Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
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Научная фантастика
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Une cruelle déception.
Et là, dans la salle qu’il voyait en contrebas, au milieu des sycophantes et des jeunes politiciens pleins d’avenir, se pavanait celle qui avait manipulé tous ceux qui ne s’étaient pas laissé séduire par l’appât du gain.
En leur accordant des faveurs politiques. Ces avantages impossibles à prouver, à dévoiler au grand jour.
Et l’avenir de l’Union dépendait de manœuvres de ce genre.
Il permit à son imagination de lui brosser un tableau épouvantable : la vision d’un dément qui se ruait dans la salle en brandissant une arme à feu – ou un poignard – et résolvait d’un seul coup tous leurs problèmes. Avoir de telles pensées l’embarrassait un peu, mais la disparition de cette femme eût ressoudé l’Union et offert à l’humanité une dernière chance, avant qu’il ne fût trop tard.
Une viec quelle valeur fallait-il accorder à l’existence d’un seul individu quand de tels enjeux faisaient pencher l’autre plateau de la balance ?
Il inspira profondément pour se détendre, entra dans la Salle du Conseil et répondit avec courtoisie aux rares personnes venues réconforter les perdants. Puis il serra les dents et alla saluer Bogdanovitch qui présidait le Conseil : une fonction qui revenait de droit au représentant du bureau de l’État.
Rien dans l’expression de cet homme ne trahissait ses pensées. Ses yeux pleins de douceur et surmontés de sourcils blancs broussailleux faisaient de lui l’archétype du grand-père bienveillant. Pas le moindre éclat de triomphe n’y brillait. S’il avait été aussi retors lors de la négociation de l’accord avec l’Alliance, l’Union eût disposé des codes d’accès à Pell. Mais il excellait surtout en politique politicienne. Et c’était un autre personnage immuable. Son électorat se composait de professionnels : consuls, délégués, responsables de l’immigration et administrateurs de stationc un nombre restreint d’individus chargés d’élire un représentant à un poste honorifique à l’origine mais devenu très important au fil du temps. Seigneur, de quel droit les législateurs avaient-ils pris de telles libertés avec le système politique ? En créant ce qu’ils appelaient le « nouveau modèle », un gouvernement élu par un électorat responsable et informé,ils avaient jeté par le sas dix millénaires d’expériencec ces maudits théoriciens qui comptaient parmi eux Olga Emory et James Carnath, à l’époque où Cyteen détenait la majorité au Conseil des Neuf et au Conseil des Mondes.
– Un dur revers, commenta Bogdanovitch.
Il serra la main de Corain et la tapota.
– C’est la volonté de l’électorat. Je ne puis la contester.
Il était surpris de pouvoir se contrôler ainsi.
– Nous n’avions encore jamais obtenu un pourcentage de voix aussi élevé.
« Un jour, vieux pirate, nous serons majoritaires.
Et tu seras encore là pour assister à notre victoire. »
– La volonté de l’électorat, répéta Bogdanovitch.
Corain lui retourna un sourire forcé puis reporta son attention sur Jenner Harogo, un autre individu du même bord qui occupait le siège des puissantes Affaires Intérieures, et sur Catherine Lao du bureau de l’Information, l’organisme chargé de passer les bandes au crible.
