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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Puis, d’une voix à peine audible :

– Je vous en prie, sera. Demain. Dehors.

Ils avaient assimilé le fond de sa pensée. Ils la croyaient, ses craintes ne leur paraissaient pas absurdes. Elle referma les bras autour de ses genoux. Cela l’avait ébranlée et elle se reprochait sa stupidité. Elle s’inspirait de la colère. Faute d’avoir trouvé un sens aux éléments dont elle disposait, elle n’avait pu parvenir à des conclusions pourtant évidentes. Elle croyait ces Disparitions inéluctables, normales. Une hypothèse stupide. Ces événements n’étaient pas naturels. Des gens les provoquaient, et ses azis l’avaient compris, comme elle l’eût fait si tout cela n’avait pas appartenu depuis toujours à son existence, aussi loin que remontaient ses souvenirs.

Il leur arrivait de jouer à Cherchez l’intrus. Florian ou Catlin lui demandait : Quelle est l’anomalie dans le séjour ? Puis ils chronométraient le temps qu’elle mettait pour la relever. Elle avait battu Catlin à une ou deux reprises, et une seule fois Florian. À deux occasions, ils avaient dû donner leur langue au chat. Ari était plus forte à ce jeu qu’à celui auquel jouait son Ennemi.

Il fallait être d’une stupidité sans bornes, pour croire que de telles choses pouvaient être naturelles.

Lors du départ de maman elle s’était doutée qu’on lui avait forcé la main, avant de se dire presque aussitôt que ce devait être normal : maman ne l’emmenait pas avec elle parce qu’elle était trop jeune et qu’il y avait des dangers. Elle tentait de s’en persuader, alors que l’anomalie lui crevait les yeux.

Elle était à présent encore plus bête de refuser de poursuivre ses déductions jusqu’à leur conclusion logique : s’il existait vraiment un Ennemi capable d’avoir Eu maman, il s’avérait impossible de savoir si elle se portait bien. Cela la terrifiait.

Elle se rappela une dispute avec oncle Denys, au sujet de son précédent anniversaire. Elle ne voulait pas inviter Giraud et il lui avait répondu : Ce que tu dis là n’est pas gentil, Ari. Giraud est mon frère.

Une raison supplémentaire de s’inquiéter.

Car oncle Giraud imposait ses volontés à oncle Denys. Il était le chef de la sécurité, et ses gardes lisaient ses lettres. Ils avaient la possibilité d’empêcher qu’elles ne parviennent à maman.

Ce qui réduisait à néant tous ses espoirs.

Idiote ! Idiote !

Elle avait des nausées. Et elle ne pouvait pas demander à oncle Denys si ses soupçons étaient fondés. Il lui eût répondu : Giraud est mon frère.

4

Giraud versa de l’eau dans son verre et en but une gorgée. Il lisait des rapports et s’ennuyait ferme pendant que les précepteurs comparaient une rédaction récente à une autre sortie des archives.

Denys, Peterson, Edwards, Ivanov et Morley s’étaient réunis avec lui autour de cette table pour exprimer leur point de vue sur l’étendue du vocabulaire qu’employaient les enfants de huit ans. Ce n’était pas le domaine de Giraud mais, que Dieu les protège, celui de Peterson.

– L’acquis est inférieur à la norme établie par Gonner de zéro virgule sept, disait ce dernier en un murmure soporifique caractéristique de tous ses exposés.

– Je ne crois pas qu’il faille s’en inquiéter, intervint Denys. La différence est due au fait que Jane n’est pas Olga, et non qu’Ari n’est pas Ari.

– Certains avanceront qu’en dressant sa liste Gonner n’a pas tenu compte du concept exprimé. Hermann Poling a par exemple soutenu dans son article duc

Une fois sur sa lancée, Peterson refusait de s’arrêter. Giraud dessinait des petits carrés sur son bloc-notes. Il suffisait de poser une question à Peterson pour entendre une conférence préenregistrée. La maladie des enseignants. Collègues et étrangers avaient droit au même traitement que ses élèves en bas âge.

