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Cyteen, vol. 1
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Автор книги: C. J. Cherryh



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Cyteen -1

C. J. Cherryh

Audiotexte extrait de :

La Révolution humaine

« Les Guerres de Compagnie »

Tome I


Publications éducatives de Reseune :

4668-1368-1 approuvé pour 80 +


Tentons d’imaginer les divers composants de notre espèce confinés sur un seul monde, une planète fertilisée par les ossements pétrifiés de nos ancêtres, pointillée par les ruines de dix millénaires de civilisations oubliéesc ce microcosme que les humains ont un jour quitté pour s’aventurer dans l’espace, ce milieu où ils ont vécu de la chasse et de la cueillette, avant de cultiver le sol en utilisant des méthodes archaïques, filer de quoi se vêtir et préparer leurs maigres repas sur des feux de bois.

La Terre, dont les habitants devaient se soumettre à la volonté d’une multitude d’administrateurs, conseillers, rois, ministres et présidents ; parlements, sénats et comités ; républiques, démocraties, oligarchies, théocraties, monarchies, hégémonies et partis politiques qui avaient proliféré au fil des siècles.

Station Sol existait, primitive mais autonome, et pour bénéficier des importants dégrèvements fiscaux accordés aux entreprises qui favorisaient le développement scientifique elle fut à l’origine d’un grand nombre de projets ambitieux. On lui doit les sondes stellaires géantes autopropulsées et les amas de vaisseaux-pousseurs habités lancés vers les autres systèmes.




Le premier de ces modules, la vénérable Gaia, devait transporter les composants de Station Alpha vers ce que l’on appelait à l’époque l’étoile de Barnard et abandonner trente chercheurs et techniciens au cœur de ce qui était alors un isolement absolu. Ces pionniers se créeraient un habitat en extrayant les matières premières de la roche et de la glace présentes dans ce système, procéderaient à des expériences scientifiques et resteraient en liaison avec la Terre par radio.

S’il avait été prévu à l’origine d’employer des pousseurs non réutilisables – de simples sondes stellaires robotisées –, la présence d’êtres humains à leur bord imposa aux concepteurs de prévoir la possibilité d’interrompre la mission et de revenir vers le point de départ. Compte tenu des risques inhérents à un tel voyage, ils optèrent pour une autonomie totale et décidèrent qu’un module-pousseur habité resterait à Barnard si l’étoile s’avérait trop pauvre en matières premières pour assurer l’autonomie d’Alpha. Gaia demeurerait sur place quelques années puis prélèverait sur la station de quoi ramener les membres de l’expédition vers la Terre. Si Alpha trouvait dans ce système de quoi garantir son fonctionnement, Gaia ne s’y attarderait qu’un an : le temps de permettre à la station de devenir autonome et de se stabiliser sur son orbite. Gaia regagnerait alors Sol avec tout son équipage, serait ravitaillée, puis repartirait pour Alpha avec à son bord ce qu’il aurait été impossible de se procurer sur place. Ces pionniers considéraient en outre le maintien d’un contact avec le reste de l’humanité comme aussi important que ce réapprovisionnement. C’était pour eux la garantie de ne pas se retrouver coupés de leurs semblables, séparés d’eux par ce qui était à l’époque un néant inhabité.

Grâce au flot constant de données transmises par Gaia et Station Alpha, les Terriens furent informés de la réussite de la mission et du retour prochain de la sonde. Ils entreprirent aussitôt de former un nouvel équipage et d’organiser l’expédition de retour.

Mais les explorateurs de l’espace captèrent des informations à même de les inquiéter : la Terre avait connu des changements importants accentués par les effets de la relativité et ils ne se sentaient plus d’affinités avec ce monde en pleine mutation culturelle. Déçus par leur séjour à Station Sol, ils décidèrent de reprendre possession de Gaia par la force. Leur attaque prit les responsables de la station au dépourvu et leur permit de se rendre maîtres du vaisseau. L’équipe qui devait les relever dut attendre la construction de l’amas-pousseur suivant.

Lors des missions ultérieures, d’autres équipages prirent une décision identique et s’attribuèrent ainsi un statut d’éternels voyageurs. Ils assimilaient désormais leur appareil à un véritable foyer et avaient des enfants à son bord. Le nombre des stations stellaires et des pousseurs de ravitaillement se multiplia, et ceux que l’on appellerait bientôt les spatiaux se contentaient désormais de demander à la Terre et aux stations du carburant, des provisions, et la modernisation de leurs appareils par l’adjonction de modules plus spacieux et de propulseurs plus performantsc les améliorations dues aux progrès effectués par la science depuis leur dernier appontage.

