355 500 произведений, 25 200 авторов.

Электронная библиотека книг » Жюльетта Бенцони » Catherine et le temps d'aimer » Текст книги (страница 4)
Catherine et le temps d'aimer
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 15:54

Текст книги "Catherine et le temps d'aimer"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



сообщить о нарушении

Текущая страница: 4 (всего у книги 27 страниц)

Malgré sa mauvaise humeur, Catherine ne put retenir un sourire amusé.

– Je devrais me souvenir, dit-elle, que vous avez toujours eu l'art, ma chère Ermengarde, de mettre le ciel de votre côté... ou tout au moins de vous arranger pour que tout le monde le croie. N'empêche que je voudrais bien savoir comment ces maudits rubis sont venus sur moi et qui avait bien pu les voler !

La réponse à cette question devait arriver le soir même. Epuisés et hors d'haleine d'avoir couru trop vite, Catherine et ses compagnons avaient atteint l'étape de Figeac où ils avaient pris logis dans la plus grande auberge de la ville, située en face du bailliage et de l'antique «

ostal de la Moneda », l'hôtel des monnaies royales. Fatiguées par l'aventure du matin plus encore que par l'étape, à vrai dire assez courte de la journée, Catherine et Ermengarde, laissant les quatre autres femmes se rendre à l'église pour le salut, prenaient le frais dans la cour de l'auberge, sous les branches d'un gros platane à travers lesquelles filtrait la gloire rouge d'un coucher de soleil parfaitement inattendu. Non moins inattendu était l'homme qui s'approcha d'elle et, incontinent, se laissa tomber aux genoux de Catherine en implorant son pardon :

– C'est moi qui ai volé les rubis, déclara Josse Rallard d'une voix nette mais point trop forte à cause des servantes qui passaient au fond de la cour, transportant des corbillons chargés de linge. Et c'est moi encore qui, en faisant semblant de trébucher, les ai glissés dans votre aumônière quand nous sommes tombés ensemble. Je suis venu vous demander pardon!

Tandis que Catherine, trop saisie pour parler, se taisait, regardant l'homme visiblement éreinté et couvert de poussière qui se tenait humblement à ses pieds, Ermengarde fit un effort héroïque pour s'arracher du banc où elle était assise et pour saisir sa béquille. N'y parvenant pas, elle hurla :

– Et tu viens nous raconter ça tout de go ?... sans même rougir.

Mais, mon garçon, je vais te remettre tout de suite à la justice du bailli qui aura sûrement un morceau de corde à ta disposition. Holà ! vous autres...

D'une main posée sur son bras, Catherine la fit taire. Son regard violet s'était attaché aux étranges prunelles verdâtres de l'homme, à son visage aux traits bizarrement mélangés de brutalité et de finesse.

– Un instant ! Je veux d'abord qu'il réponde à deux questions.

– Questionnez ! fit Josse. Je répondrai.

– D'abord, pourquoi avez-vous fait cela ?

Quoi ? Le vol ? Dame, fit-il avec un haussement d'épaules, il me faut tout vous confesser. Je n'ai pris la grand-route de Galice que pour mettre quelque distance entre moi et le chevalier du guet qui m'attend à" Paris avec une corde fort longue et bien solide. La cour des Miracles est ma demeure, mais je n'osais plus en sortir parce que j'étais un peu trop connu. Alors, j'ai décidé de voir du pays... Bien sûr, je n'avais guère d'illusion sur mon compte. Je savais bien qu'en chemin il me viendrait des occasions... Et quand j'ai vu cette statue tout en or, toute cousue de pierreries, j'ai pensé qu'en en enlevant quelques-unes cela ne se connaîtrait pas et que mes vieux jours seraient assurés. La tentation, que voulez-vous ?

– C'est possible, mais votre forfait accompli, pourquoi m'en avoir chargée ? s'écria Catherine. Pourquoi m'avoir laissé accuser ? Vous saviez bien que je risquais la mort.

Josse hocha la tête vigoureusement et ne se troubla pas.

