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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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– Nelly viendra s’installer ici, lui dit oncle Denys en s’asseyant de l’autre côté de la table. Elle sera à toi.

– Où est Ollie ? demanda-t-elle en serrant avec force le verre posé sur ses cuisses.

– Avec ta maman. Elle avait besoin de lui.

Ari inspira à pleins poumons : une bonne nouvelle, enfin. Dès l’instant où maman avait dû partir, il était bien qu’Ollie fût près d’elle.

– Phaedra est partie avec eux, ajouta Denys.

– Je me fiche de Phaedra !

– C’est Nelly que tu veux, pas vrai ? Maman te l’a laissée, pour qu’elle continue de s’occuper de toi.

Elle hocha la tête. Elle sentait une grosse boule dans sa gorge, son cœur paraissait dix fois trop gros pour sa poitrine et ses yeux étaient humides.

– Je ne sais pas grand-chose sur la façon d’élever une petite fille, et Seely non plus. Mais ta maman a fait envoyer toutes tes affaires ici. Tu auras une suite personnelle, pour toi et Nelly. Veux-tu voir ta chambre ?

Elle secoua la tête, et prit sur elle pour ne pas pleurer, ne pas se mettre en colère. Comme maman.

– Nous verrons plus tard, d’accord ? Nelly reviendra ce soir. Elle sera un peu nerveuse, parce qu’elle supporte mal les changements qui se produisent dans son existence. Promets-moi d’être bien gentille avec elle, Ari. Nelly est ton azie et tu dois veiller sur elle. Les meds voudraient la garder à l’hôpital mais elle refuse de te laisser seule. Elle rentrera chaque soir, après avoir reçu ses bandes. C’est indispensable, pour la calmer, mais elle t’aime et veut s’occuper de toi. Même si je crains que ce ne soit toi qui doives veiller sur elle. Tu me comprends ? Tu pourrais lui faire beaucoup de peine.

– Je sais, dit Ari.

Et elle en avait conscience.

– Très bien. Tu es une petite fille courageuse, plus un bébé. J’ai conscience que c’est pénible, très péniblec Merci, Seely.

L’azi venait d’apporter de l’eau et une pilulec pour elle. Seely n’était personne. Pas comme Ollie. Ni joli ni vilain. Il n’était rien du tout. Seulement un azi. Il posa un verre sur un plateau, pour le lui présenter.

– Je ne veux pas de bande ! cria-t-elle.

– Ce n’est pas un cataphorique, expliqua oncle Denys. Grâce à ceci ta tête ne te fera plus souffrir. Tu te sentiras bien mieux.

Elle ne se souvenait pas lui avoir dit qu’elle avait la migraine et maman lui répétait toujours de ne pas accepter les pilules qu’on lui proposait. Surtout celles destinées aux azis. Mais maman n’était plus là.

Comme Valery. Comme sera Schwartz. Comme tous les Disparus. Maman et Ollie venaient de tomber à leur tour dans un piège.

Je serai peut-être la prochaine à Disparaître. Et alors je me retrouverai avec eux.

– S’il vous plaît, sera, murmura Seely.

Elle prit la pilule, la posa sur sa langue et but de l’eau, pour l’avaler.

– Merci.

Il parlait d’une voix si douce qu’elle remarquait à peine sa présence. Il emporta le verre. Elle ne se rendit pas compte qu’il n’était plus là.

Mais elle voyait bien oncle Denys. Il était si gros que le fauteuil s’affaissait sous son poids. Il laissait ses bras reposer sur ses genoux et, à en juger par l’expression de son visage tout rond, il était à la fois bouleversé et ennuyé.

– Tu ne seras pas obligée de retourner à la garderie. Tu resteras ici aussi longtemps que tu le voudras. Pour l’instant, tu ne peux pas croire que ça va aller mieux, mais tu verras. Tu te sentiras déjà moins angoissée, dès demain. Ta maman continuera de te manquer, mais ce ne sera pas aussi pénible. Ça va s’atténuer, de jour en jour.

Elle ne le voulait pas. Elle ignorait qui faisait Disparaître les gens mais elle savait que ce n’était pas maman. Et même si oncle Denys lui offrait des montagnes de cadeaux, elle refuserait de croire ce qu’il lui disait.

