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Cyteen, vol. 1
  • Текст добавлен: 6 октября 2016, 05:35

Текст книги "Cyteen, vol. 1 "


Автор книги: C. J. Cherryh



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Soulagé, Giraud Nye prit une inspiration profonde.

– C’est merveilleux. Absolument merveilleux. Et les deux autres ?

–  C’est positif, dans toutes les matrices.

– Formidable.

Schwartz coupa la liaison. Giraud Nye se pencha en arrière dans son fauteuil et soupira.

Ils utilisaient neuf cuves utérines, dans le cadre du projet. Trois essais par sujet, ce qui lui valait de subir les récriminations continuelles de Strassen. Il était rare que Reseune prît de telles précautions pour des duplications de CIT. Si une série rejetait l’implant ou si des problèmes se présentaient, il suffisait de tout reprendre de zéro et le planning n’était retardé que de quelques semaines. Le client n’avait qu’à attendre, hormis s’il souhaitait payer le double d’une somme déjà astronomique pour avoir un exemplaire de rechange. Dans le cas d’une commande d’azis ou d’un programme de recherche, on prévoyait pour chaque paire un double qui était vidé après cinquante jours.

Pour cette expérience, neuf matrices resteraient occupées trois semaines et six deux fois plus longtemps, avant qu’ils n’effectuent la sélection finale et ne se débarrassent des sujets en réserve.

Les responsables des laboratoires de Reseune ne voulaient courir aucun risque.

Audiotexte extrait de :

Formes de croissance

Bandétude de génétique n‹1


Publications éducatives de Reseune :

8970-8768-1 approuvé pour 80 +


Tous ceux qui ont reçu une bande sous cataphoriques connaissent les biosondes de contrôle. Le plus rudimentaire des lecteurs domestiques est doté d’un cardiographe : une simple électrode qui enregistre le pouls. Tout programme ludique ou éducatif suivi sous sensibilisateur chimique peut en effet être à l’origine de violentes réactions émotionnelles si son contenu déclenche la résurgence de certains souvenirs ou fait naître une empathie profonde. En suivant une pièce classique telle qu’Othello, par exemple, certains individus peuvent établir un parallèle entre des épisodes de la vie des personnages et ceux de leur propre vécu, et s’identifier à eux à un degré plus ou moins grand.

Le spectateur est alors soumis à la même tension nerveuse que les héros du drame. Mais dès que le rythme cardiaque s’accélère, la biosonde enregistre cette information et la communique aux modules de surveillance du lecteur. Si un seuil établi au préalable est franchi, l’appareil interrompt le programme et une bande de musique apaisante prend le relais.


Cet enfant s’est rendu dans une clinique éducative dans un but bien précisc il souhaite améliorer sa calligraphie. Il tend son bras au technicien qui palpe les muscles et les localise sans hésitation, avant d’appliquer des biosondes numérotées sur sa peau. Il en placera d’autres sur le pourtour des yeux, sous le bras, sur le cœur et l’artère carotide.

Ces petites plaques adhésives grises sont munies de deux électrodes : ce lecteur est bien plus perfectionné que les lecteurs domestiques et dispose d’un système de biorétroaction. Les numéros des biosondes correspondent à ceux que le tech lit dans la brochure qui accompagne la bande éducative. Pour la simple acquisition de capacités instinctives, il n’est pas nécessaire que le praticien soit diplômé en psychothérapie. Les électrodes appliquées sur l’épiderme à l’emplacement des muscles indiqués dans le manuel d’instructions permettront à la machine de connaître leur activité individuelle, ou celle d’un groupe musculaire, et d’interrompre ou de reprendre l’envoi des impulsions.


Lorsque cette calligraphe expérimentée a écrit le texte à reproduire, elle portait des détecteurs similaires. Les mouvements de tous ses muscles ont été enregistrés. Nous assistons à la phase d’enregistrement de la bande.


Notre jeune élève ne peut s’empêcher d’éprouver une légère inquiétude, alors qu’il s’apprête à ressentir les effets du sensibilisateur chimique. C’est la première fois qu’il suit un programme éducatif sous cataphoriques. Le technicien le rassure et lui explique que les différences sont minimes entre les bandes éducatives et ludiques. Si les biosondes gênent quelque peu ses mouvements, ce n’est que momentané. La drogue agit et le tech s’assure par quelques tests que l’enfant est prêt. La bande débute et le petit garçon est intimidé par la difficulté de l’exercice. L’homme dissipe ses craintes. Dans un instant, grâce à la double fonction des électrodes, l’élève percevra dans sa chair ce que fait son professeur. La femme prend le stylo et commence à écrire. Il découvre comment elle procède. Il voit les lettres prendre forme et sent dans sa chair les mouvements précis de la main et des doigts. L’aisance du calligraphe expérimenté lui est révélée.

