Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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– Tu éludes ma question. M’ont-ils fait quelque chose ?
– Je ne sais pas, balbutia Grant. Je ne peux porter un jugement sur le psychset d’un CIT.
– Tu le peux, si c’est le mien.
– Ne me pousse pas dans mes derniers retranchements, Justin. Je ne sais pas.Je l’ignore, tout comme j’ignore comment je pourrais m’y prendre pour être fixé sur ce point.
– Ils m’ont psyché, c’est ça ? Allons. Tu doism’aider, Grant.
– Il est évident que toutes ces épreuves t’ont marqué. Je ne saurais dire si Petros t’a soulagé ou blessé encore plus.
– Pour ne pas dire achevé, en me faisant subir la même chose qu’Ari. La gossec
Il avait reçu un coup. Un coup brutal. Il venait d’effectuer un voyage dans le temps. J’ai peur des flashes-bandes. Je veux m’en isoler. Je fuis tout ce qui se rapporte à cette période. C’est une décision en soi, non ?
Petros : Je vais l’enfermer.
L’emprisonner derrière des murailles.
Seigneur. Un blocage psych. C’est possible.
Ils n’étaient pas mes amis. Pas plus que ceux de Jordan. Ce n’est un secret pour personne.
Il prit une inspiration. Je me ferme à tout ce qu’elle m’a appris. Tout cela me terrifie.
– Justin ?
Et cette fillette vient de faire écrouler ces remparts. Elle m’a renvoyé dans le passé, avant l’intervention de Petros. Avant même celle de Giraud. À l’époque où il n’y avait qu’Ari.
Quand je me croyais invulnérable. Cette nuit-là, lorsque j’ai franchi la porte de son appartement, je croyais être le maître de la situation.
Et j’ai découvert mon erreur deux secondes plus tard.
La Famille est un tel fardeau, mon chéri.
Que voulait-elle me dire ?
– Justin ?
Souhaitait-elle que Reseune devienne ce qu’elle est ? Avait-elle l’intention de livrer cette gosse à Giraud ?
Merde, il respectait autrefois ses volontés, mais depuis sa mortc
– Justin !
Il prit conscience que Grant le secouait, pris de panique.
– Ça va, marmonna-t-il. Je vais très bien.
Il sentit la main de l’azi se refermer sur la sienne. Elle était chaude. Le vent semblait le traverser. Il ignorait ce qu’il regardait. Le jardin. L’étang.
– Grantc que cette enfant soit ou non la réincarnation d’Emory, elle est intelligente. Elle a trouvé le moyen de lespsycher. Je me trompe ? Elle a déduit quels étaient les désirs de leur subconscient. N’est-ce pas ce que tu disais des cobayes d’Hauptmann ? Elle leur a fait croire tout cela. À Denys, Jane, Giraud et tous les autres. Mais il n’est pas nécessaire que je partage leur opinion pour savoir ce qui se produira si Giraud considère que nous représentons une menace.
– Laisse tomber, Justin. Partons. Il commence à faire frais.
– Crois-tu qu’ils m’ont soumis à un psychoblocage ?
Il regagna le présent et vit le visage de son ami, devenu livide à cause de la froidure.
– Dis-moi la vérité.
Un interminable silence. La respiration de Grant était hachée. Il n’y avait pas besoin d’être un expert pour le constater.
– C’est possible.
L’azi serra la main de Justin avec force : une étreinte douloureuse. Ce fut d’une voix tremblante qu’il ajouta :
– J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir. Je n’ai cessé d’essayer, depuis lors. Tiens bon. Ne leur offre aucune opportunité de te toucher à nouveau. Et ils le ferontc si tu leur fournis le moindre prétexte. Tu sais qu’ils le peuvent.
– Je ne vais pas craquer, rassure-toi. Je saisce qu’ils ont fait.
Il prit une inspiration profonde et attira son ami contre lui, pour l’étreindre. Il se pencha vers l’azi, épuisé.
– Je vais bien. Mieux, sans doute, qu’au cours de ces six dernières années.
Grant le dévisagea, angoissé.
– Je te le jure, ajouta Justin.
Il ne sentait plus la morsure du vent. Il était gelé. Engourdi.
– Merde. Nous avons du temps devant nous, non ?
