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Catherine et le temps d'aimer
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 15:54

Текст книги "Catherine et le temps d'aimer"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Pour m'assurer que ton haleine est saine ! riposta sèchement Morayma. J'espère, femme, que ton caractère est souple et obéissant.

Je ne me soucie pas d'offrir au Calife une fille rebelle ou tout au moins insoumise...

– Pardonne-moi ! fit Catherine en rougissant.

Et, docilement, elle ouvrit la bouche, découvrant un palais rose et d'étincelantes dents blanches, entre lesquelles la vieille engagea un nez prudent. Du coup, la jeune femme dut maîtriser une brusque envie de rire tandis que la vieille coulait vers la grosse Éthiopienne un regard amusé.

– Que lui fais-tu mâcher, vieille sorcière ? Son haleine embaume

! – Fleurs de jasmin et clous de girofle ! grogna Fatima qui n'aimait pas donner ses recettes, mais qui savait bien qu'avec la gardienne du harem, il était inutile de finasser. – Alors, que décides-tu

? – Je l'emmène. Va te préparer, femme, et dépêche– toi ! Je dois rentrer...

Sans plus hésiter, ramassant ses vêtements, Catherine gagna sa chambre en courant. Elle laissait les deux femmes discuter ce qui, pour Fatima, était le plus intéressant : le prix qui devait, obligatoirement, être important.

– Il faut que je dédommage quelque peu le médecin ! entendit-elle, clamé par la grosse Éthiopienne.

– Le Calife a toujours le droit de distinguer une esclave. C'est un honneur pour un de ses sujets de la lui offrir-La porte de sa chambre claquant derrière elle dispensa Catherine d'en entendre davantage. Ce marchandage lui était indifférent. Elle savait très bien que Fatima mettrait dans sa poche la plus grande partie de l'or qu'elle allait recevoir, se réservant justement d'alléguer, pour son client, le cas de force majeure et les droits imprescriptibles du souverain.

Hâtivement, Catherine saisit un morceau de papier de coton ', une plume et griffonna quelques mots pour Abou, l'informant de son départ pour le harem d'Al Hamra : « Je suis heureuse, lui écrivait-elle.

Je vais enfin approcher mon époux. Ne vous tourmentez pas pour moi, mais empêchez Gauthier et Josse de se livrer à des tentatives inconsidérées. J'essaierai de vous faire parvenir des nouvelles, peut-

être par Fatima... à moins que vous ne trouviez le moyen d'entrer au harem... »

1 Les Arabes en ont fait usage bien avant nous.

Un appel venu d'en bas la fit sursauter. La vieille Morayma s'impatientait. Saisissant hâtivement un paquet de vêtements au hasard, elle le fourra sous son bras, prit le voile qu'elle portait tout à l'heure et sortit dans la galerie du patio, juste à temps pour apercevoir Fatima comptant, avec une convoitise béate, une respectable pile de dinars d'or qui étincelaient au soleil. Mais à peine apparut-elle que la main de la gardienne s'abattait sur son bras, en arrachait le paquet de vêtements qu'elle jetait à terre avec mépris.

– Qu'as-tu à faire de cette friperie ? Au palais, je te vêtirai selon les goûts du Maître. Viens maintenant...

– Un moment encore, pria Catherine. Laisse-moi dire adieu à Fatima.

– Tu la reverras. Il arrive que l'on fasse appel à ses soins au harem. Elle connaît des secrets de beauté et d'amour qui font merveille.

Mais, Fatima, qui avait entendu, faisait glisser son or dans un sac en peau de chèvre et rejoignait les deux femmes. Avec des gestes presque maternels, la grosse négresse arrangea le voile de Catherine qui en profita pour lui glisser subrepticement le message pour Abou.

Puis, lui souriant d'un air encourageant :

– Va vers ton destin, Lumière de l'Aurore. Mais, quand tu seras la bien-aimée, le joyau précieux du Calife, souviens-toi de Fatima...

– Sois tranquille, promit Catherine jouant le jeu jusqu'au bout. Je ne t'oublierai jamais...

