Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
сообщить о нарушении
Текущая страница: 34 (всего у книги 35 страниц)
Il s’ensuivit une période de repli, de réorganisation et de réalignement politique, jusqu’à la révélation en 2412 de l’affaire de Géhenne. L’opération effectuée sur ce monde alimentait les peurs des modérés et ternissait l’image de la majorité expansionniste, et plus particulièrement de certains de ses anciens dirigeants tels qu’Ilya Bogdanovitch, ex-président du Conseil des Neuf, Ariane Emory de Reseune et l’amiral Azov, le chef de la Défense qui avait approuvé le projet.
En 2413 les centristes obtinrent pour la première fois de l’histoire la majorité au Sénat de Viking et au Conseil de Mariner, de nombreux sièges et postes au sein du Conseil des Mondes, et quatre représentants au Conseil des Neuf.
S’ils ne détenaient la majorité absolue dans aucune des assemblées, leur influence croissante et leurs progrès rapides inquiétaient les expansionnistes et les délégués non alignés devenaient des personnages importants et courtisés avec une ferveur sans précédent. Ces pratiques donnèrent lieu à des accusations de corruption, même si aucun élu ne perdit son mandat de cette manière.
Ces antagonismes ont permis de tester la solidité de la trame de l’Union. Certains théoriciens politiques ont remis en question la sagesse des législateurs à qui nous devons le système des électorats, qui permet selon eux de défendre ses propres intérêts en les plaçant au-dessus de ceux de la Nation prise dans son ensemble.
Nasir Harad, président du Conseil, exprima l’aphorisme suivant lors de son discours de réinvestiture après sa condamnation pour trafic d’influence : « Lorsque des politiciens utilisent leurs voix pour protéger leurs intérêts, on appelle cela de la corruption ; lorsque de simples citoyens font la même chose, c’est de la démocratie. Les électeurs savent faire la différence. »
Chapitre VIII
1
Un communiqué fut diffusé dans les couloirs de la section un. Un avis de tempête, pensa Justin qui continua de saisir des données pendant que Grant gagnait le seuil de la pièce afin d’apprendre de quoi il retournait.
– Justin. Justin !
Il se recula et se leva.
Tout s’était figé, à l’extérieur. Tous écoutaient.
– c à Novgorod, sous la forme d’un dossier transmis ce matin par les représentants légaux des intérêts d’Ariane Emory qui réclament la reconnaissance de ses droits et l’invalidation de toute procédure de Divulgation engagée à l’encontre de Reseune. Il est démontré que conformément au code de l’identité parentale cette enfant mineure qui aura neuf ans dans cinq jours est la personne légale d’Ariane Emory et qu’il ne saurait être question de s’approprier ses biens sans décision de justice rendue en bonne et due forme par une juridiction compétente. Il est également demandé à la justice d’enjoindre à la Commission d’enquête d’interrompre des investigations qui portent atteinte à la vie privée, à la santé et aux droits de propriété de l’intéressée.
» Cette nouvelle a été annoncée dans la capitale au moment où la Commission s’apprêtait à ordonner la réquisition de tous les fichiers se rapportant à l’ex-conseillère, étant donné que certains de ces documents peuvent contenir des informations sur des opérations comparables à celle effectuée sur Géhenne.
» Mikhaïl Corain, leader du parti centriste et conseiller du bureau des Citoyens, a déclaré : “Il est évident que c’est une manœuvre de diversion. Reseune paraît être aux abois.”
» Après avoir pris connaissance de ce commentaire, James Morley, le porte-parole des laboratoires, a rétorqué : “Il n’était pas dans nos intentions de demander à la justice de trancher dans cette affaire mais nous devons protéger la vie privée et le bien-être de cette enfant. C’est notre préoccupation majeure depuis sa conception. Nous ne pouvons accepter qu’elle fasse l’objet de viles machinations politiciennes. Elle a des droits inaliénables, et nous savons que la cour les lui reconnaîtra. Son identité ne peut être contestée et une simple analyse cellulaire la confirmera.”