– Rien ne presse. Viens. Tu es transi de froid. Et moi aussi. Rentrons.
Il se leva, jeta les miettes restantes aux poissons, fourra la serviette dans sa poche avec des doigts gourds et se mit à marcher. Il n’était pas conscient du chemin qu’il suivait, de tout ce qui relevait des actions machinales. Grant ne disait rien. Il resta silencieux jusqu’au bureau de Justin, dans la deuxième section.
Il s’attarda sur le seuil de la pièce, puis déclara :
– Je dois faire un saut à la bibliothèque.
Son ami releva le menton :
– Tu n’as aucune raison de t’inquiéter pour moi.
– Va.
Grant mordilla sa lèvre.
– On se retrouve pour le déjeuner.
– Parfait.
Une fois seul, Justin s’assit et repoussa des papiers sur le côté du poste de travail, pour connecter l’ordinateur à la mémoire centrale de la Maison. Il aillait se mettre à l’ouvrage quand un point clignotant lui signala la réception d’un message. Il le fit apparaître.
Passez me voir à mon bureau dès votre arrivée, lut-il. Giraud Nye.
Il resta assis, à fixer l’écran. Sa main tremblait, lorsqu’il se pencha pour arrêter l’appareil.
Il ne s’était pas attendu à cela. La pensée d’un nouveau psychosondage traversa son esprit, accompagnée par ses anciens cauchemars. Il lui faudrait maîtriser toutes ses réactions.
Mais ses réflexes de défense avaient disparu. Tous. Ilétait vulnérable. Au même titre que Grant.
Il disposerait pour se reprendre du temps nécessaire pour aller jusqu’au bureau de Nye. Il envisagea d’effectuer un détour par la bibliothèque, afin d’avertir son amic mais c’eût été se conduire en coupable et le moindre faux pas risquait de le condamner.
Non,pensa-t-il. Il mordit sa lèvre avec force, et le goût du sang le renvoya dans le passé, lors d’une autre rencontre.
Ça y est, se dit-il. Le moment est venu.
Il remit en marche l’appareil et adressa un message au bureau de Grant : Giraud veut me voir. Je risque d’être en retard pour le déjeunerc J. Ce serait suffisant. Quant à ce que ferait son ami, il n’en avait pas la moindre idée.
Il savait seulement qu’il s’inquiéterait.
Il arrêta à nouveau le moniteur, se leva, ferma à clé son bureau et s’éloigna dans le couloir. Il regardait ce cadre familier et ceux qui s’y trouvaient en pensant qu’il les voyait peut-être pour la dernière fois. Que, tout comme Grant, il risquait de garder comme ultime vision de ce monde l’image d’une salle d’interrogatoire de l’hôpital.
9
Giraud occupait toujours le même bureau de la section administrative, celui avec une entrée lambrissée fermée par un verrou extérieurc des précautions plus importantes que celles dont Ari s’était entourée. Si Giraud avait cessé d’être le chef des services de sécurité pour devenir le conseillerNye – pour ceux qui ne travaillaient pas à Reseune, tout au moins –, les membres de la Maisonnée savaient qu’il continuait de les diriger.
Justin glissa sa carte dans la fente. Le mécanisme cliqueta et il entra son matricule de CIT avant de pénétrer dans un vestibule également lambrissé et d’ouvrir une porte intérieure, sur une pièce où se trouvaient Abbanc
c et deux gardes. Abban se leva du fauteuil, avec nonchalance.
Justin se figea puis se tourna vers le plus proche des azis en uniforme. Il le fixa droit dans les yeux. Restons civilisés. Il fit un autre pas et laissa la porte se refermer derrière lui. Ils disposaient d’un détecteur corporel.
– Veuillez lever les bras, ser.
Il obtempéra et ils passèrent la baguette sur ses vêtements. L’appareil signala quelque chose dans la poche de sa veste. Le garde sortit la serviette en papier. Justin lui adressa un regard méprisant, bien que son cœur se fût emballé et que l’air contenu dans cette pièce ne lui parût pas assez dense.
Lorsqu’ils se furent assurés qu’il n’avait pas d’arme, Abban lui ouvrit l’autre porte. Tous les azis la franchirent avec lui.