– Non. Vous risquiez beaucoup moins que moi. Je suis un pauvre hère, un truand... Vous, vous êtes une grande dame. On ne pend pas comme ça une grande dame. Et puis, il y avait votre amie. La noble dame a de la défense... et des hommes d'armes. Je savais qu'elle vous défendrait avec bec et ongles. Tandis que moi, personne n'eût pris ma défense. On m'aurait branché au premier arbre sans autre forme de procès. J'ai eu peur... une peur affreuse qui m'a tordu le ventre. Je croyais qu'on ne s'apercevrait pas tout de suite du vol, qu'on ne soupçonnerait pas de pieux pèlerins et que, à tout le moins, nous aurions le temps de faire un bon bout de chemin. Quand j'ai vu arriver les moines, j'ai compris que j'étais perdu. Alors...

– Alors, vous m'avez confié votre butin, acheva Catherine tranquillement. Et si, malgré tout, on m'avait fait un mauvais parti ?

– Je jure sur le Dieu auquel je n'ai jamais cessé de croire que je me serais dénoncé. Et si l'on ne m'avait pas cru, je me serais battu pour vous, jusqu'à la mort !

Catherine garda le silence un moment, pesant les paroles qu'il venait de prononcer avec une gravité inattendue. Enfin elle dit :

– La seconde question maintenant : pourquoi nous avez-vous rejointes ? Pourquoi venez-vous ici avouer votre faute ? Je suis libre, en sécurité, et vous l'étiez aussi. En venant ici, vous remettez tout en question. Vous ignorez comment je vais réagir et si je ne vous livrerai pas.

C'était un risque à courir, fit Josse sans se démonter. Mais je ne voulais plus rester avec ces diseurs de patenôtres sanguinaires. J'en avais assez de Gerbert Bohat et de messire Colin. Du moment que vous n'étiez plus là, le voyage n'avait plus aucun intérêt et...

– Et tu t'es dit, ricana Ermengarde, qu'à défaut de rubis tu pourrais peut-être chasser l'émeraude de la Reine. Car tu n'as certainement pas tes yeux dans ta poche, n'est-ce pas ?

Mais de nouveau Josse dédaigna de lui répondre. Soutenant toujours le regard de Catherine, il dit :

– Si vous pensez cela, dame Catherine, livrez-moi sans plus d'hésitation. Ce que je voulais vous dire, c'est ceci : je vous ai fait tort pour sauver ma vie, mais j'en ni grand regret. Pour réparer, je suis venu vous offrir mes services. Si vous le permettez, je vous suivrai, je vous défendrai... Je suis un truand, mais je suis brave et je sais manier l'épée comme un seigneur. Sur la route que vous suivez, on a toujours besoin d'un bras solide. Voulez-vous, d'abord, me pardonner et ensuite me prendre pour serviteur ? Sur le salut de mon âme, je jure de vous servir fidèlement.

De nouveau le silence. Josse, toujours à genoux, ne bougeait pas, attendant la réponse de Catherine. Celle-ci, bien loin d'éprouver de la colère, se sentait curieusement attendrie par ce garçon bizarre qui, à une malhonnêteté flagrante, joignait des sentiments d'une curieuse élévation et un charme indéniable. Passant par sa bouche, les choses les plus ahurissantes prenaient un air de naturel. Néanmoins, avant de répondre, elle leva les yeux sur Ermengarde qui, les lèvres serrées, gardait, elle aussi, le silence, mais un silence de mauvais augure.

– Que me conseillez-vous, chère amie ?

La douairière haussa les épaules avec emportement.

– Que voulez-vous que je vous conseille ? Vous paraissez douée des mêmes talents que la magicienne Circé : elle changeait les hommes en pourceaux. Apparemment, vous faites l'opération inverse.

Agissez donc à votre guise, mais je connais déjà votre réponse.

Tout en parlant, Ermengarde avait enfin atteint sa béquille, s'y agrippait en refusant la main de Catherine et se mettait debout après un méritoire effort. Et comme Catherine, alarmée, craignant de l'avoir offensée, demandait avec inquiétude :

– Où allez-vous, Ermengarde ?. Je vous en prie, ne prenez pas mal ce que je vais vous dire, mais...