Maman et Ollie avaient su qu’ils auraient des ennuis. Ils étaient terrifiés et tentaient de le lui dissimuler. Peut-être espéraient-ils pouvoir tout arranger. Ari l’avait perçu, sans savoir l’interpréter.

Tous les Disparus se retrouvaient peut-être au même endroit. Comme les morts. Les gens avaient des problèmes et ils partaient ailleurs, une chose face à laquelle même maman avait été impuissante.

Et si maman n’avait pu l’empêcher, elle ne le pourrait pas non plus. Elle devrait les harceler, jusqu’au moment où il ne resterait plus personne. Peut-être était-ce sa faute. Elle le suspectait depuis longtemps. Mais lorsqu’ils n’auraient plus de gens à faire Disparaître elle finirait par découvrir ce qui se passait.

Et elle pourrait peut-être aller les rejoindre.

Elle ne se sentait pas très bien. Elle ne percevait plus ni ses mains ni ses pieds, et elle avait des brûlures d’estomac.

Des problèmes. Seely la prit dans ses bras et la pièce tournoya et se métamorphosa en vestibule, puis en chambre. Seely l’allongea avec douceur sur un lit et lui retira ses chaussures, avant de remonter la couverture.

Poo-Poo était près d’elle, sur le couvre-lit. Elle tendit la main et le toucha. Elle ne se rappelait plus quand on lui avait donné Poo-Poo. Elle le possédait depuis toujours. Il était le seul à être revenu après avoir Disparu. À présent, il ne lui restait plus que lui.

5

– Pauvre gosse, marmonna Justin qui leur resservait du vin. Pauvre gosse. Merde, ils auraient tout de même pu l’autoriser à aller à l’aéroport, non ?

Grant secoua la tête et but, avant de faire un geste pour lui rappeler que la sécurité les écoutait peut-être.

Justin se frotta les yeux. Il ne risquait pas de l’oublier, même s’il lui arrivait de ne plus y accorder d’importance.

– Ce n’est pas mon problème, déclara l’azi. Ni le tien.

– Je sais.

À l’intention d’éventuels auditeurs. Ils ne pouvaient savoir s’ils étaient espionnés. Ils avaient cherché des moyens de déjouer cette surveillance, et même envisagé de créer un langage sans mots apparentés, sans règles de grammaire fixesc un jargon mémorisé à l’aide de bandes. Mais l’utiliser eût éveillé les soupçons et ils employaient toujours la méthode la plus simple : l’ardoise. Il se pencha pour la prendre et griffonna : Il m’arrive de vouloir fuir à Novgorod et travailler dans une usine. Nous concevons des bandes destinées à créer des êtres normaux. Nous leur apportons de la confiance en eux et en leur prochain, nous leur permettons de s’aimer les uns les autres. Mais tous les concepteurs ont sombré dans la folie.

Grant écrivit : Je crois en mes créateurs et mon superviseur. C’est mon réconfort et mon soutien.

– Tu es malade.

L’azi se mit à rire, puis recouvra son sérieux. Il se pencha vers son ami et posa la main sur son genou. Ils étaient tous deux assis en tailleur sur le divan.

– J’ai conscience de ne pas appréhender les concepts de bien et de mal. Un azi ne doit pas employer de tels motsc pas dans leur sens cosmique. Mais tu es à mes yeux quelqu’un de très bien.

Justin en fut ému. Malgré les années écoulées ces maudits flashes-bandes le tourmentaient encore, tels les élancements d’une très vieille blessure. Son ami jugeait cela secondaire et il s’en sentait réconforté. Il posa sa main sur celle de l’azi et exerça une légère pression, faute d’avoir trouvé un quelconque commentaire.

– Je suis sincère. Ta situation est difficile. Tu t’efforces de faire le bien. Trop, parfois. Je prends du repos. Tu devrais m’imiter.

– Ai-je le choix, quand Yanni me surcharge dec

Grant lui secoua le genou.

