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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Car cet homme disait vrai. Il ne désirait pas partir pour Lointaine ; pas maintenant, plus maintenant. Peu importaient à présent les anciens projets de son père.

9

J’ai pensé que ces précisions permettraient de lever certaines de vos objections sur le MR-1959,tapa Justin au sommet de la note explicative jointe à ses travaux sur le EO-6823, JW. Puis il réunit les fiches et expédia le tout au bureau de Yanni Schwartz.

Avec anxiété.

Il travaillait à nouveau, sans relâche. Il faisait des heures supplémentaires et ne ménageait pas ses efforts, désormais conscient de la précarité de sa situation. Il prenait des bandes, assimilait leur enseignement et utilisait ses temps libres pour reprendre des travaux personnels abandonnés huit ans plus tôt et tenter de faire admettre à Yanni l’intérêt de telles recherches.

Ce qui, pour une raison inexplicable, avait le don d’exaspérer cet homme.

Mais bien des choses avaient sur lui un tel effet.

Il s’était emporté en l’entendant parler de son MR-1959 parallèle.

– Écoutez, avait rétorqué Justin. Je fais cela pendant mes loisirs. J’ai terminé le travail que vous m’aviez confié. J’ai cru que vous accepteriez de m’aider.

– Votre projet ne peut être mené à bien. Laissez tomber, c’est le seul conseil que j’ai à vous donner.

– Expliquez-vous.

– Si on incluait une bande d’acquisition instinctive dans un ensemble-profond toutes les araignées se mettraient à courir au plafond.

– Pourrions-nous en discuter ? Pendant le déjeuner, par exemple ? J’aimerais vous en parler, Yanni. Je crois connaître un moyen de résoudre ce problème. Tout est précisé dans mon mémo.

– Je n’ai pas une minute à vous consacrer, mon garçon. Mon emploi du temps est chargé, très chargé ! Adressez-vous plutôt à Strassen, si vous réussissez à la joindre. Si c’est réalisable. Elle adore jouer à l’instruc-trice. Ce qui me fait penserc Demandez à Peterson. Sa patience est exemplaire, ce qui n’est pas le cas de la mienne. Contentez-vous de m’apporter votre boulot et de ne pas me compliquer la vie, bon Dieu ! J’ai bien assez de soucis sans que vous y ajoutiez les vôtres.

Peterson s’occupait des débutants.

Ce qui révélait le fond de la pensée de Yanni.

Justin ne rétorqua pas que Denys Nye l’avait pressé de faire de la recherche et qu’Ariane Emory s’était intéressée à ses premiers essais. Il ravala l’insulte et se rappela que son interlocuteur ne reculait devant aucun coup bas, lorsqu’on l’irritait. Le concepteur psych était d’une patience admirable avec les azis mais il n’hésitait pas à employer toutes les armes à sa disposition en présence d’un CIT ; les tactiques propres à sa spécialité incluses. La blessure était d’autant plus cuisante que Yanni avait l’étoffe d’un expert et qu’il s’en prenait à un être vulnérable, un individu qui se sentait pris au piège et frustré.

Justin le laissa donc sur un :

– Oui, ser, je comprends.

Et il passa une nuit épouvantable avant de recouvrer un équilibre mental relatif, de détendre ses nerfs en pelote, et de décider : Entendu, il a un caractère de cochon. Mais c’est le meilleur professeur que je puisse trouver. Je l’aurai à l’usure. Que peut-il contre moi ? Que peuvent faire de simples mots ?

D’épouvantables dégâts, lorsqu’ils étaient choisis par un psych tel que cet homme. Mais le fait de vivre à Reseune et d’aspirer à devenir un jour son égal lui imposait d’encaisser ses rebuffades, de se reprendre, et de repartir aussitôt à l’attaque.

– Ne lui accorde pas autant d’importance, lui avait dit Grant.

Grant, qui ne pensait qu’à son travail et prenait soin de s’abriter derrière un bouclier mental dès qu’il approchait à moins de trois mètres de Yanni Schwartz, parce que cet individu le terrifiait.