– Pour résumerc dit Giraud quand son verre fut à moitié vide et la feuille couverte de petits carrésc en résumé, en bref, vous pensez que la différence est due à Olga.

– Dans son article, Polingc

– Oui, oui. Et vous ne jugez pas utile d’employer une bande correctrice.

– Les autres tests semblent démontrer une profonde similitude entrec

– Ce que John veut dire, intervint Edwards, c’est qu’elle a une capacité d’assimilation extraordinaire et connaît le sens de la plupart des mots, mais que son développement a été si précoce qu’elle s’est créé un vocabulaire personnel comparable à une sorte de sténo.

– Toute intervention destinée à modifier son mode d’expression aurait des effets négatifs, déclara Denys. Je doute que son langage exprime ses pensées. Elle emploie ce jargon par simple préférence, et je n’ai pas essayé de décourager cette tendance. Elle possède un vocabulaire bien plus étendu, les tests le prouvent. Je doute par ailleurs que nous ayons une vue d’ensemble de la question. Je pense même qu’elle fausse de propos délibéré certains examens.

– Pourquoi ?

– Jane. Elle ne l’a pas oubliée. J’espérais que le nombre de lettres diminuerait avec le temps et que la présence des azis modifierait son comportement.

– Ne pensez-vous pas que la façon dont le départ de Jane a été organisé ait pu l’inciter à se raccrocher à cette période de son existence ? avança Edwards. Elle pourrait entretenir ces souvenirs par refus dec classer cette époque dans son passé, dans le cadre d’une sorte d’attente.

– C’est une théorie pleine d’intérêt, déclara Giraud qui se pencha sur ses avant-bras. Avez-vous des raisons particulières de le penser ?

– La fréquence de ses « Ma maman disaitc» et l’intonation avec laquelle elle prononce ces mots.

– Je veux qu’on procède à une analyse vocale, lança Denys.

– Aucun problème, lui répondit son frère. Ce sera peut-être valable. Lui arrive-t-il de se référer à d’autres membres de son entourage ?

– Non, dit Edwards.

– Pas de membres de la Famille, amis, azis ?

– Nelly. Elle répète « Nelly a dit » dès que la question se rapporte à ce qui se passe chez elle. Parfois, « ça ne fait rien à oncle Denys ». Elle n’accorde aucune importance aux opinions de Nelly, qui ne lui inspire que peu de respect, mais elle veille à ne rien faire qui pourrait la peiner. Ses références à « oncle Denys » contiennent plus de déférence, mais elle les utilise avant tout comme un moyen de pression. Elle ne manque jamais de rappeler que son « oncle Denys » s’intéresse à ceci ou à cela.

Il se racla la gorge.

– Et, toujours avec à-propos, elle me laisse entendre que son influence sur lui pourrait me valoir certaines faveurs.

Denys grogna de surprise puis se mit à rire, au grand soulagement d’Edwards.

– Comme cette invitation à sa fête d’anniversaire ?

– À quelque chose près.

– Parle-t-elle d’Ollie ? voulut savoir Giraud.

– Presque jamais. Je vais être précis. Disons qu’elle m’a souvent parlé de lui juste après le départ de Jane. Ensuitec elle n’a pas dû prononcer son nom depuis très longtemps. Plus d’un an, sans doute.

– Intéressant. Justin Warrick ?

– Pas une seule fois. Je l’ai fait, si vous vous en souvenez, et elle s’est aussitôt empressée de changer de sujet. Son nom n’est jamais revenu dans la conversation.

– J’estime que nous devrions charger les ordinateurs d’effectuer une recherche sur cette base, dit Denys.

Sur tant de bandes. Des années. Giraud libéra sa respiration et hocha la tête. Il faudrait attribuer au Projet du personnel supplémentaire, de nouveaux créneaux horaires d’utilisation du système informatique.