– Non. Tu n’as qu’à refuser. Rien ne t’oblige à travailler autant. Tu pourrais consacrer tes loisirs à faire ce que tu désires. Tu sais ce qu’ils veulent obtenir. Ne leur permets pas de te refiler ce travail supplémentaire. Tu peux dire non. Tu n’en as pas besoin.

Un bébé se développait dans une cuve de Lointaine, le double d’un certain Benjamin Rubin isolé dans une enclave aménagée derrière un mur infranchissable, un homme qui effectuait des recherches dans un labo installé à son intention par Reseune.

Dans le but de disposer d’un cobaye sur lequel la Défense reporterait toute son attention. Et lorsque Jane Strassen arriverait à son tour dans cette station, elle deviendrait la mère d’un autre enfant du projet en cours.

Il le savait. Ils lui avaient fourni des enregistrements d’entretiens avec Rubin, en le chargeant de préparer les bandes-structures. Et il avait conscience qu’ils ne les utiliseraient pas sans les soumettre à un contrôle préalable.

Pas celles-ci, tout au moins. Et cela lui procurait du soulagement, après avoir dû assumer l’entière responsabilité de ses travaux pendant un an.

– C’est une preuve de confiance, non ?

Sa voix était rauque, révélatrice de la tension qu’il tentait de dissimuler.

– Ce n’est qu’un poids supplémentaire sur tes épaules, un fardeau dont tu pourrais te passer.

– C’est sans doute une opportunité de réaliser quelque chose de valable. Le projet est très important. Une chance pareille ne s’est pas présentée depuis longtemps. J’espère pouvoir rendre la vie de ce Rubinc meilleure.

Il se pencha pour verser du vin. Grant le prit de vitesse.

– Au moins cet homme a-t-il bénéficié d’un peu de compassion. Sa mère vit à bord de la station, il peut la voir. Il a quelqu’un à qui se raccrocher.

Avec ou sans les gardes qui entouraient un Spécial. Justin savait tout cela. Un intellectuel isolé et désorienté, à l’enfance marquée par une santé précaire et un attachement à sa mère excessif et désespéré, préoccupé par sa maladie et divers problèmes qui l’avaient privé de toutes les passions de l’adolescence, à l’exception de celles propres à ses activités professionnelles. Mais sans rienc rien de ce qui avait fait d’Ari Emory la femme qu’elle était devenue.

Grâce à Dieu.

– Je peux faire quelque chose pour lui. Il me faudra en outre étudier le psych des citoyens, ce qui me sera utile. La méthodologie est différente.

Grant le dévisagea en fronçant les sourcils. Ils étaient autorisés à parler de leur travail, dans l’intimité, et ils n’avaient donc pas à s’inquiéter des écoutes. Mais leur conversation devenait dangereuse et peut-être en avaient-ils déjà trop dit. Il ne savait plus. Il ressentait une profonde lassitude. Étudier, pensa-t-il. Ne plus devoir travailler sur des cas réels. Il ne désirait rien de plus. Grant semblait avoir raison de dire qu’il n’était pas fait pour affronter des situations de crise en temps réel. Le sort des azis concernés lui tenait trop à cœur.

Yanni lui avait crié :

– L’empathie, c’est parfait dans le cas d’un entretien avec le sujet, mais elle ne doit pas entrer en ligne de compte dans la recherche d’une solution ! N’oubliez pas qui vous traitez !

Des reproches fondés. Il n’avait pas les qualités requises pour procéder à des interventions psych cliniques. Parce qu’il ne pouvait analyser la situation avec détachement quand il partageait la souffrance du patient.

À cause de la prise de position de Yanni et de Denys – car il n’aurait pu se voir confier ces nouvelles tâches sans son intervention auprès de Giraud –, Reseune lui avait confié ces recherches pourtant confidentielles, de quoi donner à sa carrière une direction différente, plus proche de celle que suivait son père, et de lui permettre d’acquérir une certaine notoriété en ce domaine. Travailler sur un CIT attirerait sur lui l’attention des militaires, sans toutefois leur offrir un prétexte pour réclamer son transfert. Cela pourrait le réhabiliter et servir les intérêts de Jordan. Cette possibilité n’était pas à exclure.

