Текст книги "Cyteen, vol. 1 "
Автор книги: C. J. Cherryh
Жанр:
Научная фантастика
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Il ne lui restait plus qu’à aller l’informer de son initiative.
– Tu as fait quoi ?
Ce cri s’élevait de ses entrailles, et il encaissa un second choc car Grant réagissait comme s’il venait de le frapper.
Il en avait le souffle coupé. Il eût été mal placé pour adresser des reproches à Grant. Il connaissait suffisamment les azis pour savoir que si son ami avait pris une telle initiative c’était parce que sa propre conduite le contraignait à assumer un rôle de protecteur. Il n’avait pas su interpréter les signes avant-coureurs, la pire des erreurs que pouvait commettre un superviseur d’Alpha, après lui avoir fait partager ses soucis – Dieu lui pardonne – chaque fois qu’il avait eu besoin d’un peu de réconfort.
Et si son ami venait de se comporter en azi, il en portait l’entière responsabilité. Nul autre que lui n’était à blâmer.
Il se pencha pour prendre Grant par l’épaule. Il tentait de se calmer, mais il se sentait saturé d’adrénaline et avait des difficultés à respirer : une réaction naturelle, compte tenu des torts causés à Grant et du danger auquel la démarche de ce dernier l’eût à jamais condamné.
Ce n’était pas la faute de son ami. Cet incident eût d’ailleurs été sans gravité s’il n’avait pas risqué d’attirer l’attention de Giraud sur l’azi. Il lui fallait retourner voir Yanni et tenter de redresser la situation, avec calme. Son émotivité risquait en effet d’achever le travail.
Il eût aimé s’isoler un moment pour réordonner ses pensées, mais il n’osait le faire de crainte que Grant ne pût découvrir à quel point il était bouleversé.
– Yanni est resté très calme, précisa l’azi, craintif. Il ne s’est pas mis en colère. L’entrevue ne s’est pas passée comme tu l’imagines. Il a accepté de réduire ton travail.
– Je suis certain que tu t’en es très bien tiré, et je réussirai à rattraper le coup. Ne t’en fais pas.
– Justin ?
Il découvrait de la souffrance, dans la voix de Grant. C’était sa faute. Tout comme cette crise.
– Yanni va m’étriper, s’il croit que je t’ai chargé d’aller le voir. Il le devrait. Tu ne dois plus t’occuper de moi, Grant. Je me porte très bien. Ne t’inquiète pas.
– Arrête, bordel !
L’azi l’empoigna et le fit pivoter vers lui.
– Et ne joue pas au superviseur avec moi ! J’étais conscient de mes actes.
Justin se contenta de le fixer, sous le choc.
– Je ne suis pas un annie abruti, Justin. Frappe-moi, si ça peut te défouler, mais arrête de me jouer cette comédie ridicule.
De la colère. Non contenue. Il en avait le souffle coupé. Un secours, quand il n’en attendait plus. Il tremblait. Grant lui lâcha le bras et caressa sa joue.
– Seigneur, Justin, à quoi penses-tu ?
– Que je t’ai imposé trop de contraintes.
– Non. C’est à toi qu’on a imposé trop de choses. Je l’ai dit à Yanni. Je ne suis pas un robot, j’ai conscience des conséquences possibles de mes actes. Qu’as-tu fait, pendant toutes ces dernières années ? J’ai travaillé avec toi. M’assimilerais-tu à un de ces cas psych dont tu dois rafistoler les bandes ? Qu’est-ce que je suis, pour toi ?
Un azi était la réponse évidente. Son ami le mettait au défi de le dire à haute voix. Il sentit une onde glacée se répandre à l’intérieur de son être.
– Un annie abruti ?
– Arrête !
– Alors ?
– Peut-êtrec
Il prit une inspiration et se détourna.
– C’est peut-être de l’orgueil. Il est possible qu’on m’ait appris à croire que tu étais le plus vulnérable. Et voilà que je deviens une véritable épave, et que je dois m’appuyer sur toi. Comment veux-tu que je n’éprouve pas un sentiment de culpabilité ?
– Ce sont des pressions différentes. Celle que je subis ne peut venir que de toi. L’ignorerais-tu, homme-né ?
