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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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– Je vais en informer l’équipe, dit Denys.

Le simple fait de penser à de la nourriture retournait l’estomac de Giraud.

– Ce n’est pas un échec complet, ajouta-t-elle. Avez-vous suivi les informations ? La coalition centriste craque aux entournures. Le comportement de Corain a déçu Ianni Merino. Je n’aurais jamais cru qu’un vieux politicien comme Corain serait un jour dépassé par les événements. Ses partisans avaient accepté de se retirer en cours de séance et voilà qu’il modifie soudain sa positionc Les abolitionnistes ne vont-ils pas le soupçonner de s’être laissé acheter ? Laissons-les s’écarter du centre et réclamer à nouveau la fermeture des labos. Il n’y a rien de tel pour semer la panique dans les rangs des modérés.

– C’est justement auprès de cet électorat que Jordan peut le plus nous nuire ! S’il s’adresse aux médiasc

– Oh ! Vous ne pensez tout de même pas que nos adversaires prêteront attention à l’opinion de quelqu’un qui travaille pour nous ?

– Pourquoi ne le feraient-ils pas, s’il leur dit ce qu’ils souhaitent entendre ?

– Alors, il faudra faire en sorte qu’il perde une partie de sa crédibilité. Étudiez la question,Gerry. Corain finira par accepter – que dis-je ? par voter – la proposition de création d’une annexe de Reseune sur la route de la colonie Espoir. Les abolitionnistes ne sont pas devenus plus raisonnables, seulement plus discrets, et nous avons en leur sein quelques taupes qui nous permettent d’avoir accès à leurs dossiers. Occupez Corain en attisant les dissensions dans les rangs de ses partisans. Gorodin se sentira incommodé par les remous et nous lui ferons alors des propositions à même de l’intéresser. Il tient à ménager la chèvre et le chou. Le cas de Lu est plus délicat, mais nous le ramènerons à la raison. L’installation de Lointaine devrait nous le permettre. Étudiez toutes les possibilités. Avec discrétion. Utilisez vos contacts chez les militaires. Le bureau des Sciences va envoyer un vaisseau notifier à Rubin son nouveau statut et faire le nécessaire pour lui attribuer une résidence protégée dans la zone bleue de Lointaine : l’équipe partira dimanche, à bord de l’ Atlantis.

– Harogo sera à son bord ? voulut savoir Denys.

– Bien sûr. Il n’y aura pas le moindre accroc, croyez-moi. Il fera passer la douane à nos hommes et l’ Atlantisest rapide.

– Les militaires pourraient le rattraper.

– C’est exact. Mais Harogo est notre meilleur atout, sur sa station, et il a dans ses bagages le projet de construction le plus important que Lointaine ait jamais convoité. Après le couloir Espoir, naturellement. Tout se passera bien. Et si les centristes tentent quoi que ce soit contre Rubin, Harogo redressera sans peine la situation. Devoir lancer une riposte de ce genre ne serait pas pour me déplaire. Avez-vous vu le clip ? Rubin, le scientifique aux grands yeux, innocent et vulnérable. Je suis assez satisfaite de son impact.

– Cela peut se retourner contre nous, fit remarquer Giraud.

– J’ai confiance en Harogo. Il est parfois nécessaire de se contenter d’attendre.

– Même en ce qui concerne Warrick ?

– À condition qu’ils veuillent encore de lui le moment venu.

2

Ari adressa un doux sourire aux convives puis reporta son attention sur la salade qui provenait de ses jardins potagers et qu’elle assaisonna d’une copieuse cuillerée de keis : un fromage synthétique, une levure salée dont les spatiaux étaient friands. Sa mère en utilisait, autrefois. Ari aimait toujours son goût âcre et s’en procurait en dépit des problèmes d’importation.

La plupart des autres membres de la Famille avaient quant à eux le keis en horreur.

Ils étaient dans la grande salle à manger : une longue table centrale pour la Famille, et d’autres disposées en U sur le pourtour de la pièce pour les azis qui étaient à la fois plus proches et plus nombreux que les parents selon un rapport d’environ deux contre un.