– Il est le seul qui puissem’apprendre quelque chose, avec Jane Strassen, Giraud et Denys. Et je préférerais aller me pendre plutôt que de m’adresser aux Nye. Quant à Strassen, je n’ai pas intérêt à passer la voir.

– C’est exact. Je te le déconseille.

Une évidence, à cause de la fillette dont elle avait la garde.


Ce ne fut pas de propos délibéré qu’il déclencha les hostilités avec Yanni. Il était soumis à une véritable torture intérieure et doutait de ses capacités. Il tentait d’exécuter un travail irréprochable, mais cet homme lui imposait d’insérer des mots de passe afin qu’un psychochirurgien pût exciser tout ce qui lui était attribuable. Il en précisa la raison lorsque Justin lui demanda à nouveau d’exposer ses objections au sujet du MR-1959:

– Vous êtes moins bon que vous ne l’imaginez, bordel ! Et une bande d’acquisition instinctive n’est pas une bande-maîtresse. Renoncez à vouloir faire pousser des plumes à un cochon. Ne touchez pas aux ensembles-profonds. N’avez-vous pas assez de bon sens pour comprendre ce qui résulterait d’un tripatouillage de ce genre ? Je n’ai pas de loisirs à consacrer à vos foutus bricolages. Vous perdez votre temps et me faites perdre le mien. Vous seriez un excellent concepteur, si vous vous cantonniez à votre spécialité plutôt que de vous intéresser à des choses que nous savons irréalisablesdepuis près d’un siècle ! Vous n’avez pas inventé la roue, mon garçon, vous venez de vous engager dans une vieille impasse.

– Ari ne me l’a jamais dit, rétorqua-t-il.

Et ce fut comme s’il expulsait le contenu de ses entrailles. Les mots sortirent en chapelet, lestés d’émotion.

– Qu’a-t-elle dit, alors ?

– Elle a critiqué la conception et précisé que j’avais omis de tenir compte de certaines conséquences sur le plan sociologiquec

– C’est exact.

– Elle a ajouté qu’elle y réfléchirait. Aric Elle comptait approfondir la question. Voilà pourquoi j’estime que vous avez tort de ne pas me prendre au sérieux. Je vous montrerai le modèle sur lequel je travaille, si ça peut vous faire changer d’avis.

– Il serait préférable d’ouvrir les yeux, mon garçon. Ari s’intéressait à vous, mais pas pour vos idées. Vous savez de quoi je veux parler. Six, huit années se sont écoulées, et vous vous réfugiez dans le passé en imaginant que vous étiez meilleur à dix-sept ans que de nos jours. C’est de la connerie. Admettez-le. Il est vrai qu’on ne vous a pas ménagé et je peux comprendre votre désir de reprendre votre existence au point où elle s’est arrêtée, mais il serait plus constructif de redémarrer à partir du stade que vous avez atteint entre-temps. Reconnaissez que ce n’était pas pour vos idées génialesqu’Ari vous convoquait dans son bureau et vous accordait une attention particulière. D’accord ?

Il respirait avec difficulté. Ils étaient seuls et nul ne risquait de les entendre. Mais personne ne lui avait tenu des propos aussi brutaux au cours de toutes ces années ; pas même Denys, pas même Petros. Il était tiraillé entre le désir de fuir et celui de se battre. Son taux d’adrénaline grimpa et le fit réagir. Il était pris au piège dans cette pièce, en face d’un homme qu’il n’osait frapperc Seigneur, il se serait retrouvé à l’hôpital moins d’une heure plus tardc

– Allez vous faire foutre !Quel est votre but ?

– Vous aider.

– Bravo, c’est une réussite. Si c’est ainsi que vous traitez vos patients, je prie Dieu pour qu’il les protège.

Il se sentait sur le point de craquer. Il serra les dents. Vous savez ce que j’ai subi, espèce de salaud. Fichez-moi la paix.

