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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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– Ces réajustements constants en cours d’expérience vont nous donner un travail fou.

– Ils seront indispensables. Il y aurades écarts par rapport aux normes établies. Nous modifierons le programme aussi souvent que nécessaire, sans pour autant savoir où nous allons. Nous ne pourrons jamais avoir la certitude que cette gosse est bien Ari. Je me trompe ?

Un lourd silence.

3

Le vin tourbillonna dans le verre que Grant avait déjà vidé à plusieurs reprises. Justin se servit à son tour et reposa la bouteille, pendant que son ami contemplait la boisson couleur rubis, l’air soucieux.

Et un peu ivre. Il y réfléchit. Le devoir. Il savait que ce soir l’azi jugeait de telles considérations superflues.

Ils discutèrent de leur travail. Ils parlèrent d’une séquence qu’ils étudiaient. L’alcool ne facilitait pas une telle analysec les rapports de cause à effet s’embrouillaient quelque peu.

Mais Justin se sentait soulagé.

Car sa propre attitude lui inspirait du mécontentement. Un bébé naissait et il sombrait dans un état dépressif. Dans tout Reseune on entendait demander « Est-elle mignonne ? » ou « Comment va-t-elle ? » et il avait quant à lui l’impression qu’une main venait de se refermer sur son cœur, pour le comprimer.

Parce qu’une petite fille était venue au monde, bon Dieu ! Et pendant qu’on célébrait l’événement dans les appartements des techs et qu’une réception battait son plein dans les locaux de la section un, Grant et lui fêtaient cela en solitaires, avec morosité.

Ils étaient installés dans la fosse-salon de l’appartement où ils avaient passé toute leur l’enfance, l’ex-résidence de Jordan, assis devant des crackers et des tranches de saucisse qui se desséchaient dans les assiettes, une bouteille pleine aux deux tiers et deux autres vides dressées au milieu des miettes et des cercles humides visibles sur le plateau de pierre de la table. L’alcool bu lui permettait d’étudier la situation avec un certain recul.

Tu souhaites la mort d’un nouveau-né ? Seigneur, comment peux-tu avoir des pensées pareilles ?

Il se servit un autre verre, le leva et trinqua avec son ami avant d’avoir un rire forcé.

– Au bébé.

L’azi se renfrogna et s’abstint de boire avec lui.

– Allons, dit Justin. Soyons charitables.

Grant releva les yeux et lui adressa un geste qui signifiait : N’oublie pas qu’ils nous écoutent peut-être.

C’était exact. Ils devaient toujours sortir des bâtiments pour pouvoir discuter sans s’inquiéter des conséquences.

– Et après ? Qu’ils nous écoutent ! Je m’en fiche. Je suis désolé, pour cette gosse. Elle n’a pas demandé à venir au monde.

– Aucun azi ne le demande, rétorqua Grant.

Puis un froncement de sourcils plissa son front.

– Et aucun citoyen non plus, d’ailleurs.

– Personne.

Ils sombraient dans la morosité. Justin ignorait ce que l’avenir leur réservait, et c’était tout le problème. Reseune subissait une mutation profonde, on y voyait un grand nombre de nouveaux visages, les changements d’affectation pleuvaient, les azis étaientc déconcertés de se voir désigner pour des cures de réjuv : ravis d’en avoir été jugés dignes, angoissés à la perspective d’être affectés à de nouveaux postes et de devoir côtoyer des inconnus. S’il eût été exagéré de dire qu’ils en souffraient, ils subissaient plus de changements qu’au cours de toute leur existence. Les carnets de rendez-vous des superviseurs étaient pleins et ils réclamaient eux-mêmes un répit qui ne pouvait leur être accordé.

Pendant qu’à l’intérieur de la Résidence de la section un un appartement restait clos comme un mausolée. Ni dépoussiéré, ni touché, ni ouvert.

En attente.

– Je doute qu’ils aient de meilleures chances qu’avec Bok, déclara Justin. Vraiment pas. Jane Strassen,bon Dieu. L’endoc

Endocrinologie n’était pas un mot qu’il pouvait articuler distinctement après avoir bu une bouteille et demie de vin.