Elle-même en bout de table, comme toujours depuis la mort d’oncle Geoffrey. À sa droite, Giraud Nye ; à sa gauche, Denys ; puis à nouveau sur la droite Yanni Schwartz et sur la gauche sa sœur Beth, avec en face d’elle le fils de Beth par Giraud : le jeune Suli Schwartz au nez et au visage en lame de couteau, maussade et mort d’ennui à seize ans. Ensuite venaient Petros Ivanov et ses deux sœurs, Irene et Katrin ; l’amant du moment de cette dernière, Morey Carneth-Nye à la peau sombre ; la vieille Jane Strassen qui ressemblait à une impératrice douairière avec sa robe noire et ses bijoux d’argent exhibés de façon ostentatoire ; sa fille Julia en robe verte au décolleté pour le moins audacieux ; ce cher cousin Patrick Carnath-Emory, bienplus Carnath qu’Emory et aux doigts en guimauvec il essuyait déjà son pantalon ; la fille de Patrick, Fideal Carnath, au teint olivâtre et charmante, puis son fils de trente-deux ans, Jules, qu’ils avaient cru de Giraud avant qu’un examen génétique ne révélât que son père était en fait Petros. Venaient ensuite Robert Carnath-Nye, sa fille Julia Carnath et,à l’autre bout de la table, Jordan Warrick et Justin, qu’une personne non informée aurait pu prendre pour son fils alors qu’il était son clone.

Vanité, vanité.

Jordan avait eu des liaisons. (N’était-ce pas leur cas à tous ?) Mais au moment de transmettre son hérédité il s’était méfié de la nature, ou de la gent féminine. La tentation de la divinité avait pu le séduire : peut-être estimait-il qu’un Spécial se devait d’en produire un autre.

Un dupliqué parental n’était pas un azi. Sur le plan légal, il existait des différences considérables entre, par exemple, Justin et Grant, qui devait s’asseoir à l’autre table. Ils étaient très proches dans tous les domaines et nés dans le même labo à un jour (insignifiant) d’intervalle. Mais Justin, un jeune homme brun de dix-sept ans au physique agréable, à la mâchoire carrée et aux larges épaules, la réplique de Jordan au même âge, portait le matricule CIT 976-88-2355DP : le préfixe de Citoyen si important et le suffixe de Dupliqué Parental. La reproduction était parfaite, à l’exception des traits accidentels comme le nez cassé de Jordan, la petite balafre sur le menton de Justin et, surtout, la personnalité etles capacités. À l’époque où Justin n’était qu’un minuscule embryon à l’intérieur d’une cuve utérine le projet Bok pouvait déjà être considéré comme un échec, mais (et cela amusait Ari) Jordan avait entretenu l’espoir que ses bandes et ses gènes parviendraient à compenser les lacunes de la science.

Ce garçon possédait un esprit très vif. Mais il n’était pas Jordan. Dieu merci.

Grant portait le matricule ALX-972 : un expérimental conçu par Ari, au physique très réussi et aux antécédents excellentsc un généset de Spécial sur lequel elle avait corrigé une tare génétique. Le résultat était tel que les descendants d’un biologiste au corps flasque, affligé de myopie et de problèmes auditifs, en auraient été sidérés.

Grant n’était pas doué pour la biologie mais pour la conception de bandes. Cet Alpha pourrait perfectionner les structures qui faisaient de lui ce qu’il était devenu. Et la différence de statut légal résidait dans ces structures, et non dans la substitution de certaines séquences du généset ou la nature de la matrice qui avait servi de cadre à leur gestation.

Un nouveau-né, confié à son père et placé dans un berceau de la Maison, avait entenduc trop souvent le silence. Accaparé par son travail, Jordan Warrick n’avait pas de temps à lui consacrer, et il devait attendre ses repas, être éveillé par des bruits intempestifsc

L’autre avait été mis dans un berceau du laboratoire où des battements de cœur étaient à intervalles réguliers remplacés par une voix apaisante, où ses mouvements étaient surveillés, ses pleurs mesurés, ses réactions minutéesc puis il avait écouté des bandétudes pendant trois ans, jusqu’au jour où Ari l’avait confié aux bons soins de Jordan. Il s’agissait d’une mesure normale. Tous les azis de potentiel Alpha étaient élevés par des humains, et à l’époque les rapports entre Ari et cet homme étaient houleux mais sans plus. L’attribuer à un membre de la Maisonnée qui avait un fils du même âge était naturel, et disposer d’un Alpha en tant que compagnon de jeu représentait un honneur, même à Reseune.