Elle était sincère en disant ces mots. Il n'était pas possible d'oublier les jours bizarres, mais, à tout prendre amusants, qu'elle avait passés chez l'Éthiopienne. Et puis, Fatima avait été bonne pour elle, même si elle l'avait fait par intérêt.

On amena deux mules blanches, harnachées de cuir rouge et toutes bruissantes de sonnailles et de grelots sur lesquelles Catherine et son nouveau mentor prirent place. Puis, d'une ruelle voisine où ils attendaient, quatre Nubiens maigres, vêtus de blanc jusqu'aux yeux, apparurent, appelés par un sec claquement de mains de Morayma. Ils encadrèrent les deux femmes après avoir tiré de leurs fourreaux leurs cimeterres à large lame courbe. Et le cortège se mit en route.

La chaleur était maintenant écrasante. L'air brûlant vibrait et, là-haut, dans le ciel presque blanc, les rayons de l'impitoyable soleil incendiaient les toits de la ville. Mais Catherine ne s'apercevait même pas de la température. Au comble de l'excitation, elle pensait seulement à ce palais dont, enfin, elle allait franchir le seuil. La distance qui la séparait d'Arnaud se rétrécissait encore. Tout à l'heure, elle l'avait vu. Maintenant, elle allait essayer de lui parler, de l'entraîner avec elle sur le chemin du retour au pays.

Ce chemin du retour, elle ne cherchait même pas à l'imaginer.

Pourtant, que de difficultés n'allait-il pas présenter ? En admettant qu'ils parviennent à fuir le palais, il faudrait encore atteindre la frontière du royaume. Et, même cette frontière une fois franchie, seraient-ils sauvés de la vengeance de Zobeïda, à l'abri de ses coups ?

Certes pas. Il faudrait mettre des lieues entre eux et leurs poursuivants

; les rapides cavaliers de Muhammad ignorant trop souvent les limites du royaume de Castille pour s'en soucier cette fois-là.

Ensuite, il faudrait refaire tout le dangereux chemin à travers les Castilles, retrouver peut-être des embûches plus mortelles que celles rencontrées à l'aller... Puis, passer les Pyrénées et leurs bandes de brigands, et... Non. Tout cela n'avait que peu d'importance : une seule chose comptait : reconquérir l'amour d'Arnaud ! Ce qui pouvait venir après n'intéressait pas Catherine.

En franchissant, derrière Morayma, l'arc rouge de Bab-el-Ajuar, Catherine ne put réprimer un frisson de joie. Les Nubiens de garde n'avaient pas paru s'intéresser à leur passage...

On suivit ensuite un sentier qui serpentait à travers un vallon rafraîchi d'eaux courantes, ombragé d'oliviers au feuillage argenté, et grimpant assez raide vers une haute porte dont l'arc outrepassé se découpait au plein d'une grosse tour carrée sans créneaux. Cet imposant portail, ouvert dans la deuxième enceinte de murailles, constituait l'entrée proprement dite des palais. En approchant, Catherine remarqua, sculptée à la clef du fer à cheval de brique, sur une plaque de marbre blanc, une main levée droit vers le ciel.

– C'est la Porte de la Justice ! La main symbolise les cinq préceptes du Coran ! commenta Morayma. Et ces tours que tu vois, non loin d'ici, sont celles des prisons.

Elle n'en dit pas plus. Catherine apprécia cependant le renseignement à sa juste valeur. Cela ressemblait trop à une mise en garde, presque une menace. Menace aussi cette formidable porte à deux battants, doublée de fer et armée de clous énormes, trouant l'obscurité du profond porche et gardée de cavaliers vêtus de mailles luisantes sous un burnous pourpre, le casque à longue pointe enfoncé jusqu'à leurs yeux farouches. Quand un ordre du Seigneur en fermait l'issue, il devait être impossible de franchir ces épaisses murailles. Le palais rose, et aussi la ville en réduction qu'enserraient ses remparts -

on distinguait maintenant des maisons, des moulins et les sept coupoles dorées, fléchées d'un immense et fragile minaret, d'une imposante mosquée – devaient savoir se refermer comme un piège qui ne lâchait pas facilement prise... à moins, peut-être, de découvrir cette mystérieuse porte par laquelle entraient les amants d'une nuit de Zobeïda ! Mais n'était-ce pas autre chose qu'une légende ? Les cadavres trouvés dans les fossés pouvaient fort bien avoir été précipités du haut des tours. Sans que l'on ait eu besoin d'employer le légendaire escalier des amants.