– Il ne fait aucun doute que c’est moi qui t’ai poussé à aller voir Yanni.
– Donne-moi une chance, l’ami. Je ne suis pas un robot. Ce que je ressens peut avoir une origine artificielle, mais c’est sacrément réel. Si tu veux m’engueuler, ne t’en prive surtout pas. Mais ne me débite pas ce boniment de superviseur.
– Il faudrait pour cela que tu ne te comportes pas comme un foutu azi !
Il ne pouvait croire qu’il venait de tenir ces propos. Il restait figé, paralysé par le choc. Grant également, de l’autre côté du mur de silence.
– N’en suis-je pas un ? Mais cela ne m’inspire aucun sentiment de culpabilité. Et à toi ?
– Je suis désolé.
– Non, continue. Traite-moi de foutu azi autant que tu le souhaites. Je préfère entendre ça plutôt que de voir la rage te ronger. Soit tu travailles jusqu’au moment où l’épuisement te terrasse, soit tu te morfonds. Te confier l’étude d’un psychset aberrant supplémentaire te ferait perdre les pédales. Alors insulte-moi, si ça te soulage. Je suis heureux de constater que tu as encore des réflexes d’autodéfense. Il serait presque temps que tu t’en serves.
– Pas de psych, bon Dieu !
– Désolé, mais c’est plus fort que moi. Et je remercie le Ciel de n’avoir à me préoccuper que d’un seul homme-né. Un de plus, et il faudrait m’expédier chez les dingues. De foutus hommes-nés, eux aussi. Ils ne cessent de s’attirer des ennuis. Tu avais raison, pour Yanni. Il se comporte de façon acceptable, avec les azis. C’est sur ses semblables qu’il crache son fiel, tout ce qu’il a emmagasiné au fond de son être. Le tout est de savoir s’il ne m’a pas menti. Détends-toi et écoute-moi. Il n’ignore rien de tes difficultés à travailler en temps réel. J’ai fait remarquer que tes talents seraient gaspillés dans le cadre du projet Rubin et que s’il voulait que tu sois motivé il avait intérêt à te permettre d’effectuer des recherches personnelles à tes moments perdus. Ils te doivent bien ça. Je ne crois pas m’être montré trop exigeant.
Justin sursauta. Les écoutes, pensa-t-il. Et il essaya de se rappeler la teneur exacte de leurs propos. Il adressa un signe de prudence à son ami, qui hocha la tête.
– Je regrette.
Et, alors qu’il eût aimé aller se dissimuler dans un recoin obscur, Grant avait une assurance et une dignité qui lui faisaient cruellement défaut.
– Grant, jec je me contente de réagir quand les événements se produisent. Pensée-flux. Tu dois comprendre.
– Non, je ne comprends pas. Je m’interroge. Le nombre de niveaux où tes réactions se produisent est sidérant. Le nombre de choses contradictoires que tu peux admettre simultanément est quant à lui inconcevable. Tout cela me dépasse. Même si je consacrais des journées entières à étudier ton psych, je passerais à côté des nuances.
– C’est pourtant très simple. Je suis mort de peur. Je croyais savoir quelle place occupait chaque chose et voilà que tu fais une démarche à laquelle je ne m’attendais pas. Toutes les valeurs viennent d’être inversées. Les hommes-nés sont logiques.
– Seigneur, que la vie serait morne sans eux ! Je me demande à présent dans quel camp se trouvait Yanni. C’est suffisant pour me donner des frissons.
– Était-il calme ?
– Très.
– Alors, tu as eu droit à son grand numéro.
– Nous devons apprendre à ne pas vous exciter. C’est une chose qu’ils devraient inclure dans nos bandes-globales. « Au-delà d’un certain seuil de tension nerveuse les hommes-nés passent sur des ensembles de programmation différents. Ils deviennent tous schizo et leurs alter ego leur inspirent de la haine. » C’est la clé de votre conduite.
– Tu n’es pas loin de la vérité.
– Bordel ! Il y a désormais des années que j’ai droit à une éducation endocrinienne. Je m’avoue surpris. Je n’y suis pas allé par quatre chemins. Opinions doubles et triples, le grand jeu. Je dois dire que je préfère mon psychset de base. Mon psychset nature, merci. Lui, au moins, il ménage mon estomac. À propos d’estomac, on sort déjeuner ?
