIT un triangle semblable à celui des azis.

– Est-ce que ça va ? demanda-t-elle après avoir accroché le rectangle de plastique à son corsage.

– Le visage, dit Catlin.

Et elle prit une expression d’azie, figée et compassée.

– C’est mieux.

Catlin repartit aussitôt. Elle se pencha à l’angle du poste de pompage pour étudier le terrain, puis se redressa et s’avança. Ils la suivirent jusqu’à la route, où ils se regroupèrent comme s’ils n’avaient aucune raison de se cacher.

Ari estimait qu’on ne remarquerait pas sa disparition avant un certain temps mais que ce serait ensuite un véritable branle-bas de combat.

Elle n’avait jusqu’alors vu la Ville que de loin, depuis les fenêtres de la Maison, et elle eût aimé marcher plus vite et visiter le plus de quartiers possible avant d’être retrouvée par les gardes.

Ou de décider de rentrer, à la tombée de la nuit. Ce qui l’attendait serait à la fois amusant et désagréable ; elle savait qu’elle aurait de sérieux problèmes. Il lui serait possible de revenir, se changer et regagner la Maison par les cuisines à la faveur de la panique générale. Mais cela révélerait qu’elle était très adroite et on la placerait sous étroite surveillance.

Non, il était préférable de se comporter comme une sorte de Sam et de se faire prendre.

Elle pourrait ainsi déclarer avoir obligé ses azis à lui obéir. Catlin et Florian n’auraient pas d’ennuis, car ils devaient exécuter ses ordres. Tout le monde le savait. Ils ne seraient pas inquiétés. Elle si. Mais c’était le but recherché.

Elle souhaitait simplement joindre l’utile à l’agréable avant d’être capturée.

8

L’ordinateur travaillait en temps partagé et traitait moins rapidement les données depuis que Yanni Schwartz avait entré les paramètres d’un ensemble d’intégration Bêta. Cet homme bénéficiait d’une priorité absolue. Justin se leva pour aller se servir du café. Il en profita pour remplir la tasse de Grant qui se penchait sur son terminal, à tel point absorbé par son travail qu’il n’eût pas perdu le fil de ses pensées même si le plafond lui était tombé sur la tête.

L’azi prit la tasse sans détacher les yeux de l’écran et but une gorgée de café.

Justin entendit des pas dans le couloir. Il se tourna vers le seuil de la pièce et vit entrer un homme en uniforme noir, suivi par deux de ses semblables.

La panique tendit ses muscles et noua son ventre.

– Vous êtes convoqués à la sécurité.

– Pourquoi ?

– Pas de questions. Suivez-nous.

Justin pensa au breuvage brûlant que contenait sa tasse. Grant sembla deviner ses pensées. Il se leva à l’instant où un quatrième garde faisait irruption dans le bureau.

– Allons voir de quoi il retourne, déclara-t-il.

Il posa sa tasse.

– Je dois faire une sauvegarde, protesta Grant.

– Immédiatement !

– Mon programmec

– Grant.

C’était Justin, qui gardait son calme sans trop savoir comment.

Cela venait de se produire, ce qu’ils redoutaient depuis si longtemps. Il envisagea de résister, mais espérait encore pouvoir se tirer de ce mauvais pas grâce à de simples explications. Et l’administration de Reseune avait à sa disposition assez d’hommes pour venir à bout de deux concepteurs de bandes sédentaires.

La docilité représentait pour eux l’unique solution, il l’avait compris bien des années plus tôt. Il laissa ses mains en vue et accompagna les gardes sans protester. Son ami l’imita et ils prirent l’ascenseur pour descendre dans les tunnels-tempête du sous-sol.

La porte de la cabine s’ouvrit et ils sortirent, encadrés par leur escorte.

– Les mains contre le mur, ordonna l’officier.

Justin perçut la nervosité de son ami et le prit par le bras.

– Tout va s’arranger. Nous allons dissiper ce malentendu.

Il se tourna vers la paroi et attendit pendant que deux hommes fouillaient l’azi puis lui mettaient des menottes. Ils vinrent ensuite s’occuper de lui.

– Je présume que vous ne savez pas de quoi il retourne ?

Il avait posé cette question sans céder à la panique, le visage collé au mur et les bras ramenés dans son dos. L’officier le fit tourner vers lui.