Je sais pouvoir faire confiance à Justin, avait-elle déclaré à Jordan. Les réunir me paraît logique. J’accepte bien volontiers qu’ils soient élevés ensemble, dès l’instant où il me sera possible de poursuivre l’instruction de Grant et de contrôler ses progrès.

On pouvait en déduire que Justin obtiendrait par la suite la garde de l’azi, qu’il deviendrait son compagnonc et donc qu’Ari estimait le jumeau génétique de Jordan digne de faire partie des tuteurs d’Alpha, qu’elle pensait que ses propres résultats équivaudraient à ceux d’un azi de ce type.

Tout se déroulait comme elle l’avait prévu. Les interventions étaient banales, mineures, et ne risquaient pas d’affecter l’intellect de l’azic ce qui, dans certaines limites bien sûr, n’avait d’ailleurs pas été sa préoccupation fondamentale lors de sa création.

En outre, Ari n’était pas mécontente d’avoir un contact auprès d’un personnage tel que Jordan, même si Grant ne pourrait rien lui apprendre qu’elle ne sût déjà.

Maisc elle estimait que ce serait peut-être utile un jour.

Elle termina la salade puis s’entretint avec Giraud pendant que les serveurs changeaient les assiettes et apportaient le plat suivant : un jambon magnifique. Des porcs terriens étaient élevés à Reseune, nourris des déchets des jardins. Cochons et chèvres, les plus anciens et les plus résistants de tous les fournisseurs de viande de l’humanité, des animaux assez prudents pour ne pas s’empoisonner en mangeant des plantes locales.

Contrairement aux chevaux et aux bovins qui paraissaient avoir des tendances suicidaires.

On apporta le dessert, un sorbet parfumé et savoureux.

– Vous savez, déclara-t-elle, nous allons devoir procéder à des changements radicaux au sein du personnel.

Elle fut étonnée par le brusque silence. Tous tendaient l’oreille, alors qu’elle ne s’était adressée qu’à Denys.

– Je ne m’attends pas à rencontrer de difficultés pour faire accepter le projet Espoir.

Tous l’écoutaient, sans dissimuler leur intérêt. Elle sourit aux membres de la Famille, posa sa cuiller et prit la petite tasse de café.

– Vous savez comment interpréter cela. Aucun problème. Oubliez ce que vous avez pu entendre. Tout continue, sans imprévus ni retards, et nous avons en outre à relever un nouveau défic d’ailleurs passionnant : l’implantation d’une installation psych militaire à Lointaine. En plus de ce que nous avions prévu. Et cela bouleverse tous nos projets. Il convient de féliciter Jordan pour le travail de préparation. Il faut lui accorder le mérite de nous avoir ouvert la route d’Espoir etlivré l’annexe de Lointaine sur un plateau. Les faits sont là. Et il est le principal artisan de cette magnifique victoire.

Nulle expression n’apparaissait sur le visage de Warrick, qui rétorqua :

– Cessons de feindre. Nous sommes entre nous, pas devant des caméras.

Elle lui adressa un sourire.

– Jordan, je vous assure de ma profonde reconnaissance. Je m’étonne que cela puisse vous décevoir, mais vous venez de rendre un fier service à Reseunec et à moi-même. C’est sans la moindre arrière-pensée que je vous félicite.

– Enfer !

Ari se mit à rire et but une autre gorgée de café.

– Mon cher Jordie, je sais que vous espériez m’en faire la surprise, mais c’est à moique Gorodin s’est adressé. Je vous accorderai tout ce que vous désirez. Vous obtiendrezce transfert tant attendu, vous et tous les membres de votre section désireux de partir pour Lointaine. Lorsque nous aurons reçu la demande officielle des militaires, cela va de soi.