– Foutue chimie. Tout marche à merveille sur les machines. C’est la façon qu’utilise Dame Nature pour intervenir. Une théorie admirable. Mais ils finiront par la rendre encore plus folle que Bok. Ils auraient de meilleures chances de succès en utilisant sur elle des bandes-profondes. Cette histoire de facteur de créativitéc voilà une autre belle connerie. Pour la pousser à s’intéresseraux travaux d’Ari, alors qu’il suffirait d’employer une bande à même de faire naître un peu d’empathie,bon sang, et ensuite de la lâcher dans la nature. Tout ce projet est une histoire de fous. En fait, ils ne veulent pas retrouver les capacités d’Ari chez une gentille petite fille intelligente mais recréer cette femme. Son pouvoir,sa personnalité ! Nous avons affaire à une bande de vieilles reliques réjuvenées qui ont tout le budget de Reseune à dilapider et qui restent assises en face d’un écran en attendant de voir le mot Fin apparaître. Voilà ce qui se passe. C’est une catastrophe. On ne trouve pas assez de compassion, là-haut. Cette gosse me fait de la peine.

Son ami se contenta de le dévisager pendant un long moment. Puis :

– Je crois qu’il existe un rapport entre la créativité et les bandesc et que nous ne possédons pas cela au même degréc

– Oh, merde !

Il lui arrivait de blesser Grant sans s’en rendre compte. Parfois, il ouvrait la bouche sans penser à peser ses paroles comme en présence des autres azis. Et il s’inspirait alors du dégoût et de la colère.

– Ce sont des conneries. Tu ne peux pas croire des trucs pareils quand tu répares une bande sur laquelle une douzaine de maîtres-concepteurs ont sué pendant un mois.

– Ce n’est pas de cela que je parle. Je suisun azi. Je peux voir le problème sous une perspective différente. Frank est un azi, lui aussi, mais il ne me ressemble pas. Je suis un peu arrogant avec lui, et j’estime avoir des raisons de l’être, mais dès que je dois discuter avec Yanni je perçois ce qui nous sépare dans mes tripes.

–  Tout le mondele sent dans ses tripes. Yanni est unc

– Écoute-moi. Je doute qu’il t’arrive d’éprouver la même chose. Je ressens cela, et je sais que tout ce qui provoque une telle réaction est répertorié dans le manuel posé sur ma table de chevet, alors que la totalité de cet appartement ne pourrait contenir tout ce qui se rapporte à ta personne. Prenons l’exemple d’Ari. Ils ont dû creuser un tunnel sous la montagne, pour emmagasiner ce qu’elle a été.

– Est-il important de savoir que lorsque la guerre a été déclarée on lui a servi du poisson au déjeuner et que c’était le deuxième jour de ses règles ? Des foutaises, Grant, des foutaises. Et s’ils ont aménagé ces salles souterraines c’est pour stocker ce genre de conneries.

Et ces maudites vids, qui y resteront jusqu’au jour où le soleil s’éteindra. Voilà le seul souvenir impérissable que je laisserai à la postérité.

– La rage t’étouffe en présence de Yanni parce que ce type a un caractère de cochon, voilà tout. C’est sa nature, et voir sa nomination à Lointaine lui passer sous le nez ne l’a pas arrangé.

– Non. Tu ne m’écoutes pas. Il existe une différence. Le monde est bien trop compliqué pour moi. C’est la seule explication possible. Je suis plus doué que toi pour étudier les microstructures pour des raisons de concentration d’esprit. Mais les psychsets des azis ont une particularitéc et cela leur interdit de se sentir à leur aise face aux macrostructures aléatoires. Tout un tunnel, Justin. Simplement pour contenir son psychset.

– Psychset, mon cul ! C’est l’enregistrement de tout ce qu’elle a fait,la liste de tous les pauvres bougres auxquels elle a joué des sales tours ; et elle a pu s’en donner à cœur joie, en cent vingt années d’existence ! Si tu allais à Novgorod corrompre les conseillers, le compte rendu de tes activités aurait tôt fait de remplir lui aussi un tunnel de ce genre.