Giraud n’était pas seul. Il y avait aussi Denys, et Petros Ivanov. Le cœur de Justin sembla vouloir monter dans sa gorge. Un des azis le prit par le bras pour le guider jusqu’au siège restant, en face de Giraud. Denys était sur la gauche et Petros sur la droite.
Tels des juges, dans un tribunal.
Les gardes restèrent. L’un d’eux posa la main sur le dossier du siège de Justin. Giraud les renvoya d’un geste, mais quelqu’un demeura dans la pièce quand la porte se referma.
Abban, estima Justin.
– Vous savez pourquoi je vous ai convoqué, fit Giraud. Il serait superflu de le préciser.
Il attendait un commentaire.
– Oui, ser.
Je suis à leur merci.
Et pourquoi Petros serait-il présent, si ce n’est pour me psychosonder ?
– Avez-vous une déclaration à faire ?
– Je n’en vois pas la raison.
Il fut soulagé de constater qu’il contrôlait sa voix. Merde, tu dois te reprendre.
Et, comme un vent issu des ténèbres : Ressaisis-toi, mon chéri. Réfute toutes leurs accusations.
– Je n’ai pas provoqué cet incident. Le Ciel m’en est témoin.
– Vous auriez pu partir.
– Je l’ai fait.
– Après.
La colère serrait les lèvres de Giraud qui prit un style et le tint entre ses doigts.
– Quelles étaient vos intentions ? Saboter le Projet ?
– Non. J’étais un simple invité, comme tous les autres. Je ne pensais qu’à mes affaires. Qu’avez-vous fait ? Vous lui avez appris à exécuter ce petit numéro ? C’est cela ?Un spectacle, destiné à impressionner la Famille et mener les médias en bateau ? Je parie que vous avez tout enregistré.
Giraud ne s’était pas attendu à cela. Il parut ébranlé, et les autres peinés.
– Personne ne lui a fait la moindre suggestion, intervint Denys. Vous avez ma parole, Justin. Nous ne l’avons pas incitée à se comporter ainsi.
– Mon œil. C’est une sacrée aubaine pour les journalistes, pas vrai ? Le genre de truc à sensation qui devrait faire un tabac : l’enfant démasque le double de son assassin. Seigneur, quels miracles peut réaliser la science !
– Inutile de nous jouer cette comédie, Justin. Cet entretien n’est pas enregistré.
– Je m’en doute.
Il tremblait. Il déplaça son pied afin de soulager sa jambe, l’empêcher de trembler. Mais son cerveau s’emballait. Ils allaient le soumettre à un nouveau psychosondage, tels étaient leurs projets ; et cette prise de conscience fut assez brutale pour chasser les brumes qui obscurcissaient ses pensées.
– Je présume que vous allez me conditionner, avant de me présenter aux journalistes. Il serait dommage de m’avoir filmé pendant cette fête pour me laisser ensuite tomber dans l’oubli, ou me faire disparaître. Je vous pose un problème, pas vrai ?
– Justin, intervint Petros sur un ton suppliant, nul ne touchera à votre esprit. Ce n’est pas dans ce but que nous nous sommes réunis.
– Cela va de soi.
– Nous voulons simplement vous poser une question, déclara Giraud. Avez-vous influencé son comportement ?
– Trouvez vous-même la réponse. Pensez ce que vous voulez. Visionnez l’enregistrement de la soirée.
– C’est déjà fait. Grant a regardé Ari. Vous l’avez fixée à votre tour et elle s’est approchée.
Une attaque dirigée contre une nouvelle cible. Mais il était logique qu’ils s’en prennent à son azi.
– Pourriez-vous me dire à qui s’intéressaient tous les autres convives ? Qui étions-nous tous venus voir ?Oui, cette enfant m’intriguait. Vous vous imaginez peut-être que j’aurais pu aller à cette soirée et ne paslui prêter attention ? Vous m’avez vu. Vous auriez pu me dire de sortir. Mais vous vous en êtes bien gardés. C’était un piège, à mon intention. Vous aviez tout organisé. Qui était dans le secret ? Seulement vous trois ?
– Vous affirmez ne pas avoir tenté d’influencer Ari ?
– Non, bon sang. Ni moi ni Grant. Je lui posé la même question. Il ne m’aurait pas menti. Il admet l’avoir dévisagée. « Je ne pouvais plus détourner les yeux », voilà ce qu’il m’a dit. Il n’est pas responsable. Moi non plus.