Juste au moment où Reseune s’apprêtait à tout rendre public à cause des attaques portées contre elle. Des pressions importantes, bon sang ! Ils venaient de découvrir une anomalie. Cette Ari était moins studieuse que la première, à la fois plus capricieuse et moins coléreuse. Lui attribuer ces azis n’avait rien arrangé. Depuis peu elle se consacrait à ses études avec plus de sérieux et effectuait des acquisitions sur le plan du vocabulaire. Si Florian et Catlin rédigeaient des rédactions bien meilleures que les siennes, c’était secondaire. Le véritable problème était posé par l’influence que Jane exerçait toujours sur le comportement d’Ari. Sans parler de l’affaire Warrick, la déclaration inattendue de Yanni selon laquelle le jeune Justin avait effectué des recherches dont les ordinateurs de la sociologie ne pouvaient établir les conséquences à long termec

Soumettez ses travaux à Jordan, avait suggéré Denys. Autorisez-le à aller voir son père. Les Warrick ne chercheront pas à nous mettre des bâtons dans les roues, s’ils ont de quoi s’occuper, et nous savons que Jordan se penchera sur ces projets. Peu lui importe qu’ils soient ou non valables, dès l’instant qu’ils lui offrent une opportunité de rencontrer son fils.

Cette mesure était à l’origine d’une nouvelle dégradation de leurs rapports avec la Défense, qui voulait garder Jordan pour elle seule. En outre, les militaires risquaient de s’intéresser à Justin. Il était impossible de le faire passer sous leur nez sans qu’ils le remarquent, et l’armée avait la fâcheuse habitude de vouloir s’approprier tout ce qui lui semblait important, utile, ou anormal.

Merde et merde.

Si Ari veut l’avoir près d’elle, ce n’est pas uniquement dans le but que l’on sait, bordel !leur avait dit Yanni.

Ils étaient confrontés au plus grand paradoxe du Projet : avec quelle précision fallait-il reproduire la vie antérieure du sujet ? Combien d’individus étaient-ils essentiels pour mener à bien l’expérience ? Le milieu dans lequel avait vécu la première Ari ne favorisait guère les contacts personnels – et ils pouvaient s’en féliciter – mais elle avait eu dès la plus tendre enfance de nombreuses occasions de rencontrer la presse et les foules.

– Il faut aller plus loin, dit Giraud. Bon sang, nous devons révéler son existence aux médias, pour une multitude de raisons. Lu perd patience et le temps presse ! Mais nous ne devons pas nous tromper, nous ne pouvons pas nous permettre la moindre erreur.

Aucun commentaire. Ils ne savaient que trop ce qui était en jeu.

– Nous avons d’autres moyens à notre disposition, intervint Petros. Je pense par exemple à une légère augmentation de sa tension nerveuse sur le plan de son éducation. Utilisez cela, frustrez-la un peu. Faites-lui découvrir l’amertume des échecs. Accélérez le programme.

Il y avait longtemps que Petros soutenait ce point de vue.

– Elle n’a jamais eu la moindre déception en ce domaine, intervint Denys. Pas encore.

– Nous devons veiller à ne pas la dégoûter des études, rétorqua Giraud. Mais c’est en effet une possibilité. Qu’en disent les ordinateurs, lorsqu’ils ne sont pas occupés à traiter ce que leur fournit Warrick ?

– Devons-nous tout reprendre de zéro ? demanda Peterson. Je doute d’obtenir des résultats différents. Je pense que vous devez tenir compte de ce que nous savons déjà. Accélérer le programme alors que nous venons de déceler une anomalie seraitc

Petros se pencha vers lui, la mâchoire saillante.

– Vous préféreriez passer au point mort et laisser l’écart s’accentuer ?

– Je souhaiterais vous faire remarquer une chose, docteur Ivanovc

– Je sais de quoi vous voulez parler, nous le savons tous.

Giraud se servit un autre verre d’eau.

– Ça suffit, dit-il. Nous traiterons ces maudits tests. Nous leur attribuerons du temps sur les ordinateurs. Nous devons obtenir des réponses. Nous poserons la question demain, si c’est possible.

Leur meilleur atout était à ses yeux une analyse vocale, mais il leur faudrait pour cela étudier une multitude de bandes.

Le Projet dévorait le temps des ordinateurs avec voracité, et les divergences devenaient de plus en plus nombreuses.