– Impossible. Je ne pourrais pas regarder derrière moi. C’est une façon d’exprimer ce que je ressens.

– Tu as passé toute ton existence à Reseune. Tu apprendrais àc

– Non. C’est différent. Crois-moi. Même si on m’inculquait tout ce que savait Ari, ma vision des choses resterait trop étroite.

– Tu n’as pas vécu tout ce qu’elle a connu ! Quia assisté au conflit de 78 ? Pas moi, en tout cas !

Grant haussa les épaules.

– Si les hommes-nés commettent tant d’erreurs, c’est parce qu’ils trouvent des justifications à leurs contradictions. Je ne peux quant à moi franchir ce pas sans en avoir conscience.

– Tu lis en moisans la moindre difficulté.

– Pas toujours. J’ignore ce que t’a fait Ari mais je sais ce qui s’est passé. Et j’ai la certitude que cela ne m’aurait pas affecté de la même façon.

Ils pouvaient désormais aborder ce sujet, mais ne le faisaient que rarement.

– Elle aurait pu me restructurer, mais sur toi ce serait impossible.

– Elle m’a fait assez de mal comme ça.

Ce souvenir était toujours pénible. Surtout ce soir. Il voulait parler d’autre chose.

– Ce serait impossible pour la simple raison que ton psychset ne pourrait tenir en quelques pages. Il est bien trop complexe. Tu peux changer, alors que je dois me méfier de tout ce qui risque de m’altérer. J’ai la possibilité de regarder dans mon esprit, et ce que j’y vois n’est pas compliqué. Il se divise en compartiments, alors que le tien se compose de vases de Klein.

– Seigneur, grogna Justin.

– Je suis ivre.

–  Noussommes ivres.

Il se pencha pour prendre Grant par l’épaule.

– Et nous avançons tous les deux sur un ruban de Möbius, ce qui explique pourquoi nous voici revenus à notre point de départ et que je suis prêt à parier que mon psychset n’est pas plus complexe que le tien. Tu souhaites vérifier ?

Grant cilla.

– Jec Tu veux un exemple ? Mon cœur vient de rater un battement. Ce que tu viens de dire m’a embarrassé. C’est cette foutue réaction que provoquent les superviseurs. J’estime qu’il ne serait pas très malin de toucher à ton esprit, et je m’empresse de le faire comme si c’était un ordre.

– Tu sais que tu m’exaspères, quand tu t’analyses ? Tu n’oses pas approfondir la question parce que tu crains que la sécurité ne nous écoute, que tu estimes que les pensées d’un homme lui sont personnelles et qu’on t’a enseigné les bonnes manières. Tous tes ensembles-profonds y souscrivent.

– Non.

Grant leva un doigt avec gravité. Un semblant de hoquet.

– La raison de notre différence. L’endoc l’endoc bordel ! Le rôle des hormonesc dans notre apprentissage. La chimie sanguine réagitc au milieu. Un stimulus donné peut augmenter le taux d’adrénaline, le faire baisser, provoquer autre chosec d’innombrables nuances de gris. La variabilitéc au sein d’un environnement aléatoire. Tu as des souvenirs exacts, erronés, superficiels, parfaits. Dans notre casc

Un autre semblant de hoquet.

