Текст книги "Catherine et le temps d'aimer"
Автор книги: Жюльетта Бенцони
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– Tu ne crois pas si bien dire ! Il fallait bien que j'éteigne cette fureur qui s'emparait de moi chaque fois que je pensais à toi, que je t'imaginais entre les bras de Brézé, vivant auprès de Brézé, lui parlant, lui souriant, lui offrant tes lèvres... et le reste ! Un corps de femme ressemble à un flacon de vin : il peut dispenser un instant d'oubli...
– Les instants durent longtemps chez toi ! Il était peut-être d'autres moyens, plus dignes de toi, d'oublier ! jeta Catherine abandonnant toute prudence. Ne pou– vais-tu tenter de t'évader ?
Revenir à Montsalvy, chez toi, auprès des tiens ?
– Pour que tu sois reconnue bigame et condamnée au bûcher ? La jalousie m'aurait moins dévoré si je t'avais moins aimée... mais je ne voulais pas te voir mourir !
– Et puis surtout, coupa Catherine ignorant volontairement l'aveu d'amour, tu préférais continuer à oublier dans les délices de ce palais et dans les bras de ta maîtresse, oublier que tu étais, toi, un chevalier chrétien dans l'amour d'une infidèle et partager ton temps entre la chasse, le vin et l'amour... Ce n'était pas là ce que tu m'annonçais dans ta lettre. En vérité, si je n'avais rencontré Fortunat, j'aurais pu aller te chercher jusqu'en Terre Sainte, car, guéri ou toujours malade, je croyais que tu voulais chercher la mort au service de Dieu, à défaut du Roi !
– Me ferais-tu l'honneur de me reprocher d'être encore vivant ?
En vérité, ce serait un comble !
– Pourquoi n'as-tu pas cherché à t'enfuir ?
Je l'ai tenté mille fois... mais on ne s'évade pas d'Al Hamra ! Ce palais caché dans les roses et les orangers est mieux gardé que la plus sûre forteresse royale... chaque fleur cache un œil ou une oreille, chaque buisson un espion. D'ailleurs, puisque tu as rencontré Fortunat, il a dû te dire de quelle mission je l'avais chargé en l'aidant à nous fausser compagnie quand nous avons quitté Tolède...
– En effet : il m'a dit que tu l'avais envoyé vers ta mère pour lui annoncer ton heureuse guérison !
– ... et ma captivité dans Grenade. Il devait, discrètement puisque je te croyais remariée, lui apprendre la vérité, lui demander de se rendre auprès du connétable de Richemont et de lui confesser l'aventure, en l'implorant de la garder pour lui, sur son honneur de chevalier, ce qu'il aurait fait sans aucun doute, mais en lui demandant d'envoyer une délégation auprès du sultan de Grenade afin d'exiger que je sois mis à rançon et rendu à la liberté. Ensuite, j'aurais gagné la Terre Sainte ou les Etats du Pape sous un faux nom et personne n'aurait plus entendu parler de moi... mais, au moins, aurais-je pu poursuivre un destin digne de moi et digne de mon nom !
– Fortunat ne m'a rien dit de tout cela ! Tout ce qu'il a su faire a été de me cracher sa haine au visage et sa joie de te savoir enfin heureux entre les bras d'une princesse infidèle dont tu étais passionnément épris.
– L'imbécile ! Et, sachant cela, tu as continué tout de même ?
– Tu m'appartiens, comme je t'appartiens, quoi que tu puisses en penser. J'avais renoncé à tout pour toi, je n'allais pas renoncer à toi au bénéfice d'une autre...
– Ce qui a dû communiquer à tes étreintes avec le Calife un agréable sentiment de vengeance, n'est-ce pas ? lança Arnaud têtu.
– Peut-être ! admit Catherine. Mes scrupules s'en sont, en effet, trouvés amoindris car je te prie de croire que la route est longue entre l'hospice de Ronce vaux où j'ai vu Fortunat et cette maudite ville ! J'ai eu le temps de penser, moi aussi, d'imaginer tout à mon aise ce que ma mauvaise étoile devait m'offrir à contempler de mes yeux.