Plusieurs séances lui seront sans doute nécessaires, mais les résultats sont perceptibles dès qu’il effectue seul l’exercice, sitôt après son réveil. Il tient correctement le stylo et ses muscles ne se contractent pas. Finies, les crampes dues à des doigts crispés ; et son attitude corporelle s’est en outre notablement améliorée depuis qu’il a trouvé le point de pivot sur lequel sa main doit reposer. Il est à la fois surpris et ravi du résultat. Il refera souvent cet exercice, afin de renforcer les automatismes. Il se remettra au travail après le déjeuner et recommencera demain. Cet entraînement assidu créera une habitude. Il pourra en outre reprendre la bande tant que ses parents ou lui-même ne s’estimeront pas satisfaits des résultats.


Cet azi de type Bêta est affecté aux forces spéciales. Il est debout et dilate les muscles de son dos à la demande du technicien. Il ferme les yeux, sans manifester d’intérêt pour les préparatifs qui ont tant inquiété notre calligraphe en herbe. C’est avec impatience qu’il attend de recevoir sa bande, mais pour acquérir les capacités qu’il doit maîtriser la participation de la totalité de son corps est en l’occurrence nécessaire. Il fait cela deux fois par mois depuis l’enfance et les électrodes de biorétroaction sont à ses yeux plus importantes encore que les cataphoriques. Entre autres choses, il sait s’instruire avec plus d’efficacité et sa concentration d’esprit est bien supérieure à celle du jeune élève. Il connaît les noms de tous les muscles et sait placer seul les biosondes. Il suit de nombreux programmes d’études facultatifs dans ses quartiers en prenant une dose de cataphoriques à peine plus forte que celle utilisée par d’autres pour regarder une bande ludique. Il sait désormais se rendre réceptif sans sensibilisateur chimique.


À la fin de chaque mois, cet azi se voit attribuer une bande très différente de celles que peuvent obtenir les citoyens : il fait alors une expérience qu’il ne pourrait décrire, car elle est plus sensorielle que verbale. S’il l’appelle une super-bande, le terme employé à Reseune est celui de bande-récompense.

La femme qui la lui passe n’est pas une technicienne, mais un superviseur de Bêta, et elle emploie un appareil très complexe qui comporte une boucle chimiosanguine chargée d’analyser le sang et d’y injecter des euphorisants naturelsc un procédé qui n’est utilisé sur des CIT que lorsque des ajustements psych s’avèrent indispensables.

Cet azi, qui a reçu de telles bandes depuis sa plus tendre enfance, trouve l’expérience très agréable et préfère cela à toute autre forme de récompense. Celle-ci est interne, et profonde.

Contrairement à une intervention effectuée sur un citoyen, et dont les résultats dépendent en grande partie de l’intuition du psychologue, celle-ci est ciblée avec précision et préparée par les concepteurs auxquels on doit le psychset de cet azi. Une telle précision serait impossible à atteindre dans le cas d’un patient non azi dont la vie a été façonnée par le hasard, des événements dont nulle trace n’est conservée. Le psychset de cet azi a été préparé sur bandes et est bien connu des spécialistes, même après qu’il a servi dans les forces armées et ainsi côtoyé un grand nombre de citoyens-nés.

Tous ses supérieurs ont reçu une formation spéciale et savent comment se comporter avec ses semblables. Ils veillent à ne pas s’adresser à eux avec brutalité. Le respect et le manquement à la discipline sont sanctionnés par une récompense ou son absence, et la confiance qu’un azi porte à un superviseur-psychologue est plus grande que celle d’un enfant envers ses parents. Que l’identité de ce superviseur puisse changer ne le trouble pas. Cette femme lui inspire un sentiment de sécurité absolu, dès l’instant où il la sait qualifiée.

Les citoyens qui ont travaillé avec des azis non socialisés déclarent presque tous avoir fini par être submergés par l’attachement qu’ils étaient disposés à leur accorder.

Ils ont bien trop confiance en moi, disent-ils presque toujours.