Emory approcha et tous abandonnèrent Corain en plein milieu d’une phrase pour aller se joindre à sa cour. Il adressa un regard peiné à l’Industrie, Nguyen Tien de Viking ; et aux Finances, Mahmud Chavez de Station Voyagerc deux centristes. L’homme qui occupait leur quatrième siège, l’amiral Leonid Gorodin, se tenait un peu plus loin, entouré par ses assistants en uniforme. La Défense était, paradoxalement, leur allié le moins sûrc celui qui risquait le plus de revoir sa position et de passer dans le camp des expansionnistes s’il y trouvait le moindre avantage à court terme. Gorodin s’était joint aux centristes dans l’espoir d’obtenir que les transports de troupes de type Excelsior soient stationnés dans l’espace proche où il pourrait les utiliser et non, pour le citer, loin sur notre arrière-garde pendant que l’Alliance décrète un nouvel embargo. Si vous souhaitez que vos électeurs viennent vous réclamer des biens de première nécessité, si vous voulez voir éclater un autre conflit armé, citoyens, il vous suffit d’envoyer ces transporteurs aux marches de l’Espace-profond et d’abandonner les rênes de notre destin aux mercantis de l’Alliancec
Sans oublier que le traité de Pell – cet accord selon lequel l’Alliance transporterait le fret et ne fabriquerait aucun vaisseau de guerre, et l’Union (qui disposait d’un grand nombre de tels appareils) conserverait sa flotte mais ne construirait aucun cargo pour lui faire de la concurrence – pouvait être assimilé à un pot-de-vin diplomatique, une rançon versée pour obtenir la libre circulation des marchandises. Même Emory avait voté contre cette proposition de Bogdanovitch.
Les stations s’étaient abstenues. Le Conseil Général avait dû trancher et il s’en était fallu de peu qu’elle ne fût rejetée. L’Union était lasse de la guerre, des interruptions des échanges économiques, de la pénurie.
À présent, Emory souhaitait lancer une nouvelle campagne d’exploration et de colonisation ; là-bas, aux confins de l’Espace-profond.
Tous savaientqu’il n’en résulterait rien de bon. Que Sol eût rejoint le camp adverse le démontrait. Ce projet avait jeté la Terre dans les bras de l’Alliance, pour solliciter des échanges commerciaux, l’ouverture de nouveaux marchés. Sol avait des voisins, et ses ingérences irréfléchies dans les affaires d’autrui seraient probablement à l’origine de tensions aux marches de l’Alliance, pour ne pas dire au sein même de l’Union. Gorodin insistait sur ce point. Etil en profitait pour réclamer une augmentation conséquente du budget de la Défense.
Sa position était la plus faible et il eût été renversé en cas de vote de confiance. Les centristes risquaient de perdre son siège, s’il n’obtenait pas les appareils nécessaires à la flotte dans les zones stratégiques.
Et l’électorat mercantile venait de leur faire subir un revers, une défaite cuisante. Les centristes avaient cru remporter une victoire, avoir une chance de contrecarrer Emory. Et ils en seraient réduits à invoquer un vice de procédure. Le projet Espoir incluait en effet une réquisition de vaisseaux et une attribution de budget prioritaire, ce qui permettrait aux modérés de retarder le vote jusqu’à l’arrivée de DeFranco et sa prise de fonctions.
Ouc ils pourraient se retirer afin que le quorum ne pût être atteint. La question serait alors renvoyée devant le Conseil des Mondes dont les membres n’étaient pas inféodés aux labos de Reseune, surtout au sein de l’important bloc de Cyteen composé principalement de centristes. S’ils se faisaient les dents sur un projet de loi aussi complexe avant qu’il n’eût été soumis à l’approbation des Neuf, ils proposeraient une foule d’amendements que le Conseil s’empresserait de rejeter et le texte se verrait ainsi condamné à effectuer des navettes pendant des mois.
Ce serait à Gorodin d’essayer de convaincre les expansionnistes de reporter le vote. Il était le principal intéressé, le militaire bardé de médailles, le héros. Ils l’enverraient au combat en espérant qu’il réussirait à faire fléchir leurs adversaires. Faute de quoi il ne leur resterait qu’à se retirer, tous les quatre. Ils devraient payer un prix politique élevé, pour empêcher d’atteindre le quorum et clore la session.
Mais c’était de temps dont ils avaient besoin, pour permettre à leurs partisans d’agir, découvrir s’il n’existait rien qu’ils pourraient utiliser contre leurs adversaires, apprendre si DeFranco serait dans les actes aussi modérée qu’elle prétendait l’êtrec ou, tout au moins, si elle soutiendrait les centristes lorsqu’il lui faudrait se prononcer sur un projet de loi risquant de lui faire perdre le soutien de son électorat. Elle pourrait, pourrait, pencher en faveur d’un ajournement.