– Ne reviens pas toujours là-dessus ! Je te ferai remarquer que j'attends toujours ton récit !
– A quoi bon, maintenant ? Tu ne veux rien entendre, rien admettre ! Il faut, n'est-ce pas, il faut qu'à tout prix je sois coupable à tes yeux pour apaiser tes remords ? Simplement parce que tu ne m'aimes plus, Arnaud, et que tu tiens à cette fille au point d'oublier que je suis ta femme... et que nous avons un fils !
– Je n'oublie rien ! cria Arnaud pour mieux retrouver une colère que l'image soudainement évoquée du petit garçon venait de faire fondre considérablement. Comment oublierais-je mon enfant ? Il est la chair de ma chair comme je suis celle de ma mère.
Catherine s'était relevée et les deux époux se dressaient, face à face, comme deux coqs de combat, chacun d'eux cherchant le défaut de la cuirasse de l'autre pour blesser plus sûrement, mais, de même que la pensée de Michel avait à demi désarmé Arnaud, le rappel d'Isabelle de Montsalvy glaça la colère de Catherine. Elle en voulait à son époux de toute la puissance de sa déception, mais elle l'aimait trop pour ne pas souffrir du coup qu'elle devait maintenant lui porter. Baissant la tête, elle murmura :
– Elle n'est plus, Arnaud... Au lendemain de la Saint-Michel dernière, elle s'est éteinte doucement. Elle avait eu, la veille, la grande joie de voir notre petit Michel proclamé seigneur de Montsalvy par tous tes vassaux réunis... Elle t'a aimé et elle a prié pour toi jusqu'au dernier souffle...
Dieu que le silence devint lourd, durant les instants suivants ! Seul le troublait la respiration, devenue rapide et saccadée, d'Arnaud... Il ne disait rien. Catherine alors releva la tête. Le beau visage semblait changé en pierre. Son expression figée, son regard fixe ne traduisaient aucune émotion, ni surprise ni douleur... mais de lourdes larmes coulaient lentement le long des joues mates. Elles bouleversèrent Catherine qui, timidement, tendit une main, la posa sur le bras d'Arnaud, serra sans arracher à ce bras rigide le moindre tressaillement.
– Arnaud... balbutia-t-elle... Si tu pouvais savoir...
Il l'interrompit, sans colère, mais nettement :
– Qui garde Michel... tandis que tu cours les grands chemins ?
demanda-t-il d'une voix blanche comme s'il se fût agi là d'une information sans importance.
– Sara et l'abbé de Montsalvy, Bernard de Calmont d'Olt... Il y a aussi Saturnin et Donatienne... et tous les gens de Montsalvy qui, peu à peu, retrouvent le bonheur de vivre et leur joie d'être tes vassaux.
Les terres revivent... et les moines de l'abbaye construisent un nouveau château, près de la porte sud, pour que château et village puissent mieux se porter secours si revenait le danger...
Tandis que Catherine parlait, le décor enchanteur mais étranger s'effaçait pour les deux époux. À la place du palais rose, de la végétation exubérante, des eaux dormantes, c'était la vieille Auvergne qu'ils voyaient devant eux, avec ses plateaux écartelés de vents, ses lointains bleus, ses eaux rapides et sauvages, ses noires et profondes forêts, son sol rude où mûrissaient mystérieusement l'or, l'argent et les pierres brillantes, avec ses bœufs roux et ses paysans butés mais fiers, ses couchants empourprés, ses aurores fraîches, la douceur mauve de ses crépuscules et les longues écharpes de brume au flanc des vieux volcans éteints...
Sous la main de Catherine, le bras d'Arnaud frémit, céda. Leurs doigts, un instant, se cherchèrent, tâtonnant comme des aveugles cherchant la lumière, se nouèrent. Le contact de la paume dure et chaude d'Arnaud fit courir un frisson de joie jusqu'au cœur de Catherine.