– Venez.

Aucune explication. Mais les gardes paraissaient moins tendus.

Ne pas s’écarter du scénario. Coopérer. Rester calme et ne pas faire de vagues.

Par une porte munie d’un verrou, dans une section de sécurité, à l’intérieur de corridors déserts. Justin ne s’était jamais aventuré dans cette partie des tunnels-tempête de Reseune, et il espérait que ces hommes n’avaient pas menti en mentionnant leur destination.

Une autre porte verrouillée, un ascenseur, et l’inscription SECURITÉ 1 ON sur la paroi opposée : une information qui lui apporta du soulagement.

Vers le haut, ensuite, avec une rapidité surprenante. Les portes s’ouvrirent sur un passage qu’il reconnut aussitôt, le couloir qu’il arpentait dans ses pires cauchemars.

– C’est un lieu familier, dit-il à Grant avec une désinvolture feinte.

Puis deux gardes poussèrent son ami dans une pièce latérale, pendant que les autres l’entraînaient plus loin dans le corridor, en direction d’une salle d’interrogatoire dont il ne se souvenait que trop.

– Nous ne passons pas par le bureau des entrées ?

Il s’avérait difficile de ne pas céder à la panique et ses jambes vacillaient.

– Je ne suis pas du genre tatillon, mais je dois vous faire remarquer que vous ne respectez pas les règlements.

Aucune réponse. Ils le conduisirent dans la pièce et le firent asseoir sur une chaise avant de s’immobiliser derrière lui, menaçants et silencieux.

Quelqu’un entra. Il tourna la tête, vers Giraud.

– Dieu soit loué ! dit-il, presque avec sincérité. Je suis soulagé de voir quelqu’un qui pourra me fournir des explications. Auriez-vous l’amabilité de m’apprendre ce qui se passe ?

L’homme s’assit sur l’angle du bureau. Une posture d’intimidation, conjuguée à une attitude presque amicale.

– C’est à vous de me le dire.

– Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. J’étais occupé à travailler quand vos sbires sont venus me chercher pour me conduire ici, sans faire enregistrer mon arrivée aux entrées. Quelle mouche vous pique ?

– Ou êtes-vous allé déjeuner ?

– Nulle part. Je suis resté dans mon bureau, avec Grant. Nous n’avons pas interrompu notre travail. Allons, Giraud, à quoi rime cette histoire ?

– Ari a disparu.

– Comment ça, disparu ?

Son cœur se mit à battre deux fois plus vite.

– Ellec est en retard pour se mettre à table ou elle s’est volatilisée ?

– Je vous soupçonne de le savoir, d’être au courant de tout. Vous avez pu l’attirer à l’extérieur. Peut-être a-t-elle accepté d’aller faire une petite promenade avec son vieil ami.

– Seigneur, vous êtes dingue !

– Vous avez pu organiser cet enlèvement avec votre père.

– Comment, bon Dieu ? Interrogez les gardes de Planys. Ils ne nous ont pas lâchés d’une semelle. Pas une seconde.

– Il est exact qu’ils ne vous ont pas entendus échanger de propos suspects.

Ils étaient remontés jusqu’à Jordan !

– Nous allons fouiller votre appartement. Ne prenez pas la peine d’invoquer vos droits, car cette arrestation n’est pas officielle. Je vais vous dire ce que nous savons. Ari est sortie par les cuisines et nous avons retrouvé ses vêtements derrière la station de pompage.

– Je ne sais rien, bordel !

– Ce lieu est proche de la berge du fleuve, où un bateau pourrait accoster sans être vu. C’est cela ? Vous lui avez fixé un rendez-vous et un de vos complices l’attendait.

– Non. Non. Absolument pas. Elle doit vous faire une autre de ses farces. Elle a fait une fuguec N’êtes-vous jamais sorti de la Maison quand vous étiez gosse ?

– Nous organisons des battues sur la berge. Nous avons envoyé des patrouilles. Nous surveillons toutes les routes.

– Je ne lui ferais pas le moindre mal. Jamais !

Son interlocuteur l’étudiait. Son visage s’était empourpré et il devait faire un effort pour ne pas céder à la panique.