Les conseillers gagnèrent leurs sièges. Le groupe d’Emory arriva le dernier. C’était prévisible.
Bogdanovitch utilisa son antique maillet.
– La session du Conseil est ouverte, déclara-t-il.
Puis il communiqua le résultat des élections et confirma la nomination de Ludmilla DeFranco en tant que conseillère du bureau du Commerce.
Résolution déposée et appuyée par Catherine Lao et Jenner Harogo. Emory restait assise, semblant penser à autre chose. Elle n’intervenait jamais, dans le cadre de telles procédures. Son expression d’ennui et les lentes révolutions de son style entre ses doigts aux ongles démesurés indiquaient qu’elle devait puiser dans sa patience pour endurer ces formalités de pure forme.
Pas de discussion. Une succession de ouipolis et dûment enregistrés.
– Article suivant à l’ordre du jour, déclara Bogdanovitch. L’acceptation de Denzill Lal en tant que procurateur de sera DeFranco jusqu’à l’arrivée de cette dernière.
La même routine. Un autre chapelet de ouiapathiques, une plaisanterie échangée entre Harogo et Lao, quelques petits rires. Aucune réaction de Gorodin, Chavez, Tien. Emory parut le noter. Corain la vit jauger ce silence en fermant les yeux à demi. Le style interrompit ses révolutions dans les airs. Il lut de la méfiance dans le regard qu’elle lui adressa. Quant à son sourire, il entrait dans la catégorie de ceux destinés à rendre plus courtois de tels contacts.
Mais il ne contenait pas la moindre trace d’amusement. Que comptez-vous faire ? lui demandait-il. Que me préparez-vous, Corain ?
Les possibilités étaient peu nombreuses et elle possédait un esprit assez vif pour en dresser très vite l’inventaire. Le regard s’attarda puis devint menaçant comme un fleuret, lorsqu’elle comprit. Il ne pouvait supporter cette femme. Il exécrait tout ce qu’elle personnifiait. Mais, Seigneur, il avait toujours l’impression de participer à une expérience de télépathie, en sa présence. Il haussa un sourcil, ce qui signifiait : Conduisez-moi au bord de l’abîme, et je vous y pousserai. Oui, je n’hésiterai pas à provoquer la dissolution du Conseil, à paralyser le gouvernement.
Les paupières mi-closes de la femme et son sourire ironique proclamaient : La manœuvre est adroite, Corain. Mais êtes-vous certain de ne pas le regretter par la suite, d’être assez fort pour pouvoir résister à un tel affrontement ?
Il rétorqua : Absolument. Voilà la ligne que je ne vous conseille pas de franchir, Emory. Si vous souhaitez qu’une crise éclate avant le vote sur les deux projets qui vous tiennent tant à cœur, vous serez servie.
Elle cilla, baissa les yeux vers la table puis le fixa à nouveau, les lèvres désormais serrées, les paupières mi-closes. La guerre, donc. Sa bouche s’incurva. Ou une négociation. Prenez garde, vous commettriez une erreur fatale en ouvrant cette brèche.
Je gagnerai, Corain. Mais il est exact que vous pourrez retarder mes projets. Et cela me fera perdre plus de temps que d’attendre l’arrivée de DeFranco.
– La question des affectations pour la Station Espoir, disait Bogdanovitch. Le premier orateur inscrit est Catherine Laoc
Emory adressa un signal à cette femme. Corain ne pouvait voir son visage, seulement sa nuque et au-dessus une couronne de tresses blondes. Son expression devait traduire de la perplexité. Emory fit un signe à un assistant et lui parla à l’oreille. Les traits de l’homme se figèrent, sa bouche se tendit en une fine ligne étroite, de la consternation se refléta dans ses yeux.
Il alla rejoindre un des aides de Lao, qui murmura quelque chose à la conseillère. Elle se tourna, et Corain put voir son profil aux sourcils froncés, son haussement d’épaules, sa poitrine qu’enflait une inspiration profonde.