Et c’était aussi une sorte d’ultimatum, une faveur qu’il regretterait s’il avait le front de la refuser. Il devait toujours tenir compte de telles considérations, même lorsqu’on lui faisait une gentillesse.

6

À son réveil, Ari découvrit qu’elle n’était pas seule dans son lit. Elle se souvint avoir ouvert les yeux pendant la nuit en sentant quelqu’un se glisser près d’elle et la prendre dans ses bras pour lui murmurer d’une voix familière :

– Je suis ici, jeune sera. Nelly est revenue.

Mais si l’azie était toujours là au matin, maman se trouvait loin et cette chambre n’était pas la sienne. Ari vivait désormais chez oncle Denys et elle voulait hurler, pleurer ou s’enfuir, courir jusqu’à un lieu où nul ne la retrouverait.

Elle resta malgré tout allongée, sans bouger, parce qu’elle savait qu’elle ne reverrait pas sa maman et qu’oncle Denys avait raison : elle se sentait moins angoissée que la veille. Des pensées de petit déjeuner venaient s’insérer entre les accès de chagrin et de désir que maman fût près d’elle à la place de Nelly.

C’était une consolation, que d’avoir encore Nelly. Elle toucha le visage de l’azie, qui s’éveilla, l’étreignit et caressa ses cheveux en disant :

– Je suis là, Nelly est là.

Avant d’éclater en sanglots.

Ari la serra contre elle. Et elle se sentit flouée parce qu’elle voulait pleurer mais que cela eût bouleversé l’azie. Et elle se montra raisonnable, comme disait maman. Elle ordonna à Nelly de se ressaisir.

L’azie cessa de renifler et de pleurnicher, puis se leva et s’habilla. Ensuite, elle donna un bain à Ari, lui lava les cheveux et lui mit un pantalon bleu tout propre ainsi qu’un pull-over. Et elle la peigna, si longtemps que des crépitements s’élevèrent de sa chevelure.

– Vous devez aller prendre votre petit déjeuner avec ser Nye, déclara-t-elle.

La nourriture était bonne et copieuse, à la table d’oncle Denys. On y servait la plupart des denrées comestibles imaginables. Ari recouvra son appétit. Oncle Denys se resservit de chaque plat et lui annonça qu’elle pourrait rester toute la journée dans l’appartement, avec Nelly puis Seely lorsque l’azie irait à l’hôpital.

– Oui, ser.

Tout était parfait. Rien ne l’était. Après les événements de la veille, peu lui importait qui lui tiendrait compagnie. Elle voulait savoir où était maman, et où elle irait. Mais elle ne le demanda pas parce qu’elle était un peu moins triste et très lasse.

Elle savait en outre que même si oncle Denys acceptait de lui répondre la situation resterait inchangée. Elle ne connaissait que Reseune.

Elle écoutait Nelly qui lui lisait des histoires. Par instants, elle pleurait sans trop savoir pourquoi. À d’autres moments, elle sommeillait. Elle s’éveilla et Nelly lui annonça que Seely allait la remplacer.

L’azi lui servit à boire, aussi souvent qu’elle le demanda. Il lui mit la vid et se plia à ses moindres désirs.

Elle déclara qu’elle voulait aller donner à manger aux poissons. Ils le firent. Une fois de retour il lui prépara une autre boisson. Elle regretta que maman ne fût pas là pour lui rappeler que c’était mauvais pour la santé. Elle décida d’en rester là, demanda du papier et s’assit pour dessiner.

Ce qu’elle fit jusqu’au retour d’oncle Denys. Pendant le dîner, il lui parla de son emploi du temps du lendemain et précisa qu’il lui achèterait tout ce qu’elle désirerait.

Et elle souhaitait avoir beaucoup de choses, dont un vaisseau spatial avec des lumières partout et une nouvelle veste. Si oncle Denys voulait lui faire plein de cadeaux, elle se chargerait de décider lesquels. Elle pensait à des jouets hors de prix que maman eût catégoriquement refusé de lui offrir.

Mais de telles choses ne pouvaient suffire à la rendre heureuse. Quand ils allaient dans les magasins elle prenait les paquets et réclamait d’autres cadeaux, pour bien faire comprendre que c’était importantc mais insuffisant pour lui permettre d’oublier.