– Qu’est-ce que ça signifie ? voulut savoir Yanni Schwartz.

– Je ne dis pas que ce sera une mauvaise chose, déclara Ari. Et sachez que ce coup de poignard dans le dos n’est pas volontaire, Yannic Jordan ma forcé la main. Je pense d’ailleurs que tous devraient y réfléchir, ceux qui préfèrent s’exiler au loin et ceux qui ne souhaitent pas renoncer au confort de Reseunec et Dieu sait que les jambons et les fruits frais manqueraient à certains d’entre nous. Mais les opportunités qui accompagnent tout transfert doivent être prises en considération.

Une autre gorgée de café, bue lentement, l’air pensif. Elle surveillait les yeux de Jordan comme s’ils s’affrontaient au fleuret.

– Nous ne supprimerons pas la section éducative de Reseune. En outre, il sera impossible de tous vous transférer. Nous devrons nous restructurer, faute de pouvoir nous dupliquerc

Un sourire un peu plus large leur indiqua qu’elle voulait plaisanter. Suli Schwartz s’éveilla et regarda autour de lui afin de découvrir s’il était ou non censé rire.

– Jordie, je vous demanderai de me signaler les membres de votre équipe les plus qualifiés.

– Avec plaisir, même si je doute que vous teniez compte de mon avis.

Elle rit, afin de conserver à cet échange de paroles un tour courtois.

– Il est logique de supposer que tous ceux que vous pourriez me recommander voudronteux aussi être transférés et que vous ne rejetterez pas leur candidature, mais je me baserai sur vos suggestions chaque fois que ce sera possible. Yanni, j’aimerais que vous vous chargiez de régler ces détails avec Jordie.

La méfiance s’accentuait derrière le masque de neutralité des convives. Le jeune Suli parut enfin comprendre ce qui se passait. Peut-être venait-il de prendre conscience qu’il ne se trouvait plus à la table des enfants mais à celle des adultes, pour une grande occasion. Tous s’étaient figés, membres de la Famille et azis installés sur le pourtour de la salle.

Un raclement de gorge de Denys :

– Au fait, Aric

Un autre grondement.

– Ne serait-il pas possible d’avoir quelques-uns de ces délicieux biscuits qui nous ont été servis hier soir ?

Avec espoir.

– Si, ser, répondit un serveur proche de la porte.

Il s’esquiva, pendant que Denys additionnait son café d’une quantité considérable de sucre.

– Hm, l’important c’est Reseune, n’est-ce pas ? Ari, Jordie, Yanni, nous avons tous les mêmes aspirations : pouvoir poursuivre librement nos travaux. Aucun de nous n’apprécie les contraintes administratives. C’est une telle perte de temps. Ce que nous effectuons ici est plus important que les mesquines querelles des politiciens de Novgorod. Que les administrateurs de station soient ou non autorisés à créer des génébanques est certes plein d’intérêt, mais ce ne sont pas des problèmes qui nous concernentc ce que je veux dire, c’est que la politique ne devrait pas entraver nos recherches. Assister aux séances du Conseil est parfait pour Corain ou Chavez, et surtout pour Bogdanovitch, mais je trouve regrettable que Gorodin perde ainsi son temps. Et en ce qui concerne les Sciencesc c’est plus grave encore. Je suis sincère, Ari, cela représente un gaspillage inadmissible de votre temps et de votre énergiec

– Je ne partage pas ce point de vue, déclara Jordan.

Il leva son verre de vin à une rivalité aussi vieille que leur présence à Reseune, aux pointes traditionnellement échangées autour de cette table.

– Étant donné qu’Ari semble considérer que son domaine s’étend à tout l’univers.

Elle en rit et tous se sentirent soulagés de constater qu’elle n’assimilait pas de tels propos à une insulte. Nul ne souhaitait provoquer un incident, pas même Jordan.