– Vous comprendrez que nous ne pouvons pas nous permettre de vous croire sur parole.

– Oui, bien sûr. Et je souhaite autant que vous qu’on la retrouve au plus vite !

– J’en doute.

– D’accord, Giraud. J’accepte de signer une décharge pour vous autoriser à me psychosonder, mais je vous supplie de permettre à Grant de rester près de moi.

L’homme se leva.

– Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Est-ce trop vous demander ? Acceptez, bon Dieu !

Il sortit sans répondre.

– Amenez l’autre, dit-il à un garde de faction dans le couloir.

Justin agrippa l’accoudoir du fauteuil. Il était en sueur et avait des vertiges ; des flashes de l’appartement d’Ari se superposaient à sa vision de cette pièce, mais il entendait des portes claquer, des gens crier dans le lointain, des bruits de pas qui se rapprochaient. Grant, espérait-il. Il priait le Ciel de voir arriver son ami avant le tech muni d’un pistolet hypodermique.

9

Ils suivaient le trottoir et Ari se comportait toujours en azie. Elle calquait son attitude sur celle de Florian et de Catlin et adressait des signes de tête aux passants, sans ralentir le pas.

Ils n’étaient pas les seuls enfants. Les plus jeunes les saluaient, avec respect. Ils virent un groupe de bambins vêtus de bleu qui se tenaient par la main, derrière une grande fille en rouge.

– Nous arrivons dans la section bleue, déclara Florian quand ils croisèrent un autre chapelet de gosses. C’est ici que résident les tout-petits. À cinq ans, je vivais là.

Ils passèrent entre des bâtiments, toujours plus loin de la route qui traversait la Ville.

Ils avaient vu les Baraquements verts – de l’extérieur, car Catlin pensait qu’ils n’auraient pu y entrer sans devoir justifier leur présence –, le terrain de manœuvre et la zone industrielle. Ils s’étaient avancés jusqu’aux portes de la filature, de la forge et du moulin.

Les panneaux indicateurs suivants étaient vert, puis blanc dans vert. Se guider était d’une extrême simplicité, lorsqu’on savait comment procéder. Il suffisait de mémoriser l’ordre des couleurs. La Ville était divisée en sections et pour se rendre à une adresse – rouge à blanc à brun à vert, par exemple – il fallait se diriger tout d’abord vers le rouge, puis chercher un carré blanc dans le rouge, et ainsi de suite.

Le bâtiment qu’ils atteignirent peu après était démesuré, plus grand que les moulins, et il se dressait à la limite de l’agglomération. Il n’y avait au-delà que des champs et des clôtures qui s’éloignaient jusqu’aux Falaises du Nord et aux tours de précip.

Ils s’arrêtèrent à la bordure de la Ville pour regarder des azis qui désherbaient le sol, assistés par des porcs-renifleurs.

– Est-ce qu’il y a des platythères, par ici ? demanda Ari. En avez-vous déjà vu ?

– Pas moi, répondit Florian. Mais on en trouve là-bas.

Il désigna le point où le fleuve venait effleurer les falaises.

– Il arrivent de cette direction. Ils défoncent les murs de béton, mais ça les arrêtec pour le moment.

Elle suivit la clôture du regard, jusqu’à la Novaya Volga, avant d’étudier l’énorme bâtisse. Elle remarqua de grosses créatures dans un enclos éloigné.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Des vaches. On les parque à l’extérieur pour qu’elles puissent se nourrir. Venez. Il y a plus intéressant.

– C’est dangereux, Florian, déclara Catlin.

– Qu’est-ce qui est dangereux ? voulut savoir Ari.


Il les guida vers une entrée latérale. L’intérieur du bâtiment était plongé dans la pénombre et l’air avait une odeur bizarre, à la fois agréable et désagréable. Autour de la partie centrale en terre battue ils voyaient ce que Florian appelait des mangeoires et des stalles. Une chèvre occupait un de ces boxes.

Ari s’avança pour l’étudier de plus près. Elle avait déjà vu des chèvres et des porcs, mais toujours de très loin car elle ne pouvait sortir de la Maison. L’animal aux poils blancs et marron leva ses yeux bizarres vers Ari, et elle eut l’étrange impression qu’il s’interrogeait à son sujet, qu’il était encore plus vivant et intelligent qu’un AI.