7

Grant attendait, en proie à l’angoisse. Il n’avait pas pris de rendez-vous et devait l’ouverture de la porte à la serviabilité de Marge, la secrétaire de Yanni Schwartz qui subissait à présent des reproches dans la pièce voisine. Si Grant ne pouvait suivre l’altercation, il se doutait qu’elle se rapportait aux importuns en général et à Justin Warrick en particulier.

Et pendant un court instant il faillit se lever et s’esquiver, parce qu’il prenait conscience que son initiative pourrait attirer des ennuis à Justin. Il craignait en outre que Yanni pût l’ébranler au point de le pousser à révéler des choses qu’il devait passer sous silence. Grant n’aimait pas avoir affaire aux hommes-nés tels que lui : emportés, obstinés et menaçants dans leurs moindres gestes. Yanni lui rappelait les individus qui l’avaient conduit dans la casemate des collines de Grand Bleu, et Giraud lorsqu’il avait procédé à son interrogatoire. Pour pouvoir rester assis sans céder à la panique, il dut vider son esprit et empêcher ses pensées de revenir s’y glisser. Puis la secrétaire fut de retour :

– Il accepte de te recevoir.

Il se leva et s’inclina devant elle.

– Merci, Marge.

Il gagna l’autre pièce, s’avança et déclara :

– Ser, je souhaiterais vous parler de mon CIT.

Avec les façons d’un azi. Justin lui avait affirmé que cet homme ménageait ses patients. Il calqua son attitude sur celle de ces derniers et attendit sans rien ajouter.

– Je ne donne pas de consultations, répondit Yanni.

Après avoir constaté que son interlocuteur n’était pas disposé à lui faire de faveurs, Grant renonça à jouer à l’annie docile. Il tira vers lui le siège disponible et s’assit.

– Je dois vous parler, ser. Justin accepte tout le travail que vous lui remettez et c’est à mes yeux une erreur.

– Tiens donc ?

– Il n’est pas dans vos intentions de lui confier autre chose que de simples ébauches, n’est-ce pas ? Où cela va-t-il le mener, alors qu’il a déjà vingt ans d’expérience professionnelle ? Nulle part. Il n’aura rien de plus qu’à ses débuts.

– Il s’exerce, et il en a besoin. Tu devrais le savoir. Tu souhaites que nous discutions de ton partenaire ? Tu connais ses problèmes. Il serait superflu de te les énumérer.

– Quels sont-ils, d’après vous ?

Yanni avait été jusqu’alors détendu, ou presque. Sa mâchoire se serra et son menton s’avança. Toute son attitude devint agressive, lorsqu’il se pencha sur son bureau.

– Ne serait-il pas préférable que ton CIT vienne me voir ? J’aimerais savoir si c’est lui qui t’envoie, ou si tu as pris seul cette initiative.

– C’est mon idée, ser.

Il réagissait, bon sang. Ses paumes devenaient moites. Il lui fallait ramener ce CIT à de meilleurs sentiments.

– Vous m’inspirez de la crainte et j’avoue que la perspective de passer vous voir ne suscitait pas mon enthousiasme, mais je savais que Justin refuserait de s’adresser à vous, ou tout au moins de vous parler en toute franchise.

– Pour quelle raison ?

Cet homme ne devait jamais être détendu.

– Parce que, serc

Il inspira et tenta d’oublier ce qui se passait dans ses entrailles.

– c vous êtes le seul à pouvoir lui apprendre des choses. Vous êtes pour lui l’équivalent d’un super. Il est contraint de vous accorder sa confiance, et vous en abusez. Assister en simple témoin à ce que vous lui faites m’est très pénible.

– Nous ne parlons pas du psych d’un azi, Grant. Tu ignores de quoi il retourne et tu t’aventures en terrain dangereuxc Je me réfère à ton propre esprit. Ne t’identifie pas à ton CIT. Tu as une intelligence suffisante pour pouvoir en assimiler les raisons. Dans le cas contrairec

– Vous pouvez me conseiller de prendre une bande, ser. Mais je vous demande de me prêter attention. Écoutez ce que j’ai à vous dire ! Je ne vous connais pas en tant qu’homme, mais j’ai pu constater les résultats de vos actions. Il est possible que vous vouliez aider Justin et j’admets que cela lui a été utile dans une certaine mesure, mais il ne peut continuer de travailler autant.