– Eh bien, l’opportunité d’élargir votre propre horizon vient de se présenter, il me semble ? dit-elle. Espoir doit passer à proximité de Lointaine, et vous travaillerez avec de vieux amis. Ce serait bien différent si vous partiez seul. Si j’étais plus jeune, Jordie, je m’empresserais de saisir cette occasion. Mais Denys a raison. Le combat politique est gagné et l’avenir est tracé. Je suis impatiente de reprendre mes travaux et vous êtes impatient de reprendre les vôtres. Je suis désolée de vous charger d’une tâche administrative, mais vos compétences nous sont indispensables. Je vous demande de mettre sur pied une nouvelle section éducative, ici même, à Reseune. Ce sera pour vous la possibilité de nous transmettre votre héritage.

– Je lai déjà légué à des caissons cryogéniques, rétorqua Jordan.

Des rires nerveux, tout autour de la table.

– En voudriez-vous un échantillon ?

Ari gloussa et but une gorgée de café.

– Quoi ? J’aurais cru cela contraire à vos goûts, Jordie. Mais nous disposons quoi qu’il en soit d’une deuxième source d’approvisionnement.

Justin rougit. Tous se tournèrent vers lui pour s’en assurer. Il laissa échapper un petit rire.

– Je suis certain que Jordie fera tout son possible pour nous faciliter la tâche, intervint Denys avant que la situation ne pût s’envenimer.

C’était un vieux principe : rien de trop déplaisant, dans cette salle. Ici, les seules armes autorisées étaient les traits d’esprit, décochés avec modération.

– Je n’en doute pas, dit Ari qui fit une pause puis ajouta avec gravité : Nous devons nous restructurer. Je compte effectuer une partie de mon travail de conseillère par procuration. Tout sera plus calme, maintenant que nos projets principaux ont un avenir assuré. Nous ne devrions pas avoir de problèmes. En outre, il me sera toujours possible de faire un saut à Novgorod si ma présence y est indispensable. Mais Denys a raison, je suis très âgéec

– Certainement pas ! protesta Denys.

– Disons alors que je viens d’entamer la dernière étape de mon existencec c’est la stricte vérité.

Le silence était revenu.

– L’expérience Rubin me prendra une grande partie du temps qu’il me reste à vivre. Je ne suis pas morbide, vous savez comme moi que nous n’avons pas l’éternité devant nous pour lancer ce projet. Yanni, je vous charge de tout organiser, pour Lointaine. Je continuerai de m’informer de l’évolution de la situation, mais je tiens à superviser ce programmec pour prouver que je peux être encore active. Ou par vanité, peut-êtrec

Elle s’autorisa un petit rire.

– Je compte écrire mon livre, procéder à des recherches complémentaires. Prendre une retraite anticipée, en quelque sorte.

– Tiens donc ? s’exclama Jordan.

Elle sourit et couvrit sa tasse avec sa paume quand le serveur voulut la resservir.

– Non, merci. J’ai absorbé assez de caféine pour pouvoir gagner mes appartements. Je vais aller y prendre du repos, bien que le sol semble monter et descendre sans cessec car nous avons subi d’importantes turbulences au-dessus du Kaukaz. Et je n’ai pas fait un somme véritable pendant tout mon séjour à Novgorod. Catlin ?

Une chaise fut déplacée et l’azie apparut près d’elle, accompagnée par Florian. Catlin recula son siège.

– Bonne nuit à tous, fit Ari avant de se tourner vers Florian : Va dire à Grant que je veux le voir.

Les autres membres de la Maisonnée se levaient à leur tour et sortaient de la salle.

– Sera ?

– Je dois lui parler. Annonce-lui qu’il me sera désormais affecté. Justin ne deviendra jamais son tuteur. Je présume qu’il a déjà dû le comprendre.

3

– Un instant.

Florian venait de s’adresser à Justin et à Grant qui sortaient derrière Jordan et Paul, dont ils étaient séparés par d’autres membres de la Famille et des azis.

– Plus tard, rétorqua Justin.

Son cœur s’emballait. C’était toujours le cas, lorsqu’il avait affaire à Ari ou à ses gardes du corps pour des raisons autres que professionnelles. Il prit Grant par le bras pour lui faire franchir la porte, mais Florian bloquait le passage.