» Les représentants de l’administration de Reseune se sont refusés à tout commentairec
2
Elle croyait devenir folle. Il lui arrivait de penser que tous lui mentaient, avant de se convaincre du contraire et d’admettre qu’une autre Ari Emory avait pu vivre avant elle.
Mais le soir où elle put enfin se lever et aller dans le séjour avec le bras en écharpe, oncle Denys lui déclara qu’il avait quelque chose à lui montrer. Il précisa que ses azis seraient eux aussi intéressés et prit un gros album.
Il les fit asseoir autour de la table – Ari sur la droite, Florian et Catlin sur la gauche – puis il ouvrit l’album et le poussa devant elle : des photos, des holos et d’anciens documents jaunis par les ans. Il lui désigna un cliché d’elle, sous le portique de la Maison, en compagnie d’une inconnue.
– Voilà Ari quand elle était petite, dit-il. Et cette dame, c’est sa maman. Elle s’appelait Olga Emory.
Il montra une autre photo.
– Et voici James Carnath. Ton papa.
Elle le savait. C’était le portrait que maman lui avait autrefois montré.
La fille lui ressemblait, mais elle n’était pas en compagnie de sa maman. Par ailleurs, c’était bien son papa. Quelque chose clochait. Elle se voyait, mais les portes de la Maison paraissaient différentes.
Ce qui se déroulait dans son estomac était bizarre. Oncle Denys tourna la page sur des vues de Reseune, prises longtemps auparavant, à une époque où la Maison était moins grande, la Ville peu étendue et les champs minuscules. Il manquait des bâtiments importants, comme l’écurie de l’AG, la plupart des moulins et la moitié des constructions, et l’autre Ari suivait avec sa maman une rue qu’elle pouvait reconnaître en direction de cette agglomération inconnue.
Puis elle se vit dans la salle de classe du D r Edwards, mais avec un autre professeur. Elle étudiait le contenu d’un bocal et sa grimace était l’équivalent d’un de ses Beurk. Elle perçut cela dans ses entrailles et s’imagina son visage en de pareilles circonstances.
Mais elle n’avait jamais eu un tel corsage, ni cette épingle à cheveux.
Elle se sentait retournée, parce que ce qu’elle voyait paraissait bien réel. Il en découlait que maman lui avait raconté des mensonges et qu’elle passait pour une idiote aux yeux de Catlin, de Florian, et de tous les autres. Mais elle ne pouvait détacher les yeux de ces images. Elle restait assise, pendant que son bras cassé la faisait souffrir et qu’elle se jugeait ridicule, assise en robe de chambre et en pantoufles dans le séjour pour regarder des photos d’elle dans un lointain passé.
Très lointain.
L’autre Ari avait vécu à cette époque. Une amie de Jane, selon oncle Denys. Mais il ne lui avait pas semblé que sa maman était vieille à ce point.
Cent trente-quatre ans. Non. Cent quarante et un, nonc deux. Ari aurait bientôt neuf ans, maman avait à présent cet âge.
Cent quarante-deux ansc
Ari fêterait sous peu son neuvième anniversaire et recevrait des lettres de Lointaine : bientôt, d’un jour à l’autre. Elle aurait sans doute droit à des explications. Elle recevrait tout son courrier à la foisc
– Et voilà Jane, lui dit oncle Denys.
Il lui montra une photo. Ari jouait avec d’autres gosses, près d’une belle femme brune qui avait la bouche et les yeux de sa maman mais qui était bien plus jeune qu’elle. Et Ari devait avoir cinq ou six ans. Un bébé. Maman avait donc eu une autre Ari avant elle.
Et elle fut jalouse de cette petite Ari qui avait connu sa maman quand elle était si jolie. Elle ne souffrait plus d’avoir été abandonnée mais sentait à nouveau sa gorge se serrer.
Oncle Denys se pencha vers elle et l’attira contre son épaule.
– Je sais. Je sais, Ari. Je suis désolé.
Elle le repoussa et tira l’album devant elle, pour étudier cette photo dans ses moindres détails : les vêtements de maman et ceux d’Ari, les preuves que ce n’était pas un épisode oublié de son existence. Tout était trop démodé pour que ce fût le cas.