Ces amas-pousseurs assuraient désormais une liaison régulière entre les stations d’une demi-douzaine d’étoiles. Mais compte tenu de l’isolement propre à cette époque – les messages ne pouvaient voyager plus vite que la lumière et les hommes se déplaçaient encore plus lentement – tous ces noyaux d’humanité étaient séparés par un décalage temporel de l’ordre de quatre à cinq ans, et notre espèce dut réapprendre à vivre en fonction de ces nouvelles contraintes.

La Terre ne fut ainsi informée que dix ans plus tard de la découverte d’une forme de vie intelligente sur la planète de l’étoile de Pellc autrefois Tau Ceti. Humains et Downers entretenaient de nombreux contacts depuis plus de deux décennies, quand les instructions des responsables terriens parvinrent à Pell. L’attente fut bien plus longue encore avant l’arrivée des scientifiques contraints de suivre une route interminable jalonnée de nombreuses stations : des noyaux d’humanité dont la culture était presque aussi étrangère pour les Terriens que celle des Downers.

Tout comme il nous est difficile d’imaginer la Terre à cette époque, les ressortissants de la planète-mère ne parvenaient qu’avec peine à assimiler le mode de pensée des spatiaux, ces individus qui refusaient de sortir de leurs appareils et cédaient à la panique dès qu’ils devaient s’aventurer dans les coursives bondées de monde de Station Sol, qu’ils jugeaient chaotique et terrifiante. Même les stationneurs étaient décontenancés par le mode de vie de leurs contemporains de l’Espace-profond : des humains dont la culture était fondée sur des histoires et des légendes ayant pour cadre des vaisseaux et des avant-postes lointains, et non un monde verdoyant et grouillant de vie dont ils n’avaient vu que des images.

Bien que confrontée à des problèmes de surpopulation et à des crises politiques – la conséquence d’anciennes rivalités – la Terre prospérait en tant que centre de rayonnement de l’expansion humaine. La ruée imprévisible des stationneurs vers Pell, motivée par la présence sur ce monde de biodenrées abondantes, d’une population autochtone primitive amicale et de ressources orbitales aisément exploitables, se changea en exode. Les stations situées entre Terre et Pell furent abandonnées et fermées, ce qui bouleversa le système d’échanges commerciaux du Grand Cercle et fut à l’origine d’une grave crise économique sur la Terre et Station Sol.

La planète-mère réagit en tentant d’imposer des réglementationsc avec dix ans de retard : les politiciens terriens ne pouvaient imaginer que l’augmentation de la population des stations restantes – un phénomène dû à la ruée vers Pell – apporterait à ces noyaux d’humanité une telle puissance. La concentration des humains et la découverte d’immenses richesses, éléments auxquels venait s’ajouter l’élan psychologique de l’exploration, firent évoluer la situation si rapidement que les instructions de la Terre, parvenues à destination avec un retard de vingt ans, s’avérèrent inapplicables. Un simple décalage d’un mois eût d’ailleurs suffi à les rendre inadéquates.

La Terre se retrouva isolée et son économie devint chancelante, ce qui fut à l’origine de graves dissensions. Dans le cadre d’une tentative désespérée qui s’avérerait peu judicieuse, son gouvernement imposa des taxes protectionnistes. Contrebande et marché noir devinrent des activités lucratives, et le commerce traditionnel connut une brusque récession. Les autorités réagirent en accordant un statut privilégié à certains vaisseaux ; une mesure qui fut à l’origine d’affrontements armés entre les appareils terriens et ceux dont les capitaines refusaient de se plier à la politique compliquée et incohérente des gouvernants de la planète-mère.

Le départ des scientifiques et des techniciens du Système de Sol permettait aux spatiaux de bénéficier du concours des esprits les plus brillants et privait la Terre de ses plus grands talents. Les responsables de ce monde décidèrent alors d’interdire l’émigration des membres de certaines catégories socioprofessionnelles, non seulement hors du Système de Sol mais aussi d’une station à Vautre.

Gaia effectua son dernier voyage vers la Terre en l’an 2125, et lorsqu’elle appareilla à nouveau son équipage fit vœu de ne jamais y revenir.