– Tout débute au berceauc sous cataphoriques. Rien n’est aussi efficace, pour aplanir le seuil d’entrée. Il en découlec une absence totale de nuances dans notre organisation logique de base. Tout y est vrai. Nous savons que nous pouvons croire toutes les données que nous recevons. Dans toncas, ce sont tes sens qui modèlent ton psychset. Par l’entremise de cataphoriques naturels. Les bandes se chargent de ton éducation, mais ce sont tes sens qui créent ton psychset. Les informations enregistrées en fonction de ce que tu vois ou entends sont dues au hasard. Tu apprends à établir une moyenne, parce que tu sais qu’il se produit des variations. Mais dans notrecas des experts ont éliminé la totalité des ilc illogismes. Nous pouvonstout accepter à sa valeur nominale, et nous le devons car c’est ainsi que fonctionne notre système de traitement des données. C’est pour cela que nous sommes plus forts que vous pour relever les détails et traiter des problèmes dont vous ne pouvez conserver tous les paramètres à l’esprit. Nous n’avons pas besoin de kats pour nous placer dans un état d’apprentissage et nos premiers souvenirs ne sont pas dus à une formation endocrinienne. Pour nous il n’existe que deux états : oui ou non. Vous pondérez les données et mettez à contribution une mémoire qui contient une palette de valeurs plus ou moins prononcées, et vous êtes plus aptes à établir la moyenne de ces nuances que pour vous remémorer ce qui s’est réellement passé. C’est ce qui vous permet d’affronter l’imprévu, des agressions qui surviennent de toutes les directions à la fois. Et c’est en ce domaine que nous sommes les moins performants. Avoir deux pensées contradictoires et les admettre toutes les deux n’est pas pour vous une impossibilité, parce qu’il se produit des flux dans vos perceptions. Ce n’est pas notre cas.

– Oh ! Nous voici revenus au point de départ. Bon sang, tu fais le même travail que moi. Et j’oublie moins souvent que toi ma carte clé.

– Parce que mon esprit est occupé à traiter autre chose.

– Comme le mien. C’est normal.

– Parce que je rejette tout ce qui est superflu, au même titre que toi : je peux effectuer tout ce qui relève des habitudes corc corporelles. Mais je suis socialisé, je n’utilise presque jamais des bandes et je traite les informations à deux niveaux. Le supérieur a été façonné par le monde réel ; c’est le système d’enseignement endocrinien. L’inférieur, où sont engendrées les réactions, est simple, très simple et impic impitoyablement logique. Il serait faux d’assimiler un azi à un être humain privéd’une fonction. Chez lui, l’aléatoire est sur le dessus et la logique au fond, alors que vous fonctionnez à l’envers.

–  Jefonctionne à l’envers ?

– C’est exact.

– Seigneur ! Un émoryte ! Tu pensescela parce que les cataphoriques ont tracé dans ton esprit des chemins si profonds qu’ils offrent moins de résistance que les autres. Et leur structure est telle qu’ils déclenchentle système endc endocrinien par réflexe pavlovien, ce que ne pourrait réaliser le vécu à lui seul. Pour chaque expérience qui démontre la théorie d’Emory, il en existe une autre qui apporte de l’eau au moulin d’Hauptmann et Poley.

– Hauptmann souhaitait que les résultats confirment ses thèses sociologiques.

– Et après ? On pourrait en dire autant d’Emory.

Grant cilla et prit une inspiration.

– C’est faux. Elle se contentait d’interroger ses sujets alors qu’Hauptmann prenait soin d’établir des liens affectifs, pour leur permettre de déduire quelles réponses et quelles réactions il attendait deux. Tu ne dois pas oublier qu’un azi essaie toujours de satisfaire son superviseur.

– Oh, merde ! C’était la même chose, avec Emory.

– Mais elle avait raisonet Hauptmann était dans l’erreur. Voilà toute la différence.

– Les bandes affectent les réactions du système endoc crinien. Point. Tu n’aurais qu’à m’en passer un certain nombre pour que je sursaute chaque fois que tu fais claquer tes doigts et pour que mon pouls s’emballe comme le tien.

– Je pense être un bon concepteur de bandes. Quand j’aurai l’âge de Strassen, je serai un expert. Je conserverai l’acquis de cet enseignement endocrinien. C’est pour cela que nous ressemblons de plus en plus à des hommes-nés au fil des ans. Certains d’entre nous deviennent même un peu timbrés. Voilà pourquoi il est fréquent que les vieux azis aient des tas de problèmes. Les types de la section deux vont êtrec ils vont avoir un travail fou, avec tous les annies du Dépotoir sous réjuv.

Justin en fut choqué. Ils existait des mots qu’on prenait bien soin d’éviter, à Reseune : homme-né, annie, Dépotoir. On disait toujours CIT, azi, la Ville. Grant était éméché.