Mais celui-ci est un militaire et il a côtoyé des citoyens qui n’ont pas reçu de formation particulière. Il s’est endurci sur le plan émotionnel et ne redoute pas de fréquenter ses camarades non azis. Son chef a dû passer un examen avant d’être habilité à s’occuper d’azis, mais s’il le traite comme ses autres hommes il sait qu’il sera nécessaire de le recevoir immédiatement s’il sollicite une entrevue et qu’il faudra le placer sous sédatifs et l’envoyer sans délai à l’hôpital s’il a besoin de l’intervention d’un superviseur de Bêta. Les azis ont rarement des problèmes et leurs protections émotionnelles sont aussi efficaces que celles d’un citoyen, mais leur psychset n’est pas attribuable à l’expérience et ils ne peuvent en conséquence y trouver un soutien social. Tout azi qui sent ce bouclier s’affaiblir devient vulnérable à son entourage. Son état est proche de celui où plonge tout individu qui étudie sous sensibilisateur chimique et il ne peut repousser les stimuli qui l’assaillent. On pourrait comparer cela à prendre des cataphoriques dans une pièce bondée de monde : une situation angoissante et destructrice.

Cette bande est très agréable. Elle lui réaffirme l’importance des valeurs qui lui ont été inculquées et l’estime qu’il se porte. Il a en lui une confiance absolue. Il connaît ce que nul citoyen ne pourra éprouver en vivant dans un monde régi par les lois du hasard : il communie avec la vérité et s’accepte tel qu’il est.


Nous voici à Reseune, là où est né notre soldat. Cet azi de trois ans, bien plus jeune que le futur calligraphe, s’apprête à recevoir ce qui est communément appelé une bande-profonde. S’il est inquiet, ce n’est pas à cause du processus auquel il s’est déjà soumis maintes fois mais des dimensions impressionnantes de lamachine. Le psychochirurgien l’étreint, le rassure, et le déride en lui faisant une grimace. L’azi laide à placer les électrodes.

La dose de cataphoriques est importante. Le seuil de sa conscience est plat et son sang fait l’objet d’analyses constantes.

La bande traduit les ensembles de valeur en mots dont il peut assimiler le sens.

Elle lui apprend comment susciter de l’approbation. Elle lui précise quels sont ses talents et ses atouts.

Peut-être lui rappellera-t-elle qu’il doit veiller à réprimer certaines de ses tendances naturelles, comme un père dirait à son fils qu’il est mal de bouder. Mais la bande entrecoupe ces conseils d’éléments positifs et de félicitations, et s’achève toujours ainsi.

Elle prend fin, et le superviseur prononce le mot clé qui verrouillera ces acquis. L’azi s’en souviendra. Pour avoir accès à ces instructions, le superviseur n’aura à l’avenir qu’à employer cette clé, mentionnée dans le fichier du sujet avec la référence de la bande. Au fur et à mesure qu’il grandira, sa bande-profonde deviendra plus abstraite et les clés verbales s’intégreront à des blocs de plus en plus vastes pendant que ses structures psych se fondront en ensembles complets, et il acceptera les valeurs inculquées en leur accordant la confiance que les superviseurs inspirent à tout azi.

Compte tenu du désarroi de l’enfant devant la machine, l’homme profite du fait qu’il est toujours réceptif aux instructions pour le rassurer au sujet de cet appareil. Toute manifestation d’angoisse au cours de telles séances, même minime, doit faire l’objet d’une analyse approfondie qui permettra d’en découvrir les causes et de les traiter. Nul superviseur ne souhaite qu’un de ses azis aborde ces séances en éprouvant de l’appréhension.


Toutes les bandes des azis ont été conçues ici, dans ces bureaux d’apparence banale, par des chercheurs dont certains sont eux-mêmes des azis. Des ordinateurs facilitent leur travail. Ils analysent les résultats des examens physiologiquesc coordination œil/main pour tel généset, temps de réaction, équilibre, vision, ouïe, force physique, activité hormonale, tests de Rezner, vulnérabilité au stress. Le concepteur tient compte de tous ces paramètres pour créer une bande spécifique et façonner un psychset particulier.

C’est un concepteur qui consulte la bibliothèque de Reseune et choisit un généset à même de recevoir ce qui est nécessaire au développement de nouvelles applications.