Les yeux aigus de Catherine cherchaient déjà, preuve que son âme se sentait moins sereine qu'elle ne voulait bien l'admettre, une issue plus secrète à ce palais superbe et menaçant, attirant et dangereux comme une fleur vénéneuse. Elle baissa cependant les paupières pour ne pas voir les têtes sanglantes, certaines encore fraîches, plantées sinistrement à des crochets fichés dans la muraille. Mais, au moment de franchir le seuil de ce monde inconnu, la jeune femme sentit une main de glace étreindre son cœur. Elle chercha sa respiration jusqu'au fond de ses entrailles, serra les dents, fixant le dos voûté de Morayma sous ses absurdes fleurs vertes. Il ne fallait pas flancher... plus maintenant et surtout pas pour quelque chose d'aussi vil qu'une peur animale ! Elle avait trop voulu cet instant...

Et puis, miraculeusement, quelque part dans l'épaisseur odorante des jardins encore invisibles, un rossignol chanta, lançant vers le ciel incandescent quelques notes pures comme une source de montagne.

Un rossignol à cette heure du jour, au fort de cette lourde chaleur ?...

Le cœur pesant de Catherine s'allégea. Elle y vit un présage heureux et, talonnant sa mule, elle rejoignit Morayma qui avait pris un peu d'avance.

La fraîcheur brutale d'un tunnel, un coude, un chemin montant accablé de soleil, puis, au tournant, la grâce orientale de deux hautes portes, en équerre. Morayma, qui avait attendu Catherine en haut du chemin, lui désigna celle qui s'ouvrait de front.

– La porte Royale. Elle ouvre sur le Sérail, le palais du Calife.

Nous prendrons plutôt celle-ci, la Porte du Vin, pour gagner directement le harem en traversant la ville haute, la cité administrative d'Al Hamra.

Mais, comme le regard de Catherine s'attardait à la muraille, reliant trois donjons pourpres, qui s'élevait sur la gauche, la vieille eut un mince sourire.

Tu ne viendras jamais dans cette partie-ci. C'est l'Alcazaba, la forteresse qui fait Al Hamra imprenable. Vois cette énorme tour qui, là-bas, domine le ravin ! Admire en elle la puissance de ton futur maître. C'est le Ghafar, la pièce maîtresse de notre défense. Bien souvent, la nuit, tu entendras sonner la cloche qui le surmonte. Ne t'en effraye pas, Lumière de l'Aurore. Cela ne signifie pas un danger, mais seulement le temps d'irrigation de la plaine que la cloche règle pendant la nuit... Allons vite maintenant, la chaleur se fait intolérable et je veux que tu sois fraîche pour les yeux du Maître...

Catherine frémit. Apparemment, on ne lui laisserait pas beaucoup le temps de respirer avant de la présenter au Calife. Mais, en cette matière comme en quelques autres, elle était décidée à laisser les événements jouer leur rôle et à les exploiter simplement au mieux.

La longue piscine aux mosaïques d'azur et d'or du harem baignait dans une atmosphère brumeuse et parfumée lorsque Catherine, poussée par Morayma, y pénétra, les yeux encore lourds de sommeil.

Sur l'ordre de la vieille juive, elle avait dormi deux heures après son repas et ses oreilles bourdonnaient. Un vacarme de volière en folie emplissait la salle où une cinquantaine de femmes babillaient toutes à la fois. Une frise d'esclaves, noires le plus souvent, entourait la vasque pleine d'eau tiède et bleue, où s'ébattaient une troupe de jolies filles, riant, criant, piaillant et s'amusant le plus souvent à s'éclabousser. La piscine offrait le spectacle d'une tempête minuscule, mais son eau était si transparente qu'elle ne cachait rien, ou bien peu, du corps des baigneuses. Toutes les couleurs de peaux se montraient dans ce cadre fastueux et charmant. Bronze foncé des filles d'Afrique aux hanches minces, aux seins pointus, ivoire doux des Asiatiques, albâtre rosé de quelques Occidentales voisinaient avec l'ambre des Mauresques.