– Nous verrons si ça fait la moindre différence, de savoir qu’Ari a mangé du huso ou du jambon au petit déjeuner le jour de son douzième anniversaire.

– Je n’ai jamais déclaré que je croyais à la réussite du Projet, mais qu’Emory avait vu juste sur notre nature. Il n’était pas dans leurs intentions de nous créer, ils avaient simplement besoin de main-d’œuvre qualifiée. Dans les plus brefs délais. Alors ils ont pensé à utiliser les bandes dès le berceau, et nous sommes devenus un enjeu éconoc économique.

Il y avait longtemps, bien avant l’Union.

– Merde.

– Je ne dis pas que ça m’ennuie. Nous sommes déjà plus nombreux que vous. Nous créerons bientôt des fermes où les azis se multiplieront comme des mauvaises herbes et communieront avec leurs glandes. Ils auront une utilité.

– Va au diable !

Grant rit. C’était à la fois un sujet de conversation éculé, entamé une bonne douzaine de fois sous autant de formes différentes, et une tentative de psych de la part de Grant. Mais ils pouvaient à présent voir la situation sous sa juste perspective : un simple ralentissement mémoriel, un retour en arrière. Le passé était le passé. Il eût été impossible de récupérer dans les archives les maudites bandes vid qu’utilisaient ses adversaires pour lui imposer leurs volontés, étant donné qu’elles appartenaient à Ari et que cette dernière avait désormais un caractère sacré. Mais il s’était résigné à ce que tout fût un jour rendu public.

Ou à obtenir la confirmation qu’aucun accord n’était éternel.

Son père avait assassiné une vieille femme atteinte d’un mal incurable pour des raisons qui figureraient à jamais dans les archives du Projetc si ce dernier ne se soldait pas par un échec. En cas de réussite, les moindres détails de la vie privée d’Ari deviendraient des éléments essentiels à sa poursuite.

Et si les résultats étaient positifs, ils feraient l’objet d’une communication aux médias et Jordan pourrait réclamer une révision du procès et être autorisé à se rendre à Lointainec dans une vingtaine d’années. Mais tous ceux qui avaient ourdi de sombres machinations pour dissimuler les agissements d’Ari et les centristes effrayés par le risque d’être associés aux extrémistes s’y opposeraient, car leur réputation serait à nouveau menacée. Merino et les abolitionnistes, Corain, Giraud Nye, Reseune, le bureau de la Défense et ses innombrables secrets. La justice pourrait être rendue dans un tribunal, mais pas pour les courtiers de la puissance politique auxquels Jordan devait son exil. Les murs du silence se refermeraient et bâillonneraient cet homme devenu incontrôlable. Ainsi que son filsc qui avait tout déclenché en commettant une erreur de jeunesse.

En cas d’échec, ce serait une nouvelle affaire Bok ; des efforts considérables qui n’auraient permis d’ajouter à la biographie d’une scientifique exceptionnelle qu’un petit renvoi en bas de pagec un gaspillage d’énergie, de temps et d’argent que Reseune passerait sous silence. Étouffer la vérité n’était pas une nouveauté. À ce jour, le grand public avait entendu des versions très éloignées de la réalité sur le meurtre et les bouleversements qui venaient de se produire dans les laboratoires : réorganisation administrative devenue indispensable suite au décès d’Ariane Emory, avaient déclaré les relations publiques.

Avant de débiter un tas de balivernes sur le testament d’Ari, où elle était censée avoir exposé des projets d’une portée considérable dont les labos étaient les légataires.

S’ils ne parvenaient pas à leurs finsc les répercussions ébranleraient le monde politique, les services administratifs de Reseune et le bureau de la Défense qui avait été dans la confidence. Il eût été impossible de prédire ce que ferait Giraud Nye pour assurer sa protection. Cet homme devraitréussir et, entre-temps, faire de belles promesses aux militaires pour s’emparer du pouvoir d’une façon encore plus absolue qu’Ari ne l’avait fait. Afin d’empêcher la divulgation de ses secrets et de bénéficier des services de certains organismes gouvernementaux qui n’avaient aucune existence officielle. Si Giraud était un tant soit peu malin et s’il ne se produisait pas un échec flagrant et définitif, il deviendrait plus vieux que Jane Strassen avant de devoir admettre qu’il fallait renoncer à tout espoir de réussite. Il pourrait même tout reprendre de zéro et, une fois arrivé à ce stade, il n’aurait plus besoin d’essayer d’augmenter sa puissance. Après Giraud, le Déluge. Il se fichait du reste.