C’est un concepteur qui s’occupe de cet azi renvoyé aux labos par son superviseur, qui pense avoir décelé des anomalies dans son comportement. Il devra effectuer des tests et interroger le sujet afin de découvrir si c’est ce dernier qui a un problème, ou son supérieur. Il préparera ensuite une bande de réadaptation ou rédigera un ordre concernant la totalité des azis de ce généset. Il pourra par exemple leur interdire d’effectuer certaines tâches.

C’est un concepteur qui a destiné ce garçon à des opérations de sécurité civile, très différentes de celles, militaires, qu’exécutent habituellement les azis de ce génotype. De tels changements d’affectation suscitent toujours des craintes, car un échec est autant redouté par les responsables que par les azis. Pour de telles expériences, on prend soin d’attribuer un mot de passe aux ensembles altérés, une sorte d’étiquette qui permettra au psychochirurgien de les récupérer s’il s’avère problématique de les intégrer au psychset. Les azis qui participent à des programmes d’essais de courte durée sont aptes à effectuer de telles interventions sur eux-mêmes et peuvent refuser de se soumettre à tel ou tel test. Ici, le principe fondamental est de prendre son temps et de ne pas brûler les étapes.


Il arrive parfois que, comme les citoyens, des azis aient de graves problèmes psychologiques.

La plupart sont alors renvoyés à Reseune, où concepteurs et psychochirurgiens s’efforcent de résoudre leurs difficultés. De tels travaux sont non seulement utiles aux principaux intéressés mais aussi à la science prise dans son ensemble et plus particulièrement à la psychothérapie générale.

La solution peut consister en une réadaptation, qui requiert un effacement mental puis une longue période de convalescence. Chez un azi dont le génotype et le psychset ont fait leurs preuves, de tels problèmes sont toujours dus à un traumatisme. S’il a fait l’objet de négligence ou de mauvais traitements, Reseune peut alors agir sur le plan légal afin de protéger les intérêts de l’azi concerné.

Dans d’autres cas le patient est confié à la section génétique et la production de son génotype est suspendue tant qu’une solution n’a pas été trouvée.

Quelquefois, il n’existe aucune solution, pas le moindre psychset réparateur utilisable, même après un effacement mental, et la seule issue est une liquidation. La qualité de la vie d’un azi est une considération qui prime toutes les autres et Reseune – à qui l’on doit les règles qui interdisent à un superviseur de s’adresser avec brutalité à un de ses azis – est confronté à la pénible décision que doivent prendre les proches parents d’un malade dont les fonctions vitales se poursuivent après que toute activité cérébrale, toute vie consciente, a cesséc

Chapitre IV

1

La cuve utérine s’inclina et son contenu fut vidé dans le bac récepteur. Ariane Emory se débattait et se contorsionnait : nageuse miniature dans une pénombre non familière et une mer plus vaste que la précédente.

Elle s’agita ainsi jusqu’au moment où Jane Strassen plongea les bras dans l’eau et la sortit du bac. Des assistants nouèrent alors son cordon et la portèrent sur une table pour procéder à un examen rapide, pendant que Jane Strassen regardait la scène par-dessus leurs épaules.

– Vous ne constatez aucune anomalie, n’est-ce pas ?

De l’appréhension était perceptible dans sa voix. Une heure plus tôt, son intérêt était purement professionnel. Elle prenait à cœur un projet qui eût été compromis si la santé du nouveau-né avait été précaire. Mais il s’y ajoutait à présent une angoisse qu’elle ne se serait pas attendue à éprouver.

–  Vous êtes celle qui correspond le mieux au profil d’Olga Emory,lui avait dit son cousin Giraud.

Et elle s’était emportée, pour refuser avec véhémence et protester que la direction des labos de la section un ne lui laissait pas de temps à consacrer à un nourrisson ; d’autant plus qu’elle avait une santé fragile, était surchargée de travail et venait de fêter son cent trente-deuxième anniversaire.

–  Olga a eu Ari à plus de cent ans,avait rétorqué Giraud. Vous êtes une femme décidée, active. Comme Olga, vous vous intéressez aux formes d’expression artistiques, vous êtes née dans l’espace, vous possédez une intelligence supérieure à la moyenne et d’indéniables capacités professionnelles. De tous nos collaborateurs, vous êtes la femme qui lui ressemble le plus. En outre, votre âge constitue un atout : vous devez voussouvenir d’Olga.