– Ne veux-tu donc plus revoir tout cela ? Il n'est point de prison dont on ne puisse s'échapper, sauf le tombeau, murmura-t-elle.
Rentrons chez nous, Arnaud, je t'en supplie...
Il n'eut pas le temps de répondre. Brusquement, le mirage s'évanouit, le charme vola en éclats. Précédée d'une cohorte d'eunuques porteurs de torches et flanquée de Morayma, Zobeïda venait d'apparaître sous le portique et s'avançait le long du bassin. L'eau sembla prendre feu, la nuit s'effaça, les mains, unies la minute précédente, se séparèrent.
Les yeux sombres de Zobeïda se posèrent d'abord sur Catherine avant de revenir, interrogateurs, sur Arnaud. Au froncement de sourcils qui avait accompagné ce regard, Catherine comprit que la Mauresque s'étonnait de la trouver encore vivante. Elle s'expliqua d'ailleurs plus clairement :
– Tu as pardonné à ta sœur, mon seigneur ? Sans doute avais-tu tes raisons. D'ailleurs, ajouta-t-elle avec une perfidie calculée, j'en suis heureuse car mon frère t'en sera reconnaissant. Son retour est annoncé. Demain, cette nuit peut-être, le Commandeur des Croyants regagnera Al Hamra ! Nul doute que sa première pensée ne soit pour sa bien-aimée...
À mesure que parlait Zobeïda, Catherine voyait, navrée, se détruire sous ses yeux tout ce qu'elle venait de reconquérir. La main d'Arnaud ne tenait plus la sienne et la colère, de nouveau, habitait son regard.
La réalité avait repris ses droits avec ses personnages impossibles à effacer : le Calife et sa sœur. Catherine, pourtant, voulut encore lutter.
– Arnaud... supplia-t-elle, j'ai encore tant de choses à te dire...
– Tu les lui diras plus tard ! Morayma, emmène-la maintenant chez elle et veille à ce qu'elle soit prête si mon noble frère revient !
– Où l'emmènes-tu ? interrogea sèchement Arnaud. Je veux savoir !
– Tout près d'ici. La chambre qui sera la sienne donne sur ce jardin. Vois comme je suis bonne pour toi ! je loge ta sœur chez moi pour que tu puisses la voir. Dans l'enceinte même du harem où tu n'as pas le droit de pénétrer, ce serait impossible... Laisse-la aller, maintenant. Il est tard, la nuit s'avance, on ne peut causer jusqu'à l'aube...
Oh ! cette voix ronronnante, endormante et persuasive ! Qui donc, en l'entendant, eût supposé, rien qu'un instant, qu'elle portait son poids total de perfidie et de haine ? Arnaud, pourtant, commençait à connaître Zobeïda.
– Tu es bien conciliante, tout à coup ! Cela ne te ressemble guère.
La princesse haussa les épaules et répondit, suave :
– Elle est ta sœur et tu es mon seigneur ! Cela dit tout.
Sur un homme normalement constitué, il est bien rare que la flatterie ne porte pas et, à cet instant, Catherine, inquiète, déplora qu'Arnaud fût tellement normal et eût conservé une telle dose de naïveté. Il semblait satisfait d'entendre Zobeïda s'exprimer avec cette modération.
Catherine, elle, n'était pas dupe. Si la Mauresque faisait patte de velours, il fallait redoubler de vigilance et sa soudaine mansuétude ne lui disait rien qui vaille. Le sourire, la voix charmeuse ne démentaient pas la dureté calculatrice du regard. Les nombreuses épreuves subies par Catherine lui avaient, du moins, appris à lire dans un regard, à épier les réactions de l'ennemi : Arnaud, malgré la cruauté de son passage en léproserie, malgré l'effondrement physique et moral d'une aussi terrible expérience, n'avait jamais eu à se défendre contre une foule d'adversaires plus forts que lui comme l'avait fait sa femme.