Une vague de rébellion et de mutinerie générale balaya les étoiles : d’autres stations furent closes, des sondes et des missions se rendirent vers des systèmes inexplorés pour des raisons qui n’étaient pas uniquement d’ordre économiquec On trouvait de plus en plus d’individus avides de ces libertés qui paraissaient menacées.

Les Stations Viking et Mariner furent construites quand les stationneurs estimèrent que même Pell était trop vulnérable à l’influence terrienne et que son économie, désormais stabilisée, offrait moins d’opportunités pour des investissements rentables.

En 2201, des scientifiques et des techniciens dissidents qui bénéficiaient du soutien financier d’importants investisseurs de Mariner fondèrent une station à Cyteen, une planète très différente de Pell. Le travail admirable d’un de ces chercheurs et l’essor économique rapide des nouvelles industries de ce monde permirent la fabrication de la première sonde supraluminique en 2334 ; un événement qui modifia les contraintes temporelles du vol spatial et bouleversa de façon définitive les règles du commerce et de la politique.

L’histoire de Cyteen est non seulement caractérisée par un développement fulgurant de sa croissance économique et des progrès de la science, un phénomène sans précédent depuis l’aube des temps, mais aussi – et ce fait peut paraître paradoxal – par la réapparition de techniques tombées en désuétude : moteurs à combustion interne et production industrielle en pesanteur. Ces mesures avaient pour but de limiter les navettes entre ce monde et ses stations orbitales, compte tenu de ses importants besoins pour se développer à un niveau de type terrien. De nouvelles méthodes furent employées pour créer des poches d’atmosphère respirable dans ce milieu mortel pour l’homme. Si de tels travaux furent entrepris, ce fut parce que Cyteen représentait une opportunité biologique unique pour l’humanité. Ce monde privé d’espèce autochtone évoluée possédait un double écosystèmec pour ne pas dire deux écosystèmes indépendants – dus à l’isolement presque absolu de ses continents – très différents l’un de l’autre mais surtout sans points communs avec ceux de la Terre et de Pell.

C’était en fait un véritable paradis pour les biologistes. L’absence de toute vie intelligente faisait en outre de cette planète un nouveau berceau de civilisation pour l’humanité, après la Terre elle-même.

Les origines des Guerres de Compagnie ne furent pas que politiques. On compte parmi leurs causes la brusque expansion du commerce et la mobilité de la population, l’application inflexible de mesures inadéquates par des agences terriennes qui avaient perdu tout contact avec leurs administrés, et la loyauté d’une poignée de capitaines marchands terriens privilégiés désireux de conserver un empire mercantile sur le déclin à un monde qui n’occupait plus qu’une position de second plan dans la galaxie colonisée.

Une telle entreprise était vouée à l’échec. Cyteen n’était plus isolée, dans l’Espace-profond. Elle était à son tour devenue une planète-mère pour Espérance, Pan-paris et Lointaine, et elle proclama son indépendance en 2300. L’annonce de cette décision, désormais transmise à une vitesse ultraluminique, incita la Terre à armer des FTL et à les envoyer ramener les stations dissidentes dans son giron.

Les marchands s’empressèrent de déserter les routes spatiales proches de Pell, ce qui eut pour effet de réduire l’approvisionnement de ce monde en denrées de première nécessité, alors que la Terre elle-même ne pouvait assurer la logistique d’une flotte en opérations si loin de sa base malgré sa maîtrise de la technologie FTL. Bientôt, les unités terriennes en furent réduites à commettre des actes de piraterie et de coercition qui dressèrent contre elles la totalité des marchands : une nouvelle erreur.

La création sur Pell de l’Alliance mercantile permit à la seconde puissance commerciale de l’Espace-profond de voir le jour et mit fin à l’hégémonie de la Terre sur ses colonies dispersées.

Une des conséquences inattendues de ce conflit fut le Traité de Pell. Cette charte, qui établissait des liens économiques entre trois sociétés humaines installées dans des écosystèmes très différents, est de nos jours la force motrice d’une nouvelle structure d’échanges qui transcende la politique et les systèmes.

Commerce et intérêt commun se sont avérés, en fin de compte, plus puissants qu’une armada de vaisseaux de guerre.