Et Yanni prit son temps avant de répondre d’une voix plus posée :

– Je dis la vérité, mon garçon. Parce que les autres n’osent pas le faire. Ivanov répète qu’il ne faut pas vous pousser dans vos derniers retranchements. Que souhaitez-vous ? Qu’il replâtre vos blessures ? Il ne peut vous toucher. Denysne l’autorise pas à effectuer la moindre intervention. Vous en auriez pourtant sacrément besoin – il faudrait que quelqu’un pratique une incision profonde, excise tout ce qui vous ronge –, que ça vous plaise ou non. Je ne suis pas votre adversaire. Ils ont tous peur de vous soumettre à un psych digne de ce nom. Ils craignent que Jordan ne l’apprenne et ne respecte plus les accords. Mais c’est pour vousque je me préoccupe, mon garçon. À tel point que je voudrais pouvoir ouvrir votre crâne et vous présenter votre cervelle dans une assiette, en espérant que vous puissiez vous reconstituer ensuite. Les médias parlent à nouveau d’Ari, et c’est regrettable. L’intérêt des journalistes est préjudiciable à votre sécurité. Nous ne pouvons pas vous contraindre à suivre le traitement dont vous avez besoin. Écoutez-moi. Tous ici ne pensent qu’à sauver leur peau. Vous faites une hémorragie interne et Petros doit se contenter d’appliquer des pansements sur vos blessures superficielles, alors que nous sommes tous conscients de la situation. Denys a tenté de vous ouvrir les yeux, mais vous refusez de coopérer. Grâce à Dieu, vous avez malgré tout essayé de vous ressaisir et de vous remettre au travail. Si j’avais les coudées franches, mon garçon, je vous aurais fait injecter une forte dose de kats avant d’avoir cet entretien avec vous, dans l’espoir que vous prêtiez un peu plus d’attention à mes paroles. Vous voulez regagner votre point de départ. C’est une perte de temps. Admettez ce qui vous est arrivé, que le passé est révolu, et faites ce que vous êtes capable d’accomplir. Et au plus tôt.Vous travaillez avec une lenteur exaspérante. Vous consacrez des heures à des vérifications, comme si vous aviez une peur bleue de vous tromper. C’est inutile. Vous n’êtes pas le contrôleur final et vous devez changer d’attitude. Tout de suite, parce que je ne suis pas disposé à le supporter plus longtemps. Alors détendez-vous, contentez-vous d’effectuer les tâches qu’on vous confie, le mieux possible pour votre qualification, plutôt que de consacrer du temps àc

Il donna une pichenette aux pages.

– c ces conneries.

Justin resta assis, sans rien dire. Yanni disait la vérité : il se vidait de son sang. Mais parce qu’il était obstiné et ne désirait qu’une seule chose, il répondit :

– Prouvez-moi que je suis dans l’erreur. Faites une critique de mes travaux. Transmettez-les à la sociologie, afin de déterminer ce qui en résultera à la deuxième et à la troisième générations. Démontrez-moi comment cette modification s’intégrera, ou non.

– Avez-vous regardé autour de vous ? Avez-vous constaté quel rendement doivent fournir vos collègues ? Où croyez-vous que je trouverais le temps d’étudier cela ? Vous pensez peut-être que mon service peut demander à la sociologie de se pencher sur des recherches auxquelles tous ont renoncé depuis près d’un siècle ?

– Je vous dis que le problème est résolu. Je vous dis que j’ai découvert la solution. Analysez vous-mêmemes travaux. Vous voulez me convaincre que je suis fou, alors prouvez-moique je me trompe.

–  Merde,je refuse de vous aider à vous enliser encore plus dans ce bourbier !

– Je suis le fils de Jordan. J’étais un chercheur valablec

– Étais, étais, étais,bordel ! Cessez de vous référer au passé ! Ce que vous faisiez il y a six ans ne valait pas un pet de lapin, mon garçon !

– Prouvez-le-moi. Prouvez-le,Yanni. Ou alors, admettez que vous en êtes incapable.

– Adressez-vous à Peterson !

– Comment voudriez-vous qu’il m’aide ? Je suis meilleur que lui. Depuis toujours.

– Pauvre petit con bouffi d’orgueil ! Vous êtes loinde le valoir ! Lui, au moins, il gagne son salaire. Si vous n’étiez pas le fils de Jordan, vous vivriez dans un logement d’une seule pièce et toucheriez une rémunération correspondant au travail que vous fournissez, ce qui ne vous permettrait pas de satisfaire vos goûts de luxe. Grant et vous réunis, vous ne méritez pas l’appartement dans lequel vous vivez.