Loyal et chevaleresque, il avait du mal à se méfier d'un sourire tendre, d'une parole caressante, surtout chez une femme...
Catherine se laissa cependant emmener par Morayma avec une certaine docilité. Pour cette nuit, tout était dit ! Pourtant, avant de s'éloigner, elle se retourna une dernière fois vers Arnaud, sentit son cœur moins transi en constatant qu'il la suivait des yeux.
– Un homme doit savoir choisir son destin, Arnaud... et s'il est digne de lui-même, il ne doit permettre à personne, tu m'entends, à personne de s'interposer entre lui et sa conscience...
La chambre, en effet, donnait immédiatement sur le jardin. De l'étroite, mais confortable couchette où Morayma l'avait étendue, Catherine pouvait voir luire, entre deux minces colonnettes, le bassin sous la lune. Morayma, en l'y installant, lui avait fait remarquer le luxe délicat de la petite pièce, toute vêtue de cristal mauve et vert amande serti de cèdre à l'or assourdi.
– C'est peut-être moins somptueux que ton autre appartement, lui dit-elle, mais plus raffiné ! Zobeïda n'aime pas les grandes pièces. Tu ne manqueras de rien ici et tu auras presque l'impression d'habiter le jardin.
La Juive se donnait, évidemment, beaucoup de mal pour vanter la nouvelle installation de Catherine. Besoin de la rassurer en se rassurant elle-même ? Peut-être !... Des deux, c'était sans doute elle qui en avait le plus urgent besoin car sous ses voiles safran brodés de bleu, Morayma tremblait comme de la gelée... Catherine voulut l'obliger à le reconnaître.
– Pourquoi as-tu si peur, Morayma ? Que crains– tu ?...
– Moi ? fit l'autre avec une parfaite mauvaise foi. Je n'ai pas peur.
J'ai... j'ai froid !
– Par cette température ? La brise de tout à l'heure est tombée.
On ne voit même plus bouger les feuilles du jardin.
– J'ai froid tout de même... J'ai toujours froid !
Tout en parlant, elle disposait au chevet du lit de Catherine une jatte de lait que la jeune femme contempla avec une certaine surprise.
– Pourquoi ce lait ?
– Au cas où tu aurais soif. Et puis, il te faut boire beaucoup de lait pour l'éclat et la souplesse de ta peau.
Catherine soupira ! C'était bien le moment de s'occuper de sa peau
! On semblait, dans ce palais, se préoccuper uniquement de secrets de beauté et elle commençait à être plus que lasse de ce rôle d'animal de luxe bichonné, engraissé, pomponné pour la consommation du maître.
Comme si elle n'avait as d'autre souci que l'éclat de son teint !...
Tandis que Morayma disparaissait aussi vite que le permettaient ses courtes jambes, Catherine tenta de raisonner sa situation. La proximité immédiate de Zobeïda ne lui faisait pas peur. Sans doute la princesse y regarderait-elle à deux fois avant de persécuter celle qu'elle croyait la sœur de son amant et ce n'était pas elle qui tourmentait le plus la jeune femme. C'était Arnaud !... Comme il était étrange et déconcertant !
Tout à l'heure, quand il l'avait reconnue, elle n'avait pas douté une seconde de sa joie de la retrouver ni même de son amour pour elle. Il y a des élans qui ne trompent pas ! Mais Zobeïda avait soufflé cette joie comme une chandelle avec ses insinuations venimeuses et Arnaud avait oublié cette brusque bouffée de bonheur pour ne plus écouter que sa jalousie, sa colère d'époux trahi. Encore, songeait tristement Catherine, ignorait-il certains épisodes tels que celui du camp des tziganes, avec le malheureux Fero, ou celui du donjon de Coca... et il fallait qu'il les ignorât toujours, sinon il n'y aurait plus ni trêve ni repos, ni bonheur possible pour Catherine. Il se détournerait d'elle à tout jamais...