Chapitre Premier

1

C’était depuis les airs qu’on découvrait le mieux le caractère désertique de ce monde : d’immenses étendues que l’arrivée des humains n’avait pas modifiées, un sol non revendiqué par l’homme et aussi dénudé que celui d’une lune, des terrains rocailleux et des bosquets de lainebois où seules les ondes des radars en orbite pouvaient pénétrer. Ariane Emory se pencha vers le hublot pour regarder ce spectacle de désolation. Elle restait désormais dans le compartiment passager. Il lui fallait admettre que sa vision n’était plus assez perçante et ses réflexes plus assez rapides pour lui permettre de prendre les commandes de l’appareil. Elle aurait pu aller à l’avant, pousser le pilote de son siège et le remplacer : c’étaient sonjet et sonpilote, et le ciel était vaste. S’il lui arrivait parfois de s’accorder encore ce plaisir, elle ne trouvait plus cela aussi grisant qu’autrefois.

Seul le sol restait inchangé, sur la majeure partie du continent. Et lorsqu’elle l’étudiait par le hublot il lui semblait remonter le temps, visiter Cyteen cent ans après l’arrivée des humains, à une époque où nul n’aurait pu imaginer la fondation de l’Unionc quand la guerre se résumait à un simple mécontentement général et le terraformage de ce monde n’avait pas encore commencé.

Seulement deux siècles s’étaient écoulés depuis que les premiers colons avaient atteint cette étoile, entrepris la construction de la Station et posé le pied sur cette planète.

Quarante ans plus tard quelques vaisseaux étaient arrivés à leur tour, pour faire modifier leurs propulseurs et pouvoir se déplacer à des vitesses supraluminiques ; et le temps avait accéléré son cours, en laissant derrière lui la lumière. L’évolution était telle que des équipages croisaient des engins si rapides qu’ils les croyaient d’origine extraterrestre. Ce n’était pas le cas, la réalité s’avérait encore plus fantastique. Ces bolides étaient pilotés par des humains. Et les règles du jeu s’en trouvaient bouleversées.

Les vaisseaux stellaires s’essaimaient telles des graines emportées par le vent. Les labos génétiques de Reseune installés en amont du fleuve engendraient des êtres humains. Leur rendement n’était limité que par le temps nécessaire pour sortir les nouveau-nés des cuves utérines, et les nouvelles générations prenaient la relève pour assurer la reproduction de leur espèce. Et ce processus se poursuivrait jusqu’au jour où – pour citer son oncle – il y aurait suffisamment d’hommes pour peupler les zones inhabitées, coloniser cette planète et construire d’autres stations stellaires semblables à Espérance et Lointaine. Des noyaux d’humanité dotés de leurs labos et de la possibilité de créer à leur tour la vie et de croître.

La Terre s’était décidée à rappeler ses vaisseaux. Trop tard. Le gouvernement de ce monde avait voulu imposer des taxes et des réglementations draconiennes à ses colonies en employant la manière forte. Bien trop tard.

Ariane Emory se souvenait de la Sécession, du jour où Cyteen et ses propres colonies avaient proclamé leur indépendance et la naissance de l’Union, quand ils étaient tous devenus des rebelles qui refusaient de reconnaître l’autorité d’une planète-mère lointaine. Elle était âgée de dix-sept ans, lorsque la Station avait annoncé : Nous sommes en guerre.

Reseune avait engendré des soldats farouches, résolus et habiles. Oh, oui ! engendré, modelé et affiné des combattants qui savaient d’instinct tout ce qu’ils n’avaient encore jamais eu l’occasion de voir et, surtout, qui savaient quelles étaient leurs fonctions. Des machines à tuer faites de chair et de sang dont toutes les pensées tendaient vers un unique but. Et elle avait contribué à leur apporter de telles caractéristiques.

Quarante-cinq ans après la Sécession la guerre se poursuivait toujours dans la clandestinité ou si loin dans l’espace que lorsque la nouvelle d’une escarmouche leur parvenait elle appartenait déjà à l’histoire. À Reseune, la situation était différente. Des soldats et des ouvriers pouvaient être engendrés dans n’importe quel centre de naissance, une fois leur modèle établi, mais c’était en ce lieu que se trouvaient les laboratoires de recherche auxquels l’Union devait en grande partie sa victoire, grâce à sa participation active à l’effort de guerre sous le directoire d’Ariane Emory.