– Que valent les recherches effectuées par mon père, et qu’a-t-il obtenu en échange ? Envoyez-lui mes études. Il trouvera du temps à leur consacrer.

Yanni prit une inspiration, la libéra.

– Merde. Je me demande vraiment ce que je vais faire de vous.

– Ce que vous voulez, comme tous les autres. Je vous adresserai mes travaux une fois par semaine. Si vous ne les étudiez pas, je reviendrai à la charge. J’exige de recevoir l’éducation à laquelle j’ai droit. Je vous ai choisi pour instructeur. Vous aurez beau dire et beau faire, je ne renoncerai pas.

– Bon sang de bonsoirc

Il fixait Yanni et pensait que cet homme allait se lever, faire le tour du bureau et venir le frapper.

– Je m’adresserais volontiers à Strassen, ajouta-t-il. Mais je doute d’être autorisé à l’approcher. Et je ne pense pas qu’elle ait du temps à me consacrer, elle non plus. Ce qui ne me laisse que vous, Yanni. Vous avez le choix entre me virer ou me démontrer que je suis dans l’erreur, m’expliquer pourquoic mais en utilisant la logique, pas vos techniques psych.

– Je n’ai pas de temps à perdre !

– Vous n’êtes pas le seul. Alors, faites-le. Ça ne devrait pas être bien long, dès l’instant où vous savez déjà ce qui est faux dans mon raisonnement. Je ne veux apprendre qu’une seule chose : quel serait l’impact sur les générations suivantes.

– Fichez le camp d’ici.

– Je suis viré ?

– Non, gronda Yanni.

Et c’était la réponse la plus amicale qu’il adressait à Justin depuis des années.


Il prépara deux bandes. Une pour Yanni et une autre qu’il espérait se voir autorisé à utiliser. Parce que cela lui permettait de parfaire ses connaissances et d’avoir une vision globale de l’ensemble.

Et que, comme disait Grant, l’instinct tenait une place prépondérante dans l’existence d’un azi.

Il ne pouvait toujours pas porter un jugement moral sur ses travauxc il se demandait s’il avait raison de vouloir qu’un Thêta pût aimer effectuer son travail, plutôt que de le faire afin de susciter l’approbation des CIT. C’était une question d’éthique. Et intervenir dans le psychset des azis posait des problèmes de structure fondamentaux. Yanni disait vrai. Un psychset artificiel devait reposer sur des bases très simples, sous peine de voir ces dernières se lézarder et provoquer l’apparition de névroses, de comportements obsessionnels et de frustrations bien pires que l’ennui.

Mais il ne renonçait pas pour autant et continuait de présenter ses études à Yanni quand ce dernier paraissait d’humeur conciliante, ce qui lui arrivait parfois.

– Vous êtes un imbécile, s’entendait-il répondre dans le meilleur des cas.

Avec, à l’occasion, quelques phrases concises couchées sur un bout de papier : des remarques sur les répercussions possibles, la suggestion de se référer à telle ou telle bandétude de sociologie.

Il était fasciné par ces notes. Il prenait les bandes en question. Il se les passait. Il découvrait des erreurs. Il bâtissait de nouvelles théories.

– Vous êtes toujours aussi stupide, lui dit un jour Yanni. Ce que vous faites, c’est ralentir la propagation des dommages en les rendant irrémédiables. Si vous avez tant de loisirs, je vous suggère de les consacrer à des passe-temps plus utiles. Nous avons un problème avec un ensemble Bêta vieux de dix ans qui interprète de travers une des trois bandes instinctives. C’est notre hypothèse, tout au moins. L’instructeur est du même avis. J’ai ici le compte rendu de ce cas. Mettez à contribution vos talents et ceux de Grant pour chercher des solutions.

Il partit avec le fichier correspondant et un défi à relever : le travail le plus important que Yanni lui avait jamais confié.