– Je regrette, insista l’azi. Sera veut parler à Grant. Il lui est affecté, désormais.

Il fallut à Justin quelques instants pour comprendre le sens de ce qu’il venait d’entendre. Quant à Grant, il s’était figé.

– Mais il peut aller récupérer ses affaires, précisa Florian.

– Va lui dire que nous refusons.

Ils empêchaient les Schwartz de sortir. Justin s’avança dans le corridor et entraîna Grant avec lui, mais Florian les suivit.

– Dis-luic bon sang, dis-lui que si elle souhaite bénéficier de ma coopération dans quelque domaine que ce soit, elle devra me laisser Grant !

– Je regrette, ser, mais il est trop tard. Il doit aller chercher ce qui lui appartient. Catlin et moi veillerons sur lui du mieux que nous le pourrons.

– Elle ne fera pas une chose pareille, dit Justin en s’adressant à Grant.

Florian regagnait la salle à manger, où Ari s’attardait. Justin avait froid et le repas alourdissait son estomac.

– Reste ici.

Son père attendait un peu plus loin dans le vestibule, en compagnie de Paul, et il alla les rejoindre. Il s’efforçait de paraître détendu et craignait d’être trahi par la pâleur de son visage.

– Il y a du nouveau au sujet d’un projet, déclara-t-il à son père. Je dois aller régler certains détails.

Jordan hocha la tête. S’il se posa des questions, l’explication semblait suffisante. Justin revint vers Grant, posa la main sur son épaule au passage, puis entra dans la salle à manger où Ari s’entretenait toujours avec Giraud Nye.

Il attendit. Elle porta les yeux sur lui et dut donner congé à Giraud, car cet homme regarda à son tour Justin et les laissa.

– À quoi rime cette histoire ? demanda Justin en venant vers Ari.

– Je vais avoir besoin de lui, c’est tout. Il a un généset de Spécial sur lequel j’effectue des recherches. Il me sera utile, voilà tout. Cette décision n’a aucun caractère personnel.

– À d’autres !

Il venait de perdre le contrôle de sa voix, ce jeune homme de dix-sept ans qui affrontait une femme aussi redoutable que son père. Il éprouvait le désir de la frapper. Ce qui n’entrait pas dans le cadre des possibilités. À Reseune, Ari pouvait faire n’importe quoi. À n’importe qui. Il était bien placé pour le savoir.

– Que voulez-vous ? Que désirez-vous obtenir de moi ?

– Je viens de te dire que ce n’est pas une affaire personnelle. Grant peut aller chercher tout ce qu’il possède. Il disposera ensuite de quelques jours pour se détendrec et en outre tu continueras de le voir. La situation serait différente si tu ne travaillais pas dans cette section.

– Vous comptez tester des bandes sur lui !

– C’est son utilité, il me semble ? Grant est un expérimental. Subir des tests est ce que nous attendons de lui en échange de l’existence que nous lui offronsc

– Il gagne sa vie en tant que concepteur, bordel ! Il n’est pas un de vos foutus cobayes, il estc

Mon frère,manqua-t-il dire.

– Je regrette que tu laisses tes sentiments prendre le pas sur ton objectivité et je te conseille de te calmer sur-le-champ. Tu n’as pas encore été habilité à avoir la tutelle d’un Alpha, et il est improbable que tu le sois un jour si tu ne réussis pas à te dominer. Si tu lui as fait des promesses que tu ne peux tenir, tu es le seul à blâmer. Tul’as blessé. Dieu sait de quoi tu t’es encore rendu coupable envers lui, et je découvre qu’un long entretien avec toi va s’avérer nécessairec pour t’apprendre ce qu’est un Alpha, découvrir ce que tu lui as fait et décider si tu es digne d’obtenir un jour sa tutelle. Posséder de l’intelligence n’est pas tout, mon garçon. Encore faut-il savoir raisonner en faisant abstraction de ses aspirations et de ses convictions. Il serait grand temps que tu le comprennes.