En cinquante-quatre ans elle avait vuc les Guerres de Compagnie prendre fin, l’humanité se diviser, des frontières apparaître. La flotte terrienne avait occupé Pell, mais l’Alliance mercantile s’était empressée de reprendre ce monde pour y installer le siège de son gouvernement. Afin d’oublier cette défaite humiliante, Sol avait changé de politique et les vestiges de son armada reconvertis dans la piraterie continuaient d’arraisonner des marchands en étant pourchassés par l’Alliance et l’Union. Ce n’était qu’un détail. Le conflit armé appartenait au passé. L’affrontement se poursuivait désormais autour des tables de conférences où des négociateurs tentaient de tracer des lignes et des frontières arbitraires dans un espace tridimensionnel illimitéc afin de maintenir une paix qui avait toujours été illusoire, aussi loin que remontaient les souvenirs d’Ariane Emory.

Tout cela aurait pu appartenir à l’avenir, ou se dérouler un siècle plus tôt, mais elle était à bord d’un appareil racé et fuselé, sans aucun point commun avec les engins faits de bric et de broc qui transportaient autrefois le fret entre Novgorod et Reseune : à l’époque, les voyageurs devaient s’installer sur les caisses, les conteneurs de semence, ou tout autre colis.

Elle avait demandé à s’asseoir près des hublots poussiéreux et sa mère s’était retournée pour lui dire de mettre son pare-soleil.

Elle occupait à présent un fauteuil en cuir, avec une boisson posée près de son coude, à bord d’un jet luxueux et climatisé, entourée par une poignée d’assistants qui s’entretenaient en consultant leurs notes : des conversations murmurées en partie couvertes par les ronronnements des propulseurs.

Elle ne voyageait plus sans être accompagnée par une armée d’aides et de gardes du corps. Catlin et Florian restaient à l’arrière pour veiller sur elle même à dix mille mètres d’altitude et au milieu des membres de son équipe aux mallettes bourrées de documents confidentiels.

Tout cela était si différent du passé.

Dis, maman, je peux m’asseoir près de la fenêtre ?

Son cas était une exception, elle pouvait se targuer d’avoir eu deux parents : Olga Emory et James Carnath. Ils avaient fondé les labos de Reseune et mis au point la technique grâce à laquelle l’Union avait pu voir le jour. Ils étaient les créateurs des colons et des soldats. Leurs gènes se retrouvaient dans des centaines d’entre eux, ses presque-frères et presque-sœurs dispersés dans l’espace, séparés par des distances se comptant en années de lumière. Mais c’était valable pour tout le monde, désormais. Depuis sa naissance, le concept des liens familiaux avait évolué : la parenté biologique était un fait secondaire. Seule importait la Famillec à la fois fiable et prospère.

Elle avait reçu Reseune en héritage, y compris ce jet personnel. Cet appareil n’était nide location nicommercial nimilitaire. Une femme de son rang aurait pu réquisitionner n’importe quel moyen de transport, mais elle préférait emprunter des engins appartenant à sa Maisonnée, utiliser les services d’un pilote dont elle connaissait toutes les structures psychiques et des gardes du corps qui pouvaient être considérés comme une de ses plus belles réalisations.

La pensée de se retrouver au cœur d’une ville – dans les couloirs du métro, au milieu des employés et des techs, des cuisiniers et des ouvriers qui se bousculaient dans leur hâte d’aller travailler pour gagner quelques crédits – était pour elle aussi terrifiante que celle d’affronter le néant de l’espace. Elle façonnait à sa guise des mondes et des colonies, mais l’idée de devoir prendre un repas dans un restaurant, affronter la foule pour emprunter un moyen de transport en commun, ou simplement suivre une des rues de surface empruntées par des véhicules grondants et une multitude de piétonsc c’était suffisant pour l’emplir d’une panique irrationnelle.

Elle n’aurait pu vivre hors de Reseune. Elle était capable d’organiser ses déplacements aériens, de vérifier le plan de vol, de faire préparer ses bagages, de diriger ses assistants et de veiller à sa sécurité dans les moindres détailsc mais se rendre dans un aéroport représentait pour elle une dure épreuve. Une grave lacune, certes. Mais chaque individu avait droit à quelques phobies et c’était d’une importance secondaire. Il était improbable qu’Ariane Emory dût un jour prendre le métro ou se retrouver dans la cale d’appontage d’une station.