Et qui devint pour lui un véritable casse-tête. La liste des bandes que les trois azis concernés avaient reçues au fil des années était assez longue pour occuper la totalité de l’écran, et tous avaient eu des affectations différentes. Mais le problème était grave et tous ces azis avaient été placés sous bande réparatrice, une sorte de détends-toi/tu-n’as-rien-à-te-reprocher d’ordre général. Ils attendaient dans l’angoisse qu’un concepteur pût les soulager.

Dieu, cela durait depuis des mois ! Les patients ne vivaient pas sur Cyteen. Tous les maîtres superviseurs locaux avaient participé à l’analyse de leur cas et vu se développer en eux une profonde frustration.

Ce n’était pas un problème ordinaire, ni de simple théorie.

Il passa deux appels, un à Grant :

– Je voudrais avoir ton avis.

L’autre à Yanni :

– Je désire savoir qui travaille sur ces cas. Nous devons être en présence d’un effacement accidentel, bon Dieu. Confiez cette étude à un spécialiste.

– Vous vous vantez d’être un expert, lui répondit Yanni avant de raccrocher.

– Merde ! grommela après coup Justin.

Et quand Grant arriva ils laissèrent de côté tout ce qu’ils avaient entrepris pour se consacrer à l’étude de ce problème.

Au bout de trois semaines de veilles interminables et de labeur acharné, ils mirent en évidence une interaction avec l’ensemble-profond dans une bande instinctive.

– Bon Dieu, hurla-t-il à Yanni lorsqu’il lui apporta leurs conclusions. C’est un gâchis ! Vous auriez pu trouver la solution en une semaine. Ce sont des êtres humains, bon Dieu, et l’un d’eux souffre d’une correction bâclée en plus de tout le restec

– Vous avez donc réussi ? Je savais que vous ne resteriez pas insensible à leurs souffrances. Préparez-leur une bande réparatrice.

– Que voulez-vous dire ? Sans vérifier nos conclusions ?

– Vous êtes autonomes. Faites le nécessaire. Un contrôle serait superflu.

Il prit une inspiration profonde et foudroya Yanni du regard, rongé par le désir de lui tordre le cou.

– Est-ce un cas réel ou un mauvais tour que vous avez décidé de me jouer ? Une saloperie d’exercice mitonné à mon intention ?

– Ces azis existent, et pendant que vous discutaillez ils attendent d’être soulagés. Mettez-vous au travail. Vous avez résolu le problème assez vite. Voyons de quoi vous êtes encore capable.

– Je sais ce que vous cherchez, bon sang ! N’en faites pas pâtir des azis innocents !

– C’est à vous que peut s’adresser ce reproche, rétorqua Yanni.

Sur ces mots, il regagna son bureau et claqua la porte.

Justin resta figé sur place. Il reporta son attention sur Marge, avec désespoir.

L’assistante de Yanni parut compatir et secoua la tête.

Il revint sur ses pas pour annoncer la nouvelle à Grant.

Et il fournit la bande réparatrice trois jours plus tard.

– Parfait, lui dit Yanni. J’espère qu’elle sera efficace. J’ai un autre cas à vous soumettre.

10

– C’est mon travail, dit maman.

Et Ari, qui laissait sa main dans la sienne – pas parce qu’elle était petite mais parce que les machines étaient énormes, quelles bougeaient et que tout semblait très dangereux, ici –, regardait de tous côtés les parois d’acier de ce qu’ils appelaient les cuves utérines : des bacs aussi volumineux que des autocars.

– Où sont les bébés ? demanda-t-elle.

– À l’intérieur, répondit maman avant de s’adresser à une azie qui approchait : Mary, je te présente ma fille. Ari va jeter un coup d’œil aux écrans.

– Bien, docteur Strassen, fit l’azie.

Tous parlaient très fort, ici.

– Bonjour, Ari.

– Bonjour, répondit-elle.

Et elle agrippa la main de maman qui suivait Mary vers l’autre extrémité de l’interminable rangée de cuves.

Les lieux n’étaient guère différents d’un immense bureau, avec des moniteurs partout.

– Quel est le plus jeune ? demanda maman.

– Le dix n’a qu’une semaine.

– Ari, peux-tu compter dix cuves ? Elle est là-bas, près du mur.

Ari regarda, compta, et hocha la tête.

– Parfait, dit maman. Jetons un coup d’œil, Mary. Aric Mary va te montrer le bébé de la dix.