Il regarda son ami : Grant avec ses protections à nouveau dressées, son petit sourire moqueur qui défiait le destin, l’univers et l’administration de Reseune. Pendant un instant, il fut à la fois soulagé et terrifié.
Il lui semblait que tout ce qu’il avait perdu cessait de s’éloigner, hésitait, envisageait de lui revenir.
– Bien sûr, bien sûr.
Il prit Grant par le bras et le guida vers la porte.
– Si tu as pu obtenir quelque chose de Yanni Schwartz, tu devrais envisager de te reconvertir. Il est probable que tous les membres de sa section feront appel à tes services.
– Hon-hon. Non. J’ai un emploi stable, merci.
Les passants les regardaient. Il lâcha son ami, conscient que la moitié des résidents de ce niveau avaient dû l’entendre crier. Ils cherchaient à découvrir quel avait été l’impact destructeur d’un tel comportement sur Grant.
Ils faisaient déjà l’objet d’une multitude de rumeurs, pour une foule de raisons, et il venait d’en faire naître une nouvelle.
Qui ne tarderait guère à parvenir jusqu’aux oreilles de Yanni.
8
Il y avait toujours des nouveautés. Nelly l’emmena au magasin de la galerie nord et elles revinrent avec les bras chargés de paquets. C’était amusant. Ari fit aussi des achats pour l’azie, qui en fut tellement heureuse que la fillette se sentit transportée de joie en la voyant si jolie et si fière dans son nouvel ensemble.
Mais Nelly n’était pas maman. Ari aimait bien rester dans ses bras, mais Nelly n’était que Nelly, rien d’autre. Une nuit, elle se sentit toute « vide » quand l’azie lui manifesta ainsi son attachement. Elle ne dit rien, parce que Nelly lui racontait une histoire, mais ensuite elle ne put plus supporter ces manifestations de tendresse ; parce qu’elle n’était pas sa maman. Elle se dégageait et allait s’asseoir sur le sol, pour écouter la suite, et Nelly n’en semblait pas froissée pour autant.
Quant à Seely, c’était personne. Il lui arrivait de le taquiner, mais il ne riait jamais. Cela l’exaspérait et elle faisait comme s’il n’existait pas, sauf quand elle voulait une boisson ou un biscuit. Il lui en donnait bien plus que maman ne l’eût accepté, alors elle était bien sage et n’en redemandait pas. Elle mangeait même des légumes et évitait les sucreries. Maman lui avait dit que les confiseries n’étaient pas bonnes pour sa santé. Et elle se répétait tous ces conseils, parce que les oublier aurait été un peu comme oublier maman. Elle se servait donc de ces maudits légumes, quitte à avoir une boule dans la gorge quand c’étaient ceux qui avaient un goût affreux et qui baignaient dans ce machin crémeux. Beurk. Ça lui donnait envie de rendre. Mais elle en mangeait pour maman, ce qui la rendait à la fois si triste et si en colère qu’elle en avait les larmes aux yeux.
Pour pleurer, elle aillait se réfugier dans sa chambre et fermait la porte. Avant d’en ressortir, elle prenait soin de se laver la figure. Elle ne voulait pas qu’on puisse la prendre pour une pleurnicharde.
Elle désirait jouer, mais pas avec Sam. Il la connaissait trop bien. Et il savait, pour sa maman. Elle lui eût tapé dessus, s’il l’avait regardée en tournant vers elle son visage dont les traits ne traduisaient jamais la moindre émotion.
Et quand Nelly lui demandait si elle voulait retourner à la garderie, elle n’acceptait que si Sam n’y était pas.
– J’ignore qui est allé là-bas, aujourd’hui, répondait Nelly.
– Alors, je préfère rester toute seule. On va faire un saut au gym. D’accord ?
Et l’azie l’emmenait. Au passage, elle donnait à manger aux poissons et jouait dans le bac à sable. Mais tracer des routes n’était pas amusant, sans Sam pour faire rouler des camions dessus, et Nelly ne savait pas construire des châteaux de sable. Alors elle se contentait de nourrir les habitants de la mare, de se promener, et de courir sur le terrain de jeu et dans le gym.