De même que les demandes du comité d’enquête du Conseil. Le gouvernement voulait se faire communiquer tous les documents qui pourraient permettre d’établir dans quelle mesure le bureau des Sciences avait avalisé le projet Géhenne, parce que l’Alliance posait des questions précises et réclamait de plus en plus d’informations sur les colons de ce monde : une condition préalable à l’amélioration des relations diplomatiques entre les deux blocs.

Centristes et abolitionnistes exigeaient d’avoir accès à la totalité des archives. Giraud avait appris par ses agents que Mikhaïl Corain constituait un dossier pour demander au Conseil de promulguer un décret de Divulgation qui contraindrait Reseune à lui remettre tous les documents se rapportant de près ou de loin à Emory. Il invoquerait pour cela l’existence de projets secrets, d’autres bombes à retardement sur le point d’exploser, et le fait que la sécurité nationale était prioritaire sur la souveraineté d’un Territoire administratif. Il avancerait que les laboratoires n’avaient aucun droit sur les notes et autres papiers accumulés par Ari pendant qu’elle occupait le siège de conseillère des Sciences, qu’à sa mort de tels documents revenaient de droit à l’État, et que seul un décret de Divulgation permettrait de déterminer ce qui appartenait à Reseune et ce qu’il convenait de classer dans les archives de l’Union.

Et il était exact qu’il existait des bombes à retardement, dont une fillette âgée de huit ans qui serait au cœur des débats et exposée au vitriol et à l’hostilité qui l’attendraient à Novgorodc

Ils en revenaient toujours au même point. Il s’avérait indispensable de tout rendre public.

Avant qu’un décret de Divulgation ne permît aux journalistes de prendre connaissance de tous les secrets de l’existence de la première Ari et que son double ne pût apprendre par les médias tout ce que lui réservait l’avenir.

5

Elle devait désormais se présenter chaque matin au bureau du D r Edwards pour y suivre ses cours puis passer ses après-midi à la bibliothèque ou au labo-bandes, pour approfondir ses connaissances. Il y avait des contrôles et son professeur l’interrogeait et lui donnait de nombreux exercices.

Catlin et Florian devaient eux aussi poursuivre leur éducation, dans une école pour azis, en bas dans la Ville : un endroit qu’ils appelaient les Baraquements verts. Une fois par semaine, ils y passaient la nuit après avoir traversé une Pièce ou suivi un entraînement particulier. Le reste du temps, ils venaient la chercher à la bibliothèque ou au labo et rentraient avec elle.

Comme ce jour-là. Ils avaient tous les deux une allure martiale, avec leur uniforme noir. Peut-être étaient-ils encore plus graves que d’habitude lorsqu’ils franchirent les portes puis empruntèrent le passage pour piétons.

– Je ne crois pas qu’il existe un endroit plus sûr pour parler, déclara Catlin.

– On ne sait jamais, rétorqua Florian. Leur matériel permet d’écouter de très loin. Comme on ne peut pas savoir s’ils nous surveillent, il faut se déplacer sans cesse et espérer qu’ils ne prennent pas la peine de nous suivre avec leurs micros directionnels en pensant qu’on va dire quelque chose d’important. Ça représente un sacré travail, quand la cible est en mouvement.

– S’ils n’ont pas entendu nos propos d’hier soir, il est probable qu’ils ne s’occuperont pas de nous, déclara Ari.

Elle savait être assez gentille pour ne pas s’attirer d’ennuis, sans pour autant l’être trop et faire naître des soupçons quant à ses intentions. Elle s’abstint de le préciser à haute voix et se dirigea vers la mare aux poissons. Elle avait un sachet de nourriture dans sa poche.

– Qu’alliez-vous me dire ?

– Qu’il ne faut jamais hésiter à frapper l’Ennemi les premiers, répondit Catlin. Si c’est réalisable, bien sûr. Car il faut pour cela s’assurer de l’identité exacte des adversaires, de leur nombre, de la position qu’ils occupent et de leurs possibilités. Il faut savoir tout cela.

– Ce qui n’est pas facile quand on a affaire à des grands, fit remarquer Florian. Ils savent tant de choses.