– On ne peut pas aller voir dedans ?

– La lumière le gênerait. C’est un présent qu’on reçoit le jour de sa naissance. Il ne faut pas ouvrir les matrices avant la parturition. D’accord ?

C’était amusant. Ari rit et se laissa choir dans le siège placé devant un écran où apparaissait un petit machin rougeâtre.

– Voilà le bébé, déclara maman en tendant le doigt.

– Beurk.

Il se produisit un déclic. Elle se rappela une chose vue quelque part. Sans doute dans une bande. Une sorte de bébé.

– Ils sont en effet un peu « beurk », à ce stade. Sais-tu après combien de semaines ils peuvent naître ?

– Quarante et quelque chose, répondit Ari.

Une autre connaissance inculquée par les bandes.

– Est-ce qu’ils sont tous comme ça ?

– Quels sont ceux qui approchent de huit semaines, Mary ?

– Le quatre et le cinq.

– Les cuves quatre et cinq, Ari. Nous allons te montrer le bébé que contient lac laquelle, Mary ?

– La quatre, sera.

– Il est presque aussi vilain que celui de tout à l’heure, fit remarquer Ari. Je ne pourrais pas en voir un plus joli ?

– Eh bien, nous allons poursuivre nos recherches.

Elle trouva le suivant un peu mieux. L’autre plus encore. Finalement, ils furent trop gros pour apparaître en entier. Et ils bougeaient. Ari était fascinée, parce que maman venait de dire qu’ils allaient procéder à une naissance.

Le moment venu, la salle fut envahie par des techs et maman prit Ari par les épaules pour la tenir devant elle, afin qu’elle pût tout voir. Elle lui indiqua dans quelle direction elle devait regarder, là, dans ce bac.

– Il ne va pas se noyer ? s’inquiéta Ari.

– Non, non. Tu sais que les fœtus vivent dans un liquide, n’est-ce pas ? Le revêtement interne de la cuve commence à se contracter, comme le ventre d’une femme lors de l’accouchement. Le bébé va être expulsé, de la même façon que si c’étaient des muscles. Mais ce sont en fait des pompes. Tu verras beaucoup de sang, parce que des vaisseaux vont se rompre dans le bioplasme, pendant l’expulsion.

– Est-ce qu’il aura un cordon, et le reste ?

– Bien sûr. Tous les bébés en ont un. Il est bien réel. Tout est réel, d’ailleurs, même le bioplasme. C’est le plus difficilec reconstituer un système sanguin. Regarde bien, maintenant. Observe cette lumière qui clignote. Elle avertit les techs de se tenir prêts à intervenir. Ça y est. Voilà sa tête. C’est dans ce sens que les bébés doivent sortir.

– Splash ! s’exclama Ari.

Et elle battit des mains quand il tomba dans la cuvette.

Puis elle se figea en le voyant barboter pendant que l’eau emportait des tas de trucs dégoûtants.

– Beurk !

Mais les techs azis le prirent et coupèrent son cordon ombilical. Ari se haussa sur la pointe des pieds pour les voir emmener le bébé qui gigotait toujours. Mary leur dit de s’arrêter et de lui montrer le nouveau-né qui faisait des grimaces. Un bébé garçon.

Puis ils le lavèrent, le talquèrent et l’empaquetèrent, et Mary le prit et le berça.

– Je te présente GY-7688, dit maman. Il s’appelle Auguste. Il fera partie des services de sécurité, un jour. Mais il restera un bébé encore longtemps. Quand tu auras douze ans, il sera grand comme tu l’es à présent.

C’était passionnant. Ils l’autorisèrent à toucher le nourrisson, à condition qu’elle allât d’abord se laver les mains. Il agita ses petits poings et lui donna des coups de pied, ce qui la fit rire aux éclats. Elle s’amusait beaucoup.

– Dis au revoir, lui murmura maman. Remercie Mary.

– Merci, dit Ari avec sincérité.

Elle avait trouvé cela très amusant et espérait pouvoir revenir bientôt.

– As-tu aimé cette visite ? lui demanda maman.

– Surtout quand le bébé est sorti.