– Ser président, dit-elle, je propose de reporter le débat sur la Station Espoir tant que sera DeFranco n’aura pas assumé ses fonctions. Les mesures qui en découleront concernent au plus haut point le Commerce. Avec tout le respect que je dois au distingué représentant de Lointaine, j’estime préférable d’ajourner le débat.
– J’appuie cette proposition, dit Corain.
Un murmure de surprise parcourut les rangs des assistants et des conseillers qui se penchèrent l’un vers l’autre. La bouche de Bogdanovitch resta béante. Un moment s’écoula avant qu’il ne pût réagir et utiliser son maillet afin de respecter les usages.
– Il a été proposé et appuyé que le débat sur les attributions accordées au projet Espoir soit reporté tant que sera DeFranco n’aura pas assumé ses fonctions. Des objections ?
Une question de pure forme, car Emory complimentait déjà le procurateur et le représentant de Lointaine.
Corain réclama un vote d’approbation officiel. Il aurait pu accompagner ses propos d’une plaisanterie. Les expansionnistes en échangeaient parfois avec les centristes, non sans une certaine ironie, quand les questions étaient réglées.
Mais ce n’était en l’occurrence pas le cas. Emory, toujours elle, l’avait privé de tous ses effets en lui accordant ce qu’il souhaitait avant qu’il pût exposer son point de vue. Elle continua de le fixer droit dans les yeux pendant qu’il adressait un compliment de pure courtoisie à Denzill Lal puis se rasseyait.
Vous me le paierez, disait son regard.
La proposition fut acceptée à l’unanimité. Denzill Lal avait voté par procuration pour DeFranco.
– Voilà qui clôt la question, dit Bogdanovitch. Nous avions prévu trois jours de débats. La proposition suivante porte le numéro 2405. Le budget du bureau des Sciences présenté par sera Emory. Souhaitez-vous un report du débat, sera ?
– Ser président, je suis prête à poursuivre la séance, mais je ne voudrais pas imposer cette discussion aux autres conseillers sans leur laisser le temps de préparer leur argumentation. C’est pourquoi je propose de reporter ce vote à demain, si mes distingués collègues n’y voient aucun inconvénient.
Un murmure poli. Pas d’objections. Corain approuva, lui aussi.
– Sera Emory, souhaitez-vous présenter votre proposition sous forme de motion ?
Appuyée et acceptée.
Motion d’ajournement de séance.
Appuyée et acceptée.
Le tumulte fut plus grand que de coutume, dans la salle. Corain allait se lever lorsqu’il sentit une main peser sur son épaule. Il releva les yeux sur le visage de Mahmud Chavez, qui paraissait à la fois soulagé et ennuyé.
Que s’est-il passé ? demandait son regard. Mais, à haute voix :
– J’avoue avoir été surpris.
– Mon bureau, dit Corain. Dans une demi-heure.
Ils se contentèrent d’un déjeuner improvisé composé de thé et de sandwiches apportés par leurs assistants. Ils débordaient du bureau et empiétaient sur la salle de conférences. Dans un accès de paranoïa, les militaires s’étaient fait un devoir de chercher des micros cachés dans la pièce et de fouiller les personnes présentes pour s’assurer qu’elles ne s’étaient pas munies d’enregistreurs, pendant que l’amiral Gorodin restait assis sans rien dire, maussade, les bras croisés. Il avait emboîté le pas aux autres membres du groupe centriste et ruminait désormais de sombres pensées, angoissé et silencieux, conscient qu’Emory risquait de leur adresser un ultimatum à présent qu’ils avaient retardé le vote du budget Espoir.
– Ce dont nous manquons le plus, c’est d’informations, déclara Corain.
Il prit le verre d’eau minérale qu’on lui tendait. Devant lui, les autres conseillers et la plupart de leurs assistants, s’entassaient les huit cents pages d’exposés et de chiffres constituant la demande d’attribution de budget pour les Sciences ; un listing dont certains passages avaient été surlignés. On trouvait des centristes même à l’intérieurdu bureau des Sciences et il circulait bien des rumeurs sur ces projets. Comme toujours. Chaque année, un bon nombre se rapportaient à Reseune.