Elle consacrait de plus en plus de temps aux bandétudes, en compagnie d’enfants bien plus grands qu’elle. Elle apprenait des choses. Le soir, quand elle s’allongeait dans son lit, sa tête était si pleine qu’il n’y restait presque plus de place pour maman et Ollie.
Oncle Denys avait eu raison. C’était un peu plus facile chaque jour. Et cela la terrifiait, car moins elle en souffrait, plus il lui était difficile d’entretenir sa colère. Alors elle mordait sa lèvre au point d’en avoir mal, pour que rien ne pût changer.
Il y eut une fête des enfants. Elle y vit Amy, qui courut se réfugier derrière sera Peterson et se comporta comme un vrai bébé. Elle se rappelait pourquoi elle avait frappé cette peste. Les autres gosses se contentaient de la fixer et sera Peterson leur ordonna de jouer avec elle.
Cela ne leur fit pas plaisir, ça se voyait. Il y avait Kate, Tommy, un garçon qui s’appelait Pat, et Amy, qui pleurnichait et reniflait toujours dans son coin. Sam était là, lui aussi. Il sortit du groupe pour lui dire :
– Bonjour, Ari.
Il semblait être le seul à se sentir heureux de la voir. Elle lui répondit :
– Bonjour, Sam.
Et eut envie de rentrer chez elle.
Mais Nelly était allée dans la cuisine et prenait le thé avec l’azie de sera Peterson. Elle devait passer un moment agréable.
Ari s’avança et s’assit pour jouer avec les enfants. Ils lançaient des dés et déplaçaient des pions sur le pourtour d’un plateau qui représentait l’espace de l’Union. On recevait de l’argent. Parfait. Elle fit comme les autres et tous – à l’exception d’Amy – se remirent bientôt à discuter, rire et plaisanter. Sauf qu’ils se taquinaient entre eux. Ils faisaient bande à part, mais ça lui était égal. Elle assimila très vite la règle du jeu et commença à recevoir des crédits. Sam avait de la chance quand il lançait les dés, mais il n’osait pas dépenser son argent ; tout le contraire de Tommy qui prenait trop de risques.
– Je vends une station, annonça-t-elle.
Amy se ruina presque pour l’acheter puis augmenta ses tarifs. Ari réduisit les siens. La station en question était quoi qu’il en soit située à la bordure de l’espace de l’Union. Ari continua de s’enrichir, ce qui eut le don d’irriter Amy. Elle voulut revendre la station mais sa proposition n’intéressa pas les autres joueurs, à l’exception d’Ari qui lui proposa de la reprendre à moitié prix.
Amy accepta à contrecœur et employa la somme pour acheter des vaisseaux. Ari augmenta ses tarifs.
Amy pleurnichait à nouveau. Elle eut bientôt d’autres problèmes, car Ari utilisait son argent pour acquérir des cargos et faire des stocks de tout ce dont elle pouvait avoir besoin. Et cette idiote s’obstinait à apponter dans sa station plutôt que d’aller dans celle de Tommy. Amy cherchait la bagarre. Elle la trouva. Mais Ari ne désirait pas la ruiner tout de suite, elle ne souhaitait pas voir la partie se terminer trop vite. Elle lui donna même quelques conseils.
Amy le prit très mal et se morfondit de plus belle.
Et elle fit tout le contraire de ce qu’Ari venait de lui suggérer.
Ari lui prit tous ses vaisseaux, à l’exception d’un seul. Elle attendit encore, puis s’empara de son dernier cargo. Elle avait à présent la victoire à sa portée, mais tous étaient grognons et ne taquinaient plus qu’Amy, qui quitta la table en pleurant.
Ensuite, ils ne dirent plus rien. Ils regardaient Amy qui restait dans son coin. Ils la fixaient et semblaient regretter de ne pas être ailleurs.
Ari avait la victoire à sa portée mais Sam ne s’en était pas rendu compte. Alors elle lui dit :
– Tu peux prendre ma place.
Et elle alla rejoindre Nelly dans la cuisine, pour lui annoncer qu’elle voulait rentrer à la maison. L’azie en parut ennuyée, mais elle prit congé de Corrie et la raccompagna.
Ari bouda tout le reste de la journée, solitaire et en colère. Ce qui était parfait. Elle pensa à maman. Ollie lui manquait. Et même Phaedra.