Petros changea de position et se pencha vers Giraud.
– Pensez à ce que j’ai dit, Gerry.
Giraud effleura une touche et un écran se redressa sur le plateau du bureau. Il tapa quelque chose de la main droite, sans doute une demande de consultation de fichier. Les données qui défilaient sur le moniteur se reflétaient sur son collier de métal : un miroitement verdâtre.
Il ne se contentait pas d’étudier des informations. Il orchestrait tout, se dit Justin. Le grand jeu. Entretien du suspense. Secrets.
Alors qu’il était quant à lui dans l’incapacité de placer ses réactions sous contrôle.
Giraud lisait, ou feignait de lire. Son expression se fit plus sévère, lorsqu’il releva la tête.
– Je constate que vous n’êtes pas un amateur de bandétudes. N’est-ce pas paradoxal, pour un concepteur ?
– Elles ne m’inspirent guère confiance. Pourriez-vous me le reprocher ?
– Vous évitez même les bandes ludiques.
– J’ai peu de loisirs.
– Je ne peux accepter cette réponse. Vous ne vous êtes pas présenté à Petros, pour vos visites de contrôle. Vous ne prenez pas plus d’une bande par mois, à quelque chose près. Oui, votre attitude est bien étrange.
Il ne dit rien. Il avait épuisé sa réserve de reparties désinvoltes.
– Même Grant s’abstient d’aller au labo pour recevoir les siennes. Il utilise un appareil domestique. Ce n’est pas conforme au règlement.
– Rien ne l’y oblige, dès l’instant où il s’estime satisfait. Je ne vois pas pourquoi vous vous sentez concernés. Grant est intelligent, et il possède une excellente capacité d’assimilationc
– Agit-il ainsi sur vos instructions ?
– Non.
– Vous savez, intervint Petros, Grant se suffit à lui-même, il est adapté. Il n’a pas besoin du soutien des bandes aussi souvent que la plupart des autres Alpha. Mais compte tenu de ce qu’il a subi, il serait préférable qu’il prenne des bandes-profondes. Pour nous permettre de nous assurer que tout va bien.
– Compte tenu de ce que vouslui avez fait subir, voulez-vous dire. Non !
– Il obéit donc à vos instructions, fit Giraud.
– Non. Je le laisse libre de ses choix. Il agit sans contrainte. Il bénéficie de ce droit au même titre que moi, pour autant que je le sache.
– Je doute que des concepteurs auxquels les bandes inspirent une phobie aient leur place à Reseune.
– Allez au diable.
– Du calme. Détendez-vous, intervint Denys. Giraud, nous n’avons rien à lui reprocher sur le plan professionnel. Pas plus qu’à son azi, d’ailleurs. Là n’est pas la question.
– Ari n’a pas été la seule victime de ce meurtre, déclara Petros. Justin en a souffert. Grant aussi. Vous ne pouvez en faire abstraction. Nous sommes en présence d’un jeune homme qui n’était alors qu’un adolescent, la cible innocente des agissements répréhensibles de cette femme. Je n’ai rien voulu précipiter. Je me suis contenté de le surveiller. Je lui ai demandé de passer à mon bureau, afin de m’entretenir avec lui. N’est-ce pas exact, Justin ?
– Si.
– Mais vous n’êtes pas venu.
– Non.
La panique l’assaillait. Il se sentait mal.
– La situation qui résulte de la mise en œuvre du Projet vous déplaît, n’est-ce pas ?
– Vivre et laisser vivre, c’est mon principe. Je suis désolé, pour cette gosse. Je présume que vous avez pris connaissance de tous les propos que Grant et moi avons pu échanger dans notre appartement. J’espère que les passages intimes vous ont bien amusés.
– Justin.
– Vous pouvez aller au diable, Petros.
– Dites-moi la vérité. Vous arrive-t-il encore d’avoir des flashes-bandes ?
– Non.
– Est-ce bien la vérité ?
– Oui, absolument.
– Vous sentiez-vous tendu, quand vous êtes allé à cette soirée ?
– Bien sûr que non. Pourquoi l’aurais-je été ?
Petros se tourna vers Giraud.
