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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Jane fut surprise de constater qu’il était très facile de faire preuve de sagesse, après coup.

5

À nouveau des biosondes. Florian se sentait bizarre, tout devenait confus. Mais il éprouvait toujours cette impression lorsqu’il était assisau bord de cette table, dans cet immense bâtiment. Il sut cependant répondre quand la super lui demanda où devait être placée la biosonde numéro un. À l’emplacement du cœur. Il le savait. Il avait une poupée à laquelle il pouvait mettre des électrodes. En nombre moins important, bien entendu.

La super lui caressa les cheveux.

– C’est parfait, dit-elle. Tu es un petit garçon très éveillé, Florian. Tu es très intelligent. Pourrais-tu me dire quel est ton âge ?

Âge signifiait grand, et plus il devenait grand et intelligent plus il lui fallait utiliser de doigts pour fournir la bonne réponse. À présent il devait lever le premier, l’autre, le suivant et s’arrêter. Ce qui était difficile parce qu’ils voulaient tous se redresser. Mais quand il réussissait il était très fier et la super le prenait dans ses bras.

Et ensuite, il avait droit à un bonbon. Il connaissait les réponses à toutes les questions. Il se sentait tout drôle, mais c’était agréable.

Il aurait malgré tout préféré que la super lui donne tout de suite le bonbon et oublie les électrodes.

6

Ari était dans tous ses états. Elle portait un nouvel ensemble : rouge avec des dessins qui scintillaient sur le devant et une manche. Nelly lui avait brossé les cheveux, jusqu’au moment où ils s’étaient dressés sur sa tête en crépitant, noirs et lustrés. Une fois habillée, elle avait été tourner en rond dans la salle de séjour, pour attendre que maman et Ollie soient prêts à leur tour. Maman était grande et belle dans sa robe argentée assortie à ses cheveux. Ollie les accompagnerait, très élégant dans son costume noir d’azi. Mais Ollie n’était pas un azi comme les autres. Il restait toujours avec maman, et s’il disait quelque chose Ari devait lui obéir. Surtout aujourd’hui, parce qu’ils allaient l’emmener à une fête.

Elle savait qu’il y aurait un tas de grandes personnes, là-bas. Et qu’ensuite Ollie la conduirait chez Valery, où elle retrouverait les autres enfants.

Valery était le petit garçon de sera Schwartz. Des azis les surveilleraient et ils pourraient jouer, manger des glaces sur une table à leur taille. Elle verrait du monde, mais c’était Valery qu’elle préférait. Il avait un vaisseau spatial avec plein de lumières rouges qui clignotaient et un truc en verre qu’il suffisait de tourner pour voir à l’intérieur des jolis dessins qui changeaient tout le temps.

Elle espérait qu’il y aurait des cadeaux. C’était probable, étant donné qu’ils avaient mis leurs plus beaux habits.

Mais ce serait la première fois qu’elle participerait à une fête des grands. Elle suivait le couloir en tenant la main de maman, en tenue d’apparat. Elle se répétait qu’elle devait être bien gentille et ne pas faire de capricesc pour que tous les gens la prennent pour un ange. Surtout s’il y avait des cadeaux.

Ils prirent l’ascenseur pour descendre. Les azis étaient nombreux, dans le hall : la plupart portaient des habits noirs, et Ari pouvait reconnaître ceux qui avaient des tenues différentes. Ils ne ressemblaient pas à maman ou à oncle Denys mais à des azis. Il lui arrivait de faire semblant d’être une azie. Elle marchait sans faire de bruit et se tenait bien droite, et elle prenait une expression très grave pour répondre : « Oui, sera » à maman. (Pas à Nelly. À Nelly, elle disait : « Oui », tout court.) Parfois, elle était maman et ordonnait à Nelly : « Fais mon lit, s’il te plaît. » (Et à Ollie, un jour : « Sers-moi un verre, bon sang. » Une mauvaise idée. Ollie avait obtempéré puis s’était empressé d’aller tout raconter à maman. Et maman lui avait dit que c’était très vilain et qu’à l’avenir Ollie ne lui obéirait plus si elle parlait mal. À présent, elle ne disait plus bon sangqu’à Nelly.)