Il lui vint à l’esprit que si Valery avait été là il n’aurait pas été aussi bête que les autres.
Ce soir-là, oncle Denys lui demanda avec beaucoup de douceur :
– Que s’est-il passé ? Ari, ma chérie, que s’est-il passé au cours de cette fête ? Qu’ont-ils fait ?
Elle devait veiller à mesurer ses paroles, faute de quoi ils risquaient tous de Disparaître. Peut-être s’en iraient-ils même si elle ne disait rien. Elle n’aurait pu se prononcer. Une chose était malgré tout certaine : ces deux idiotes d’Amy et de Kate étaient toujours là.
– Où est Valery, oncle Denys ?
– Valery Schwartz ? Sa maman a été transférée. Ils ont déménagé, c’est tout. Tu te souviens encore de lui ?
– Il reviendra ?
– Je ne sais pas, ma chérie. Mais j’en doute. Sa maman a un travail à faire. Pourquoi n’es-tu pas restée à cette fête, aujourd’hui ?
– Je m’ennuyais. Ils ne sont pas amusants du tout. Et où sont allés maman et Ollie ? Dans quelle station ?
– Lointaine.
– Je vais leur écrire.
Elle avait vu du courrier, sur le bureau de maman. Cette solution ne lui était pas venue à l’esprit, mais si elle envoyait une lettre elle arriverait sur le nouveau bureau de maman, dans cet autre endroit. À Lointaine.
– Entendu. Je suis sûr qu’ils en seront ravis.
Il lui arrivait de penser que maman et Ollie ne se trouvaient en fait nulle part. Mais oncle Denys parlait d’eux comme s’ils étaient là-bas, et qu’ils allaient très bien. Cela la soulageait mais l’incitait à se demander pourquoi maman ne lui téléphonait pas.
– Peut-on téléphoner à Lointaine ?
– Non. Un vaisseau est plus rapide et les lettres qu’il transporte arrivent plus vite à destination. En quelques mois, et non en quelques années.
– Pourquoi ?
– Tu dis « Bonjour » et le signal met vingt ans pour traverser l’espace. On te répond « Bonjour » et tu dois attendre aussi longtemps pour entendre ce mot. Ensuite tu dis ta première phrase et c’est reparti pour vingt ans. Une conversation durerait des siècles. Voilà pourquoi on communique par écrit, sans jamais utiliser le téléphone ou la radio entre les systèmes stellaires. Les vaisseaux transportent tout parce qu’ils voyagent plus vite que la lumière. Il existe encore d’autres raisons, qu’il serait inutile de t’énumérer pour te permettre d’adresser un message à ta maman. Il te suffit de savoir qu’elle est très loin d’ici et que tu ne peux communiquer avec elle que par courrier.
Elle n’avait jamais pu se représenter les distances qui séparaient les étoiles. Pas quand on pouvait faire sauter les vaisseaux de l’une à l’autre sur un plateau où l’espace était représenté. Elle frissonna et ce fut eh souffrant de solitude qu’elle gagna sa chambre pour écrire cette lettre.
Elle dut recommencer plusieurs fois, parce qu’elle craignait que maman pût la croire malheureuse et s’inquiéter pour elle. Elle ne devait pas écrire : Les autres enfants ne m’aiment pas et je reste toujours toute seule.