– On peut Avoir n’importe qui, par surprise, dit Catlin.

– Mais en cas d’échec ils voudront alors nous faire Disparaître, précisa-t-il. Nous ne sommes sûrs de rien, sera. Je crois possible de les Avoir. Pour de bon. Je pourrais voler le nécessaire. Tout est dans la réserve, et ils ne prennent pas beaucoup de précautions. Pas assez, je trouve. L’important, c’est que je peux me procurer le matériel. Tuer l’Ennemi est réalisable, mais les risques sont grands. Nous pourrons faire un essai, pas deux.

– Et si nous ne savons pas qui sont les alliés de l’Ennemi, nous nous ferons Avoir à tous les coups, surenchérit Catlin. Il faut vraiment que ça en vaille la peine, pour prendre de tels risques.

Les nombreuses pensées qui traversaient l’esprit d’Ari s’assemblèrent. Clic. Sans s’arrêter, les mains enfoncées dans ses poches, elle répondit :

– Et si on ne sait pas tout, c’est encore pire que de se faire Avoir. On ignore qui il faut éliminer ensuite. Or nous ignorons qui tire les ficelles, ce que feront ses associés, qui sont nos amis et nos ennemis, et qui aura la situation en main. Et ce sont autant de choses que nous n’avons aucun moyen d’apprendre.

– Je ne sais pas, dit Florian. C’est vous qui pouvez savoir ces choses, sera, pas nous. Nous en Aurons un, peut-être deux si nous nous séparons ou si nous réussissons à les réunir au même endroit. Je parle de nos principaux Ennemis. Mais ensuite nous aurons tous les autres à nos trousses.

Ils atteignirent l’étang et Ari s’agenouilla au bord de l’eau. Elle sortit de sa poche le sachet de nourriture. Catlin et Florian vinrent s’accroupir près d’elle.

– Tenez, dit-elle.

Elle leur tendit le sachet afin qu’ils se servent puis lança un granulé au poisson blanc qui montait vers la surface. Blanc-et-rouge faillit le prendre de vitesse. Elle regardait les cercles concentriques qui s’écartaient les uns des autres et les feuilles de nénuphar qui dansaient.

– Il sera coriace, ajouta-t-elle. Nous ne pouvons pas tous les Avoir. Il y a trop d’intérêts en jeu. Giraud a des amis. C’est un personnage influent, même hors de Reseune, et il faut tenir compte de ses atoutsc la sécurité et je ne sais quoi d’autre. Et même si on le tuaitc

Parler d’assassiner quelqu’un lui paraissait étrange. Ce n’était pas réel, tout en l’étant. Pour Florian et Catlin, éliminer cet homme serait facile. Si elle ne se sentait pas plus en sécurité pour autant, son impression d’impuissance s’atténuait.

– Nous aurions toujours des problèmes.

– Et ils se vengeraient sur maman et Ollie. Ils les Auraient pour de bon.

Ses azis ne pouvaient comprendre, parce qu’ils n’avaient pas eu de maman, mais ils semblaient prendre ses déclarations très au sérieux.

– Je les en crois capables. Maman et Ollie sont à Lointaine. Je leur ai envoyé des lettres et ils auraient dû les recevoir. Mais à présent je ne sais plusc

Bon sang, elle allait pleurer. Florian et Catlin l’observaient, angoissés.

– Je ne sais même pas si oncle Denys les a expédiées, termina-t-elle d’une traite, d’une voix sèche et coléreuse.

Non, ils ne comprenaient pas. Elle chercha ce qu’elle avait pu oublier de leur dire et qu’ils devaient savoir.

– Si nous avons un Ennemi, j’ignore quels sont ses buts. Parfois, je pense que maman m’a laissée ici parce qu’il aurait été trop dangereux de m’emmener avec elle. D’autres jours, je me dis qu’ils l’ont obligée à m’abandonner. Mais je ne sais pas pour quelle raison et pourquoi elle ne m’en a pas parlé.

Les azis ne dirent pas un mot pendant une minute, puis Florian rompit ce silence :

– Je ne peux pas donner un avis, et Catlin non plus. C’est des histoires de CIT, et nous ne comprenons pas les CIT.