Maman la guida au sein de la foule d’azis, en direction d’une porte où des gens s’étaient regroupés. Une dame vint vers elle pour lui dire :

– Bonne année, Ari.

Et elle se pencha devant la fillette. Elle avait un très joli collier et on pouvait voir jusqu’au fond de son corsage. Ari trouva cette vision intéressante. Mais Ollie la prit dans ses bras. C’était mieux. Il lui était à présent possible de regarder les visages des invités.

La femme se mit à discuter avec maman et d’autres adultes se regroupèrent autour d’eux. Ils parlaient tous à la fois, et Ari respirait une odeur de parfum, de nourriture et de poudre de riz.

Elle était toujours dans les bras d’Ollie, quand elle sentit qu’on lui tapotait l’épaule. Elle se tourna vers oncle Denys. Oncle Denys était très gros. Il prenait beaucoup de place. Elle se demandait s’il était plein à l’intérieur ou s’il devait inspirer à fond puis retenir sa respiration, pour rester aussi rond.

– Comment vas-tu, Ari ?

Oncle Denys avait dû hurler à cause du brouhaha des conversations.

Et tous les gens arrêtèrent de parler et se tournèrent vers eux.

– Bonne et heureuse nouvelle année.

Elle en fut à la fois déconcertée et intéressée. Si c’était sa nouvelleannée, il en découlait que c’était son anniversaire, tous ces gens auraient dû venir chez elle et lui apporter des cadeaux. Or, elle ne voyait aucun paquet enrubanné.

– Bonne année, dirent les autres.

Elle les regarda, pleine d’espoir. Mais elle ne vit toujours pas le moindre présent. Elle soupira, et aperçut le punch et le gâteau à l’instant où Ollie l’emportait dans la foule.

Il avait compris.

– Tu veux du punch ? demanda-t-il.

Elle hocha la tête. Le bruit était pénible. Elle n’aimait guère ces réunions d’adultes. Cette fête n’avait ni rime ni raison mais les mots punch et gâteau étaient agréables à entendre. Elle s’agrippa à l’épaule d’Ollie et se sentit joyeuse, parce qu’il pourrait l’emporter jusqu’à la table où s’entassaient toutes les friandises. Il savait quelle importance elle accordait à ces choses. Du punch et un énorme gâteauc ça lui faisait presque autant plaisir qu’un cadeau.

– Il faut que je te pose, lui dit-il. Ça te va ? Tu resteras ici sans bouger et moi j’irai te chercher une coupe.

Non, ça ne lui allait pas. Les gens étaient trop grands, la musique trop forte, et quand on la laissait par terre elle ne pouvait plus rien voir, des jambes exceptées. Un étourdi risquait de lui marcher dessus. Mais Ollie la posa malgré tout. Maman se rapprochait en compagnie d’oncle Denys, et la foule ne la piétinait pas. Les gens la regardaient. Certains souriaient. Cela la rassurait et lui permettait de se sentir en sécurité.

– Surtout, n’en renverse pas.

Ollie lui tendit une coupé.

La boisson était verte et ne lui inspirait qu’une confiance relative, mais elle avait une bonne odeur et un goût encore plus agréable.

– Tu es trop grande pour te faire porter, déclara oncle Denys.

Ari leva les yeux et son nez se plissa. Elle ne partageait pas cette opinion. Maman disait la même chose. Mais pas Ollie. Ollie était grand et fort, différent de tous les autres. Elle aimait bien se faire porter par lui. Elle s’agrippait à son cou et se laissait aller contre son épaule, parce qu’on ne sentait pas ses os et qu’il était comme un fauteuil qu’elle avait le droit d’escalader. Sa peau était chaude, et il sentait bon. Mais Ollie allait chercher des boissons pour maman et oncle Denys, qui continuaient de discuter, et elle but du punch, assourdie par la musique.

Ollie se pencha vers elle après avoir apporté des coupes à maman et à Denys.

– Tu veux du gâteau ? lui demanda-t-il d’une voix forte. Il y en aura d’autres, à la fête des enfants.

C’était prometteur.

– Je veux encore du punch, dit-elle.

Elle lui tendit son verre.