– Venez, murmura Catlin. Venez, on peut nous voir.

Elle les suivit. Florian passa sous une clôture, franchit une porte, traversa un réduit obscur et sortit au-dehors. Le brusque contraste entre la pénombre et la clarté du jour la fit ciller.

Ils avaient devant eux un enclos occupé par un animal dont la vision lui rappela certaines bandes : des bandes de la Terre, des bandes narratives dont l’action se déroulait dans un lointain passé.

– Je vous présente Cheval, dit Florian.

Il grimpa sur la barre inférieure de la barrière et s’accouda à celle du haut.

Ari fit de même et Catlin vint se jucher près d’elle. Elle se contenta de regarder le cheval, le cœur battant.

Il hennit et rejeta sa tête en arrière, en secouant sa crinière : c’était le nom qu’on donnait à ses cheveux. S’il avait des sabots, ils étaient très différents de ceux des cochons et des chèvres. Et un losange blanc apparaissait sur son front.

– Attendez, dit Florian.

Il sauta de la clôture, retourna à l’intérieur du bâtiment et revint avec un seau. Cheval dressa les oreilles, vint vers lui et étira le cou au-dessus de la barre supérieure pour manger le contenu du récipient.

Ari grimpa plus haut sur la barrière et tendit la main, afin de caresser la robe de l’animal. Son odeur était puissante, et son poil poussiéreux. C’était une bête très forte. Solide et chaude, comme Ollie.

– A-t-il une selle et une bride ? s’enquit-elle.

– Qu’est-ce que c’est ? demanda Florian.

– Ce qui permet de se tenir sur son dos.

L’azi parut déconcerté, pendant que Cheval piaffait, la tête toujours plongée dans le seau.

– Se tenir sur son dos, sera ?

– Va te placer dans un angle.

Florian obéit, et Cheval le suivit. Il se retrouva au ras de la clôture et Ari grimpa sur la barre supérieure puis sauta, pour retomber à califourchon sur le dos de l’animal.

Qui fit un écart. Elle agrippa sa crinière. Il étaitc merveilleux. Vraiment chaud, et puissant.

Puis il fit une sorte de bond, baissa son encolure et releva sa croupe. Ari fut projetée dans les airs, très haut vers le ciel, légère comme une plume, avant de redescendre vers la clôture. Elle tournoyait, quand elle vit le sol monter à sa rencontre.

Bang !

Tête la première. Elle souffrait, mais pas vraiment. Une partie de son être semblait engourdie.

Puis la voix de Catlin :

– Ne la touche pas ! Attention !

– Ça va, dit-elle.

Et elle découvrit un goût de sang et de terre dans sa bouche.

Parler était difficile. Elle avait le souffle coupé et mal au cœur. Elle déplaça un pied et voulut se redresser en s’aidant d’un bras, et ce fut à cet instant qu’elle eut vraiment mal.

– Attention, attention, sera, non !

Le genou de Florian venait se placer devant son visage, et elle en fut heureuse car elle tombait. Elle s’effondra sur la jambe de l’azi, et non tête la première dans la poussière.

– Catlin, va chercher de l’aide ! Trouve Andy ! Vite !

– Je savais pourtant qu’il m’aurait fallu une selle, grommela-t-elle.

Elle craignait de gémir ou de rendre.

Parce que tous ses os devaient être brisés et qu’elle n’avait encore jamais souffert à ce point. Le pire, c’était son épaule et son estomac. Elle avait toujours de la terre dans la bouche et sa lèvre était fendue.

– Aide-moi à me relever, dit-elle à Florian.

Car son dos la torturait, dans cette position.

– Non, sera, s’il vous plaît, ne bougez pas. Votre bras est cassé.

Elle tenta de se redresser pour voir à quoi ressemblait un bras cassé. Mais la douleur empira et elle renonça.

– Qu’a fait Cheval ? demanda-t-elle.

Elle ne pouvait reconstituer ce qui s’était passé.

– Il a levé ses pattes arrière et vous vous êtes envolée. Il ne l’a pas fait exprès, il n’est pas méchant.

Elle entendait des gens courir, mais ne les voyait pas. Florian les lui dissimula jusqu’au moment où ils l’entourèrent et que des voix d’azis, à la fois posées et inquiètes, lui dirent que les meds allaient arriver et qu’elle ne devait pas bouger.