Catherine vit des chevelures noires, rousses, acajou et même d'un blond presque blanc, des yeux de toutes nuances, entendit des voix de tous les registres. Mais

son entrée sous l'égide de la Maîtresse du Harem fit taire tout ce monde et calma instantanément l'agitation de la piscine. Toutes les femmes s'immobilisèrent, tous les regards se tournèrent vers la nouvelle venue que Morayma en personne dévêtait prestement sur le dallage chatoyant et Catherine, avec un frisson désagréable, vit que l'expression de toutes ces femmes était rigoureusement la même : l'hostilité totale.

Catherine en eut conscience immédiatement et en éprouva un malaise. Tous ces yeux ennemis qui la détaillaient car ceux des esclaves n'étaient pas moins hostiles que ceux de leurs maîtresses, la brûlaient comme des charbons incandescents. Cependant Morayma flaira l'atmosphère aussi rapidement. Sa voix dure s'éleva.

– Celle-ci s'appelle Lumière de l'Aurore. C'est une captive achetée à Almeria. Tâchez qu'il ne lui arrive rien de fâcheux, sinon les nerfs d'hippopotame siffleront ! Je n'admettrai ni le bord trop glissant de la piscine, ni le malaise dans le bain, ni l'indigestion de sucreries, ni la corniche qui se détache subitement, ni la vipère égarée dans les jardins, ni aucun autre accident ! Souvenez-vous-en ! Et toi, va prendre ton bain.

Un murmure de mécontentement accueillit ce petit discours que Catherine n'avait pu écouter sans un léger frisson, mais personne n'osa protester. Néanmoins, en trempant le bout de son pied nu dans l'eau parfumée du bain, Catherine eut l'impression de descendre dans une fosse pleine de serpents. Tous ces corps minces et luisants en avaient la souplesse dangereuse et toutes ces bouches aux lèvres fraîches semblaient prêtes à cracher le venin.

Elle nagea quelques instants sans enthousiasme. On s'écartait d'elle avec méfiance et elle n'avait aucune envie de prolonger ce bain sans agrément. Déjà, elle se rapprochait du bord pour se remettre aux mains des deux esclaves que l'on avait attribuées à son service et qui l'attendaient avec d'épaisses serviettes de coton pour la sécher.

Soudain, elle s'aperçut qu'une fille blonde qui reposait sur des coussins posés sur le bord de la piscine, un joli corps rond et frais, tout en fossettes et en chair rose, lui souriait franchement.

Machinalement, elle s'approcha. Le sourire de la jeune fille s'accentua. Elle quitta même sa pose nonchalante, tendit à Catherine une main un peu trop large pour une femme.

– Viens t'étendre près de moi et ne fais pas attention aux autres.

C'est toujours ainsi quand il arrive une nouvelle. Tu comprends, une autre compagne, c'est toujours risquer une favorite dangereuse.

– Pourquoi dangereuse ? Toutes ces femmes sont– elles donc amoureuses du Calife ?

– Seigneur, non !... Bien qu'il ne manque pas de charme.

La jeune fille n'en dit pas plus. Elle avait en effet, instinctivement, cessé de parler arabe et employé le français et Catherine avait tressailli.

– Tu es de France ? fit-elle dans la même langue.

– Mais... oui, du pays de Saône. Je suis née à Auxonne. Là-bas, ajouta-t-elle avec une sombre tristesse, on m'appelait Marie Vermeil.

Ici, on m'appelle Aïcha. Mais toi, tu es aussi de chez nous ?

– Et plus que tu ne penses ! fit Catherine en riant. Je suis née à Paris, mais j'ai été élevée à Dijon où mon oncle, Mathieu Gautherin, tenait commerce de draps dans la rue du Griffon, à l'enseigne du Grand Saint Bonaventure...