Elle opta pour : Tu me manques beaucoup. Ollie aussi. Je ne suis plus en colère contre Phaedra. Je veux que tu reviennes avec Ollie. Et avec Phaedra. Je promets d’être bien sage. Oncle Denys me donne beaucoup de biscuits, mais je me rappelle ce que tu disais et je rien mange pas trop. Je ne veux pas devenir grosse comme lui, mais je ne veux pas non plus me priver. Nelly est très gentille et quand oncle Denys me donne sa carte de crédit je lui achète des tas de choses. À moi aussi : un vaisseau spatial, une voiture, des puzzles et des bandes ludiques, un chemisier rouge et blanc avec des bottes rouges. Je voulais m’habiller en noir, mais elle dit que je dois laisser le noir aux azis tant que je ne serai pas vieille. Les petits filles mettent des habits aux couleurs plus gaies. J’aurais pu l’acheter quand même, mais j’obéis souvent à Nelly. J’écoute tout le monde. Aujourd’hui, j’ai rencontré Amy Carnath et je ne lui ai pas donné un seul coup de pied. Elle pleurniche toujours autant. J’étudie beaucoup de bandes. Je fais des maths et de la chimie, de la géographie et de l’astrographie, et maintenant que je sais où vous êtes je vais m’intéresser à Lointaine. Est-ce qu’il y a des enfants, là-bas ? Est-ce que c’est joli ? Dites à oncle Denys que je peux aller vous rejoindre. Ou alors revenez. Je te promets d’être bien gentille. Je t’aime très fort. Et Ollie aussi. Je vais donner cette lettre à oncle Denys, pour qu’il te l’envoie. Il dit qu’elle mettra très longtemps pour te parvenir, et que ce sera la même chose pour ta réponse, alors écris-moi vite. Je pense devoir attendre près d’un an. J’en aurai huit, quand je la recevrai. Et si tu dis à Denys de m’envoyer te rejoindre, j’aurai presque neuf ans quand je vous reverrai. Dis-lui que je peux emmener Nelly avec moi. Je sais qu’elle aura un peu peur, mais je serai là pour la rassurer. Moi, je ne suis pas effrayée par les sauts et l’espace. Je fais un tas de choses toute seule, maintenant. Oncle Denys sera d’accord. Je sais qu’il me laissera partir, si c’est toi qui le demandes. Ton Ari qui t’aime très très fort.
9
Florian serait une fois de plus en retard. Pour gagner un peu de temps, il coupa entre le 240 et le 241 et esquiva deux groupes de plus grands, recula d’un pas et inclina la tête pour murmurer :
– Excusez-moi, merci.
Puis il tourna sur ses talons et traversa la route au pas de course avant de grimper vers les services de sécurité.
– Je suis désolé, déclara-t-il quand il se présenta à la réception du carré un.
Tout en essayant de reprendre haleine, il tendit le mot au garde. L’homme y jeta un coup d’œil puis le glissa dans sa machine.
– De bleu à blanc à marron, dit-il. Une fois là, tu te changeras et on te donnera des instructions.
– Merci.
Il regarda dans la direction que lui désignait son interlocuteur. La zone bleue débutait derrière la porte et il se dirigea vers elle, sans courir mais d’un pas rapide.
Il était conscient de ne pas avoir rattrapé son retard, lorsqu’il atteignit la section brune où un azi l’attendait.
– Veuillez m’excuser. Je suis Florian AF-9979.
L’homme le jaugea du regard et lui dit :
– Taille 6M, dans les placards muraux. Va te changer. Vite.
– Oui, dit-il.
Il entra dans le vestiaire, trouva les 6M et prit une veste en plastique qu’il jeta sur un banc tout en se dépouillant de ses effets. Après avoir enfilé l’uniforme noir, il s’assit pour retirer ses chaussettes et mettre des chaussons. Finalement, il suspendit ses vêtements de l’AG aux patères, à côté de tenues de toutes tailles et couleurs. Sa nervosité était telle qu’il faillit oublier sa nouvelle carte, mais il pensa au dernier moment à la récupérer et à l’accrocher à la poche de poitrine de sa chemise noire, avant de passer la main dans ses cheveux et de ressortir sans perdre de temps.
– Au bout du couloir, dit l’azi. Marron à vert. Cours !
Il courut, et suivit les passages jusqu’à une porte signalée par un carré vert sur fond marron. Il la franchit et se précipita dans un gym où il y avait un homme et un autre enfant tout de noir vêtu, comme lui. Une fille.Et Andy. Ce fut pour lui un choc. Il reporta son attention sur l’adulte et s’inclina avec déférence.
– Veuillez excuser mon retard, ser.
Le super lui adressa un regard sévère, juste assez prolongé pour l’intimider. Florian n’osait pas poser les yeux sur la fille. Il était désormais certain qu’elle se trouvait ici pour la même raison que lui : rencontrer son partenaire.
Le super inscrivit quelque chose sur un bloc-notes et déclara :
– Florian, voici Catlin. Catlin, voilà ton coéquipier.