– Et voilà Giraud, dit oncle Denys qui désignait de l’index un garçon dégingandé.
Il ressemblait à tout le monde et à personne. À le voir, nul n’aurait pu croire qu’il deviendrait un jour si méchant. Il faisait penserc à un enfant, rien de plus.
Elle tourna la page : Ari, sa maman, un tas d’adultes.
Puis elle, en compagnie de Florian et de Catlin. Mais c’était impossible, car le décor était celui de la Reseune de l’ancien temps.
Un frisson glacial la parcourut, comme quand Cheval l’avait désarçonnée. Elle eut peur et regarda ses azis, pour voir leur réaction.
Ils ne posèrent aucune question. Ils ne voulaient rien demander. Ils respectaient les usages et ne se seraient jamais permis d’interrompre oncle Denys, mais Ari les savait déconcertés et bouleversés car ils étaient devenus très azis et attentifs.
Et elle ne pouvait même pas prendre la main de Florian pour le rassurer, à cause de son plâtre.
– Les reconnais-tu ?
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
Elle bouillait de colère. Tout cela était absurde et effrayant. Florian et Catlin avaient peur, eux aussi.
– Tu n’es pas la seule à être revenue parmi nous, déclara Denys d’une voix douce. Il y a eu une autre Catlin et un autre Florian. Ils appartenaient à la première Ari, qu’ils ont protégée toute leur vie. Tu me comprends, Florian ? Et toi, Catlin ?
– Non, ser, répondit Florian.
– Non, ser, répéta Catlin. Mais c’est logique.
– Qu’est-ce qui est logique ?
– Nous sommes des azis, et il est possible de nous reproduire à de nombreux exemplaires, précisa-t-elle comme s’il n’existait rien de plus évident.
Mais je suis une CIT,pensa Ari, bouleversée. C’est bien ce que je suis, n’est-ce pas ?
– Vous êtes des Alpha, déclara oncle Denys. Et dupliquer des Alpha est difficile. Vous évoluez très vite, mais il est exact que vous recréer pose moins de problèmes que lorsqu’il s’agit d’un CIT. Tout simplement parce que les azis reçoivent très tôt des bandes spécifiques. Éduquer Ari a étéc plus délicat.
M’éduquer. M’apprendrec quoi ? Pourquoi ?
Mais elle le savait. Elle comprenait tout, à présent. Oncle Denys expliquait ce qu’elle était en réalité, sans s’adresser à elle mais à Florian et Catlin parce que les azis assimilaient plus facilement de tels concepts.
Sais-tu ce qui différencie un azi d’un CIT ?lui avait demandé maman, le jour où elles étaient allées voir les nouveau-nés.
Je croyais le savoir.
Denys ne paraissait pas décidé à tourner la page.
– M’as-tu compris, Ari ?
Elle ne dit rien. Lorsqu’on se sentait dépassé par la situation il valait mieux laisser quelqu’un d’autre se ridiculiser à sa place, sauf si nul ne connaissait la question qu’il convenait de poser.
Mais oncle Denys savait. Il essayait de lui faire comprendre quelles révélations contenaient ces photos.
– Ta maman t’a enseigné certaines choses, et je dois à présent la remplacer. Tu es une CIT, ne va pas t’imaginer le contraire. Tu as une personnalité qui t’est propre, Ari, au même titre que Florian et Catlin. Il n’a pas été facile de parvenir à ce résultat. La première Ari était une petite fille exceptionnelle, et tu acquiers ses capacités et tout ce qu’elle a possédé. Ce dernier point est très important. Les contrats de Florian et de Catlin sont des éléments de ce qui te constitue, parce que vous êtes destinés à rester ensemble et qu’il ne serait pas juste de les exclure de ta vie. Tu détiens la majorité des actions de Reseune, ce qui fait de toi quelqu’un de très riche, et nous n’avons pas le moindre doute sur ton identité. Mais je t’ai déjà dit que nous avons des ennemis. Certains de ces individus malintentionnés voudraient s’approprier des choses qui t’appartiennentc parce qu’ils ignorent jusqu’à ton existence, comprends-tu ? Ils croient qu’Ari est morte et qu’ils peuvent prendre tout ce qu’elle avaitc et qui est à toi, désormais. Sais-tu ce qu’est un procès ? Sais-tu ce que veut dire « intenter une action en justice » ?