– Je crois pourtant que c’est l’explication. Il était stressé. Comme son azi, d’ailleurs. Ari l’a perçu. Voilà tout. Je pense à un incident fortuit. Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’état d’esprit de Justin. Il serait préférable qu’il regagne sa section, assiste aux réunions familiales, et qu’il tente de se comporter le plus normalement possible. Je déconseille tout nouveau psychosondage. Il n’est déjà que trop tendu. Et je veux qu’il vienne me consulter.
Denys s’adressa à son frère :
– Si tu croisque la sensibilité d’Ari est supérieure à la moyenne, tu dois tenir compte du fait que Justin ne lui a pas inspiré la moindre appréhension. Malgré sa propre tension, elle n’en a pas été effrayée. Bien au contraire.
– Ce qui me déplaît tout autant.
Giraud prit une inspiration et se carra dans son fauteuil pour étudier Justin, les sourcils froncés.
– Vous allez suivre les prescriptions de Petros. S’il m’informe que vous refusez de coopérer, vous vous retrouverez en poste dans une station de précip avant le coucher du soleil. C’est compris ?
– Oui, ser.
– Vous continuerez vos travaux. Si vous croisez le chemin d’Ari, vous aurez le choix entre lui adresser ou non la parole. Je vous laisse le soin d’opter pour ce qui devrait le moins l’intriguer. Vous assisterez aux réunions de Famille. Si elle vous parle, répondez-lui avec amabilité, rien de plus. Si vous vous écartez de cette ligne de conduite vous aurez affaire à moi et il est probable que je serai moins conciliant qu’aujourd’hui. Tout cela est valable pour Grant. Je compte sur vous pour le lui faire comprendre. Vous m’avez entendu ?
– Oui, ser.
Comme un azi. Calme. Avec déférence. C’est un piège. Il va se refermer sur toi. Ils te préparent un sale tour.
– Vous pouvez disposer. Abban, ouvre la porte.
L’azi s’exécuta. Justin s’extirpa du fauteuil. Denys fit de même et sortit avec lui. Une fois dans le vestibule, au-delà des gardes, il lui prit le bras et l’accompagna dans le couloir principal.
Puis il le retint et le fit s’arrêter.
– Justin.
Il s’immobilisa. Il tremblait. Mais la méfiance ne lui était d’aucune utilité.
– Justin, vous êtes soumis à une forte tension nerveuse. Mais vous savez – comme moi – qu’il n’a pu se produire le moindre transfert de souvenirs. Ce n’est pasl’Ari que nous avons connue. Nous ne tenons pas à voir s’envenimer nos rapports avec votre famille. Et nous ne voulonspas que vous repreniez le rôle de votre père. J’espère que vous avez conscience de l’importance de ce qui est en jeu.
Il hocha la tête.
– Écoutez-moi, Justin. Giraud vous a fait subir ce sondage. Il sait que vous êtes sincère. Il estc
– Une ordure.
– Ne me compliquez pas les choses, Justin. Suivez les instructions de mon frère. Ne commettez pas la moindre erreur. Vous ne voudriez pas faire de mal à cette enfant. Je le sais. Les actes de la première Aric elle n’en est pas responsable. Il serait injuste de vous venger sur elle.
– J’ai subi les agissements d’Ari sans réagir, bon Dieu, et vous croyez que je pourrais à présent m’en prendre à une enfant ?
– Non, non. Mais réfléchissez à ce que je viens de vous dire. Pensez-y, quand vous la reverrez. Ari vous a détruit. Vous pourriez en faire autant à cette gosse. La blesser. Je veux que vous en preniez conscience.
– Je ne lui ai rien fait !
– Je sais, je sais. Calmez-vous. Respirez à fond et détendez-vous. Écoutez-moi. Si vous savez tirer votre épingle du jeu, vous en obtiendrez des avantages.
– J’en suis convaincu.
Denys le reprit par le bras et le poussa contre le mur. Les gardes sortaient du bureau de Giraud.
– Justin, je voulais vous dire une chosec au sujet de votre requête. Je compte attendre quelques semaines, puis autoriser cette liaison téléphonique. Il ne faudra pas vous étonner des délais de transmissionc votre père est rusé et la sécurité devra analyser vos propos. C’est le mieux que je puisse faire. Vous sentez-vous réconforté ?