– Et un petit bout de gâteau, s’il te plaît.

Elle attendit son retour au milieu d’un espace dégagé, bien sage, les mains croisées dans le dos. Elle se remémora que maman lui interdisait de se balancer sur les talons, parce que ça donnait un air stupide. Des gens qu’elle ne connaissait pas approchèrent pour lui dire qu’ils la trouvaient très jolie et lui souhaiter eux aussi une bonne année, mais elle en avait assez des grandes personnes et désirait s’en aller. Les seules choses qui la retenaient ici étaient le punch et la part de gâteau qu’Ollie devait lui apporter.

Elle estima que ce serait sans doute plus amusant, à la fête des enfants.

Et peut-être y aurait-il des cadeaux, là-bas.

– Viens et assieds-toi, lui dit Ollie.

Il gardait le gâteau et le punch. Elle vit des sièges, le long du mur, et se sentit soulagée. Si elle renversait la boisson sur son nouvel ensemble, maman la gronderait. Elle grimpa sur une chaise et l’azi posa l’assiette sur ses genoux, la coupe sur le siège voisin. Elle avait la rangée pour elle toute seule.

– Je vais m’en chercher un, déclara-t-il. Reste ici. Je reviens.

Elle hocha la tête, avec du gâteau plein la bouche. C’était un blanc. Les meilleurs. Avec un bon glaçage. Ari était heureuse. Elle goûta la pâtisserie en laissant ses pieds se balancer puis se lécha les doigts. Des gens empêchaient Ollie d’approcher du bol de punch et maman parlait avec Denys et Giraud.

Tous devaient attendre l’arrivée des cadeaux. Sans doute allaient-ils enfin s’amuser. Leurs habits miroitaient. Elle avait vu quelques-unes de ces personnes à la maison, mais la plupart lui étaient inconnues. Elle termina son gâteau, se lécha à nouveau les doigts, puis se laissa glisser de la chaise. Les convives venaient de se regrouper autour des tables. Elle avait un vaste espace dégagé autour d’elle.

Elle se dirigea vers Ollie, pour découvrir s’il avait progressé au sein de la file d’attente qui s’allongeait devant le bol de punch, mais quelqu’un venait d’aborder l’azi. Cela lui offrait une opportunité de faire un petit tour.

Elle s’éloigna. Pas loin. Maman et Ollie risquaient de l’oublier et de s’en aller. Elle tourna la tête pour s’assurer qu’elle voyait toujours maman. Oui. Mais elle discutait encore. Tant mieux. Si maman la grondait elle lui répondrait : J’étais juste à côté, et maman ne pourrait pas se mettre trop en colère.

Les habits étaient très jolis. Surtout le corsage vert de cette dame, si fin qu’on pouvait voir à travers. Et la chemise noire pailletée de cet homme. Mais c’était maman qui avait les bijoux les plus beaux.

Son attention fut attirée par des cheveux presque rouges.

Un azi. En noir. Elle l’observa. Elle répondait bonjour quand on la saluait, mais sans y accorder d’importance. Elle avait toujours cru avoir la chevelure la plus belle de toutes, mais celle de cet azi l’était encore plus. Et il avait un très joli visage. Ce n’était pas juste. S’il existait des cheveux pareils, elle voulait en avoir. Les siens lui inspiraient de l’insatisfaction.

Il posa les yeux sur elle. Ce n’était pas un azi. Non. Si. Son expression devint grave et il se détourna en feignant de ne pas remarquer qu’elle le fixait. Il était en compagnie d’un jeune homme brun qui l’étudia à son tour. L’azi parut vouloir l’en empêcher.

Il la dévisageait malgré tout. Elle le trouvait aussi joli qu’Ollie. Il ne l’observait pas comme les autres adultes et elle eut l’impression qu’il n’aurait pas dû se comporter de la sorte. Mais elle refusait de regarder ailleurs, fascinée. L’azi aux cheveux roux restait près de lui, mais il n’avait pas d’importance. Seul cet homme en avait. Il la fixait, et elle eût pourtant juré ne l’avoir encore jamais rencontré. Il n’était pas venu leur rendre visite. Il ne lui avait pas apporté de cadeaux.