Elle secoua la tête, les idées embrouillées par ses propos. Il lui apprenait trop de choses à la fois, dans trop de domaines différents.
– Tu sais qui sont les juges, n’est-ce pas ?
– Ouic Les seri qui sont dans les tribunaux et qui étudient des enregistrements avant de libérer les prévenus ou de les envoyer dans un hôpital.
– Je parle d’une affaire civile, Ari, pas criminelle. Ces juges tranchent les litiges et établissent par exemple qui est le légitime propriétaire d’un patrimoine. C’est une action de ce genre que nous avons engagée devant la Cour Suprême de Novgorod, afin d’empêcher tes adversaires de te prendre tout ce que tu possèdes. Nul n’a le droit de s’approprier ce qui a déjà un légitime propriétaire. Le problème, c’est qu’on ignore que tu existes. Tu devras donc te présenter devant ces juges pour leur prouver que tu es Ari et que tu as le droit de porter son matricule-CIT.
– C’est absurde !
– Il faut leur démontrer que tu n’es pas un imposteur.
– Je sais qui je suis !
– Comment le prouveras-tu à des gens qui ne te connaissent pas ?
Elle y réfléchit, et eut des frissons.
– Tu n’as qu’à le leur dire.
– Ils me suspecteraient de mentir. Un enregistrement génétique constitue une preuve irréfutable, mais nous pourrions leur adresser un prélèvement effectué sur le généset d’Ari que nous conservons dans nos labos. Ils risqueraient d’estimer que tu n’es pas la même Ari et que tu n’as aucun droit sur ses biens. C’est pour cette raison que tu dois te présenter devant ce tribunal, et dire aux juges que c’est ton fichier génétique, que tu es Ariane Emory, et que tout ce que réclament les membres de la Commission te revient de droit.
Elle se tourna vers Florian et Catlin, blêmes et figés. Elle reporta son attention sur oncle Denys.
– Et eux ? On pourrait aussi me les prendre ?
– Si tu n’existais pas, comment pourrais-tu détenir leurs contrats ?
– C’est ridicule, oncle Denys. Complètement absurde !
– C’est à toi de le prouver. J’aurais voulu t’éviter cette épreuve pendant ta convalescence, mais le temps presse. Nos adversaires ne perdent pas de temps et ils feront voter un décret pour te spolier de tout, la totalité de ce qui t’appartient, parce qu’ils n’ont jamais entendu parler de toi. Il est indispensable que tu ailles dire aux juges que ces choses te reviennent et qu’on n’a pas le droit de te les prendre.
– Quand ?
– Sous peu. Dans quelques jours. Ce n’est pas tout, Ari. Si nous n’avons pas révélé ton existence, c’était pour éviter d’attirer l’attention sur toi. Si tu vas à Novgorod, tes ennemis te verront et tu seras ensuite en danger. La plupart voudraient te déposséder, mais quelques-uns n’hésiteraient pas à te tuer. Bien que tu sois une petite fille. Ils sont très méchants.
– Qui, ser ? demanda Catlin.
– Un certain Rocher, et des exaltés dont nous ignorons l’identité. Ari ira dans la capitale sous bonne escorte. De nombreux gardes armés assureront sa protection, mais vous devrez ouvrir l’œil, être très vigilants sans gêner vos collègues. Contentez-vous de veiller sur Ari.
– Serons-nous armés, ser ?
– Je doute qu’une telle mesure soit appréciée. Non. Vous devrez être attentifs, regarder autour de vous, faire en sorte qu’il ne puisse rien arriver à Ari.
Elle prit une inspiration profonde.
– Et moi, quel sera mon rôle ?