– Que me demandez-vous en échange ?
– Rien. Rien du tout. Si ce n’est de veiller à ne pas tout gâcher. Évitez les ennuis. D’accord ?
Il fixait le mur, les motifs du travertin qui se troublaient devant ses yeux. Il sentit Denys tapoter son épaule.
– Je suis désolé. Je saisc vous n’avez pas bénéficié d’un seul jour de répit. Mais je veux vous faire participerau Projet. C’est pourquoi je me suis opposé à Giraud, pour vous garder à Reseune. Ari avait pour vous beaucoup d’estime. Nonc écoutez-moi. Elle vous appréciait. Ne parlons pas de ce qu’elle vous a fait. Je la connaissais, aussi bien que je meconnais. L’antagonisme qui existait entre cette femme et votre père était ancien et profond, mais elle a décidé de vous affecter à sa section sitôt après qu’on lui a communiqué les résultats de vos tests.
– Tout ça, c’est des histoires !
– Non, absolument pas. Oh ! Ils n’avaient rien d’extraordinaire, vous le savez, mais vos scores étaient bons dans une demi-douzaine de domaines différents. Vous n’étiez pas son égal, mais vous possédiez ses qualités et vous n’aviez pas eu Olga Emory pour vous pousser à exploiter toutes vos capacités. Elle m’a confié – c’est la stricte vérité, mon garçon – qu’elle désirait vous avoir près d’elle parce que vous aviez bien plus de valeur que ne le révélaient ces tests, que vous étiez supérieur à votre père. Ce sont ses paroles, pas les miennes.
– Elle ne pensait pas à la science.
– Vous vous trompez. Je sais que vous n’aimez pas entendre parler d’elle, mais pour vous permettre de comprendre certains de ses actesc il existe un fait que vous devez savoir. Aric Elle avait un cancer. Un problème de réjuv. Les médecins ignorent si c’est la tumeur qui a fait perdre toute efficacité à la cure ou si le traitement a cessé de faire effet et a permis à la maladie de se développer. Mais l’important c’est qu’elle savaitque ses jours étaient comptés. Se soumettre à une intervention chirurgicale eût retardé le Projet, et elle a ordonné à Petros et à Irina de ne pas en parler. Elle a tout préparé afin que le jour où elle devrait passer sur le billard – je suis convaincu qu’elle envisageait cette possibilité, car elle n’était pas stupide – le sujet d’expérience ne reste pas livré à lui-même et puisse passer quelques mois sans problèmes. Je le savais, parce que j’étais son ami. Elle m’a laissé consulter ses notes. Giraud est obsédé par les problèmes financiers, mais j’ai le même but qu’Ari : la réussite du Projet. Il vous inspire des doutes car nous n’avons aucun sujet de contrôle, pas de résultats reproductibles – bien que tout cela soit basé sur deux siècles d’expérimentations effectuées sur les azis – et rien n’est quantifiable : nous sommes en présence d’un être humain, et donc de paramètres émotionnels et subjectifs. Malgré nos désaccords je respecte votre opinion professionnelle, Justin, mais si vous tentez de saboter le Projet je ne vous ferai pas de cadeau. Est-ce bien compris ?
– Oui, ser.
– Je vais vous dire autre chose. Malgré les actes répréhensibles qu’elle a pu commettre, Ari était une femme admirable. Elle personnifiaitReseune et était mon amie. Je vous ai protégé, en préservant sa réputation par la même occasion, et je ne laisserai pas une histoire sordide réduire tous mes efforts à néant.
– Vous conservez ces maudites vids dans les archives ! Si cette pauvre gosse suit plus ou moins les traces d’Ari, les chercheurs voudront disposer des moindres détails de son existence antérieurec dont cet épisode.
– Non. Ce serait sans objet. L’incident date de la dernièrepériode de sa vie et ne peut susciter leur curiosité. Par ailleurs, il y a le Projet Rubin. Nous l’avons mis à la disposition de l’armée et nous nous sommes réservé Ari. Nous seuls connaissons les techniques mises en œuvre. Reseune a-t-elle une seule fois divulgué ses méthodes sans y avoir un intérêt financier ?