Justin espérait voir échouer le Projet. Mais la pauvre gosse dont le généset était celui d’Ari deviendrait alors un cas psych. Elle aurait droit à un effacement mentalc ou pire. Peut-être ne serait-elle pas la seule. Un homme aussi habile et puissant que Giraud ne renoncerait pas si vite. Il ferait procéder à des études des études des études. Hormis s’il existait un moyen de divulguer la vérité au public.

Certaines de ses pensées le terrifiaient. Elles semblaient provenir d’Ari. Il ne pourrait jamais savoir s’il en était l’auteur – à cause d’une colère naturelle et profonde, du cynisme engendré par le fait de vieillir et de devoir se résigner aux dures réalités de ce monde – ou si cette femme exerçait toujours sur lui son emprise.

Un ver. C’était une vieille plaisanterie, entre eux.

Et il devait veiller à ne pas en parler, pour l’empêcher de se développer.

4

– Descends de là ! ordonna Jane.

La frayeur la fit gronder et ses entrailles se nouèrent. La petite fille de deux ans tentait d’atteindre le plan de travail de la cuisine. Elle se penchait et s’étirait, sans penser à ce qui se produirait en raison de son faible poids, du sol carrelé et des pieds métalliques de la chaise. Ari sursauta et le siège glissa en arrière. Elle saisit malgré tout la boîte de biscuits et se tourna. Son perchoir bascula et l’enfant tomba. Jane Strassen la rattrapa au vol.

Ari poussa un cri, de colère ou de frayeur.

– Si tu veux des gâteaux, tu les demandes ! ajouta Jane qui dut se contenir pour ne pas secouer la fillette. Tu tiens à te faire encore bobo au menton ?

La douleur était sans doute le seul argument à même de faire réfléchir Ari. Et une célèbre généticienne en était réduite à parler comme un bébé et à bouillir de rage faute de pouvoir donner une tape sur une petite main. Olga avait toujours réprouvé les punitions corporelles.

Mais Ari avait vu se développer en elle de la colère, de la frustration et du ressentiment au contact de sa mère. À présent, c’était une généticienne qui éprouvait cela et qui eût aimé pouvoir conduire l’enfant jusqu’au fleuve et l’y noyer.

– Nelly ! cria Jane à la nourrice.

Puis elle se rappela qu’elle ne devait jamaisélever la voix. Elle était pourtant dans sonappartement, bon sang ! Elle ne redressa pas le siège. Non. Olga n’eût jamaislaissé une chaise sur le sol. Elle demeura sur place, pour tenir dans ses bras cette petite peste de deux ans qui gigotait comme une possédée. Nelly aurait intérêt à se dépêcher. Ari voulait être posée. Elle laissa glisser jusqu’au sol puis retint par la main la fillette qui tentait de s’asseoir et faisait un caprice.

– Reste debout !

Elle comprima la petite main dans la sienne et lui imprima une secousse, comme l’eût fait Olga.

– Debout ! Qu’est-ce qui te prend de te conduire de cette manière ?

Nelly apparut sur le seuil de la pièce. L’azie ouvrait de grands yeux et ne savait quoi faire.

– Redresse cette chaise.

Ari remarqua que les adultes l’avaient oubliée et en profita pour tirer la main de Jane et se pencher, afin de saisir la boîte de biscuits tombée par terre. Elle n’avait pas renoncé.

Dois-je lui donner un biscuit ? Non Un mauvais exemple. Il est préférable de ne pas lui céder. Sinon elle recommencera et risquera de se rompre le cou.

En outre, cette mégère d’Olga ne lui aurait pas pardonné si vite.