Elle aurait voulu se lever. Il était humiliant de rester couchée par terre au milieu de tous ces gens qui se penchaient vers elle.

Puis il lui vint à l’esprit que Giraud se mettrait vraiment en colère et que cette partie de son plan se déroulerait comme prévu.

Il ne lui restait qu’à attendre les meds, et à espérer qu’ils ne tarderaient pas trop à arriver.

10

Adossé à la paroi capitonnée, Grant restait assis sur le sol. La tête de Justin reposait sur ses jambes, qu’il ne pouvait déplacer malgré ses crampes. Il devait en outre laisser ses mains sur l’épaule et le front de son ami, pour lui confirmer sa présence, le rassurer. Rien ne bougeait, dans cette cellule où il ne faudrait faire aucun bruit tant que les effets de la drogue ne se seraient pas dissipés.

La sécurité poursuivait sa surveillance. Deux gardes étaient de faction derrière une paroi de verre. Seul un médecin pouvait rester auprès d’un détenu qui venait de subir un psychosondage, mais Giraud faisait fi des règlements. Il agissait à sa guise et leur accorder cette faveur ne tirait pas à conséquence.

Bien qu’éveillé, Justin errait encore dans les limbes de la désintoxication, un univers où les sensations et les sons s’amplifiaient au point d’en être insoutenables. Grant conservait avec lui un contact physique et lui murmurait des paroles apaisantes :

– Justin. C’est Grant. Je suis ici. Comment vas-tu ?

– Bien.

Les yeux de son ami s’entrouvrirent.

– Tes idées redeviennent-elles limpides ?

Une inspiration, plus profonde que les précédentes.

– Je vais très bien, même s’il me semble toujours être ouvert.

– Je comprends. Mais ils se sont contentés de procéder à ton interrogatoire. Je suis constamment resté près de toi.

– Parfait.

Et ses paupières se fermèrent. Grant ne pouvait rien faire de plus pour lui. Giraud lui avait posé des questions sur la visite rendue à Jordan et leur implication éventuelle dans la disparition d’Ari. Lui affirmer que ses épreuves étaient terminées eût été dangereux. Giraud pouvait décider de revenir. Et l’encourager à parler – quand tout devait être enregistré – serait plus risqué encore à cause des tranks.

– Quels sentiments vous inspire la jeune Ari ? avait demandé Giraud.

Et Justin de répondre :

– De la pitié.

L’attention de Grant fut attirée par des mouvements derrière la paroi de verre et il releva les yeux. Il vit Denys Nye discuter avec les gardes, qui ouvrirent la porte de la cellule pour le laisser entrer.

L’azi le foudroya du regard et serra Justin contre lui, avant de se pencher vers son oreille pour lui murmurer :

– Justin. Ser Denys est venu te voir. Détends-toi. Je suis là, je ne te laisserai pas.

Son ami était conscient. Il ouvrit les yeux.

Denys marchait sans faire de bruit, ce qui était surprenant pour un individu de sa corpulence. Il approcha et s’arrêta, puis se pencha afin de déclarer à mi-voix :

– Ils ont retrouvé Ari. Elle se porte bien.

Justin prit une inspiration, sa poitrine se dilata.

– C’est vrai ? Qu’en penses-tu, Grant ?

L’azi lança un regard de reproche au visiteur.

– Possible.

Puis il serra son compagnon contre lui, afin de lui confirmer sa présence.

– C’est la stricte vérité, affirma Denys. Je regrette. Je suis vraiment désolé. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour compenser ces désagréments.

Grant sentit le pouls s’emballer, sous sa paume.

– Détends-toi, dit-il.