– Vous comptez mener les militaires en bateau pendant des années. Admettez-le. C’est le moyen employé par Giraud pour récolter des subventions. Sa source inépuisable de contrats avec la Défense.
Son interlocuteur sourit et secoua la tête.
– Ça va marcher, Justin. Nous ne l’avons pas influencée, hier soir.
– Êtes-vous certain que votre frère s’en est abstenu ?
Si Denys fut ébranlé, il continua de sourire.
– Seul le temps nous permettra d’être fixés sur ce point. À votre place, je m’abstiendrais d’en parler. Je vous ai aidé. Quand tous vous avaient abandonné, j’ai pris votre défense. Ainsi que celle de Jordan et de Grant. J’ai été votre protecteur. Mais n’oubliez pas que j’étais l’ami d’Ari et que je vous empêcherai de saboter son œuvre.
La menace n’était plus voilée. Et bien réelle. Il n’en doutait pas.
– Oui, ser, fit-il à mi-voix.
Denys lui tapota à nouveau l’épaule.
– Je ne le répéterai pas. Ne m’y obligez pas. Acceptez la faveur que je vous fais et gardez mes paroles à l’esprit. D’accord ?
– Oui, ser.
– Ça va aller ?
Il inspira.
– Tout est fonction de ce que Petros a prévu pour moi, il me semble ?
– Il souhaite simplement avoir un entretien avec vous. C’est tout. Justinc subissez-vous encore des flashes-bandes ?
– Non, non.
Sa bouche tremblait, ce qui permettait à Denys de savoir qu’il mentait.
– J’ai vécu un enfer. L’hôpital me fait peur. Pourriez-vous me le reprocher ? Ivanov ne m’inspire aucune confiance, pas plus que les membres de son équipe. Oh ! ne vous inquiétez pas. Je répondrai à ses questions. Mais si vous désirez bénéficier de mon soutien interdisez-lui de toucher à mon esprit, ou à celui de Grant.
– Est-ce un chantage ?
– Seigneur, je suis bien placé pour savoir où ça mène. Non, c’est une simple requête. Je respecterai vos volontés. Je n’aurais quoi qu’il en soit aucun intérêt à nuire à cette enfant. Et je ne lui veux pas de mal. Mon seul désir est de pouvoir travailler, entendre la voix de mon père, êtrec
Il se reprit et se tourna vers le mur, pour attendre que sa respiration fût redevenue normale.
Donne-leur toutes les clés, mon chéri, c’est bien.
Une stupidité sans bornes.
– C’est accordé. Écoutez. Vous allez voir Petros et vous essayez de résoudre vos problèmes. Vous étiez à l’époque un gosse terrorisé. Vous avez toujours peur et je crains que le traumatisme n’ait été plus grave que vous n’acceptez de l’admettrec
– Je peux faire mon travail. Vous l’avez dit.
– Là n’est pas la question. Vous ne savez plus à qui vous fier. Vous vous croyez abandonné de tous. C’est faux. Ivanov s’intéresse à vous. Moi aussi. Je sais, vous n’aimez pas qu’on en parle. Mais gardez à l’esprit que vous pourrez vous adresser à moi chaque fois que vous aurez besoin d’aide. Je vous ai exposé mes conditions. Je vous demande de collaborer avec nous. Je ne veux pas que la moindre accusation soit portée contre Ari, le Projet, ou l’équipe.
– Alors, faites le nécessaire pour que Petros nous laisse tranquilles, Grant et moi. Ordonnez à la sécurité d’interrompre ses écoutes. Laissez-moi vivre ma vie et travailler en paix.
– Je veux vous aider.
– Ne vous gênez pas ! Faites ce que je vous demande, et je vous soutiendrai sans réserve. Je n’ai pas le moindre désir de reprendre ce vieux différend à mon compte. Je souhaite qu’on me laisse tranquille, c’est tout. J’estime avoir droit à un répit, après tant d’années. Ai-je une seule fois fait du mal à quelqu’un ?
– Non.
Une tape amicale sur l’épaule, une autre dans le dos.
– Non. Jamais. Jamais. La victime, c’est vous.
Il se tourna vers le mur.
– Alors, foutez-moi la paix, bon Dieu ! Permettez-moi de parler à mon père, de faire mon travail. Il n’y aura pas de problèmes, si on cesse de me harceler et si la sécurité interrompt ses écoutes !