– Mathieu Gautherin ? répéta Marie, songeuse. Je connais ce nom-là... D'ailleurs, c'est drôle, mais il me semble que je t'ai déjà vue.

Où, par exemple ?

Elle s'interrompit. Glissant dans l'eau azurée, le corps doré d'une belle Mauresque s'approchait d'elles, nageant avec souplesse. Deux prunelles vertes tigrées d'or dardaient sur les deux femmes, presque au ras de l'eau, un regard haineux. Hâtivement, Marie chuchota : Méfie-toi de celle-là ! c'est Zorah, la favorite actuelle. Les vautours qui tournoient sur la tour des Exécutions ont plus de tendresse que cette vipère. Elle est plus mauvaise encore que la princesse Zobeïda parce que la princesse dédaigne la perfidie que Zorah pratique en artiste Si tu plais au Maître, tu auras tout à craindre de cette Égyptienne.

Catherine n'eut pas le temps de poser d'autres questions. Jugeant sans doute qu'elle avait assez bavardé avec Marie-Aïcha, Morayma s'approchait avec les deux esclaves noires.

– Nous parlerons plus tard, murmura encore Marie avant de se laisser tomber, avec grâce, dans l'eau parfumée avec tant de précision que Zorah dut s'écarter pour ne pas recevoir la jeune fille sur le dos.

Bien qu'à peu près sèche, Catherine laissa les deux femmes l'étriller consciencieusement puis enduire son corps d'une huile légère qui lui donna la douce patine de l'or clair. Mais comme elle allait enfiler la gandoura de soie rayée qu'elle portait en arrivant, Morayma s'y opposa.

– Non. Tu ne t'habilles pas tout de suite. Viens avec moi.

A la suite de la Juive, Catherine traversa plusieurs salles de bains, chauds ou froids, pour aboutir dans une pièce aux fines arcades toutes décorées d'entrelacs bleus, roses et or. Une galerie fermée par des jalousies dorées courait tout autour, à la hauteur du premier étage.

Des lits, monceaux de coussins multicolores, s'étalaient au fond des alcôves ménagées entre les colonnes et, sur ces lits, cinq ou six très belles filles, sans le moindre voile, étaient étendues, nonchalantes et gracieuses, Morayma désigna à Catherine le seul lit demeuré vide.

– Mets-toi là !

– Pour quoi faire ?

– Tu le verras bien. Ce ne sera pas long...

Des voix de femmes, chantant une chanson monotone et douce, se faisaient entendre sans que l'on pût voir les chanteuses, mais, dans la salle, personne ne parlait. Ayant obligé Catherine à s'étendre dans une pose séduisante, Morayma était venue se poster au centre de la salle où, dans une vasque de marbre, murmurait un jet d'eau. Elle levait la tête vers la galerie fermée, comme si elle attendait quelque chose.

Intriguée, Catherine regarda dans cette direction.

Il lui sembla deviner une silhouette derrière les minces lattes dorées, une silhouette si parfaitement immobile que Catherine se demanda si elle n'était pas victime d'une illusion. Tout cela, ce bain, cette vie lente, exaspérait son impatience d'atteindre enfin son époux.

Que faisait-elle sur ce divan, nue au milieu d'autres femmes aussi dévêtues ?... La réponse ne se fit pas attendre. Une main souleva une jalousie, lança quelque chose qui vint rouler sur le lit qu'occupait Catherine. Vivement redressée, Catherine se pencha, intriguée. Elle vit qu'il s'agissait d'une simple pomme et voulut la ramasser. Mais, plus rapide qu'elle, Morayma l'avait devancée et s'emparait du fruit.

Catherine vit qu'elle était rouge d'excitation et que ses petits yeux brillaient de joie.

– Le Maître t'a choisie ! lui jeta la maîtresse du harem. Et tu viens à peine d'arriver ! Cette nuit même tu seras admise à l'honneur de la couche royale. Viens vite. Nous avons tout juste le temps de te préparer. Le Maître est pressé.