– Comparaître devant la cour. Tu te présenteras aux juges et répondras à leurs questions. Ils voudront savoir quand tu es née, quels sont ton nom et ton matricule. Giraud sera présent. Il te dira comment tu dois te comporter.
Elle en eut des sueurs froides.
– Je ne veux pas de Giraud ! Je veux que ce soit toi qui m’accompagnes.
– Oncle Giraud est plus qualifié que moi pour de telles démarches, ma chérie. Il fournira des enregistrements et tous seront bien forcés de te croire. Ils voudront sans doute disposer d’un prélèvement cellulaire, mais ce n’est qu’une petite piqûre de rien du tout et tu es une grande fille courageuse. Tu sais en outre que c’est indispensable. Pour prouver que tu ne mens pas. Ils ont tous vu des photos d’Ari Emoryc il sera facile de les convaincre. Mais il n’y aura pas que les juges. Il faudra aussi compter avec les journalistes, qui seront nombreux. Je doute cependant qu’ils soient méchants avec une petite fille, et ils auront peur d’oncle Giraud.
Elle n’aurait jamais cru que Giraud pourrait servir un jour à quelque chose. Mais oncle Denys avait raison, son frère était bien plus fort que lui en ce domaine.
S’il n’était pas son principal Ennemi. La situation se compliquait de plus en plus.
– Florian et Catlin partiront avec moi ?
– Oui.
– Les juges ne pourront pas me les prendre ?
– Ils ont tous les droits, ma chérie, sauf celui de te voler. Il te suffit d’apporter des preuves de ton identité, c’est tout. Voilà pourquoi tu dois aller à Novgorod. Sinon plus rien ne sera sûrc pas même ici.
Ari était assise dans un des fauteuils de cuir de RESEUNE UN : un siège si grand que ses pieds effleuraient à peine le plancher. En face d’elle, Florian et Catlin échangeaient leurs places pour regarder tour à tour par le hublot. Mais Ari en avait un pour elle toute seule et elle voyait l’arrière-pays s’étendre en contrebas, à perte de vue.
Avant de se poser à l’aéroport de Novgorod ils survoleraient l’agglomération : le port spatial, le Palais de l’État et les docks vers lesquels se dirigeaient les péniches qui descendaient avec lenteur la Novaya Volga. Ils verraient la Baie de Swigert et l’Océan. Le pilote indiquait leur position et les noms des sites qu’ils pouvaient voir ; en ce moment la Grande Cuvette occidentale, un simple point brun sur les cartes et une grande tache brune avec un lac en son centre depuis les airs. Pour interroger cet homme elle n’avait qu’à presser un bouton sur l’accoudoir du siège.
– Nous atteignons la chaîne du Kaukaz qui s’étend sur notre droite, annonça-t-il.
Ils lavaient autorisée à aller à lavant pour admirer le long ruban de la Novaya Volga.
Après lui avoir demandé si elle aimait prendre l’avion le pilote s’était fait un devoir de dire à quoi servaient les commandes, montrer comment il fallait procéder pour changer de cap et expliquer quel était le rôle des ordinateurs de bord.
C’était passionnant. Elle avait demandé une deuxième démonstration pour Florian et Catlin, puis oncle Giraud était venu lui dire de laisser le pilote tranquille et de retourner à sa place pour prendre connaissance du dossier. L’homme lui avait adressé un clin d’œil et déclaré qu’à cause de leurs acrobaties Giraud avait dû renverser son verre.
Elle eût aimé se débarrasser de son plâtre qui gênait ses mouvements et offrait à oncle Giraud l’opportunité de lui dire de rester sanglée dans son siège.
Mais elle désirait surtout en finir au plus tôt avec cette histoire de juges et de journalistes. Selon oncle Denys, elle pourrait ensuite visiter la cité. Ce serait formidable. Elle fêterait son anniversaire à Novgorod. Elle se dépêcherait de prouver qu’elle n’usurpait pas son identité puis s’adonnerait à des activités bien plus intéressantes.
Elle se demandait malgré tout ce qui se produirait si oncle Denys s’était montré trop optimiste.