Yanni gronda, tel un moteur qui s’arrêtait, puis il se pencha en arrière contre le bras du fauteuil afin de l’étudier, les sourcils froncés.

– Parce qu’il n’est pas fait pour intervenir en temps réel. Je le sais. Tu le sais. Il le sait. J’ai cru qu’il finirait par s’adapter, mais c’est contraire à son tempérament.

Il ne peut trouver la perspective qui convient. Il ne possède pas la patience requise pour effectuer des études de conception standard, la répétition l’exaspère. C’est un créateur, voilà pourquoi nous l’avons transféré sur le projet Rubin. Denys lui a obtenu cette affectation, avec mon soutien. C’est le mieux que nous pouvions faire pour luic lui confier du travail théorique, mais dans un autre domaine que celui de ses recherches absurdes. Or il ne peut se concentrer sur rien d’autre. Je le sais ! Il est encore pire que son père, quand il a une idée dans le crâne. Il ne peut s’en débarrasser avant qu’il ne s’en dégage la puanteur de la putréfaction. T’estimes-tu satisfait ? Parce qu’il n’a le choix qu’entre continuer sur le projet Rubin ou végéter dans la conception standard, et que je ne puis permettre à un membre de mon équipe de consacrer trois semaines à des travaux qu’une autre personne terminerait en trois jours.

S’il avait jusqu’alors vu un ennemi en Yanni, il cessait de rester sur la défensive. Il découvrait en face de lui un honnête homme qui avait des difficultés à entendre ce qu’on lui disait et qui, pour une fois, paraissait écouter.

– S’il vous plaît, ser. Justin n’est pas Jordan. Il n’emploie pas les mêmes méthodes que son père. Mais il suffirait de lui en offrir l’opportunité pour qu’il réalise des recherches pleines d’intérêt. Vous ne partagez pas son point de vue, mais il s’instruit auprès de vous. Vous savez que les concepteurs azis ont un avantage sur les autres, en ce qui concerne les applications de leurs travaux. Je suis un Alpha. Je peux analyser un nouveau concept, imaginer ses effets, et porter sur lui un jugement. J’ai travaillé avec Justin sur ses projets et je peux vous direc je peux vous dire que je les crois valables.

– Seigneur, il ne manquait plus que ça !

– Ser, il serait impossible à un CIT de le percevoir au même titre que moi. Je possède un système d’analyse logique.

– Ses capacités ne sont pas en cause, depuis qu’il a chassé les araignées qu’il avait au plafond. Ou tout au moins qu’il réussit à les dissimuler. Je parle de ce qui risque de se passer quand ses ensembles s’intégreront dans un psych de CIT. À la deuxième, troisième et quatrième génération. Nous ne voulons pas nous retrouver avec une population d’individus obsédés par leur travail. Nous ne désirons pas que des vieillards ratatinés et grisonnants sombrent dans la folie le jour où ils devront quitter leur chaîne d’assemblage. Nous ne tenons pas à voir le nombre de suicides grimper s’il se produit des malfaçons ou une récession économique. Il s’agit en l’occurrence du psych des CIT, le domaine qu’il connaît le moins et qu’il devrait étudier pendant dix ou vingt ans avant de pouvoir y toucher. Tu dis percevoir ces choses. Eh bien, je suis un spécialiste du psych des CIT et j’ai plus de soixante ans d’expérience professionnelle. J’espère qu’un concepteur débutant saura l’apprécier.