Elle se rapprocha, ce qui parut déplaire à l’azi. Il posa la main sur l’épaule de son compagnon, comme s’il pensait qu’elle allait l’embêter. Mais le CIT fixait Ari avec crainte. On aurait pu croire qu’elleétait sa maman, et qu’il avait été polisson.

Il était Ari. Elle était maman. Et l’azi était Ollie quand maman se mettait en colère.

Puis l’azi leva les yeux et parut effrayé. Elle tourna la tête.

Maman arrivait. Mais elle s’immobilisa à l’instant où Ari la vit.

Les convives venaient de se figer. Ils les observaient. Elle n’entendait plus une seule parole. Il n’y avait que la musique et tous étaient paralysés par la peur.

Elle s’avança vers maman.

Ils sursautèrent.

Elle s’arrêta. Ils sursautèrent à nouveau. Tous, même maman.

C’était ellequi avait fait cela.

Elle regarda maman. Un sursaut.

Elle regarda l’inconnu.

Un sursaut. Collectif.

Elle avait jusqu’alors ignoré pouvoir faire des choses pareilles.

Maman la gronderait. Ollie était déjà en colère.

Et dès l’instant où maman crierait, de toute façon, elle n’aurait plus rien à perdre.

Elle alla vers l’azi roux et son compagnon qui semblaient penser qu’elle allait les gronder, à en juger par leurs expressions.

Les mains de l’homme étaient très fines, autant que celles d’Ollie auquel il ressemblait beaucoup. Tous paraissaient le juger dangereux, mais ils se trompaient. Elle le savait. C’était luiqui avait peur d’elle.

Elle arriva et prit sa main. Tous se pliaient à ses volontés. Elle jouait à maman. Comme avec Nelly.

Elle aimaitça.

– Je m’appelle Ari, fit-elle.

– Moi, c’est Justin, répondit-il.

Au milieu d’un profond silence.

– Je vais aller à une fête, chez Valery.

Jane Strassen vint récupérer l’enfant. Avec fermeté. Grant s’interposa et posa la main sur l’épaule de Justin, pour l’obliger à se détourner.

Ils partirent. C’était l’unique solution.

– Merde, grommela Grant une fois de retour dans leur appartement. S’ils n’avaient pas été pris de panique, il ne se serait rien passé. Rien du tout. Elle a perçu leur tension. Elle l’a captée comme un programme vid.

– Il fallait que je vienne, déclara Justin.

Il n’aurait pu en expliquer les raisons, hormis que tous disaient qu’elle étaitAri et qu’il n’avait pu le croire avant de la voir de ses propres yeux.

7

– Bonne nuit, mon ange, dit maman.

Elle l’embrassa. Ari tendit les bras pour l’étreindre et lui rendre son baiser. Smack !

Maman sortit de la chambre et tout devint noir. Ari se pelotonna au fond de son lit avec Poo-Poo. Elle se sentait pleine de pâtisseries et de punch. Elle ferma les yeux et revit tous ces gens couverts de paillettes, Ollie qui lui apportait une part de gâteau et les convives qui la regardaient. La fête de Valery s’était révélée plus amusante. Ils avaient joué aux chaises musicales et reçu des cocardes. La sienne était une étoile miroitante. Celle de Valery avait la forme d’une balle. Tout s’était très bien passé, sauf pour la jolie lampe de sera Schwartz.

Elle aurait aimé que ce soit tous les jours le nouvel an.


– Va-t-elle bien ? demanda Ollie.

Ils étaient dans la chambre. Jane hocha la tête, pendant qu’il déboutonnait son corsage.

– Je regrette vraiment, serac

– N’en parlons plus. Ne t’inquiète pas. Tout va bien.

Il défit le dernier bouton et elle fit glisser le chemisier argenté le long de ses bras, avant de le jeter sur le dossier du fauteuil. L’azi tremblait encore.

Elle aussi, en fait. À cause de cette maudite idée de Denys et de Giraud.

Autrefois, Olga avait présenté sa fille à ses invités en l’exhibant comme un mannequin en herbe. Elle l’avait ainsi immergée dans la tension d’une soirée mondaine, de quoi écorcher ses nerfs déjà à fleur de peau.