Son cœur imita celui de Justin, pendant qu’il effectuait un tri dans les propos qu’il venait d’entendre et leur cherchait un sens. Puis la colère l’incita à demander :

– Comment espérez-vous pouvoir tenir parole, ser ? L’enfant est en sécurité, mais vous oubliez les autres activités de ces laboratoires. Vous êtes de sacrés imbéciles, pour avoir mis en péril la santé mentale d’un homme dont vous ignorez encore le potentiel. Vous n’avez cessé de le persécuter et de le traiter comme s’il était responsable de tous les maux qui s’abattent sur Reseunec alors qu’il n’a jamais, je dis bien jamaisc fait le moindre mal à qui que ce soit. Yanni Schwartz pourrait vous confirmer qu’il a fallu lui retirer les interventions en temps réel tant la souffrance d’autrui lui était insupportable. À quoi sert votre célèbre compétence en psych, si vous n’êtes même pas capables de comprendre qu’il ne ferait pas de mal à une mouche, pas même aux gens qui ont fait de sa vie un véritable enfer ?

– Grant, murmura Justin. Grantc

– Non, fit Denys. Il a raison. Je sais, je sais. Dire que je regrette ne peut suffire, et il est quoi qu’il en soit bien trop tard pour le faire. Vous allez rentrer chez vous. Ari a été retrouvée. Nous avons dû l’hospitaliser car elle a fait une chute, mais elle s’en remettra. Elle est partie seule, elle s’est déguiséec une simple farce, sans le moindre rapport avec vous. Je ne vais pas m’attarder, je sais que ma place n’est pas ici, mais je tenais à vous en informer. J’ai estimé que vous aimeriez le savoir, parce que vous ne lui voulez aucun mal et qu’il serait grand temps de vous traiter avec quelques égards. Je suis sincère. Je trouverai un moyen de nous racheter, j’en fais la promesse. J’ai accepté trop de compromis au nom de cette sacro-sainte sécurité, mais c’est fini. Je m’y engage.

Il prit l’azi par l’épaule.

– Des meds ne tarderont pas à arriver. Ils le transporteront par les tunnels jusqu’à votre résidence. Il peut rentrer chez lui, s’il le désire. À moins qu’il ne préfère attendre ici de s’être remis. Il a le choix.

– Chez nous, dit Grant. C’est bien cela, Justin ? Tu souhaites rentrer maintenant ?

Son ami hocha la tête.

– Oui, je ne veux pas rester ici.

Il avait articulé avec soin ces paroles. Un soubresaut agita son bras, qui se souleva pour redescendre presque aussitôt. C’était la preuve qu’il recouvrait le contrôle de son être.

– Je vous en fais le serment, répéta Denys. Plus jamais ça.

Puis il sortit, d’une démarche qui traduisait de la colère.

Grant étreignit Justin et effaça la tension de ses muscles, de crainte que son ami ne pût la percevoir. Esprit azi. Silencieux et stable.

– Denys est venu ? demanda Justin.

– Il sort à l’instant. Nous allons rentrer à la maison. Je ne crois pas qu’il ait menti. Ils ont retrouvé Ari et savent que tu n’es pour rien dans cette affaire. Repose-toi, à présent. Prends ton temps. Je ne te laisserai pas seul.

Justin soupira puis resta silencieux.

11

Ce fut en car qu’elle effectua le bref trajet entre l’hôpital et la Maison, et elle supplia oncle Denys de lui permettre de faire à pied le reste du parcours. Une gouttière immobilisait le bras cassé, et sitôt après avoir pris son oncle par l’autre main elle craignit de ne pas pouvoir aller jusqu’au bout. Ses genoux vacillaient et elle était en sueur sous son corsage, fendu pour qu’elle pût l’enfiler malgré son plâtre. Elle n’aurait pu s’exhiber en public en chemise de nuit et robe de chambre. Mais elle rentrerait chez elle sans aide. Elle en avait la ferme intention.

Elle éprouva malgré tout un profond soulagement, quand elle pénétra dans l’appartement où l’attendaient Nelly, Florian et Catlin. Les azis paraissaient à la fois peinés et heureux de la voir. Même Seely.

Et elle fut elle aussi si contente de les retrouver qu’elle eut envie de pleurer. Mais elle retint ses larmes.

– Je veux me coucher, dit-elle.

Oncle Denys la conduisit vers sa chambre, qu’elle atteignit en mettant à contribution ses dernières forces pendant que Nelly s’affairait devant eux.

Elle avait rabattu le drap, posé Poo-Poo à sa place habituelle et redressé les oreillers. Ari trouva très agréable de pouvoir s’allonger dans son lit.

– Je vais vous aider à retirer vos vêtements, proposa l’azie.

– Non, je veux seulement me reposer un peu.