–  Je ne supporte pas les enfants. J’ai eu Julia par immaculée conception, et sachez que je me sens insultée quand vous me comparez avec cette mégère insupportable et pinailleuse !

Et cette ordure de Giraud avait souri avant de lui répondre :

–  Vous ferez l’affaire.

Ce qui lui valait de se retrouver ici, dans cette salle, à cette heure, assaillie par l’angoisse pendant que les médecins examinaient un nouveau-né qui se tortillait comme un ver et que la pensée de ses nouvelles responsabilités s’ancrait dans son esprit.

Elle ne s’était guère occupée de sa fille génétique, sa contribution à l’immortalité conçue grâce à la participation involontaire d’un mathématicien pan-parisien qui ignorait à quoi avait servi son don à la génébanque de Reseune. Jane accordait une confiance plus grande au hasard et à un sang nouveau qu’à une planification méticuleuse, qu’elle jugeait préjudiciable au pool génétique. Julia était le fruit de cette sélection personnelle : ni un échec ni une réussite. Jane avait la plupart du temps confié sa fille à des nourrices, pour s’en désintéresser après avoir constaté qu’il s’agissait d’une enfant trop timorée et sentimentalec brillantedans un milieu aux normes moins élevées mais incapable de dominer ses fonctions biologiques et aussi vulnérable qu’une azie.

Mais ceci,le double d’Ari qu’elle adoptait à la fin de son existence, correspondait à tout ce qu’elle avait jamais espéré. L’élève idéale. Un esprit à même d’assimiler la totalité du savoir qu’elle lui jetterait en pâture et de la régurgiter par la suite. Une expérience passionnante, mais à laquelle il lui serait interdit de procéder.

Elle venait de se passer une bande où l’on voyait Olga avec Ari : Olga qui la tenait par l’épaule, tirait sur son pull pour supprimer un pli. Le sursaut d’exaspération de la fillette. Elle s’en souvenait. Elle revivait son propre passé.

Elle avait entendu cette voix pendant dix-huit ans. Olga ne ménageait pas plus ses critiques à l’égard de sa fille que des membres de son équipe – il était même surprenant qu’Ari n’en eût pas été névrosée – lorsqu’elle ne la laissait pas livrée à elle-même avec les azis. Olga effectuait sans cesse sur elle des analyses sanguines et des psychtests, dans le but d’établir les bases des théories qu’Ari développerait plus tard. Elle avait fait passer à son enfant ses premiers tests de Rezner, pour découvrir que le score atteignait presque le maximum. Olga Emory croyait aux vertus d’une éducation scientifique et pensait avoir à sa disposition une nouvelle Estelle Bok, à laquelle les labos permettraient de connaître une semi-immortalité. Et tous les autres gosses qui vivaient à Reseune entendaient dire qu’Ari leur était bien supérieure, et intouchable parce que leurs parents savaient qu’ils se retrouveraient sans emploi si leur rejeton s’avisait de pocher un des yeux de la précieuse Ari d’Olga, qui l’eût pourtant bien mérité.

À cette époque où les pionniers qui avaient fui les lois restrictives de la Compagnie Terre venaient de se regrouper à l’extrême limite de l’espace connu pour y fonder Station Cyteen, les théoriciens politiques renégats, les physiciens célèbres, les chimistes et les explorateurs légendaires étaient plus nombreux dans le réfectoire que les gens capables de réparer un robinet défectueux. La réjuv venait d’être découverte. Reseune serait d’ailleurs fondée pour en étudier les possibilités. La physique de Bok rendait tous les manuels caducs et des gens qui auraient pourtant eu des choses plus utiles à faire se livraient à des spéculations sur ce qu’elle permettrait bientôt de découvrir. Et si Olga Emory était une femme intelligente et à l’esprit pluridisciplinaire, on trouvait aussi sous sa voûte crânienne quelques araignées qui y avaient tissé leurs toiles.

Pour ne pas parler de James Carnath, qui semblait encore plus atteint. En apprenant qu’il était condamné, il avait décidé d’avoir avec Olga une enfant qui surpasserait Bok.

Telles étaient les raisons qui valaient à Jane Strassen de se retrouver avec un projet et un bébé sur les bras.

Elle devrait calquer son comportement sur celui d’Olga. Tiens-toi droite, Ari. Ne remue pas comme ça, Ari. Fais tes devoirs, Aric râleuse et antipathique.