Mais ils ne pouvaient lever le rideau du secret, ce qui limitait leur accès à l’atmosphère tendue qui régnait dans Reseune.

Uniquement la Famille. Dans toute sa splendeur et ses bassesses.

Une certaine quantité de sucre dans un métabolisme soumis à de fréquentes analyses, de non-pas-ça, de tiens-toi-bien-Ari et de promesses leur avaient permis de s’assurer que cette enfant de quatre ans serait hypertendue.

Mais c’était l’estomac de Jane qui paraissait s’être noué.

8

Justin ferma sa veste et fourra ses mains dans ses poches pour emprunter avec Grant l’allée extérieure qui conduisait de la Résidence aux bureaux. Ils marchaient sans hâte, malgré la fraîcheur de cette matinée du jour de l’an où tous tentaient encore de se remettre des excès de la nuit.

Il s’arrêta près de l’étang et se pencha pour donner à manger aux poissons. Les koïs le connaissaient. Ils l’avaient attendu. Ils remontèrent en frétillant sous le lotus ourlé de brun de la petite mare encastrée entre les immeubles, ce domaine aquatique où ils distrayaient les enfants de la Maison et se reproduisaient sans paraître souffrir d’être exilés si loin de leur monde d’origine.

Le vieil ancêtre blanc tacheté d’orangé avait reçu de la nourriture de cette main à l’époque où elle appartenait encore à un enfant. Il la voyait désormais chaque jour, depuis que Jordan était parti et que Justin et Grant allaient dans le jardin à la moindre occasion. Chaque matin.

Des micros-paraboles pouvaient capter leurs voix, les suivre où qu’ils aillent, mais les agents de la sécurité ne devaient pas se compliquer l’existence, surtout un premier de l’an. Sans doute se contentaient-ils de se brancher par instants sur le moniteur de leur appartement.

Ils ne perdaient pas leur temps à épier deux paisibles concepteurs de bandes qui n’avaient pas attiré l’attention sur eux depuis des années. Ils auraient pu les soumettre à un psychosondage à tout moment. Qu’ils s’en soient abstenusc cela paraissait indiquer qu’ils ne s’intéressaient pas à eux. Pour l’instant, tout au moins.

Mais ils devaient être à nouveau très prudents.

– Il a faim, dit Justin qui se référait au koï blanc. C’est l’hiver, et les enfants les oublient.

Grant s’assit près de lui, sur un rocher.

– Une différence supplémentaire entre nous. Des jeunes azis s’en souviendraient.

Justin rit, malgré son angoisse.

– Vous nous êtes si supérieurs.

Son ami haussa les épaules.

– Les hommes-nés ne peuvent voir ce qui ne correspond pas à leurs normes.

Un autre bout de biscuit tomba dans la mare et un koï le happa. Les remous firent danser le lotus.

– Je te le dis, tous les problèmes rencontrés lors de la prise de contact avec des extraterrestres sont dus à vos idées préconçues. C’est nous qu’ils devraient charger des missions de ce genre.

– Et dire que tu te sentais dépaysé à Novgorod.

– Nous. Toi et moi. Je ne pensais pas à ces choses, à l’époque.

Une longue pause. Justin tenait toujours la serviette qui avait contenu les biscuits.

– Je regrette tant qu’il n’y ait pas eu un lieu où nous aurions pu nous réfugier.

– N’y pense plus.

Ce n’était pas de Novgorod que Grant voulait parler. Brusquement, les ombres furent de retour. Le froid revenait, apporté par le vent.

– Non. Tout va bien.

Justin hocha la tête, sans rien dire. Ils étaient si proches. Ils avaient reçu des lettres de Jordan. Elles ressemblaient à des napperons en dentelle, tant il y avait de phrases découpées dans chaque feuille. Mais ils avaient pu lire : Bonjour, mon fils. J’ai appris que tu vas bien, ainsi que Grant. Je lis et relis toutes tes lettres. Les plus anciennes commencent à s’effriter. Envoie-m’en d’autres.

Son sens de l’humour est intact, avait-il commenté.