Pourtant, la fatigue due aux émotions de cette journée finit par clore ses yeux, mais elle ne s'endormit pas de ce sommeil profond qui restaure si bien, en quelques heures, les forces les plus amoindries.
Elle dormait mal, nerveusement, avec de brusques sursauts et un subconscient plus actif que jamais. Du fond de son sommeil, elle avait l'intuition d'un danger dont, bien sûr, elle ne pouvait déterminer la nature, mais qui s'approchait inexorablement.
Une soudaine sensation d'étouffement l'éveilla tout à fait, la redressa brusquement dans son lit, baignée de sueur et le cœur fou. Le clair de lune, maintenant, s'allongeait sur le dallage de la chambre. Un cri d'horreur s'étrangla dans la gorge de la jeune femme : là... dans la longue éclaboussure blafarde, ondulait lentement une forme mince, noire et luisante... un serpent qui rampait vers le lit !
Ce n'était pas un accident et Catherine le comprit dans le temps d'un éclair. La jatte de lait que Morayma avait disposée à la tête de son lit
!... Le lait, régal préféré des serpents ! La hâte de s'enfuir, la peur qui faisait trembler Morayma, Catherine en saisissait maintenant tout le sens, et aussi le côté prémédité... Cette bête immonde qui s'avançait vers elle, c'était la main même de Zobeïda, la mort sous son aspect le plus hideux !
Les yeux exorbités d'horreur, serrant convulsivement les couvertures de soie contre sa poitrine nue tandis que de désagréables filets de sueur froide coulaient le long de son dos, Catherine regardait approcher le serpent. Jamais elle n'avait éprouvé pareille peur, semblable paralysie de tout son être. Elle était fascinée par le long corps noir qui, lentement, déroulait ses anneaux sur le dallage, plus près, toujours plus près. Et c'était comme un cauchemar sans réveil possible car elle n'osait pas crier. Le serpent n'était pas très grand, mais elle distinguait une large tête plate, triangulaire, hideuse dont un appel, peut-être, précipiterait la morsure. Et puis appeler qui ?
Catherine ne pouvait conserver aucune illusion sur l'intention féroce qui lui avait envoyé l'abominable messager de mort. Personne ne viendrait à son appel... Et elle était là, seule, aussi exposée que sur un échafaud avec l'unique rempart de quelques soieries... incapable même de fermer les yeux pour ne plus voir l'affreuse bête.
Son esprit affolé se tourna vers son époux. Elle allait mourir là, à quelques pas de lui, et demain sans doute, quand on découvrirait son cadavre déjà froid, Zobeïda trouverait une infinité d'excuses et de regrets hypocrites. Toutes les chambres ouvraient sur le jardin.
Comment pouvait-elle deviner qu'un serpent, attiré par la fraîcheur des bassins peut-être, entrerait dans celle– là ?... Et Arnaud, peut-être, la croirait... Alors, parce que maintenant le serpent allait atteindre le lit bas, parce qu'elle avait trop peur et parce qu'elle avait désespérément besoin de lui, Catherine gémit :
– Arnaud !... Arnaud, mon amour...
Et ce fut le miracle. Catherine crut tout de bon que la peur l'avait rendue folle quand elle vit qu'il était là, sa haute silhouette écartelant le clair de lune, surgi des ombres du jardin comme le bon génie des contes orientaux. D'un regard, il embrassa la forme terrifiée de Catherine blottie dans l'angle le plus éloigné de son lit et le reptile qui, déjà, redressait sa tête plate. D'une main, il arracha la dague de sa ceinture, empoigna de l'autre une robe qui traînait sur un tabouret, en fit un tampon, et de tout son poids se laissa tomber sur le cobra.
La mort du serpent fut instantanée. Maniée avec force et précision, la dague le frappa à la base de la tête, la détachant presque du corps qui demeura inerte. Arnaud se releva sur un genou, regarda sa femme.