– Votre compétence m’inspire un profond respect, ser. Et à Justin également. Mais son projetc il ne fait pas qu’augmenter l’efficacité d’un psychset, il lui apporte de la joie. Ce que vous considérez comme une source de problèmes est en fait une récompense. Il est faux de dire qu’un enfant d’azis qui reçoit une éducation et un statut de CIT interprète ce qu’il apprend en fonction de son psychset. Le fait d’insérer une des petites routines de Justin dans les ensembles d’un azi – même si ce dernier n’a pas eu ma chance : s’il n’est pas un Alpha, s’il ne s’est pas intégré aussi bien que moi et n’a pas eu un compagnon CIT depuis toujours – lui apporterait la plénitude qu’engendre la conviction d’être utile à la communauté. Il tirerait de la satisfaction de son travail. De la fierté, ser. Il subsistera sans doute des problèmes, mais l’impact se produit au niveau émotionnel. C’est la clé d’accès aux ensembles logiques eux-mêmes, une interaction qui peut s’autoprogrammer. Nul n’en a tenu compte.

– Il en résulterait une multitude de dégâts dans les structures de base des psychsets artificiels. À ce stade, il devient nécessaire de faire un peu de théorie. Tu es un concepteur compétent et j’irai droit au but. Des chercheurs ont déjà tenté de réaliser cela il y a quatre-vingts ans.

– Je le sais.

– Ils se sont contentés d’ajouter quelques fioritures à des psychsets, et cela a été suffisant pour engendrer des névroses. Un comportement de type obsessionnel.

– Vous admettrez que Justin a su éviter ce piège.

– Mais cela s’autoprogramme, tu l’as dit toi-même.

– C’est un ver, mais un ver inoffensif.

– Voilà bien le domaine auquel appartiennent de telles théories. Un ver. Seigneur ! Si cette chose peut s’autoprogrammer, nous sommes en présence d’un ver qui mettra en péril la vie des gens. Dans le cas contraire, c’est une bombe à retardement qui explosera à la deuxième ou à la troisième génération. Un ver d’une autre espèce, en quelque sorte. Je préférerais être pendu plutôt que de favoriser de telles recherches. J’ai en outre un budget à respecter. Vous me coûtez très cher sans rien m’apporter en échange.

– Nous n’avons pas chômé, l’année dernière.

– Mais Warrick ne peut garder le rythme. N’est-ce pas le but de ta visite ? Il est dans l’impossibilité de poursuivre cet effort. Il est épuisé, physiquement et mentalement. Alors, que vas-tu me proposer ? D’abattre une partie de son travail pour lui permettre de vivre dans les nuages et de concevoir des ensembles qui ne peuvent fonctionner et que je ne l’autoriserai jamais à tester sur un pauvre bougre de cobaye ? Je m’y oppose.

– Je l’aiderai. Accordez-lui un peu de liberté. Allégez le fardeau qui pèse sur ses épaules. Offrez-lui une chance, ser. Il compte sur vous. Vous êtes le seul à même de l’aider. C’est un chercheur valable, vous le savez.

– Et il gaspille son talent.

– Que faisiez-vous, au début ? Vous analysiez ses idées et lui appreniez ce qu’il ignorait. Recommencez. Cessez de le surcharger de travail. Il accepte tout ce que vous lui donnez et s’y consacre sans prendre de repos parce qu’il sait que quelqu’un souffre. C’est sa nature. Confiez-nous des tâches raisonnables et nous les mènerons à bien. Si Justin a un don pour obtenir d’un génotype bien plus de choses que les autres chercheurs, c’est parce qu’il fait entrer en ligne de compte les facteurs émotionnels. Il se peut que ses projets soient irréalisables mais, pour l’amour de Dieu, il n’a même pas encore terminé ses études. Vous ignorez ce qu’il pourra devenir. Offrez-lui une chance.

Yanni le dévisagea, pendant un long moment. Son visage s’était empourpré et il mâchonnait sa lèvre inférieure.

– Tu as un sacré bagout, mon garçon. Mais sais-tu vraiment de quoi il retourne ? Ari a fait main basse sur un gosse vulnérable qu’elle jugeait très avancé pour son âge. Elle lui a prodigué des flatteries et lui a débité un tas de conneries. Pour couronner le tout, elle l’a psyché dans son propre lit. Étais-tu au courant ?

– Oui.