Et ils lavaient lue et relue, en quête d’indices qui leur permettraient de se faire une opinion sur l’état d’esprit de Jordan. Ils avaient lu et relu le reste de cette correspondance : des pages et des pages de bulletins météorologiques entrecoupés de commentaires sur Paulc Paul et moi.Un autre élément à même de les rassurer.

La situation évolue, avait répondu Denys le jour où Justin s’était enhardi au point de lui demander un échange de bandes audio. Ou un contact téléphonique, sous surveillance.

Et il s’en était fallu de peu qu’il n’obtînt cette autorisation.

– Je suis malgré tout inquiet, déclara Justin. Il est impératif qu’ils ne puissent rien nous reprocher pendant encore quelque temps. Et je doute d’ailleurs que ce soit suffisant. Ils n’ont aucun besoin d’un prétexte.

– Ce sont eux qui ont fait venir cette gosse. Et ils ne nous ont pas interdit d’aller à cette réception. Ils n’avaient sans doute pas prévu ce qui allait se passer, mais nous n’y sommes pour rien. Une salle bondée de psychologuesc qui se figent tous en même temps. Ils ont influencé son comportement. Elle s’intéressait à eux,pas à nous. Un flux de pensée collective. Des hommes-nés. Ils ne désiraient pas qu’une telle chose se produise, tout en le souhaitant au niveau de l’inconscient. Ils ont organisé cette soirée pour la mettre en vedette, et le résultat a dépassé leurs espérancesc elle a démontré ce qu’ils espéraient prouver, sans pour autant que ce soit probant. Nous avons pu l’influencer. Nous l’observions. Elle m’a surpris en train de l’étudier. Mon intérêt a dû éveiller sa curiosité. Elle a quatre ans, Justin. Et tous les invités ont sursauté. Quelle était la réaction la plus naturelle, pour une enfant de son âge ?

– Courir se réfugier sous les jupes de sa mère, bordel. C’est ce qu’elle aurait fait, si tous ne s’étaient pas alors sentis soulagés. Elle la perçu et a eu cette expressionc

Ses épaules furent parcourues par un frisson qui descendit ensuite le long de son cou. Puis il serra la bride à son imagination, afin de réfléchir. Une activité à laquelle nul ne semblait s’être adonné, la veille.

– T’arrive-t-il de penser aux lacunes de la mémoire des CIT ? demanda Grant. Flux de pensées. Vous faites des songes prophétiques. Turêves qu’un homme boit un verre de lait. Une semaine plus tard tu vois Yanni qui prend un thé et cette vision a sur toi un impact. Tu lui superposes ce que tu as vu en dormant et tu es prêt à jurer que tu as déjà vécu cet instant. Ça m’est arrivé à deux occasions, mais je me suis empressé d’aller prendre une bande. Écoute-moi. Je n’exclus pas que la conduite de cette gosse puisse signifier quelque chose, mais j’attends pour me prononcer que d’autres éléments le confirment. Si tu veux mon avis, tous les CIT présents ont en quelque sorte fait un rêve. Toi inclus. Une hallucination collective. Pendant trente secondes, les seules personnes lucides ont été cette fillette et les azis, quant à eux placés sous l’influence de leurs CIT et dépassés par les événements.

– Toi excepté ?

– Je vous observais, toi etelle.

Justin soupira et sentit une partie de sa nervosité le quitter. Ce n’était pas une nouveauté. Grant disait vrai, une foule de psychologues avaient oublié leur science. Pensée-flux. Nuances de valeur.

– Hauptmann peut aller au diable, marmonna-t-il. Je souscris à l’émorysme.

Deux autres inspirations silencieuses. Il pouvait désormais se rappeler la scène en la dépouillant de son contenu émotionnel et voir la fillettec au lieu de la femme. Je vais aller à une fête, chez Valery.

Pas la moindre malice, dans ces propos. Elle ne jouait pas une comédie. Elle avait levé vers lui le visage innocent d’une enfant qui lui proposait : soyons amis. Eux et Nous. Une offre de paix, peut-être ? Il avait oublié ses propres souvenirs d’enfance. Jacobs, un spécialiste du psych des citoyens, pourrait lui apprendre à quoi ressemblait celui d’une CIT de quatre ans. Mais en lançant son filet dans des eaux aussi troubles il risquait de faire remonter à la surface certaines choses qu’il ne souhaitait pas revoir, comme par exemple les traits de Jordan à trente ans.