– Ollie est né de cette manière, dans le même labo.

Elle ne pouvait imaginer Ollie si petit et si drôle. Elle refusait de le ridiculiser ainsi. Son nez se plissa et elle se le représenta tel qu’il était à présent.

Grand et élégant dans son uniforme noir.

– Certains CIT passent aussi leur gestation dans ces cuves, quand leur maman ne peut pas les garder dans leur ventre. Les matrices artificielles s’en chargent à leur place. Sais-tu ce qui différencie un azi d’un CIT, lorsqu’ils naissent tous les deux de cette manière ?

Une question difficile. Les différences étaient nombreuses, tant sur le plan légal que dans leur façon d’être.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Quand as-tu reçu ta première bande ?

– Maintenant. Et j’ai six ans.

– C’est exact. C’était le lendemain de ton anniversaire. Tu n’as pas eu peur ?

– Non.

Elle secoua la tête, parce que ses cheveux s’envolaient et qu’elle adorait ça. Maman prenait son temps pour lui poser des questions et Ari s’ennuyait pendant les pauses.

– Sais-tu quand Auguste recevra sa première bande ?

– Quand ?

– Aujourd’hui. Maintenant. Dès qu’ils l’auront placé dans un berceau une bande se mettra à défiler, pour qu’il puisse l’entendre.

Elle en fut impressionnée, pour ne pas dire jalouse. Cet azi représentait une menace, car il risquait ainsi de devenir plus savant qu’elle.

– Pourquoi n’en avez-vous pas fait autant pour moi ?

– Parce que tu étais destinée à devenir une CIT et que l’éducation des CIT se fait par d’autres méthodes. Les bandes sont efficaces, mais l’enfant qui a une maman ou un papa pour s’occuper de lui découvre des choses qui ne seront révélées à Auguste que bien plus tard. Il serait presque possible de dire que les CIT prennent leur départ dans l’existence bien avant les azis. Ces derniers apprennent à être serviables et à accomplir leur travail, mais pas à décider ce qu’il convient de faire dans une situation imprévue. En cas d’urgence, les CIT sont moins désemparés qu’eux grâce à ce que leur a appris leur maman. Les bandétudes ne peuvent remplacer l’expérience personnelle. Voilà pourquoi je te dis de prêter bien attention à tout ce que tu vois et entends. C’est pour cela que les CIT sont élevés ainsic afin qu’ils comprennent que les bandes sont moins importantes que les yeux et les oreilles. Si Auguste avait une maman, elle l’emporterait chez elle et il deviendrait un CIT.

– Mary devrait devenir sa maman.

– Elle s’occupe déjà de nombreux enfants. Cinq cents chaque année. Plus, parfois. Elle aurait bien trop de travail. Alors, la bande s’en charge à sa place. Voilà pourquoi les azis n’ont pas de maman. Elles ne sont pas assez nombreuses.

–  Jepourrais adopter Auguste.

– Non, ma chérie. Il faut être une grande personne, pour devenir une maman. Et si je le ramenais à la maison, tu devrais partager avec lui ton lit et tes jouets, vivre au milieu des couches sales et l’entendre pleurer. Je ne pourrais plus m’occuper que de lui, et pour toujours parce qu’on ne peut pas renvoyer un bébé d’où il vient quand on ne supporte plus ses hurlements. Veux-tu qu’il prenne la moitié de ta chambre et que maman, Nelly et Ollie te délaissent ? S’il devenait notre bébé, je devrais lui consacrer tout mon temps.

– Non !

Elle n’avait pas eu une bonne idée. Elle agrippa la main de maman avec plus de force et décida de tout faire pour empêcher qu’un bébé ne vînt prendre sa place et s’approprier la moitié de ses affaires. Devoir prêter ses jouets aux enfants insupportables qui lui rendaient visite mettait déjà sa patience à rude épreuve.

– Viens, dit maman.

Elles sortirent dans le jardin ensoleillé, celui des poissons. Ari fouilla dans les poches de son pantalon, sans découvrir la moindre miette de pain, ou d’autre chose. Nelly lui avait préparé des vêtements propres.

– Tu as quelque chose à leur donner ?