Il s’écoula un long, très long moment avant l’apparition du fleuve et de la première plantation. Une route réduite à la largeur d’un petit ruban, puis les dômes et les tours de Novgorod ; une métropole à l’apparition si soudaine qu’elle en paraissait irréelle. Sous les ailes de l’appareil les champs cultivés grandissaient, les ombres des pylônes du bouclier électronique et des tours des précipiteurs s’étiraient, et les véhicules se déplaçaient avec une impensable lenteur.

Des trains de péniches descendaient la Volga en direction de la mer, des barges pointillaient le port fluvial au-delà des cultures. Novgorod était toujours une agglomération industrielle, en dépit du lustre apporté par les nouveaux quartiers. Cette berge n’avait pas changé en un siècle, hormis pour s’étendre pendant que les bateaux et les véhicules terrestres perdaient leur statut de choses rares pour devenir banals.

Regarde, maman, un camion !

La tache bleue d’un bosquet de lainebois fila sous l’aile. Les dalles et les bandes qui matérialisaient l’extrémité de la piste passèrent en un éclair.

Les pneus entrèrent en contact avec le sol. L’appareil continua sur sa lancée et finit par s’immobiliser, avant d’effectuer un quart de tour en direction du terminal.

Comme toujours, Ariane Emory fut prise de panique. Elle savait pourtant qu’elle n’aurait pas à pénétrer dans les salles bondées de monde. Des voitures attendaient. Les membres de son équipe se chargeraient de prendre les bagages, de remiser le jet, d’effectuer toutes ces tâches. Ils traverseraient la grande banlieue de la ville, mais si les glaces des véhicules permettaient de voir l’extérieur elles dissimuleraient leurs occupants aux regards des badauds.

Tous ces inconnus. Des mouvements de foule désordonnés et chaotiques. De loin, elle appréciait ce spectacle. N’était-ce pas sa création ? Elle aimait observer les gens pris dans leur ensemble. Vus de loin, ils lui inspiraient de la confiance.

De près, ils lui donnaient des sueurs froides.


Les voitures qui s’arrêtaient et le tourbillon d’hommes en uniforme qui se formait à l’entrée du Palais de l’État indiquaient que les arrivants n’étaient pas de simples sénateurs. Du balcon de la Salle du Conseil et entouré par ses gardes du corps et assistants, Mikhaïl Corain baissa les yeux sur le niveau inférieur et sa fontaine, son escalier monumental aux rambardes de cuivre, ses parois de pierre grise ornées d’étoiles d’or.

Une magnificence impériale, pour des ambitions impériales. Et le principal architecte de ces idées de grandeur fit son entrée : la conseillère de Reseune, accompagnée par le secrétaire des Sciences. Ariane Carnath-Emory et sa cour, en retard ainsi qu’il fallait s’y attendre, certaine d’obtenir la majorité lors du scrutin et ne condescendant à faire acte de présence que parce qu’une conseillère ne pouvait voter par procuration.

Mikhaïl Corain la foudroya du regard et remarqua que son pouls s’emballait. Détends-toi, ils ne vont pas s’attarder. Certaines choses ne dépendent pas de ta volonté.

Dont la conduite de la conseillère de Reseune.

Cyteen, de loin le plus peuplé des éléments de l’Union, avait obtenu deuxsièges au sein de l’organe exécutif : le Conseil des Neuf. S’il était logique que l’un d’eux appartînt au bureau des Citoyens, chargé de défendre les intérêts des salariés, des agriculteurs et des petites et moyennes entreprises, il était illogique que les électeurs scientifiques dispersés dans l’immensité de l’Union persistent à se faire représenter par Ariane Emory, alors qu’il existait une bonne douzaine de candidats potentiels éminemment qualifiés.

Et, surtout, qu’ils aient réélu cette femme à une telle position pendant une cinquantaine d’années. Il y avait désormais un demi-sièclequ’elle défendait ses intérêts en utilisant la corruption et l’intimidation, tant à Cyteen que dans toutes les stations de l’Union et (selon des rumeurs que rien ne venait cependant étayer) au sein de l’Alliance et de Sol. On voulait obtenir quelque chose ? Il suffisait de le demander à un proche de la conseillère des Sciences. Qu’était-on disposé à payer ? Qu’espérait-on avoir en échange ?

Et ce maudit électorat scientifique, composé de soi-disant intellectuels, continuait de voter pour elle, bien qu’elle fût impliquée dans de nombreux scandales et en dépit du fait que les laboratoires de Reseune lui appartenaient : l’équivalent sur le plan légal d’une planèteau sein du gouvernement de l’Union, un organisme qui se livrait à des activités douteusesc un fait que d’innombrables enquêtes n’avaient pas permis de démontrer.