Il se tourna vers elle, pendant que son cœur s’emballait. Une méprise. Ça ne faisait aucun doute. On lui avait dit qu’il changerait de lit et il s’était imaginé qu’il dormirait dans la chambrée de son partenaire. Mais c’était une fille. Une erreur. Il se demandait à présent où il irait passer la nuit.
Il ne voulait pas de cette nouvelle affectation, bien que sa super lui eût affirmé qu’il pourrait revenir à l’AG pendant ses loisirs.
Et à présent la fille le décontenançait. Elle étaitc
Blonde ; avec de larges yeux bleus et une petite cicatrice au menton ; plus grande que lui, ce qui n’avait rien d’extraordinaire. Elle possédait un visage étroit, à l’expression sévère. Il lui semblait l’avoir déjà vue. Elle le fixait, comme on ne devait pas dévisager les gens. Et il prit conscience d’en faire autant.
– Tu connais le chemin, Catlin. Emmène Florian au relais. Un super vous y attend.
– Oui, ser, fit-elle.
Et Florian faillit demander à l’homme de vérifier s’il n’y avait pas une erreur. Mais il était arrivé en retard, ce qui constituait un très mauvais départ, et il ne comprenait pas les raisons de sa panique. Catlin s’éloignait déjà vers l’extrémité du gym : la paroi à laquelle étaient suspendus les tapis. Il la rattrapa à l’instant où elle utilisait sa carte. Elle lui tint la porte puis le précéda dans un corridor de béton interminable.
Ensuite, ils descendirent un escalier et suivirent un autre passage.
– Je vais changer de lit ? se décida-t-il à demander.
Il marchait derrière Catlin, qui tourna la tête. Il revint à sa hauteur dans un couloir, au bas d’une nouvelle volée de marches.
– Chambrée 22. Comme moi. Nous sommes transférés chez les plus grands. Tous les équipiers dorment ensemble, deux par deux.
Il en fut choqué. Mais elle semblait trouver cela normal et n’en paraissait pas troublée le moins du monde. Il se contenta de la suivre et se demanda une fois de plus si les ordinateurs n’avaient pas fait une erreur et s’il n’aurait pas dû recevoir une bande explicative. Il le demanderait au super.
Ils arrivèrent à destination. Catlin utilisa sa carte et ils entrèrent dans un bureau où un CIT les attendait.
– Catlin et Florian, ser, dit-elle.
– En retard.
– Oui, ser.
– C’est ma faute, précisa Florian. Serc
– Pas d’excuses. Vous êtes affectés à la sécurité. Allez au relais et prenez tout ce qui vous semble utile. N’oubliez rien. Vous disposerez d’un quart d’heure pour vous équiper et vous aurez la soirée pour tout préparer. Vous traverserez une Pièce demain matin. Un parcours de soixante minutes. Vous êtes autorisés à en discuter au préalable. Rompez.
– Jec Ser, je dois aller nourrir les cochons. Jec Est-ce qu’il n’était pas prévu que je reçoive une bande ?
Le super le fixa droit dans les yeux.
– Florian, tu pourras te rendre à l’AG à tes moments de loisir, mais tu fais désormais partie de la sécurité. Vous aurez droit à quatre heures de rec pour chaque traversée réussie. Il n’existe pas de bande de préparation à ce genre d’exercices. Lever à 5 heures, entraînement à 5 h 30, petit déjeuner à 6 h 30. Et ensuite bande, Pièce, ou rec en fonction de l’emploi du temps. Vous déjeunez quand vous avez terminé. Dîner à 20 heures et extinction des feux à 23 heures. En cas de problèmes, adresse-toi à ton instructeur. Catlin est au courant. Demande-lui.
– Oui, ser.
Et Andy ? Et les cochons ?pensa Florian. Ils m’ont pourtant dit que je pourrais continuer d’aller à l’AG.Mais parce que le super venait de lui fournir une réponse et qu’il craignait que ce ne fût effectivement sa nouvelle affectation, il se hâta de rattraper Catlin.
Ils entrèrent dans un relais semblable à ceux où il s’était jusqu’alors équipé. Son ancien super l’avait averti qu’il lui faudrait traverser des Pièces plus ou moins comparables à celles qu’il connaissait, et qu’il ferait ensuite plus partie de la sécurité que de l’AG.