– Non, répondit maman en tapotant la roche sur laquelle elle venait de s’asseoir. Viens près de moi, Ari, et dis-moi ce que tu penses des bébés.

Une leçon. Elle soupira et abandonna le koï qui nageait sous les feuilles de nénuphar. Elle s’accroupit sur une pierre d’où elle pouvait voir le visage de maman et laissa ses coudes reposer sur ses genoux.

– Alors, qu’en dis-tu ?

– Je n’ai rien à leur reprocher.

– Tu sais qu’Ollie est né là-bas.

– Ce nouveau-né va devenir un autre Ollie ?

– C’est impossible. Saurais-tu me dire pourquoi ?

Elle grimaça et se concentra.

– Ce bébé est un GY quelque chose, pas un AO. Il n’est même pas de type Alpha.

– C’est exact. Tu es très intelligente.

Elle aimait l’entendre confirmer. Elle ne tenait plus en place.

– Mais sais-tu que tu es toi aussi née dans ce labo ?

Ces mots se réverbérèrent à l’intérieur de son crâne. Elle n’avait pas l’impression que maman voulait plaisanter et elle la dévisagea afin de découvrir si elle disait cela pour la taquiner. À en juger par son expression, ce n’était pas le cas.

– Maman n’aurait pu te garder dans son ventre. Elle était bien trop âgée. Il y avait des années qu’elle avait commencé sa cure de réjuv et elle était dans l’impossibilité d’avoir un bébé. Mais comme les cuves pouvaient s’en charger à sa place, elle a commandé une petite fille à Mary. J’étais là quand tu as été poussée hors de la matrice artificielle. C’est moi qui t’ai sortie de l’eau du bac, quand tu es née.

Elle étudiait maman et tentait de s’imaginer à l’intérieur d’une des cuves de cette salle. Elle essaya de se voir à la place du bébé que Mary avait pris dans ses bras et se sentit différente. Il lui semblait être une autre petite fille. Elle était désorientée.

Maman lui tendit les bras.

– Veux-tu que je te porte, ma chérie ?

Oui, elle le voulait. Elle souhaitait redevenir toute petite pour pouvoir se recroqueviller sur les genoux de maman. Elle essaya, mais elle était trop lourde et ça faisait mal à maman. Elle se contenta de se pelotonner contre elle, et elle eut l’impression d’être énorme et empotée pendant que maman la serrait sur sa poitrine et la berçait. Mais cela lui donnait l’impression d’être en sécurité.

– Je t’aime beaucoup, tu sais ? Tu n’as pas à te sentir gênée d’être née dans cette salle. Tu es la plus gentille des petites filles que je pouvais rêver d’avoir un jour. Je ne t’échangerais contre rien au monde.

– Je resterai toujours ta petite fille ?

Maman ne répondrait pasc Si. Le changement d’attitude fut si brusque qu’elle en fut effrayée jusqu’au moment où elle entendit :

– Tu le seras toujours, ma chérie.

Elle ignorait pourquoi son cœur battait si fort, pourquoi elle avait cru que maman refuserait de le lui confirmer. Et cela l’inquiétait plus que tout. Elle était heureuse de se trouver dans ses bras, mais elle avait froid.

– Je t’ai déjà expliqué que de nombreux enfants n’ont pas de papa. Mais toi si, Ari. Il s’appelait James Carnath. C’est pour cela qu’Amy est ta cousine.

–  Macousine ?

Elle en éprouvait du dégoût. Les cousins appartenaient à la même famille, et elle ne voulait pas avoir de liens de parenté avec cette peste d’Amélie Carnath.

– Où est mon papa ?

– Il est mort, ma chérie. Bien avant ta naissance.

– Ollie n’aurait pas pu être mon papa ?

– Impossible, il était déjà sous réjuv, lui aussi.

– Ses cheveux ne sont pas tout blancs.

– Il les teint, comme moi.

C’était une révélation épouvantable. Elle ne pouvait imaginer Ollie aussi vieux que maman. Il était jeune et beau.

– Je veux qu’Ollie soit mon papa.

Maman était à nouveau bouleversée. Ari le percevait dans les frissons de ses bras, dans le rythme haché de sa respiration.


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