– Elle a réalisé sur lui un travail en profondeur. Il croit avoir été brillant, bien supérieur à ce qu’il est à présent, et ce n’est pas en alimentant cette tendance qu’on lui rendra service. C’est un type valable, mais il n’a rien d’un génie. Il serait à son affaire, dans le cadre du projet Rubin. J’ai vu de quoi il est capable, je sais qu’il a en lui un potentiel inexploité et cela m’inspire du respect. Mais il n’est pas dans mes habitudes d’aider à entretenir des illusions. J’ai consacré ma vie à soigner les névroses et tu viens me demander d’abonder dans son sens, alors qu’il s’agit du plus grand des mirages de toute son existence ? Non, Grant, ça ne me plaît pas du tout. Je ne pourrais te dire à quel point.

– J’ai devant moi l’homme qui est pour Justin l’équivalent d’un superviseur, le supérieur auquel il s’est adressé lorsqu’il a eu besoin d’aidec et j’apprends que cet homme a décidé de détruire toutes ses espérances pour des considérations d’ordre financier. Comment qualifieriez-vous un tel individu, ser ?

– Sois maudit.

– Oui, ser. Maudissez-moi autant que vous le voulez. C’est le sort de Justin qui m’inquiète. Il a placé son avenir entre vos mains, et il est rare qu’il accorde sa confiance. Allez-vous le maudire lui aussi parce que vous estimez que sa tentative est vouée à l’échec ?

Yanni mordilla sa lèvre.

– Tu es un azi d’Ari, il me semble ?

– Vous le savez, ser.

– Bon sang, elle s’est vraiment surpassée. Tu me rappelles cette femme.

– Oui, ser.

Il trouvait cela pénible à entendre, et sans doute était-ce l’effet recherché.

Mais Yanni soupira et secoua la tête.

– Entendu. Je le mettrai sur le projet. J’allégerai ses horaires. Ce qui signifie que tu devras faire une partie de son travail, bordel !

– Oui, ser.

– Et s’il me présente ses foutues recherches, je les étudierai. Je lui apprendrai ce que je sais. Tout ce que je peux lui enseigner. A-t-il résolu les problèmes que lui posent les bandes ?

– Il n’en a jamais, ser.

– Quand tu partages sa chambre, à en croire Petros.

– C’est exact, ser. Pourriez-vous lui en faire le reproche ?

– Non, non. Certainement pasc Je vais t’avouer une chose, Grant. Je suis impressionné par ce que tu viens de faire. À vrai dire, j’aimerais qu’il y ait une douzaine d’azis tels que toi. Maisc tu n’es pas un article de série.

– Non, ser. Tout comme Ari et Jordan, Justin a participé à l’élaboration de mon psychset. Mais si vous souhaitez l’analyser, c’est avec plaisir que je vous faciliterai la tâche.

– D’une stabilité à toute épreuve. Parfait, C’est excellent.

Il quitta son siège et contourna le bureau pour venir vers l’azi qui se leva à son tour, déconcerté. Yanni le prit par l’épaule, avant de lui serrer la main.

– Grant, je compte sur toi pour passer me voir s’il te semble dépassé.

Il en fut ému. Il ne se serait pas attendu à une telle proposition d’un homme qui lui avait inspiré tant de méfiance.

– Oui, ser.

Il lui eût sans hésitation ouvert son esprit, si cela lui avait permis de trouver des informations impossibles à obtenir à la bibliothèque ou dans les labos.

– Dehors, lui dit Yanni. Va.

Comme s’il était lui aussi un azi, avec simplicité, d’égal à égal. Alors qu’il était toujours sous le choc du départ de Strassen et des bouleversements qui se produisaient dans tout Reseune. Il n’aurait pu y avoir un plus mauvais moment pour s’adresser à lui.

Grant sortit. Il ne s’était encore jamais senti à ce point à son aise en compagnie d’un CIT, Justin et Jordan exceptés.

Mais il éprouvait une angoisse rétrospective à la pensée que sa démarche aurait pu priver son ami de la tolérance dont les membres de la Maisonnée faisaient preuve à son égard ; quand sa situation était si délicate et qu’il régnait dans son esprit un équilibre précaire. Depuis qu’il avait décidé de s’adresser à Yanni, il se demandait si Justin le lui pardonneraitc et s’il méritait de se voir accorder son pardon.


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