Si Giraud ne réussissait pas à convaincre les juges.
Oncle Denys ne cessait de répéter que les erreurs judiciaires appartenaient au passé, que les nouvelles méthodes d’identification les rendaient impossibles. En outre, la loi était la loi et nul ne pouvait s’approprier le bien d’autrui sans une décision de justice préalable, et faire un procès à une petite fille eût été impensable. D’autant plus que Giraud avait au bureau de la Défense des amis habilités à classer des fichiers dans la rubrique confidentielle.
Autrement dit, top secret.
Les journalistes sont plus à craindre que les juges, lui avait déclaré oncle Denys. Ils exhumeront de vieilles photos de la première Ari et ils te parleront d’une enfant née à Reseune il y a très longtemps, la DP d’Estelle Bok. Cette expérience s’est soldée par un échec, mais tu as surmonté tous les problèmes qu’elle a eus. S’ils te comparent à elle, tu devras leur répondre que tu es Ari et qu’ils pourront le constater quand tu seras devenue grande. Je sais que tu te débrouilleras très bien. Rien ne t’oblige à être polie avec les journalistes agressifs, mais ils se laisseront plus facilement convaincre si tu es gentille avec eux.
Ce qui semblait laisser présager une bagarre. Oncle Denys lui avait en fait conseillé de Travailler ces gens, et il était un spécialiste de la question.
L’Ennemi triche, disait Catlin.
Ce qui l’inquiétait, car elle se demandait si les juges n’en feraient pas autant.
L’autre soir, quand ses azis étaient restés dans sa chambre, Catlin était venue lui demander à l’oreille :
– Sera, sera, en qui pouvons-nous avoir confiance ?
Pour une fois Florian n’était pas leur porte-parole, et il s’agissait sans doute de la question là plus importante que Catlin lui avait jamais posée.
Et l’azie attendait. Elle lui laissait le temps de réfléchir à la réponse. Ari lui avait fait signe de se rapprocher encore pour lui murmurer :
– Moi. Nous sommes ensemble. N’accordez pas d’importance à ce que disent les autres, c’est une Règle. Ils ne pourront pas prétendre que je ne suis pas celle que je suis.
Depuis, Florian et Catlin semblaient moins nerveux.
Elle regarda la liasse de documents qu’oncle Giraud lui avait donnés à étudier pour la préparer aux questions des journalistes et des juges, et elle regretta de ne pas pouvoir se détendre comme ses azis.
3
Ce matin-là, l’activité était réduite dans la section un et dans tout Reseune. Il eût été impossible de se procurer une vid portable, tant dans la Maison que les labos.
Justin et Grant avaient installé leur récepteur sur le plan de travail et fermé la porte de la pièce. Les jeunes concepteurs s’étaient regroupés dans la salle commune du rez-de-chaussée, mais tous ceux qui avaient participé de près ou de loin au Projet s’étaient isolés dans leurs bureaux, seuls ou en compagnie de proches amis, et nul appel téléphonique ne troublait le silence.
Ils recevaient les images transmises par les caméras officielles de la Cour Suprême ; sans aucun commentaire, conformément à la loi.
Les avocats remirent des liasses de documents aux clercs, auxquels les magistrats demandèrent si les parties étaient présentes et les dossiers complets.
Des réponses affirmatives.
Une enfant tournait le dos aux objectifs, assise à une table à côté de Giraud. Elle resta immobile et ne manifesta aucune nervosité pendant l’ouverture de l’audience, malgré son manque d’intérêt évident.
Justin pensa qu’elle devait prêter l’oreille et froncer les sourcils, comme à son habitude.
Les médias avaient couvert l’atterrissage de l’appareil mais seule la caméra du salon d’accueil de l’aéroport avait permis aux journalistes de voir Ari Emory. Aucune interview ne pouvait leur être accordée avant la fin du procès.
Ari tenait oncle Giraud par sa main valide, vêtue d’un ensemble bleu ciel très juvénile, flanquée de Florian et Catlin en uniforme noir. Ces azis avaient fait penser à des enfants déguisésc jusqu’au moment où ils s’étaient tournés vers le point d’origine d’un bruit sec, comme mus par les mêmes muscles.