Et, sans même permettre à Catherine de reprendre ses vêtements, elle l'entraîna en courant à travers les salles et les galeries jusqu'au pavillon, l'un des plus modestes du grand harem où elle avait logé sa nouvelle acquisition.

Là, Catherine n'eut même pas le temps de poser des questions. Le désir du Calife suscitait un véritable branle-bas de combat qui ne laissait guère de place à la réflexion. Livrée à une armée de masseuses, parfumeuses, pédicures, coiffeuses et habilleuses, la jeune femme jugea plus sage de se laisser faire passivement. De toute façon, il pouvait être utile d'approcher le Calife... d'aussi près. Qui pouvait dire si elle ne parviendrait pas à prendre sur lui une certaine influence

? Quant aux... contingences qu'impliquait l'intimité avec le roi de Grenade, Catherine n'en était plus à s'en effaroucher. D'abord elle n'aurait certainement pas le choix. Toute résistance risquerait à la fois de détruire ses plans et de mettre en danger la vie d'Arnaud, la sienne propre et celle de leurs amis. Et puis, lorsque l'on fait la guerre, on la fait complètement et l'on évite de se montrer difficile sur le choix des moyens.

L'un assis, jambes croisées, sur un divan garni de tapis soyeux, l'autre debout à quelques pas dans le nuage tendre de ses voiles roses, le calife Muhammad VIII et Catherine se regardaient. L'un avec une claire admiration, l'autre avec une méfiance teintée de surprise. Dieu sait pourquoi – peut-être à cause du portrait inquiétant qu'on lui avait tracé de Zobeïda -, la jeune femme était certaine de trouver en son frère aîné un homme arrogant, brutal, cynique, une sorte de Gilles de Rais doublé de La Trémoille...

Or, le prince qui la regardait ne ressemblait en rien à ce qu'elle attendait. Il pouvait avoir entre trente-cinq et quarante ans, mais, chose extraordinaire pour un Maure, sa tête sans turban était couverte d'une épaisse toison d'un blond foncé qui se retrouvait dans la courte barbe ornant son visage basané. Des yeux clairs, gris ou bleus, tranchaient eux aussi sur cette peau foncée qui, dans le sourire, révéla de fortes dents blanches. D'un geste vif, Muhammad repoussa le rouleau de papier de coton sur lequel, à l'aide d'un calame, il écrivait à l'entrée de la jeune femme et de Morayma.

Sans dire un mot, il les avait regardées approcher le long du chemin d'eau et de cyprès qui menait au portique sous lequel il se tenait. La route jusque-là avait été longue, passant sous les murailles et empruntant un chemin couvert avant de s'élancer à travers les jardins, jusqu'à ce petit palais assailli par les roses qui couronnaient la colline voisine d'Al Hamra. C'était le Djenan– el-Arif1

1 Devenu, Dieu sait pourquoi, le Generalife.

le Jardin de l'Architecte, où, l'été, le Calife aimait à se retirer. Plus encore que le Sérail, c'était là le séjour des roses et du jasmin. Roses sombres comme un velours pourpre ou blanches au cœur rose comme la neige sous l'aurore, elles envahissaient la colline, se penchaient sur les miroirs d'eau, montaient à l'assaut des blanches colonnes des portiques et embaumaient la nuit bleue, scintillante d'étoiles. Au bord de ce palais fait pour l'amour, l'atmosphère avait quelque chose de grisant qui alourdissait les paupières de Catherine et faisait battre ses tempes tandis que le sang, dans ses veines, alanguissait sa course.

Muhammad n'avait rien répondu lorsque Morayma, prosternée, lui avait dit la joie qui était celle de la nouvelle odalisque en se voyant choisie dès la première nuit, ni lorsqu'elle avait vanté la beauté, la douceur de Lumière de l'Aurore, la Perle du pays des Francs, l'éclat de ses yeux aux profondeurs d'améthyste, la souplesse de son corps...

Mais quand, relevée, la vieille juive avait voulu détacher les voiles de mousseline qui faisaient de la jeune femme un paquet rose et nuageux, il l'avait arrêtée d'un geste autoritaire puis il avait ordonné :

– Retire-toi, Morayma. Je te ferai appeler plus tard...