Le rayon de lune l'avait atteinte, accusant sa pâleur tragique. Ses mains crispées retenaient toujours la couverture contre elle, mais elle s'était mise à trembler comme une feuille dans la tempête. Pour la rassurer, il murmura, doucement :
– N'aie plus peur ! C'est fini... Je l'ai tué !
Mais elle l'entendait à peine. Envahie, jusqu'aux fibres les plus profondes, par la peur atroce qu'elle avait dû supporter, elle restait là, les yeux exorbités, claquant des dents et incapable de répondre.
Inquiet, Arnaud se glissa près d'elle sur le lit.
– Catherine ! je t'en prie, réponds-moi... Tu n'as rien ?
Elle ouvrit la bouche, mais les mots ne pouvaient franchir ses lèvres qui tremblaient convulsivement. Elle avait envie de pleurer, mais elle ne pouvait pas et leva sur son époux un regard encore habité par l'épouvante et si pathétique qu'Arnaud ne résista pas au geste instinctif qui lui venait : celui de la prendre dans ses bras.
Une profonde pitié se leva en lui en constatant qu'elle se blottissait étroitement contre sa poitrine comme si, à la manière des enfants terrifiés, elle cherchait à se faire aussi petite que possible. Il la serra plus fort, cherchant à lui communiquer sa chaleur d'homme pour faire cesser ce tremblement terrifiant. Doucement, il caressa la tête blonde nichée contre son épaule.
– Pauvrette ! Tu as eu si peur... si peur ! Cette misérable femme !
Je la savais capable de tout... et c'est pour cela que je veillais, mais d'une chose aussi lâche !... Calme-toi je suis là !... je te défendrai !...
Nous fuirons ensemble, nous retournerons chez nous. Je t'aime...
Le mot était venu de lui-même, tout naturellement, mais Arnaud ne s'en étonna pas. Sa rancune, sa jalousie avaient craqué d'un seul coup ; tout à l'heure quand, rôdant à travers le jardin parce qu'une sourde inquiétude le ramenait constamment vers cette partie du palais, il avait entendu le faible gémissement de Catherine, son nom à peine prononcé, mais chargé d'angoisse et quand, du seuil, il avait vu le long corps noir glissant sur le marbre vers le lit de sa femme, la peur atroce qu'il avait eue lui avait rendu la mesure exacte de son amour pour elle.
Et maintenant qu'elle était dans ses bras, tremblant comme un oiseau malade, il comprenait que rien ni personne ne pourrait jamais se glisser vraiment entre elle et lui, qu'un amour comme le leur pouvait supporter bien des choses, endurer bien des souffrances hormis la déchirure totale. Ils n'avaient qu'un seul cœur en deux corps distincts et Arnaud savait bien qu'il ne pourrait jamais trouver le courage de repousser Catherine loin de lui. Le caprice, né de l'ennui et aussi du profond sentiment de joie qu'il avait éprouvé en apprenant qu'il n'était pas lépreux, ce caprice qui l'avait poussé vers Zobeïda était devenu une sorte d'habitude nécessaire à son équilibre physique, mais c'était une sensation bien pauvre auprès du seul bonheur de tenir Catherine contre lui.
Elle s'agrippait à lui maintenant, de ses deux mains crispées, balbutiant des mots sans suite contre son cou et, un instant, il eut peur que la terreur ne l'eût rendue folle.
– Écoute-moi ! supplia-t-il... Regarde-moi ! tu me reconnais, dis ?
Elle fit signe que oui et il se sentit un peu moins inquiet, se remit à caresser ses cheveux.
– Ma mie !... murmura-t-il... calme-toi, n'aie plus peur... Qu'est-ce que je peux faire pour te rassurer ?
Il se sentait affreusement maladroit, désarmé en face de cet être aux abois qui s'accrochait à lui... Et puis, brusquement, Catherine éclata en sanglots. Il comprit qu'elle était sauvée, que le spectre de la folie s'éloignait et, tendrement, il se mit à la bercer comme un tout petit enfant.
– Pleure ! dit-il doucement, pleure tant que tu voudras, cela te fera du bien...