L’envie n’était pas à l’origine de l’animosité de Corain. Il vivait dans l’aisance. C’était Ariane Emory elle-même qui l’exaspérait. Et le fait que la majeure partie de la population de Cyteen, et de l’Union elle-même, trouvait d’une manière ou d’une autre ses origines à Reseune. Quant à ceux qui n’entraient pas dans cette catégorie, ils utilisaient des bandes préparées dans ces laboratoires.

Conçues parc cette femme.

Douter de l’intégrité des concepteurs de ce système éducatif relevait de la paranoïa. Certes, on trouvait des gens qui refusaient de les utiliser pour étudier les maths et le commerce, qui ne prenaient aucune pilule et ne faisaient pas les mêmes rêves que les autres ressortissants de l’Union. Mais la plupart leur laissaient le soin de déverser dans leur esprit toutes les connaissances qu’ils étaient à même d’assimiler, en quelques séances. Drames, vécus autant que vus avec une intensité soigneusement dosée. Habileté manuelle, acquise au niveau nerveux et musculaire. On utilisait ces bandes pour la simple raison que les autres ne s’en privaient pas et qu’il convenait d’exceller pour pouvoir progresser au sein de cette société ; parce que c’était l’unique moyen d’étendre son savoir dans un nombre assez important de domaines pour ne pas se retrouver distancé dans un monde en évolution constante.

Le bureau de l’Information examinait de près ces bandes. Des experts les étudiaient. Aucun message subliminal n’aurait pu échapper à leur vigilance. Mikhaïl Corain n’était pas un de ces fous qui suspectaient le gouvernement de procéder à des écoutes télématiques, l’Alliance d’empoisonner les denrées alimentaires, les concepteurs de programmes éducatifs d’adresser au subconscient des injonctions destinées à asservir les esprits. Ces puristes refusaient la réjuv et mouraient de vieillesse à soixante-quinze ans, après s’être tenus éloignés de la fonction publique parce qu’ils prenaient bien soin d’entretenir leur ignorance.

Mais, bon sang, bon sang,cette femme était constamment réélue. Et il ne réussissait pas à en comprendre les raisons.

Elle restait là, les épaules voûtées, avec une mèche grise striant sa chevelure brune alors qu’il suffisait d’effectuer un petit calcul pour savoir qu’elle était plus vieille que l’Union, sous réjuv, et qu’une teinture dissimulait ses cheveux blancs. Ses assistants formaient un essaim autour d’elle. Les caméras se braquèrent sur cette femme, comme sur le centre de l’univers. Maudite sorcière squelettique !

Celui qui désirait s’offrir un être humain préparé tel un verrat de concours agricole n’avait qu’a s’adresser à Reseune. Si on voulait des soldats, des ouvriers, des muscles développés et un esprit embryonnaire, ou encore un génie garanti sans la moindre lacune, il suffisait pour cela d’en passer la commande à ce laboratoire.

Et les sénateurs et les conseillers se bousculaient pour venir s’incliner devant elle, lui faire des courbettes et lui débiter des complimentsc Bon Dieu, quelqu’un lui avait même apporté des fleurs !

De dégoût, Mikhaïl Corain se détourna et s’ouvrit un chemin dans le groupe de ses assistants.

Il était à la tête de l’opposition depuis vingt ans ; deux décennies qu’il avait passées à nager à contre-courant pour obtenir un léger avantage à tel moment et le perdre sitôt après, comme la dernière fois. Stanislaw Vogel, le représentant dés commerçants, venait de mourir. L’Alliance violait les clauses du traité aussi rapidement qu’elle armait ses cargos et les centristes auraient dû pouvoir remporter son siège. Mais non. L’électorat mercantile venait d’apporter ses suffrages à Ludmilla DeFranco, la nièce du défunt. Cette femme se qualifiait de modérée mais, enfer, elle se souciait surtout de garder le cap de la prudence et était aussi expansionniste que son oncle. Des biensavaient changé de mains. Quelqu’un venait de négocier les voix de la compagnie Andrus et les centristes de perdre une opportunité d’avoir un cinquième membre parmi les Neuf, et d’obtenir ainsi la majorité au sein de l’exécutif, pour la première fois de l’histoire.


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