– Ce maudit labo ne réclamepas de crédits pour lui-même, et la seule chose que nous ayons à notre disposition est sa déclaration fiscale. Je me demande pourquoi Emory veut faire attribuer un statut de Spécial à un chimiste de Lointaine âgé de vingt ans. Qui peut bien être ce Benjamin P.Rubin ?
Chavez tria les papiers empilés sur la table, prit celui qu’un assistant venait de glisser sous sa main et mordit sa lèvre inférieure en suivant du regard le doigt de l’aide qui désignait le bas de la feuille.
– Un étudiant, dit-il. Aucune information particulière.
– Peut-il exister un rapport entre cet homme et le projet Espoir ? N’hésitez pas à émettre des hypothèses, même si elles paraissent à première vue farfelues.
– Il se trouve à Lointaine. Sur le chemin.
– Nous pourrions le demander à Emory, fit Chavez avec amertume.
– Nous le devrions peut-être, devant l’assemblée, et prendre note de tout ce qu’elle daignera nous révéler sur son compte.
Tous le foudroyèrent du regard.
– Ce n’est pas le moment de plaisanter, déclara Gorodin.
Lu, le secrétaire de la Défense, se racla la gorge.
– Nous avons un contact digne de confiance, ou plutôt un réseau de contacts. Notre dernier candidat aux Sciencesc
– C’est un xénologue, objecta Tien.
– Mais également un ami intime du P rJordan Warrick, de Reseune. Le P rWarrick est à Novgorod. Il fait partie de l’équipe de la conseillère Emory. Il a demandé par l’entremise de Byrd a rencontrer, mmmm, certains membres du bureau des Sciencesc
Quand Lu daignait s’exprimer, ses propos avaient un sens bien plus profond que ceux des autres politiciens. Corain le regarda droit dans les yeux. Gorodin était attentif. L’amiral revenait d’effectuer des opérations militaires, qu’il irait bientôt reprendre en laissant au secrétaire de la Défense et à son équipe le soin de régler tous les détails administratifs : un fait classiquec si les conseillers prenaient les décisions, les secrétaires se chargeaient de les faire exécuter et les chefs de service savaient qui couchait avec qui.
– Byrd est-il avec eux ?
– C’est probable, répondit Lu de manière compassée.
Il ne fit aucun commentaire.
C’est à noter, pensa Corain.
– Est-ce une amitié de longue date ? s’enquit Tien à voix basse.
– Une vingtaine d’années.
– N’est-ce pas dangereux, pour Warrick ? Que risquons-nous de compromettre ? voulut savoir Gorodin.
– Pas grand-chose, affirma Lu. Et certainement pas de nuire aux rapports qu’il entretient avec Emory. Il dirige sa propre section et ne se rend presque jamais dans celle de cette femme. C’est réciproque. En fait, on pourrait même parler d’une certaine animosité. Il a réclamé son autonomie au sein de Reseune, et il l’a obtenue. On ne trouve aucuncentriste, là-bas. Mais Warrick estc disons qu’il ne fait pas partie de la clique d’Emory. S’il est venu à Novgorod, c’est pour demander son transfert au bureau.
– Il fait partie des Spéciaux.
Corain avait apporté cette précision à l’intention de ceux qui n’étaient pas originaires de Cyteen et pouvaient ignorer le statut de Warrick. Celui de génie certifié. Un trésor national, de par la loi.
– La quarantaine, et aucun ami commun avec Emory. Il a eu une douzaine d’opportunités d’aller fonder ses propres labos ailleurs, mais elle est intervenue auprès du bureau pour opposer son veto à chaque occasion.
Il avait procédé à une étude de Reseune etd’Emory, sains rien trouver d’intéressant. Mais l’accès à certaines informations était difficile, comme par exemple la nature des rapports entre les membres du personnel de ces laboratoires. Lu avait réussi à la découvrir, et il s’adressa à cet homme :
– Byrd peut-il le contacter ?