– Les CIT ont des relations, dit-elle.

C’était aussi difficile que d’expliquer comment il fallait procéder pour Travailler quelqu’un. Elle se sentait mal à l’aise. Elle incurva et croisa ses index, tels des crochets.

– Avec d’autres CIT. Comme ce qu’il y a entre toi et Catlin, vous et moi. Ce lien peut être solide. Parfois très très fort. C’est le premier élément. Les CIT font des choses l’un pour l’autre ; parce que ça leur fait plaisir, qu’ils veulent se Travaillerc ou pour s’Avoir. La plupart du temps, ils désirent se protéger, ou protéger leurs proches. Et comme tous se connaissent, c’est un peu comparable aux briques d’un jeu de construction.

Des yeux écarquillés, des expressions attentives et inquiètes.

– On peut ainsi Travailler les gens et les obliger à obéir, en les menaçant de leur faire du mal ou de nuire à une de leurs relations. Si vous saviez qu’on veut me faire du mal, vous ne resteriez pas les bras croisés.

Elle n’avait pas terminé sa phrase qu’elle pensa : Il en découle que c’est de maman qu’ils veulent obtenir quelque chose, parce qu’elle est plus importante que moi. Et donc qu’elle n’est pas en danger. Ils m’utilisent pour la Travailler.

Le contraire serait impossible. Ils ne m’ont jamais dit qu’ils feraient du mal à maman.

Vraiment ?

Mais tous les autres sont des grands, et comme Florian vient de le faire remarquer les adultes savent plus de choses que nous et ne nous disent pas tout ce que nous devrions savoir.

– C’est une façon de Travailler les gens, dit-elle. Il en existe bien d’autres. Par exemple découvrir ce qu’ils souhaitent, le leur donner puis le leur reprendre s’ils ne sont pas obéissants. Mais maman ne m’aurait pas quittée pour ça.

En es-tu bien certaine ?

N’existe-t-il rien à quoi elle tienne plus qu’à toi ?

Ollie ?

– On peut Avoir quelqu’un de cette manière, et c’est bien plus rapide que de le Travailler. Il est possible de lui attirer des tas d’ennuis, dès l’instant où l’on saitc

Qu’est-ce qui mettrait Giraud dans l’embarras ?

Et qu’est-ce que je pourrais obtenir de lui, si j’arrivais à l’Avoir de cette façon ?

– c toujours les mêmes choses : qui ils sont, combien ils sont, ce qu’ils ont à leur disposition. Ça ne change rien. Et pour obtenir ces renseignements il suffit de les Travailler un peu puis d’étudier leurs réactions.

Ils ne la quittaient pas des yeux. Ils apprenaient, ils lui prêtaient attention comme seuls des azis pouvaient le faire. Et elle savait qu’ils ne lui poseraient aucune question avant qu’elle eût fini.

– Moic dit-elle en réfléchissant bien à l’importance de ce qu’elle leur révélaitc je ne leur dis que le strict nécessaire. Ils font venir Nelly, ils l’interrogent, et elle déballe tout ce qu’elle sait. Tout de suite, sans se faire prier. J’aimerais pouvoir les en empêcher, et je ne le peux pas. Mais s’ils s’en prennent à vous, je les Travaillerai pour de bon. Ce sera facile. Oncle Denys a précisé que vous étiez à moi. Si la sécurité vous dit d’aller à l’hôpital, venez d’abord m’en informer. C’est un ordre. Compris ?

– Oui, sera.

Un seul mouvement, des hochements de tête simultanés.

– Nous ne sommes pas comme Nelly, fit remarquer Florian. Nous n’obéissons qu’à vous. S’ils veulent que nous fassions quelque chose, ils doivent d’abord nous envoyer vers vous pour que vous le confirmiez. C’est la Règle, et s’ils ne la respectent pas nous devons les Avoir.

Elle l’avait ignoré. Elle ne s’en était jamais doutée. Elle jugeait cela à la fois rassurant et inquiétant. Tout semblait indiquer que la situation était bien plus grave qu’elle ne le supposait. Un fait dont ses azis avaient été conscients depuis le début.