Et ils étaient demeurés seuls. Alors, le Calife s'était levé. 11 était moins grand que Catherine n'aurait cru, ses jambes paraissant trop courtes pour le torse puissant que révélait la gandoura de soie verte, fendue sur la poitrine jusqu'à la taille et serrée dans une large ceinture d'orfèvrerie plaquée de grosses émeraudes carrées. En s'approchant de la jeune femme, il avait souri.

– Ne tremble pas. Je ne te veux aucun mal !

Il avait parlé français et Catherine ne cacha pas son étonnement.

– Je ne tremble pas. Pourquoi le ferais-je d'ailleurs ? Mais comment connaissez-vous ma langue ?

Le sourire s'accentua. Muhammad était maintenant tout près de la jeune femme qui pouvait respirer le léger parfum de cuir et de verveine que dégageaient ses vêtements. – J'ai toujours aimé à m'instruire et les voyageurs venus de ton pays ont de tout temps été bien accueillis ici. Un souverain doit pouvoir comprendre les ambassadeurs qui lui sont envoyés chaque fois que cela est possible. Les interprètes sont trop souvent infidèles... ou vendus !

Un captif, un saint homme de ton pays, m'a appris cette langue lorsque j'étais enfant... et tu n'es pas la première femme venue d'au-delà des grandes montagnes qui pénètre dans ce palais.

Catherine, se rappelant Marie, pensa qu'en effet l'explication était plus que valable et ne répondit pas. D'ailleurs les longs doigts minces de Muhammad s'occupaient à détacher le voile qui couvrait sa tête et le bas de son visage. Il le faisait lentement, doucement, avec la délicatesse de l'amateur d'art qui déballe une œuvre précieuse longtemps désirée. Le doux visage couronné d'or roux apparut sous la petite calotte ronde grillagée de perles fines, puis le long cou mince et gracieux. Un autre voile tomba, puis un autre encore. Morayma, en artiste consommée pour laquelle le désir d'un homme n'a pas beaucoup de secrets, les avait multipliés, sachant le plaisir que prendrait son maître à les détacher un à un. Sous leurs multiples feuilles légères, Catherine ne portait rien qu'un ample pantalon plissé fait du même voile léger, resserré aux chevilles et retenu à la pointe des hanches par des tresses de perles. Mais la jeune femme ne bougeait pas. Elle laissait agir les mains souples qui, à mesure que diminuait l'épaisseur de tissus, se faisaient plus caressantes. Elle avait envie de plaire . à cet homme, séduisant d'ailleurs, qui semblait déjà tellement pris par son charme, se montrait doux avec elle et ne lui demandait, après tout, qu'une heure de plaisir... ce plaisir que Gilles de Rais avait pris de force, que Fero le Gitan avait obtenu au moyen d'un philtre, qu'elle avait failli donner à Pierre de Brézé et qu'elle avait offert si spontanément à Gauthier. Tant d'hommes, déjà, étaient passés dans sa vie ! Celui-là n'était certes pas le pire.

Bientôt, les mousselines jonchèrent les dalles de lapis-lazuli comme de gigantesques pétales tombés d'une rose. Les mains du sultan caressaient maintenant la peau nue, s'y attardaient en longs effleurements, mais il ne s'approchait pas encore. Il la regardait... se reculant même de. quelques pas pour mieux la contempler sous la lueur douce qui l'environnait, tombant des lampes d'or pendues aux arcades. De longues minutes, ils demeurèrent ainsi, elle debout offrant sans honte la splendeur de sa beauté, lui à demi agenouillé à quelques pas. Dans la profondeur noire des hauts cyprès du jardin, un rossignol laissa couler une cascade de notes claires et Catherine se souvint de celui qui avait chanté lorsqu'elle avait franchi la haute porte rouge d'Al Hamra. C'était peut-être le même petit chanteur ?...

Mais déjà, en contrepoint, la voix de Muhammad s'élevait doucement dans la nuit :

« Je cueillais au jardin la rose de l'aurore – La voix du rossignol est venue me saisir.