Denys l’étudia un long moment.
– Entendu, nous allons essayer. Oh ! je ne dis pas qu’on ne surveillera pas vos allées et venues. Tout recommencera au moindre agissement suspect, mais pas si vous restez tranquille. J’accepte de donner cet ordre, et faites en sorte que je n’aie pas à le regretter.
– Oui, ser, se contenta-t-il de répondre faute d’avoir trouvé un commentaire approprié.
Et Denys le laissa.
Lorsqu’il regagna son bureau, Grant l’attendait sur le seuil. Rendu muet par la peur, l’azi l’interrogeait du regard.
– Tout va bien, lui dit Justin. Ils m’ont demandé si nous l’avions fait exprès. J’ai répondu que ce n’était pas le cas. Puis nous avons abordé d’autres sujets et Denys s’est engagé à supprimer les écoutes de la sécurité.
L’expression de son ami lui indiquait qu’il se croyait épié et qu’il le suspectait de jouer une comédie.
– Il me l’a affirmé.
Il referma la porte, pour bénéficier d’une intimité relative. Le plus important lui revint à l’esprit, l’alternance de promesses et de menaces lancées comme des coups de poing, et il s’appuya au dossier du siège du poste de travail, le souffle court.
– Il a précisé qu’ils nous permettraient bientôt de téléphoner à Jordan.
– C’est bien vrai ?
Il en avait été lui aussi décontenancé. Pourquoi lui accordaient-ils cette faveur au moment où ils avaient le moins de raisons de les ménager, alors qu’ils auraient pu utiliser la force pour le conduire à l’hôpital ? Ils venaient de le lui prouver.
Un fait nouveau avait dû se produire.
10
– Musique, ordonna Justin au concierge sitôt après avoir franchi le seuil.
L’appareil obtempéra puis annonça le nombre d’appels reçus pendant leur absence : aucun.
– Je constate que notre compagnie n’est plus guère recherchée, commenta-t-il.
Il était rare qu’ils ne soient pas contactés par des collègues qui souhaitaient obtenir des précisions sur le travail en cours et n’avaient pu les joindre à leur bureau.
– Ah, inconstance des hommes ! surenchérit Grant.
Il alla poser son attaché-case sur la table, rangea sa veste dans la penderie et gagna le bar pour préparer deux cocktails.
– Tu as droit à un double. Retire tes chaussures et mets-toi à ton aise. Je pense que tu en as besoin.
Justin s’assit, se débarrassa de ses souliers, se pencha en arrière et but. Whisky et eau, un goût annonciateur de soulagement pour quelqu’un d’hypertendu. Grant avait pris la petite ardoise en plastique qu’ils utilisaient pour se dire tout ce qu’ils n’osaient exprimer à haute voix et écrivit :
Pouvons-nous les croire, lorsqu’ils parlent d’interrompre les écoutes ?
Justin secoua la tête, posa son verre sur la marche supérieure du puits central tapissé de coussins et s’étira pour attraper la tablette : Il suffira d’échanger quelques informations fantaisistes pour les prendre en flagrant délit.
Au tour de Grant, qui hochait la tête : Une idée ?
À lui : Pas encore. Je réfléchis.
Grant : Ai-je raison de croire qu’il me faudra attendre d’aller nourrir les poissons pour pouvoir apprendre ce qui s’est passé ?
Lui : Compliqué. Dangereux. Petros exige que je passe le voir et m’entretienne avec lui.
Grant, inquiet : Une question non formulée.
Lui : Ils ont des soupçons, pour les flashes-bandes.
Grant : Il souligna le mot entretienneet y ajouta un point d’interrogation.
Lui : Denys a affirmé qu’ils ne feraient « aucun sondage ».Puis il précisa, après coup : Ils ont compris que j’ai peur des bandes. Je ne suis pas rassuré. Je crains qu’ils n’aient analysé ma voix. Si c’est le cas, je me suis trahi. Et Petros pourra découvrir bien des choses. Pendant longtempsc j’ai tenté de me convaincre que ces flashes étaient dus au traumatisme. À présent, je pencherais plutôt pour un blocage bâclé. Peut-être ont-ils voulu faire de moi ce que je suis devenu.