– Le programme de cette visite a été bouleversé. Comme toujours. Il est sans cesse nécessaire de tout réorganiser. Je suis convaincu qu’il est possible de faire quelque chose. Voulez-vous que je m’en charge ?
– Faites. Nous allons en rester là. Mettez-vous tous au travail.
– Nous pourrons nous réunir dans la matinée, dit Tien.
– Mon équipe demeurera ici jusqu’à une heure tardive, précisa Corain. S’il y a du nouveauc
Il haussa les épaules.
– Si quelque chose se présente et qu’il faillec s’il s’avère nécessaire de faire vous savez quoic
Ils ne parlaient qu’à mots couverts de se retirer des débats, car certains ignoraient leurs projets, surtout dans les rangs des simples assistants.
– Nous vous contacterons.
Et, après avoir rattrapé Gorodin et Lu alors que les autres regagnaient leurs bureaux et les salles et services où se réuniraient les groupes de travail :
– Pouvez-vous joindre Warrick ?
– Lu ? demanda Gorodin.
Et le secrétaire, avec un haussement d’épaules :
– Ça me paraît réalisable.
2
Ce fut un homme à l’aspect banal qui entra dans cette salle de réunion du Palais de l’État. Il portait un costume marron sans prétention et tenait un attaché-case qui semblait avoir trop souvent voyagé dans des soutes à bagages. Corain ne l’eût pas remarqué au sein d’une foule ; brun, un physique agréable, assez athlétique et ne paraissant pas ses quarante-six ans. Mais des gardes du corps l’encadraient lorsqu’il n’était pas placé sous la protection de la police militaire, des serviteurs l’avaient aidé à s’habiller et ses assistants se chargeaient d’expédier toutes ses affaires courantes. Jordan Warrick n’aurait pu emprunter un moyen de transport commercial et nul autre que lui n’était habilité à toucher à sa mallette.
Un Spécial, comme Emory. On en dénombrait trois, à Reseune, le plus grand nombre jamais réuni dans le même lieu. Et cet homme était censé pouvoir concevoir et lister des bandes-structures psych dans son esprit. Les ordinateurs se chargeaient d’effectuer de telles besognes. Mais lorsqu’un programme important devait être élaboré ou revu, on le confiait à l’équipe de Jordan Warrick ; et quand le problème s’avérait impossible à résoudre il s’en occupait. Cela résumait tout ce que Corain savait sur son compte. Il s’agissait d’un génie certifié et d’un pupille de l’État. Au même titre qu’Emory et la douzaine d’autres Spéciaux.
Emory souhaitait faire accorder un statut identique à un chimiste de Lointaine âgé de vingt ans et fonder, selon les rumeurs, une annexe de Reseune à bord de cette station. Elle accordait tant d’importance à ce projet qu’il figurait en bonne place auprès de celui d’expansion coloniale et on pouvait présumer que ce n’était pas sans raison.
– Ser Lu, dit Warrick en serrant la main de cet homme. Amiral Gorodin. Charmé.
Ce fut avec un regard troublé mais amical que le nouveau venu se tourna vers Corain.
– Conseiller. Je ne m’attendais pas à vous rencontrer.
Le cœur de Corain s’emballa, à contretemps. Un signal de danger. Warrick n’était pas un de ces brillants chercheurs qui évoluaient dans le royaume brumeux de la logique abstraite en se coupant du reste de l’humanité mais un psychochirurgien, un spécialiste de la manipulation de l’esprit accoutumé à disséquer les pensées de ses interlocuteurs pour mettre à nu leurs motivations. Tout cela se tapissait derrière son affabilité et ses yeux plus jeunes que leur âge.
– Vous avez dû déduire que je ne vous avais pas tout dit, déclara Lu.
L’expression du scientifique traduisit de la méfiance.
– Oh ?