– Si vous venez me le demander, je refuserai. Cependant, ils sont plus forts que vous.

– C’est exact, mais c’est la Règle, répondit Catlin. Et ils le savent. Uniquement vos ordres, sera.

Elle prit une inspiration profonde.

– Oncle Denys est un super.

– Mais pas le nôtre. Vous nous avez dit de lui obéir. Et à Nelly aussi. Nous le faisons, mais si c’est quelque chose d’important nous viendrons d’abord vous en parler.

– Oui, ne faites rien d’inhabituel si je ne vous l’ai pas confirmé. Vous n’irez nulle part et vous ne suivrez personne avant de m’en avoir informée.

– Si vous le dites, ce sera notre Règle.

– Soyez malins, évitez les affrontements. Contentez-vous de vous esquiver.

– C’est très bien, sera.

– Et vous ne parlerez jamais de moi. Peu importe qui vous interroge. Mentez, s’il le faut. Faites semblant d’être dociles, puis venez me répéter leurs questions.

– Oui, sera.

Ils hochèrent la tête, tous les deux.

– Alors, je vais vous révéler un secret. J’ai pour principe de ne pas tout dire. Ce matin, par exemple, j’ai eu un examen de contrôle. J’aurais pu répondre à bien plus de questions, mais je ne veux pas le faire. Ne dites qu’à moi ce que vous savez.

– C’est une Règle ?

– Une Règle capitale. Il y a un garçon qui s’appelle Sam : je jouais avec lui, autrefois. C’est lui qui m’a offert le robot insecte. Il n’est pas très malin, mais tout le monde le trouve sympathiquec et j’ai décidé d’être un Sam la plupart du temps. Comme ça, les gens sont plus gentils avec moi et même les imbéciles peuvent comprendre ce que je veux qu’ils sachent si je décide de les Travailler. Mais pour qu’ils ne puissent pas deviner que c’est une comédie, nul ne doit être au courant. Il faut toujours se comporter comme ça. Je l’ai appris de Sam et d’oncle Denys. Il fait pareil. Il est malin, il utilise des petits mots qui lui permettent de marquer des points contre les autres sans qu’ils s’en rendent compte. C’est un truc indispensable. Les empêcher de savoir, sauf si c’est utile. Voilà ce qu’on va faire. On va être très gentils avec Giraud. Mais pas d’un seul coup. D’abord, on va le mettre en colère pour lui donner une raison de se fâcher contre nous. Ensuite, on fera comme s’il avait été trop méchant, pour qu’il veuille se faire pardonner. Et après il ne sera pas surpris si nous sommes bien sages, parce qu’il croira nous avoir Travaillés. Voilà comment on doit s’y prendre, avec les grands.

– C’est très rusé, commenta Catlin.

Elle arborait un de ses rares sourires véritables.

– Je vous dirai un autre secret. J’ai fait une liste des Anomalies. Il est Anormal que des gens Disparaissent. Il est Anormal que maman ne m’ait pas dit où elle irait, ou seulement qu’elle devait partir. Il est Anormal que Nelly passe la moitié de son temps à l’hôpital. Il est Anormal qu’une CIT de mon âge devienne la super de deux azis. Il est Anormal que des meds analysent mon sang plusieurs fois par semaine. Il est Anormal que je sois invitée aux fêtes des adultes. Il est Anormal que mon intelligence soit supérieure à celle des autres enfants. Il est Anormal que vous ayez un travail à votre âge. Je n’ai pas terminé cette liste et je pense qu’elle s’allongera encore. Vous allez y réfléchir, et me faire part de vos conclusions et de vos suggestions. Il faut trouver un moyen d’apprendre tout ce qu’on ignore sans que nos Ennemis se doutent de rien.

6

Grant vit l’avion se poser et libéra un soupir de soulagement.

Son attente n’était pas terminée pour autant. Les passagers devraient se soumettre au lent processus de décont, obligatoire pour tout ce qui provenait de l’autre hémisphère ; y compris les bagages qui seraient en outre fouillés avec soin pendant que les équipes au sol passeraient l’appareil au jet et le désinfecteraient par fumigation.