– Ils doivent en avoir froid dans le dos, avait murmuré Justin à Grant. Merde. C’est bien eux, on ne peut pas en douter. Peu importe leur taille.
Les services de l’information avaient ensuite passé un document d’archive : l’écran scindé en deux parties distinctes pour permettre aux spectateurs de comparer l’Ari actuelle et ses azis à leurs versions précédentes. Le trio visible sur la vieille photo leur ressemblait à tel point qu’on aurait pu croire assister à la même scène, prise sous un angle et un éclairage différents. Ari, vêtue d’un autre ensemble, avec à son côté Geoffrey Carnath au lieu de Giraud Nye.
– Seigneur ! même leurs expressions sont identiques, avait-il murmuré en découvrant le froncement de sourcils d’Ari (des deux Ari) et son port de tête. Se sont-ils donné la peine de lui inculquer ses attitudes ?
– Voilà qui ne m’étonnerait pas outre mesure, avait répondu Grant. Elle a reçu des bandes instinctives, et rien ne prouve qu’ils se sont contentés de lui enseigner la calligraphie, pas vrai ?c Mais nous sommes nombreux à prendre des habitudes de ce genre.
Pas les CIT,avait-il pensé. Merde ! c’est nécessairement cela. Une bande d’acquisition instinctive. Un apprentissage musculaire. Seule une très bonne actrice pourrait réaliser une imitation aussi parfaite d’Ari.
Ou encore cette dernière. Ils disposent de tous les enregistrements d’Olga. Se donneront-ils autant de peine pour Rubin junior ?
Il étudiait la petite fille attentive et immobile en face des juges. Florian et Catlin n’avaient pas été autorisés à s’asseoir près d’elle. Il n’y avait que Giraud et leurs avocats.
– Reseune a refusé de fournir des enregistrements génétiques, fit remarquer le président du tribunal. Les laboratoires ont-ils modifié leur position sur ce point ?
Giraud se leva :
– Il serait superflu de rappeler à la cour que le généset en question est celui d’une Spécialec
Le président du tribunal et oncle Giraud prenaient tour à tour la parole. Ari prêtait attention à leurs propos et restait immobile.
Ils parlaient de génétique, de phénotypes, d’empreintes digitales et rétiniennes. Ils avaient procédé à tous les tests d’usage, un prélèvement cellulaire excepté, lorsqu’elle s’était présentée au bureau de l’identité du tribunal.
– Ariane Emory, dit le président, veuillez venir à la barre.
Elle se leva. Oncle Giraud avait précisé qu’elle n’était pas tenue de respecter le protocole, étant donné que les juges ne s’attendaient pas à avoir affaire à une avocate, mais qu’elle devrait être très polie avec ces magistrats. Ils étaient chargés de résoudre les cas les plus épineux et méritaient en conséquence son respect.
– Bien, ser.
Elle leur fit une petite courbette semblable à celle exécutée par Giraud un peu plus tôt puis gagna la barre et les regarda. Ils étaient au nombre de neuf, comme les conseillers. Elle avait entendu parler de la Cour Suprême, dans ses bandes, et à présent qu’elle comparaissait devant ce tribunal elle trouvait cela fascinant.
Bien qu’elle eût préféré assister à un autre procès que le sien.
– Vous appelle-t-on Ari ?
– Oui, ser.
– Quel âge avez-vous, Ari ?
– J’aurai neuf ans dans quatre jours.
– Quel est votre matricule ?
– CIT 201. 08. 0089, sans DP.
Elle l’avait lu dans un des documents fournis par oncle Giraud.
Le juge feuilleta quelques dossiers puis releva les yeux.
– Je constate que vous avez grandi à Reseune.
– Oui, ser. J’y vis.
– Vous avez un bras dans le plâtre, pourriez-vous nous en expliquer les raisons ?
Giraud lui avait bien recommandé de ne dire que la stricte vérité, au sujet de son accident.