– Ne bouge pas. Nelly, range cette boîte où elle ne pourra pas l’atteindre. Tais-toi, Aric Occupe-toi d’elle, Nelly. Je me rends au bureau. Et si elle a une seule égratignure à mon retour, jec

L’azie la fixait, terrifiée et blessée dans son amour-propre.

– Merde, tusais. Que vais-je faire ? Je ne peux pas la surveiller à longueur de temps. Silence,Ari.

L’enfant qui avait décidé de se coucher par terre se suspendait à sa main de tout son poids.

– Tu ne sembles pas voir à quel point elle est turbulente, Nelly. Tu te laisses abuser par elle.

– Oui, sera.

L’azie se sentait dépassée, déclassée. On lui avait fourni des bandes où étaient répertoriés les méfaits que commettaient la plupart des CIT de deux ans : les ennuis que cette enfant pouvait s’attirer, les blessures qu’elle risquait de s’infliger. Ne pas être toujours près d’elle, Nelly. Ne pas la menacer. Ne pas ne pasla surveiller. Elle se sentait au bord d’une crise de nerfs. Elle aurait eu besoin qu’un superviseur la prît dans ses bras pour lui affirmer qu’elle s’en tirait mieux que la nourrice précédente. Ce n’était pas dans le style d’Olga, mais la froideur de la mère de la première Ari et le caractère emporté de Jane se conjuguaient pour plonger dans l’angoisse cette azie vulnérable. Et Jane devait passer une moitié de son temps à empêcher l’enfant de se tuer et l’autre à éviter que Nelly ne fît une dépression nerveuse.

– Et dis-leur d’installer un verrou sur la porte de cette maudite cuisine, ordonna Jane.

Ari hurlait comme une possédée, quand on l’enfermait dans la salle de jeu. Elle avait cette pièce en horreur.

– Arrête, Ari. Maman ne peut pas te tenir.

– Sera, est-ce quec

– Tu sais ce que tu dois faire, Nelly. Emmène Ari et fais-lui prendre un bain. Elle est en sueur.

– Bien, sera.

L’azie prit la main de la fillette, qui s’assit. Nelly dut la soulever dans ses bras, pour l’emporter.

Jane s’adossa au plan de travail et leva les yeux vers le plafond. Dans la direction où Dieu était censé se trouver, quelle que fût la planète.

Et Phaedra entra pour lui annoncer que sa fille Julia l’attendait dans le séjour.

Jane regarda à nouveau le plafond et prit une inspiration profonde, pour ravaler un hurlement.

– Malédiction. Je ne méritais tout de même pas ça, pas à cent trente-quatre ans.

– Sera ?

– Je m’en charge. Merci.

Elle s’écarta du comptoir.

– Et que Dieu protège Nelly.

Elle aurait voulu pouvoir aller à son bureau.

– Trouve Ollie. Dis-lui d’aller rassurer Nelly et de lui expliquer que je crie tout le temps. Quelle n’est pas en cause. Va !

Phaedra obéit aussitôt. Elle faisait partie de sonéquipe et était compétente. Jane sortit de la cuisine et suivit le couloir sur les talons de l’azie, puis elle prit à gauche dans le corridor de verre et de pierre, passa devant la salle à manger et la bibliothèque, et atteignit le séjour.

Où Julia l’attendait, assise sur le divan pendant que la petite Gloria âgée de trois ans jouait sur le tapis.

– Que diable fais-tu ici ?

Julia sursauta et la regarda.

– Je viens de conduire Gloria chez le dentiste. Rien de grave, un simple contrôle. Il m’est venu à l’esprit d’en profiter pour passer te voir.

– Tu n’as pas eu une excellente idée.

Les lèvres de sa fille se pincèrent.

– Je m’avoue touchée par ton accueil chaleureux.

Jane prit une inspiration puis s’assit en calant ses mains entre ses genoux. Gloria se leva. Un autre bébé, qui cherchait ce qu’il pourrait détruire. Rien n’était placé à portée d’un enfant de deux ans, dans cet appartement, mais sa petite-fille avait trois ans et était grande pour son âge.