– D’accord, d’accord, je me plierai à tous vos désirs. Et lui aussi. Mais autorisez-le à rester avec moi !

– Calme-toi, tu m’entends ? Calme-toi. Je ne peux laisser un Alpha à quelqu’un d’aussi surexcité. En outrec

Du bout de l’index elle exerça une pression sur la poitrine de Justin.

– Tu sembles oublier à qui tu as affaire, mon chéri. Tu devrais savoir que je parviens toujours à mes fins. Tu n’as jamais rien obtenu en me manifestant ton opposition. Sèche tes larmes, reprends-toi, et regagne tes appartements avec Grant pour veiller à ce qu’il n’oublie rien qui pourrait lui être utile. Et, surtout, apaise ses craintes et ne t’avise pas d’accentuer son appréhension. Tu n’as donc pas la moindre compassion ?

– Soyez maudite ! Que voulez-vous ?

– J’ai déjà tout ce que je désire. Va et exécute mes ordres. Tu travailles pour moi. Et j’espère que demain matin tu manifesteras à mon égard toute la politesse et le respect que tu me dois. Est-ce compris ? Maintenant, va t’occuper de tes affaires.

– Jec

Ari se détourna. Elle se dirigea vers la porte de la zone de service et ses gardes du corps vinrent barrer le passage à Justin ; des azis, privés de choix.

– Florian, appela-t-elle avec impatience.

Et Florian laissa à sa coéquipière le soin de bloquer seule le chemin. Catlin était la plus redoutable des deux, car elle n’avait pas autant de scrupules que son compagnon. Elle n’hésiterait pas à utiliser la manière forte à la moindre incartade.

– Partez de l’autre côté, jeune ser, lui ordonna-t-elle. Faute de quoi je devrai intervenir.

Il se retourna et regagna l’autre porte. Grant l’attendait, livide et silencieux après avoir été le témoin de toute l’altercation.

– Viens, lui dit Justin qui le prit par le bras.

En temps normal il eût rencontré une légère résistance, découvert de la tension dans ses muscles. Il n’y en avait pas. Grant se contenta de le suivre puis de marcher à son côté lorsqu’il le lâcha. Il ne dit pas un mot avant d’être dans l’ascenseur des résidences du troisième niveau.

– Pourquoi fait-elle cela ?

– Je l’ignore. Mais ne t’inquiète pas. Tout va s’arranger.

L’azi le regarda à l’instant où la cabine s’immobilisa et Justin fut bouleversé par la vague lueur d’espoir qui faisait briller son regard.

Le couloir était presque désert en raison de l’heure tardive. Ils se dirigèrent vers leur appartement, dans une zone calme et résidentielle. Justin prit sa carte et la glissa dans la fente de la serrure, avec difficulté. Sa main tremblait. Grant dut s’en rendre compte.

–  Aucune entrée depuis la dernière utilisation de cette clé, annonça la voix plate du concierge qui fit aussitôt la lumière, conformément aux instructions que Justin avait incluses dans son programme.

Tout s’éclaira dans la salle de séjour bleu et beige, ainsi que dans une autre pièce.

– Grant m’accompagne, murmura-t-il à l’appareil.

La chambre de l’azi s’illumina à son tour au-delà de la voûte située sur la gauche.

– Je vais prendre mes affaires, déclara Grant.

Puis ses émotions furent les plus fortes et il demanda d’une voix tremblante :

– Ne devrions-nous pas avertir Jordan ?

– Dieu !

Justin étreignit Grant puis serra les poings et tenta de réfléchir, de raisonner en faisant abstraction de sa situation et de la loi de Reseune qui lui interdisait de protéger celui qu’il avait toujours considéré comme son frère, aussi loin que remontaient ses souvenirs.

L’azi savait autant de choses que lui. Il n’existait entre eux aucune différence, aucune, à l’exception d’une lettre dans un matricule : un maudit X qui ferait de Grant la propriété des laboratoires jusqu’à la fin de ses jours.