– Je suis tombée de Cheval.
– Dans quelles circonstances ?
– J’étais sortie de la Maison avec Florian et Catlin. Une fois en Ville, je suis montée sur Cheval et il m’a projetée par-dessus la clôture.
– Ce Cheval serait-il un véritable cheval ?
– Oh, oui ! Il vient des labos. C’est mon animal préféré.
Elle se rappela ce qu’elle avait éprouvé pendant le court instant passé sur le dos de sa monture, juste avant la chute, et cela l’emplit de bonheur. En outre, le président du tribunal semblait s’intéresser au sujet.
– Ce n’était pas sa faute, précisa-t-elle. Il n’est pas méchant. Il a été surpris et a sursauté, c’est comme ça que je me suis envolée.
– Qui aurait dû vous surveiller ?
– La sécurité.
L’expression bizarre du juge semblait indiquer qu’elle venait de lui révéler plus de choses qu’elle n’en avait eu l’intention. Tous les magistrats paraissaient partager ce point de vue et trouver sa réponse amusante. Mais comme la situation risquait d’échapper à son contrôle et que ça ne ferait pas plaisir à tout le monde, elle prit la ferme décision d’être un peu plus prudente à l’avenir.
– Faites-vous des études ?
– Oui, ser.
– Vos professeurs sont-ils gentils avec vous ?
Il essayait de la Travailler, c’était évident. Elle arbora une expression angélique.
– Oh, très !
– Et eux, sont-ils satisfaits de vos résultats ?
– Je le pense. Je suis très forte dans toutes les matières.
– Pourriez-vous me dire ce qu’est le DP d’un individu ?
Une question piège. Elle voulut regarder oncle Giraud mais estima que cela risquait d’être mal interprété. Elle leva les yeux vers le président du tribunal.
– C’est la même personne légale.
– Savez-vous ce qui en découle ?
– Oui, si vous authentifiez mon identité nul n’aura le droit de prétendre que je suis quelqu’un d’autre et de s’approprier ce qui m’appartient sans qu’une décision de justice soit rendue ; et comme les mineurs ne sont pas censés pouvoir assurer leur défense ou savoir ce qu’ils veulent, il sera impossible de me faire un procès avant ma majorité.
Il en parut ébranlé.
– Vous a-t-on appris ce que vous devriez répondre ?
– Aimeriez-vous entendre dire que vous n’êtes pas qui vous êtes ? Ou qu’on veuille vous voler toutes vos affaires ? Ceux qui le feraient apprendraient trop de choses sur votre compte, et ce ne serait pas bien de faire celac surtout à un enfant. Il deviendrait facile de le psycher, ensuite.
Ce qui l’ébranla à nouveau.
– Dieu, murmura Justin.
Giraud raccompagnait Ari vers son siège.
– Elle a très bien répondu à cette question, commenta Grant.
Mikhaïl Corain foudroya l’écran du regard et mordilla sa lèvre inférieure, au point de la faire saigner.
– Merde, merde, merde ! grommela-t-il. Que pourrions-nous faire contre ça ? Cette gosse a bien appris sa leçonc
– Les intérêts d’une enfant ne peuvent tout de même pas passer avant ceux de la nation, déclara Dellarosa.
– C’est votre avis, et le mien, mais pas nécessairement celui des juges. Il ne faut pas oublier que ces vieux birbes ont été nommés sous le régime de passe-droits d’Emory et que le président du tribunal était un ami de cette femme. Nous devons contacter Lu.
– Encore ?
– Encore, oui. Dites-lui que c’est une urgence. Il sait ce que je veuxc allez le voir. Non, laissez tomber. Je m’en charge. Trouvez-moi un véhicule.
Suivez l’audition,disait le message de Giraud. Et le secrétaire de la Défense fixait l’écran, la mâchoire calée sur ses poings, le pouls emballé, les coudes posés sur des piles de photos et de bulletins scolaires. Une petite fille aux yeux brillants, avec un bras dans le plâtre et une balafre au menton. L’effet serait parfait sur le public.