– Écoute, Julia. Tu connais la situation. Tu sais que tu ne dois pas venir me voir avec Gloria.

– Elle ne risque pas de lui transmettre une maladie, tu sais. J’étais dans les parages et j’ai pensé que nous pourrions peut-être aller déjeuner quelque part.

– Là n’est pas la question. La sécurité nous surveille. Tu le sais. Je ne peux pas déroger aux règles établies. Tu dois le comprendre. Tu n’es plus une gosse. Tu as vingt-deux ans et il serait presque temps quec

– Je voulais te proposer de déjeuner avec moi.

Et avec Gloria. Seigneur ! Elle était déjà à bout de nerfs.

– Nous ironsc

La fillette venait d’atteindre la bibliothèque et s’intéressait à une poterie.

–  Gloria, bon sang !

Comme les platythères, les enfants de trois ans ne se détournaient jamais de l’objectif qu’ils s’étaient fixé. Elle se leva pour saisir la fillette et la tirer en arrière, la traîner vers le divan. Et cette chipie se mit alors à hurler : un beuglement assourdissant qui se réverbéra dans le couloir au bout duquel l’autre petit monstre devait tenter de noyer sa nourrice. Jane modifia sa prise afin de pouvoir coller sa paume sur la petite bouche.

– Ferme-la, bon Dieu ! Julia, débarrasse-moi immédiatement de cette peste !

– C’est ta petite-fille !

– Qu’est-ce que ça change ? Fais-la disparaître !

Gloria devenait hystérique. Elle se débattait et lui donnait des coups de pied dans les tibias.

–  Dehors, bordel !

Julia en eut le souffle coupé. Outrée, elle libéra sa fille des griffes de sa mère, ce qui eut pour effet de déboucher Gloria qui se mit à hurler comme si on l’écorchait vive.

–  Dehors !cria Jane. Et fais-la taire, bon sang !

– Tu n’aimes pas ta propre petite-fille !

– Mais si, mais si. Nous irons déjeuner ensemble demain ! Tu pourras l’amener !Mais fais quelque chose pour qu’elle se taise !

–  Gloria n’est pas une de tes foutues azies !

– Julia ! Surveille ton langage ! Ce ne sont pas des choses à dire.

– Tu as une petite-fille ! Et tu m’as, moi !Mais tu t’en fiches !

Nouveaux hurlements hystériques de la fillette.

– Je n’ai pas le temps d’en discuter ! Dehors !

–  Sois maudite !

Gloria hurlait toujours. Julia se mit à pleurer et prit son enfant dans ses bras, pour l’emporter vers la porte et la franchirc enfin.

Jane resta figée au milieu de la pièce redevenue silencieuse, l’estomac brassé. Julia paraissait un peu plus énergique, ce qui avait failli saboter le Projet. Il n’était pas prévuqu’Ari connût une autre petite fille. Ils progressaient toujours à tâtons. De légères modifications dans sa perception du soi alors qu’elle façonnait les bases de sa personnalité pourraient avoir des répercussions considérables sur son avenir. Mais si tout était conforme au modèle pendant ses premières années d’existence, sans doute pourrait-elle s’adapteraux déviations de parcours ultérieures.

Ari ne devait pas lui demander : Qu’est-ce que c’était, maman ?

L’original avait été une fille unique.

Et maintenant Jane venait de peiner Julia à cause de ce foutu Projet. Le mot mèreétait pour elle un catalyseur et le ferment de tous ses problèmes. Julia était déterminée à devenir une mèreexemplaire. C’était sans doute le seul domaine où la célèbre Jane Strassen avait lamentablement échoué et elle était certaine de la surpasser. Privée d’affection maternelle pendant son enfance, elle commettait l’erreur inverse. Elle pourrissait sa fille, avec son amour dévorant : cette petite peste savait ce qu’il convenait de faire pour obtenir tout ce qu’elle voulait, un peu de cohérence exceptée. Vivre un mois loin de sa mère lui eût fait le plus grand bien. Elle aurait eu besoin d’être prise en main par quelqu’un d’énergique, avant qu’il ne fût trop tard.


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