Ari pourrait l’interroger sur Jordan, sur tout ce qu’il savait ou suspectait. Elle testerait sur lui de nouvelles bandes-structures, inhiberait certains compartiments de sa mémoire, lui ferait subir tout ce qui lui viendrait à l’espritc et il n’existait aucun moyen légal de l’en empêcher.

Elle se vengerait de Jordan par son entremise. Cette maudite femme voulait s’approprier Grant après avoir fait affecter Justin à sa section. N’interviens pas, avait-il dit à son père. Laisse-la me prendre dans son équipe. Ne conteste pas cette décision. C’est sans importance. Tu ne peux te permettre de te fâcher avec elle en ce moment, et ce sera peut-être pour moi un poste valable.

Parce qu’il ne voulait pas risquer de compromettre les chances qu’avait Jordan d’obtenir ce transfert auquel il tenait tant.

Et son père lui avait alors dit, avec gravité :

– Dis-le-moi, dis-le-moi tout de suitesi elle te crée la moindre difficulté.

Ses problèmes avaient été nombreux, depuis qu’il travaillait auprès d’Ari : un entretien avec elle dans son bureau, la femme bien trop proche de lui et le touchant d’une façon tout d’abord amicale puis plus intime, pendant qu’elle laissait entendre qu’elle n’avait pas demandé son transfert uniquement pour des raisons professionnelles et qu’elle attendait de lui – et de Grant – de petites faveurs, parce qu’elle exigeait cela de tous ses assistants. Faute de quoi, elle pouvait rendre la vie très difficile aux membres de son équipe.

Il en avait éprouvé du dégoût, et de la frayeur. De l’angoisse, quand il avait compris les intentions de cette femme, vu le piège se mettre en place. Elle voulait se servir de lui pour inciter Jordan à provoquer un incident, qu’elle utiliserait pour lui nuire. Conscient des dangers, il n’avait rien dit quand elle l’avait touché, il avait balbutié des rapports pendant qu’elle demeurait assise sur le bras du fauteuil et caressait son épaule. Elle le convoquait dans son bureau après les heures de travail, pour l’interroger sur des sujets d’ordre personnel en feignant de remplir un formulaire, et il marmonnait alors des réponses à des questions qu’il chassait aussitôt de son esprit ; parce qu’elles se rapportaient à des choses qu’il n’avait jamais faites et qui l’horrifiaient. Il la suspectait d’influencer le cours de toute son existence sans utiliser ni bandes ni drogues, seulement son habileté face à sa naïveté. Il aurait pu s’en prémunirc à condition de perdre sa capacité de se sentir choqué, de lui répondre avec cynisme, et d’accepter les règles de ce jeuc

c établies par cette femme.

– Je trouverai quelque chose, affirma-t-il à Grant. Il doit exister un moyen de nous tirer de ce mauvais pas.

Tout finira par s’arranger.

Et il laissa l’azi regagner sa chambre pour faire ses bagages, pendant qu’il restait seul dans la salle de séjour et que l’angoisse glaçait tout son être. Il envisagea de contacter Jordan, pour lui demander conseil et savoir s’il ne pouvaitrien tenter de légal.

Mais il était probable que son père irait alors voir Ari pour négocier la liberté de Grant. Et cette femme pourrait utiliser d’autres atouts, comme les enregistrements de leurs tête-à-tête dans son bureauc

c Ô Seigneur ! Jordan porterait l’affaire devant le bureau des Sciences et déclencherait un conflit qui rendrait tous les accords caducs et lui ferait perdre tout ce qu’il avait si difficilement acquis.

Il aurait pu interroger les ordinateurs de la Maison sur les dispositions légales qui s’appliquaient à ce casc mais il n’osait utiliser un terminal : chaque consultation était enregistrée. Tout laissait des traces. En cas d’affrontement au grand jour, Reseune ne pourrait que gagner. Et si Justin ignorait quelle était l’influence d’Ari au sein des milieux politiques, il la savait capable de faire ouvrir de nouvelles routes à l’exploration de la galaxie, de soudoyer des sociétés importantes sur de lointaines stations stellaires et de modifier la nature des échanges commerciaux avec Vieille Terre ; et encore n’était-ce que la partie visible de l’iceberg.


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