Elle se comporterait ainsi, quand elle ne confierait pas Ari aux nourrices. Comme pour Julia. Elle en avait des remords rétrospectifs.

S’intéresser à l’enfant plus que ne l’avait fait sa mère eût changé Ari. Reconnaître ses fautes lui était pénible, mais en étudiant le comportement d’Olga il lui avait semblé se regarder dans un miroir au reflet trop révélateur. Giraud ne se trompait pas. Il lui restait encore bien des choses à apprendre, à cent trente-deux ans.

Jusqu’à ce jour elle n’avait pas éprouvé pour Julia plus de sentiments maternels que pour n’importe quel autre produit des labosc ou pour les deux azis que les assistants mettaient au monde de l’autre côté de la salle. Dans le cas présent, et malgré l’expérience acquise pendant qu’elle « élevait » sa fille et s’occupait des étudiants placés sous son autorité, les résultats dépendraient de la façon dont elle suivrait le programme établi. Pour le bien de l’enfant. Ari Emory lui avait inspiré du respectet si elle ne se montrait pas à la hauteur elle verrait sa réputation s’envoler en fumée. À cent trente-deux ans. Rien ne l’irritait autant que les erreurs, le manque de rigueur et les pensées brouillonnes.

Il lui était toujours pénible de regarder Julia et de voir ce qu’elle était devenue – une jeune femme incapable d’effectuer correctement son travail, trop faible avec sa propre fille dont elle passait tous les caprices, satisfaite de vivre aux crochets d’un interminable chapelet d’amants – et de savoir qu’elle en portait la responsabilité au même titre que ses gènes. Mais la négligence et l’agressivité dont elle reconnaissait à présent avoir fait preuve envers Julia avaient joué un rôle nécessaire et essentiel pour façonner la personnalité d’Ari. Pychsets et génétique à l’ouvrage.

Mauvaise gosse et bonne mère, peut-être. Et vice versa.

Une sacrée donne de Dame Nature.

2

– Ils sont tous en parfaite santé, déclara Petros Ivanov.

– C’est formidable. Absolument formidable.

Denys prit une bouchée de poisson, puis une autre. Ils déjeunaient en privé dans la salle à manger directoriale, dont les rideaux avaient été ouverts sur les baies panoramiques hermétiques. Les météorisateurs leur donnaient de la pluie, comme prévu. C’était une forte averse et l’eau ruisselait le long des vitres. Le beau temps reviendrait dans un jour, à quelque chose près.

– Je ne peux plus supporter mon frère. Savez-vous ce qu’il s’est permis de me dire avant de s’empresser de regagner la capitale ? « Ne t’inquiète pas, tout se passera bien. » Et vous croyez qu’il aurait appelé pour avoir des nouvelles ?

– Tout correspond au profil idéal, pour l’instant. Les azis sont normaux. Leur formation a déjà débuté.

– Celle d’Ari également.

– Strassen râle, à cause de la nourrice en chef.

– Ce n’est pas une nouveauté.

– Elle la trouve inflexible et estime que les membres de son équipe sont mal à l’aise en sa présence.

–  Une azie inflexible !C’est la preuve qu’elle suit nos instructions à la lettre. Jane est en colère parce que de nouveaux membres du personnel se sont installés chez elle. Ça lui passera.

Il se resservit du café.

– Mais son azi nous pose un problème. Ollie est plus jeune et moins docile que la pauvre loque qu’Olga avait à son service, mais Jane vient de marquer un point en faisant remarquer qu’il ne pourra pas résister à son tempérament si nous utilisons une bande pour adoucir son caractère. Elle réussira à modérer son agressivité avec la gosse, mais pas avec son azi. N’importe quel enfant peut capter la tension de son entourage depuis son berceau, et si la seconde Ari a hérité de la sensibilité de la première, Dieu seul pourrait dire ce qui en résultera. Alors, que décidez-vous ?

Petros sourit.

– Passer une bande à Jane ?

Denys grogna et but une gorgée de café.

– J’avoue que c’est tentant. Mais non. Jane est une professionnelle. Elle a conscience de ce qui est en jeu. Nous avons conclu un pacte. Nous laissons Ollie tranquille et elle se charge de lui apprendre à tenir son nouveau rôle. J’estime qu’un azi capable de rendre cette femme heureuse devrait pouvoir réaliser n’importe quoi.

Des rires.

Il était fou de rage contre Giraud. Son frère aurait pu le décharger d’une grande partie de ses soucis, mais il s’empressait de filer dans la capitale dès que la situation s’annonçait délicate.