– Le conseiller Corain tenait à s’entretenir avec vousc discrètement. Pour des raisons politiques, P rWarrick. C’est important. Mais si vous préférez vous rendre à la réunion prévue, et à laquelle vous arriverez en ce cas avec une dizaine de minutes de retardc sachez que nous ne vous tiendrons pas rigueur de refuser de vous compromettre. J’espère qu’en ce cas vous accepterez mes excuses. Ces cachotteries sont à mettre sur le compte de ma profession qui favorise le développement d’un certain goût de l’intrigue.
Warrick prit une inspiration profonde puis se dirigea vers la table de conférence et y posa sa mallette.
– Est-ce en rapport avec le Conseil ? Pourriez-vous m’expliquer de quoi il retourne, avant que je ne prenne une décision ?
– Cela concerne un projet qui vient d’être déposé. Le budget des Sciences.
Warrick releva la tête, juste assez pour que ce mouvement pût être interprété comme un : Ah !
Un semblant de sourire incurva ses lèvres. Il croisa les bras et s’appuya à la table. Il paraissait détendu.
– Que souhaitez-vous savoir, plus précisément ?
– Ce qu’il contient, demanda Corain. Ce qui s’y trouve en réalité.
Le sourire énigmatique s’épanouit.
– Ce qu’il dissimule, voulez-vous dire ? Ou autre chose ?
– Cec ce qu’il dissimule. Existe-t-il un rapport, direct ou éloigné, avec le projet Espoir ?
– Non, aucun. Pas que je sache, en tout cas. Il y a bien le sondage SETI, mais c’est d’ordre général.
– Et ce statut de Spécial ? Reseune semble lui accorder beaucoup d’importance.
– Vous pouvez le dire. Désirez-vous que je vous parle de Lointaine ?
– Tout ce que vous avez à nous apprendre nous intéresse, professeur Warrick.
– J’accepte de vous consacrer ces dix minutes. Il me serait d’ailleurs possible de résumer l’essentiel en moins de temps. Un seul mot suffirait : psychogenèse. Le clonage de l’esprit, pour reprendre un terme popularisé par les médias.
Corain ne s’y était pas attendu. Le militaire non plus, et il grogna :
– Qu’est-ce que ça couvre ?
– Ce n’est pas une couverture. Pas plus que le processus décrit dans la presse populaire, d’ailleurs. Le but recherché n’est pas d’obtenir des copies conformes de certains individus mais de dupliquer leurs capacités. La méthode ne serait d’aucune utilité à quelqu’un qui souhaiterait retrouver un parent décédé, par exemple. Lorsqu’il s’agit d’un Spécial, ce sont ses possibilités que l’on veut récupérer. Vous connaissez tous l’expérience effectuée sur le généset de Bok.
Estelle Bok. La femme dont les travaux avaient ouvert la voie au supraluminique.
– Ils ont essayé, dit Corain. Mais cela s’est soldé par un échec.
– Si le clone possédait un esprit exceptionnel, ce n’était pas celui du modèle. Le double était plus doué en musique qu’en physique, et la publicité faite autour de cette affaire a traumatisé la deuxième Bok. Les derniers temps, elle ne suivait plus sa cure de réjuv ; elle ne s’en inquiétait que quand les effets de la sénescence commençaient à se faire sentir et qu’elle y était contrainte. Elle s’est détruite ainsi, pour finir par mourir à quatre-vingt-douze ans. Elle ne sortait même plus de sa chambre, au cours des dernières années de sa vie.
» À l’époque, nous n’avions pas les appareils dont nous disposons de nos jours et, surtout, les enregistrements. Le travail que le D r Emory a effectué pendant la guerre sur la chimie organiquec
» Le corps humain possède des régulateurs internes chargés de contrôler l’activité sexuelle, la croissance, et les défenses immunitaires. Mais le vécu a un impact sur le métabolisme établi par le code génétique. Tout cela est décrit en détail dans des revues spécialisées. Je pourrai vous fournir les références, si vous le souhaitezc
– Vos explications sont très claires, déclara Corain. Continuez, je vous prie.