Lui et Grant, qui nourrissaient les poissons. À cinq ou six ans. Il ne savait plus avec précision. C’était un de ses plus anciens souvenirs et il ne réussissait pas à le situer à sa place chronologique.

Il était en sueur.

Pourquoi ? Pourquoi ai-je de telles réactions ?

Qu’est-ce qui ne tourne pas rond, en moi ?

Des murs.

Les enfantsc ils ne l’intéressaient guère. Pas du tout, même. Il avait rejeté toute opportunité d’en apprendre plus à leur sujet et fui sa propre enfance comme une contrée où il ne pourrait jamais retourner. Et l’importance que Reseune accordait à ce Projet l’emplissait de dégoût.

Il n’était qu’un imbécile de vingt-trois ans qui effectuait un travail de routine, sans exploiter ses possibilités. Il s’abstenait d’avoir la moindre pensée originale. Il se contentait de suivre la voie qu’on lui avait tracée. Il n’utilisait presque aucune bande, parce qu’il les assimilait à des symboles d’impuissance et qu’elles abaissaient les barrières bloquant l’accès à certaines zones de son esprit où il refusait de s’aventurer.

Elles abattaient les murailles dressées autour de cette époque,de Jordan, de tout ce qui s’était passéc et cela attisait sa colère, rendait ses paumes moites. Il ne tenait pas à être mêlé àc

Mais ils l’étaient déjà, àleur corps défendant.

– C’est un piège, pas vrai ? Ton psychset ne te permet pas de voir les mêmes choses que moi, mais est-ce valable pour elle ?Elle possède cette capacité de perception de la pensée collective au même titre que tous les autres CIT.

– Tu reconnais que j’ai vu juste.

– Tous les hommes-nés ont fait preuve d’une stupidité sans bornes. Mais peut-être avons-nous réagi à une chose que tu ne pouvais percevoir.

– Flux. Flux. Vases de Klein. Vrai et faux. Je me félicite de savoir en permanence sur quelle planète je vis. Et de la voir sans y superposer le passé ou l’avenir.

– Merde. J’aimerais parfois pouvoir emprunter ta bande.

Grant secoua la tête.

– Tu as raison, lorsque tu parles de ce que je ne peux relever. Je sais que tu perçois des choses qui m’échappent. Cela m’ennuie. J’ai conscience d’être dans l’impossibilité de voir là situation sous le même jour qu’un CIT. Je me sers de la logique pour prévoir ce que tu décideras de faire, mais sans assimiler le flux pour autant.

– Tu veux dire que les chemins que tu suis sont si profonds que tu ne les vois pas.

Il ne pouvait renoncer à poursuivre cet étemel débat entre les tenants des théories d’Hauptmann et ceux qui soutenaient celles d’Emory. Grant abordait ce sujet à tout bout de champ, et il recommençait. Sous tout cela, un point de vue clinique : Sors de ce cercle vicieux, Justin. Ne te contente pas de réagir. Mets ton esprit à contribution.

– Ce que je veux dire, c’est que si nous étions tous des azis nous n’aurions pas de tels problèmes. Et ellenon plus : ils n’auraient qu’à installer ce foutu psychset et elle serait en tout point conforme à leurs désirs. Mais elle n’est pas une azie. Eux non plus. Ils ne recherchent pas le rationalisme, ce n’est pas leur politique. À mes yeux, tu es aussi sens dessus dessous qu’eux et j’aimerais bien que tu suives mes conseils. Baisse la tête, refuse les hallucinations et abstiens-toi de réagir. Ils ne nous chercheront pas d’ennuis avant longtemps. Nous avons le temps de nous y préparer.