Il souffre, comme moi, de l'amour d'une rose

Et remplit le matin du bruit de ses sanglots.

Je parcourais sans fin les plaintives allées

Captif de cette rose et de ce rossignol... »

Les vers étaient beaux et la voix chaude du calife leur donnait un plus grand charme encore, mais le poème n'alla pas plus loin. Tout en les disant, Muhammad s'était rapproché de Catherine et ce fut sur ses lèvres qu'il posa le dernier mot avant de soulever la jeune femme dans ses bras et de l'emporter vers le jardin.

– La place d'une rose est au milieu de ses sœurs, murmura-t-il contre la bouche de sa captive. C'est au jardin que je veux te cueillir.

Sur les bords de marbre du miroir d'eau où se reflétaient les étoiles, des matelas de velours et des coussins avaient été jetés sous un berceau de jasmin. Muhammad y déposa Catherine puis arracha avec impatience sa gandoura qu'il jeta au hasard. La lourde ceinture étoilée d'émeraudes tomba dans l'eau, disparut sans qu'il fit un geste pour la retenir. Déjà il se laissait tomber sur les coussins et attirait dans ses bras la jeune femme frissonnante mais incapable de se défendre contre les charmes étranges que dégageaient cet homme, cette nuit magique saturée de parfums à laquelle le murmure des cascatelles et le chant du rossignol offraient la plus tendre des musiques. Muhammad savait l'amour et Catherine se prêta docilement au tendre jeu, refoulant sous les assauts du plaisir un sentiment de culpabilité teinté de revanche qui n'était pas dépourvu de saveur.

Et le grand miroir d'eau où se levait la mince corne argentée de la lune fit soudain silence pour mieux refléter la double image des deux corps unis.

« Donne au vent un bouquet cueilli sur ton visage en fleurs Et je respirerai l'odeur des sentiers que tu foules... » psalmodiait le sultan contre l'oreille de Catherine. « Tu sembles pétrie de toutes les fleurs de ce jardin, Lumière de l'Aurore, et ton regard a la pureté de ses eaux limpides. Qui donc t'a appris l'amour, ô la plus parfumée des roses ?... »

Catherine bénit l'ombre des jasmins qui les enveloppait et qui dissimula sa soudaine rougeur. C'était vrai, elle aimait l'amour et si son cœur n'avait jamais pu se donner qu'à un seul homme, son corps, lui, savait apprécier les caresses raffinées d'un maître de la volupté.

Elle dit, avec un peu d'hypocrisie :

– Quelle élève ne se montrerait bonne avec un tel professeur ? Je suis ton esclave, ô seigneur, et je n'ai fait que t'obéir.

Vraiment ? J'espérais mieux... mais je peux, pour une femme telle que toi, avoir toutes les patiences. Je t'apprendrai à m'aimer, avec ton cœur autant qu'avec ta chair. Ici, tu n'auras plus rien d'autre à faire qu'à me donner chaque nuit un bonheur plus grand que la nuit précédente.

– Chaque nuit ? Et tes autres femmes, seigneur ?

– Qui donc, ayant goûté le divin haschisch, pourrait se contenter d'un fade ragoût ?

Catherine ne put retenir un sourire, mais il s'effaça vite. Elle se souvint des yeux sauvages, aux vertes prunelles dangereuses de Zorah l'Égyptienne. Des yeux qui lui rappelaient ceux de cette terrible et malheureuse Marie de Comborn qui avait voulu la tuer et qu'Arnaud avait daguée comme la bête malfaisante qu'elle était. C'était le rôle de favorite en titre que lui offrait Muhammad et Catherine devinait que les menaces de Morayma ne retiendraient pas l'Égyptienne sur le chemin du meurtre si, pour Catherine, le calife oubliait toutes ses autres femmes en général et Zorah en particulier.

– Tu me fais beaucoup d'honneur, seigneur... commença-t-elle, mais, là-bas, sous le portique, une troupe de porteurs de torches venait d'apparaître illuminant la nuit de reflets rougeâtres.


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