Tu as carte blanche, lui avait-il dit. L’administrateur, c’est toi. Et bienvenue à bord.

Il venait de consacrer près d’une année à feuilleter les notes laissées par Ari, cette petite partie des archives à laquelle les techs pouvaient accéder. Trois semaines avaient été nécessaires aux ordinateurs de la banque de données de Reseune pour compiler la masse initiale de renseignements sur Ari. Il se félicitait qu’Olga eût tout classé sous des références et selon un ordre chronologique. Il fallait non seulement chercher les bandes se rapportant à Ari mais aussi celles de ses deux azis : des prototypes uniques en leur genre. Les fichiers étaient remisés dans un tunnel creusé sous les collines, et ils devaient à présent en ouvrir trois autres pour la simple raison que le volume de stockage de cet immense souterrain était insuffisant et qu’il grouillait de techs chargés de trier les bandes afin de pouvoir en archiver un plus grand nombre dans la Maison elle-même.

Et ce flot de nouvelles données s’apparenterait à un véritable raz de marée. Un de ces tunnels recevrait les enregistrements, dont les logiciels de certains programmes ébauchés par Ari et qu’il faudrait terminer avant que le bébé eût appris à parler.

Reseune concentrerait ses efforts sur le projet lui-même et sous-traiterait la production d’azis afin d’alléger le travail du personnel. De telles mesures auraient provoqué une crise économique catastrophique, si les militaires n’avaient pas financé en partie les annexes de Lointaine et de Planys : des sommes qui avaient permis d’acheter des cuves et des ordinateurs, d’augmenter la production etde forer ces tunnels. Jordan Warrick se faisait oublier. Il se chargeait d’organiser l’installation de l’annexe de Planys et le fait d’avoir à nouveau des responsabilités le rendait plus heureux qu’il ne l’avait été depuis la mort d’Ari. Tous s’estimaient comblés, y compris la Défense. Ils devaient se passer des services de Robert Carnath, nommé à la tête des labos de Planys : cet homme ne faisait pas partie des amis de Warrick et était assez habile pour ne pas lui céder une partie de ses pouvoirs. Une autre équipe était partie à Lointaine et ils perdraient encore des collaborateurs qualifiés quand le projet Rubin serait lancé sur cette station. Si certains avaient autrefois estimé que la main-d’œuvre était pléthorique à Reseune, ils devaient à présent acheter des contrats d’azis à des sous-traitants tels que Bucherlabs et Fermedevie, placer tous les azis de plus de quarante ans sous réjuv et employer les bandes de réadaptation. Quinze baraquements étaient déserts, en bas dans la Ville, et ils venaient de signer avec la Défense un accord de rachat portant sur des azis proches de la retraite. Les militaires n’auraient pas à payer leur rééducation et leurs pensions, et les principaux intéressés seraient ravis d’obtenir des postes à la RESEUNAIR, la production, et partout ailleurs où un azi sans autre perspective qu’un transfert dans un centre de travail gouvernemental lugubre pourrait combler un vide et penser à son avenir plutôt qu’à son passé. Cette mesure permettrait à Reseune de disposer instantanément de main-d’œuvre qualifiée et disciplinée, consciente des impératifs de sécurité. Il en résulterait des erreurs et des frictions, mais pasdans ce qui se rapportait de près ou de loin au Projet, auquel ne participeraient que des gens connus et où les meilleurs chercheurs pourraient se consacrer à leurs travaux.

Le rachat des azis aux militaires les tirait d’embarras et Denys était fier de pouvoir s’en accorder tout le mérite. Ce n’était pas une mince affaire, que de multiplier un projet conçu à l’origine pour un seul sujetc par quatre, en comptant Rubin et les deux azis. Et pour concilier objectifs, budget et discrétion. Giraud se chargeait de ce dernier impératif et laissait à son frère le soin de s’occuper de tout le reste.

– La situation ne va pas s’arranger, déclara Denys à Petros. Nous devrons mettre les bouchées doubles, si nous voulons que cette gosse corresponde au profil désiré. Si quelqu’un fait la moindre erreur, je veux en être informé. Si elle pleurniche et que ce n’était pas prévu, j’exige d’être immédiatement tenu au courant. Rien n’est secondaire, tant que nous n’aurons pas assez de résultats pour effectuer des comparaisons valables.


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