– Il existe une chose que je ne peux contester. Nous n’avons pas affaire à des azis. La prudence leur fait cruellement défaut. Et si quoi que ce soit va de travers au cours de la semaine prochaine, ils se diront que c’est ma faute. Il suffit que cette gosse croise mon chemin pourc pour que je sois coupable. Les faits n’entrent pas en ligne de compte. Je crains qu’elle ne vienne de nous faire perdre toute possibilité d’obtenir une liaison directe avec Jordan. Bon sang, ils risquent même de nous interdire de poursuivre notre correspondancec

– Ne cherche pas quelles erreurs tu as pu commettre. Ne te conduis pas comme si tu étais en faute. Écoute-moi bien : si tu réagis, ils en feront autant.

La voix d’Ari, issue du passé : Détends-toi, mon chéri.

Je comprends que tu sois bouleversé, mon garçon, mais tu dois te reprendre.

Aurais-tu peur des femmes, mon cœur ? Tu sais à quel point ton père est misogyne.

La Famille est un tel fardeau.

Il enfouit son visage entre ses paumes et comprit qu’il avait perdu tous ses atoutsc sa logique, sa maîtrise de soi, ses mécanismes de défense. Il errait dans les corridors de Reseune tel un spectre, l’esprit grand ouvert, sans rien dissimuler. Voyez, constatez que je suis inoffensif.

Nul ne devait s’inquiéter à son sujet. Il était l’esclave de ses nerfs et de ses pulsions. Il n’inspirait que de la méfiance et du dégoût. Les malheurs de Jordan et ses remords pour en avoir été la cause l’avaient privé de sa combativité et fait sombrer dans un état proche de la folie. Voilà ce qu’on devait penser de lui.

Les quelques individus qui avaient visionné ces maudites bandes exceptés. Ces gens savaient ce qu’Ari lui avait fait subir et comprenaient pourquoi il se réveillait en sursaut et veillait à ce que nul ne pût le toucher, ou rester près de lui. Surtout Petros Ivanov, qui avait sondé son esprit après Giraud et les autres. Je vais procéder à une intervention bénigne,avait-il dit en lui caressant l’épaule. Il s’était avéré nécessaire de faire appel à trois gardes musclés pour le conduire à l’hôpital et à plusieurs internes pour lui injecter le cataphorique. Sur un ordre de Giraud. Je me contenterai de vous dire que vous n’avez pas à vous inquiéter. Vous êtes en sécurité. Vous avez subi un traumatisme. Je vais effacer tout cela. D’accord ? Détendez-vous. Vous me connaissez, Justin. Vous savez que je suis votre amic

Ô Seigneur ! Que m’ont-ils fait ? Ari, Giraud, Petrosc

Il pleurait. Grant le prit par le bras. Son ami, le seul être dont il supportait le contact. Quand l’enfant avait pris sa main il s’était vu transporter dans le passé, le temps d’un éclair. Il lui avait semblé être touché par un cadavre.

Il resta assis sans rien dire, jusqu’au moment où des voix qui provenaient de l’autre côté de la cour intérieure l’informèrent que des gens venaient de sortir de la Maison. Une haie les dissimulait. Mais il réussit à se reprendre.

– Justin ?

– Ça va, bon sang, grommela-t-il avant de dire à son ami une chose qu’il avait toujours tue : Petros a trafiqué mon esprit. À moins que ce ne soit Giraud. Ou encore Ari. Tu ne le vois donc pas ? Ne remarques-tu pas une différence ?

– Non.

– Dis-moi la vérité, bordel !

L’azi tressaillit. Un frisson étrange, lointain. Puis de la souffrance. Une torture.

– Que m’ont-ils fait ?

– Je suis dans l’impossibilité de comprendre les hommes-nés.

– Ne me débite pas ces conneries !

– Je voulais direc

L’azi était livide, et ses lèvres tremblaient.

– Justin, vous autres, les CITc votre comportement me dépasse.

– Ne me mens pas. Quelle était ta pensée ?

– Que je ne connais pas la réponse. Bon sang, tu as encaissé coup sur coup, une succession ininterrompue. Si tu étais un azi tu aurais réagi comme moi, ce qui se serait avéré préférable. J’ignore ce qui se passe en toi. Je voisc je te voisc

– Accouche !

– Tu n’es pasc ce que tu serais si rien de tout cela ne s’était produit. Qui aurait pu s’en tirer indemne ? Tu apprends. Tu t’adaptes.


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