– Nous savons à présent des choses que nous ignorions lors du clonage de Bok. Si le programme en cours est à la hauteur des espérances du D r Emory, il sera possible de recréer des capacités identiques dans les mêmes domaines. Le processus fait entrer en ligne de compte la génétique et l’endocrinologie, et il réclame de nombreux contrôles physiologiques et psychologiques. Et il faut surtout disposer d’un grand nombre d’enregistrements se rapportant au modèle. Je ne suis pas au courant de tous les détails. C’est le projet du D r Emory. Il est confidentiel et relève d’une branche scientifique éloignée de la mienne. Mais je sais que ces travaux sont sérieux et qu’une telle expérience est réalisable en fonction des possibilités actuelles de la science. Elle comporte des risques mais nous sommes tous soumis aux mêmes contraintes en ce domaine : le chercheur doit vivre assez longtemps pour pouvoir tirer des conclusions de ses essais, et le D r Emory n’est plus très jeune. Il faut une quinzaine d’années pour créer un simple azi. Dans le cas de Rubin, le projet prendra au moins vingt ans. Vous voyez la difficulté. Elle doit brûler les étapes.
– Problèmes de santé ? s’enquit Corain.
Il se remémora l’altération subtile du teint d’Emory, sa perte de poids. La réjuv était efficace pendant un nombre d’années imprévisible. Une fois que ses effets commençaient à s’atténuerc les problèmes débutaient. Et les ans revenaient prendre leur revanche.
Warrick cessa de le regarder dans les yeux. Il n’était pas disposé à répondre franchement à cette question ; Corain le devina avant même que son interlocuteur n’eût rouvert la bouche. Il avait été trop loin.
– Dans notre domaine d’activités, la crainte de la mort devient un souci croissant à partir d’un certain âge. J’ai simplement parlé du tempsnécessaire pour mener à bien de tels projets.
– Que pensez-vous de celui-ci ? s’enquit Gorodin.
– Il est très important, pour elle. C’est l’aboutissement de toutes ses théories, comprenez-vous, le fruit de toutes ses recherches sur les systèmes endocrinien et génétique, sur les structures psychiques.
– Emory est une Spéciale. Elle peut réclamer tout ce dont elle a besoin, ou presquec
– Hormis l’attribution du statut de Spécial à son cobaye, alors que ce serait le seul moyen de l’isoler et de le protéger contre ce qui est arrivé à Bok. Je partage son point de vue, quand elle s’oppose au clonage d’un chercheur résidant à Reseune. La réplique s’y trouvera, mais pas le modèle. Ce dernier est jeune, ce qui constitue une condition indispensable. En plus d’être un individu brillant, il est né à bord d’une station et ses moindres faits et gestes – même lorsqu’il s’est servi une boisson à un distributeur automatique – ont été enregistrés et figurent dans les archives. Il souffre en outre d’une déficience immunitaire et nous disposons d’un dossier médical très complet qui remonte à sa prime enfance. C’est le plus important. Ari n’a pas besoin de l’aval du Conseil mais, sans la protection offerte par un statut de Spécial, certaines décisions prises par le gouvernement local de Lointaine pourraient remettre les résultats en question.
– Rubin en est-il conscient ?
– Il sait qu’il servira de sujet de contrôle pour une expérience mais le clone ignorera jusqu’à son existence tant qu’il n’aura pas atteint l’âge actuel de cet homme.
– Trouvez-vous ce projet valable ?
Warrick prit son temps avant de répondre :
– Même si la réplique n’est pas la copie conforme de l’original, ces travaux seront profitables à la science.
– Mais vous avez des réserves à formuler, intervint Lu.
– Je ne pense pas que Rubin puisse en pâtir. C’est un scientifique. Il sait ce qu’on attend de lui. Mais je m’opposerai à toute rencontre de ces deux hommes, même dans un avenir éloigné. Je compte d’ailleurs exprimer clairement mon point de vue à ce sujet. Mais je soutiendrai ce programme.