Oncle Denys jugea cette idée excellente.

– J’ai soif, et je veux avoir Florian et Catlin près de moi, ajouta-t-elle pendant que son oncle les laissait.

Nelly sortit à son tour et fut remplacée peu après par ses azis qui lui apportaient un verre.

– Nous sommes désolés, dit Florian.

Leurs expressions confirmaient ses paroles.

Ils l’avaient accompagnée à l’hôpital puis étaient restés près d’elle. Ils semblaient se tenir prêts à bondir sur tout individu à l’aspect douteux. Ari leur avait donné l’ordre de la laisser, sur les conseils d’oncle Denys. Il disait qu’ils avaient besoin de repos. Elle avait émergé du sommeil le temps de leur affirmer qu’ils n’avaient rien à se reprocher et devaient rentrer à la Maison, avant d’ajouter :

– J’irai bientôt vous rejoindre.

Ce qu’elle venait de faire.

Le D r Ivanov déclarait qu’elle pouvait s’estimer heureuse de s’être brisé un bras plutôt que le crâne. Un point de vue qu’elle partageait sans réserve. Elle revoyait le ciel et le sol tournoyer et sentait encore l’impact ébranler tous ses os.

Oncle Denys disait lui aussi qu’elle avait eu beaucoup de chance et que Cheval aurait pu la tuer, ce qui le mettait dans tous ses états.

C’était exact, mais elle tenait à préciser que sa monture ne l’avait pas fait exprèsc qu’elle s’était simplement déplacée, en quelque sorte.

– Cheval va bien, n’est-ce pas ?

– À merveille, avait-il répondu. C’est pour toi que nous étions inquiets.

Il était très gentil. Tous l’étaient, bien plus que d’habitude. Le D r Ivanov venait prendre de ses nouvelles, les infirmières lui apportaient à boire, Florian et Catlin restaient près d’elle tant qu’on ne les chassait pas. Le seul point noir était Giraud : il n’avait pas décidé de passer la voir, mais elle se sentait quoi qu’il en soit trop lasse pour le Travailler.

Elle était dans son lit, avec ses azis à ses côtés, et il lui semblait se trouverc très loin de tout le reste. Tranquille. Elle se félicitait de cette gentillesse, parce qu’elle n’aurait pu affronter personne et était épuisée. Elle n’avait d’autre désir que de rester allongée et souffrir un peu moins.

– Ce n’est pas votre faute, répéta-t-elle à Florian et Catlin. C’était mon idée, il me semble ?

– Nous aurions dû vous en empêcher, dit Florian.

– Vous n’aviez pas le choix. Vous devez exécuter mes ordres, non ?

– Oui, c’est exact, répondit Catlin après un moment de réflexion.

Et les deux jeunes azis en parurent soulagés.


Elle dormit tout l’après-midi, le bras levé et immobilisé dans une gouttière : une mesure prescrite par le D r Ivanov pour que sa main ne pût enfler. Elle doutait que ce fût d’une quelconque utilité, étant donné quelle changeait sans cesse de position, mais la fatigue eut finalement raison d’elle. Elle se réveilla quand Nelly vint lui dire de prendre une pilule. Puis elle se rendormit aussitôt, parce qu’elle était dans son lit et que l’antalgique avait des propriétés soporifiques.

Puis l’azie lui apporta son repas, qu’elle mangea de la main gauche. Le D r Ivanov lui avait tenu un long discours sur la prédominance d’une main sur l’autre et précisé qu’elle devrait éviter d’écrire tant qu’elle aurait son plâtre. Il lui conseillait d’employer un scripteur pour faire ses devoirs, et elle trouvait cette suggestion à son goût.

Il disait encore qu’elle ne garderait ce plâtre que trois semaines – parce qu’il avait fait le nécessaire pour hâter sa guérison – et que son bras serait ensuite comme neuf, après quelques séances de rééducation destinées à lui rendre ses muscles. Elle n’avait aucune objection à émettre. Ce qu’elle venait de vivre était une aventure, mais elle ne tenait pas à rester handicapée.

Il était agréable de faire l’objet de tant d’attentions. L’inquiétude était à l’origine de changements d’attitude fascinants. Elle y réfléchissait, pendant ses périodes d’éveil.


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