Mais quelque chose clochait. Il dormirait à côté d’une fille. Il était en un lieu étranger. Il commettrait sans doute de nombreuses erreurs. Si les supers étaient censés ne jamais refuser un entretien avec un azi, celui qu’ils venaient de rencontrer l’effrayait un peu et il avait pris un très mauvais départ.
Ne serait-ce qu’en arrivant en retard, pour commencer.
Il pénétra dans le relais derrière Catlin. Il avait conscience que la Pièce serait très difficile à traverser et ne fut guère surpris de voir sur la table des pistolets et des couteaux, en plus des outils. Il n’osait même pas les toucher, et il sentit quelque chose de très bizarre se produire dans son ventre quand la fille prit une arme à feu. Il opta quant à lui pour des pinces et un testeur de circuits. Pendant que Catlin enroulait une longueur de corde, il fit son choix dans un plateau de composants et fourra ceux qui pourraient lui servir dans ses poches, par catégories.
– Électronique ? demanda-t-elle.
– Oui. Militaire ?
– Sécurité. Tu as l’habitude des armes ?
– Non.
– Alors, il est préférable que tu n’en prennes pas. Tes Pièces, c’était quel genre ?
– Pièges. Alarmes.
Les sourcils blonds de la fille s’incurvèrent. Elle hocha la tête et son expression devint plus amicale.
– Embuscades. Il y a presque toujours un Ennemi qui nous guette. Il peut nous tuer.
– Les pièges aussi.
– Tu te débrouilles comment ?
– Pas mal, je pense.
Il la regardait à nouveau. Ses traits l’intriguaient depuis leur rencontre. Il avait l’impression de la connaître, au même titre que tout ce qu’enseignaient les bandes. Elle semblait elle aussi se souvenir de lui, à en juger par la façon dont elle l’étudiait. Cela ne le surprenait pas vraiment, il était accoutumé aux effets des bandes. Et si elle avait figuré dans ces dernières, il ne pouvait s’agir d’une erreur : on voulait qu’elle eût beaucoup d’importance à ses yeux. Il n’avait jamais imaginé que quelqu’un pourrait compter pour lui avant qu’il ne fût lié par contrat à un CIT.
Mais Catlin était une azie. Comme lui.
Et elle paraissait tout savoir sur cette affectation, alors qu’il était inexpérimenté et hésitant.
– J’ai l’impression que nous nous sommes déjà vus, avoua-t-il.
– Moi aussi.
Nul ne lui avait prêté attention à ce point, pas même Andy. Il en était ému.
– Pourquoi nous ont-ils réunis ?
– Je l’ignore. Mais je sais que tes connaissances en électronique nous seront utiles. Tu as traversé des Pièces d’un genre différent. Dis-moi tout ce que tu sais sur elles.
Il s’accorda un temps de réflexion afin d’ordonner ses idées et de ne rien oublier, comme en présence d’un super.
– On y entre et il y a une autre porte, et des pièges de toutes sortes. S’il y en a un qui se déclenche, on a perdu. On entend des bruits, ou la lumière s’éteint. Quand quelqu’un nous suit, il faut installer quelque chose à son intention. Il peut encore y avoir un verrou AI. Il faut faire bien attention avec les câblages électriques, quand il y a de l’eau. Mais c’est bidon, on ne risque pas d’être électrocuté.
– Se faire Avoir, c’est se faire Avoir. La mort est la mort. Ici, l’Ennemi peut piéger les portes et te tirer dessus, et si tu ne l’As pas le premier c’est toi qui y passes. On trouve les trucs dont tu parles, mais aussi des gaz, des embuscades. Parfois, on est à l’extérieur, d’autres fois dans un immeuble. Il arrive qu’il y ait des vrais morts. J’en ai vu un. Il s’était brisé le cou.
Il en fut bouleversé, avant de penser qu’il serait peut-être le suivant. Et ce fut en songeant aux portes piégées qu’il se munit d’une batterie, d’une bobine de fil électrique et d’une petite lampe-torche. Catlin lui tendit une écharpe noirec pour dissimuler son visage, précisa-t-elle. Elle prit encore une boîte de maquillage sombre et des objets qui devaient être des armes mais que Florian voyait pour la première fois.