Ces opérations avaient déjà débuté, quand il s’écarta des baies vitrées du terminal pour se diriger vers la section de décont. Il s’assit en face des portes blanches et croisa les mains sur ses genoux. Ses doigts se crispèrentc un tic nerveux. Détends-toi, n’eût pas manqué de lui dire un superviseur.

Un conseil qui pouvait s’appliquer en permanence à tous les CIT, estima-t-il. Sa tension était engendrée par des pensées-flux. Lorsqu’un azi sain d’esprit ne disposait pas de la totalité des éléments qui permettaient de trouver la solution d’un problème, il effaçait l’énoncé et prenait du repos ou s’intéressait à autre chose. Mais un CIT ne pouvait s’y résigner et continuait d’analyser le flux en fonction de ce qu’il percevait et de ses opinions aux valeurs nuancées, en mettant à contribution son système endocrinien qui déclenchait alors un processus d’apprentissage basé sur le fluxc et à même d’accentuer les intégrations à l’intérieur du flux en question. Depuis peu, Grant consacrait trop de temps à de telles occupations. Et il ne supportait pas le stress auquel les CIT étaient soumis en permanence.

Et il tentait de résoudre quatre ou cinq problèmes insolubles, car il se trouvait désormais en état de dépendance envers l’adrénaline.

Les portes blanches s’ouvrirent. Des membres de l’équipage sortirent et s’éloignèrent dans le couloir, sans faire cas de sa présence.

Puis les battants furent à nouveau poussés et Justin franchit le seuil. Grant se leva, remarqua la joie et le soulagement de son ami, et s’avança pour l’étreindre.

– Comment vas-tu ? s’enquit-il.

– Très bien. Jordan aussi.

Ils s’écartèrent pour laisser passer un groupe d’employés, auxquels ils emboîtèrent le pas.

– Je dois récupérer mon attaché-case et mon sac.

Ils allèrent chercher les bagages, irradiés et fouillés.

– Je m’en charge, dit Grant.

– Laisse-moi faire.

Justin récupéra sa mallette et son sac de voyage, puis ils sortirent du terminal pour prendre le car qui assurait la navette entre l’aéroport et la Maison.

– As-tu fait bon voyage ? s’enquit Grant lorsqu’ils furent à l’extérieur, là où nul ne pouvait les entendre.

– Oui.

Justin tendit ses bagages à un porteur azi.

Les agents de la sécurité présents dans le véhicule devaient être de simples passagers. Dès qu’ils furent montés, le conducteur ferma les portes et Justin s’affala dans un siège à l’instant où le car démarrait et quittait le portique illuminé du terminal pour monter vers la Maison.

– Nous avions tant de choses à nous dire que nous ne nous sommes pas couchés de la nuit. Nous avons regretté que tu ne sois pas présent.

– Moi aussi.

– Planys m’a agréablement surpris. Cette base est à la fois plus déprimante et agréable que je ne l’imaginais. Le personnel est sympathique. Jordan et Paul se sont adaptés à leur nouvelle existence. Ils vont bien, tous les deux.

Il parlait d’une voix rauque. Épuisé, il laissa sa nuque reposer contre l’appui-tête et ajouta :

– Ils vont étudier mes projets. Jordan m’a dit qu’ils l’intéressent parce qu’il existe au moins un élément que les ordinateurs ne peuvent intégrer dans leurs calculs. Et il ne m’a pas tenu de tels propos pour m’encourager. Il est probable que je serai autorisé à retourner à Planys avant la fin de l’année. Avec toi, peut-être. Ou toi tout seul. Il aimerait vraiment te voir.

– J’en suis touché.

Ils ne pouvaient entrer dans les détails, mais Grant se sentait soulagé. Puis le car s’immobilisa sous le portique de la Maison et ils en descendirent. Justin insista pour porter ses bagages, malgré sa lassitude.

– Tu n’es pas mon valet, déclara-t-il sur un ton autoritaire.


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