– Où voulez-vous que j'aille ? grogna la vieille dame. Je vais dire à Béraud de battre un peu la ville pour nous trouver un autre cheval.

Ce garçon court peut– être vite, mais pas assez pour nous suivre jusqu'en Galice à pied !

Après quoi, étayée tant bien que mal sur ses béquilles, semblable à quelque vaisseau de haut bord donnant fortement de la bande, Ermengarde de Châteauvillain quitta majestueusement la cour de l'auberge.

Quinze jours plus tard, Catherine et son escorte, parvenue au pied des Pyrénées, franchissaient le gave d'Oloron sur l'antique pont fortifié de Sauveterre. Le voyage s'était déroulé sans histoire car, dans les terres traversées, qui appartenaient pour la plupart à la puissante famille d'Armagnac, les routiers anglais n'étaient guère à craindre. Les places fortes qu'ils tenaient encore en leur pouvoir se situaient surtout en Guyenne et, peu soucieux de se créer des histoires avec le comte Jean IV d'Armagnac, dont la politique envers eux se montrait étrangement souple depuis quelque temps, ils se gardaient bien d'empiéter sur ses domaines.

Par Cahors, Moissac, Lectoure, Condom, Eauze, Aire-sur-Adour et Orthez, Catherine, Ermengarde et leurs gens avaient enfin atteint les montagnes qui les séparaient de l'Espagne. Mais la patience de Catherine était à bout. Depuis que l'on avait quitté les pèlerins de Gerbert Bohat, Ermengarde de Châteauvillain semblait avoir perdu tout à coup sa hâte d'arriver à destination. Elle qui, la veille encore, excitait l'impatience de Catherine, lui démontrant vigoureusement l'avantage qu'il y aurait à laisser en arrière la colonne trop lente des pèlerins, voilà qu'elle semblait mettre un malin plaisir à ralentir leur marche !

Au début, Catherine n'avait rien soupçonné. Il avait fallu demeurer une journée à Figeac pour procurer une monture à Josse Rallard. À

Cahors aussi l'on était demeuré deux nuits : c'était un dimanche et Ermengarde assurait que, sur les routes saintes, il ne portait pas bonheur de ne pas respecter le jour du Seigneur. C'était acceptable et, par amitié, Catherine avait refréné son impatience, mais quand, à Condom, la douairière avait voulu s'attarder pour assister à une fête, la jeune femme n'avait pu se retenir de protester.

– Oubliez-vous que je ne fais pas ce voyage par plaisir et que les fêtes n'ont pour moi aucune importance ? Vous savez ma hâte d'arriver en Galice, Ermengarde. Que venez-vous me parler de fêtes locales ?

Sans se démonter, Ermengarde, jamais à court, avait objecté qu'une trop grande tension d'esprit est néfaste au bon fonctionnement du corps et qu'il est salutaire, même lorsqu'on est pressé, de prendre un peu son temps. Naturellement, Catherine n'avait rien voulu entendre.

– Autant valait, dans ce cas, aller jusqu'au bout du vœu que j'avais fait et demeurer avec Gerbert Bohat !

– Vous oubliez qu'il ne dépendait pas de votre volonté de demeurer avec les pèlerins, ma chère !

Catherine, alors, avait regardé son amie avec curiosité.

– Je ne vous comprends pas, Ermengarde. Vous sembliez désireuse de m'aider et, tout à coup, on dirait que vous avez changé d'avis ?

– C'est bien parce que je souhaite vous aider que je vous prêche la modération. Qui sait si vous n'allez pas au-devant de cruelles déceptions ? Dans ce cas, vous les rencontrerez toujours assez tôt !

Cette fois, Catherine n'avait pas répondu. Les paroles de son amie correspondaient trop à ses angoisses constantes pour ne pas ressentir cruellement leur écho. Cette entreprise était folle, elle le savait bien, et ce n'était pas la première fois qu'elle se disait combien minces étaient ses chances de retrouver Arnaud. Souvent, la nuit, au cœur de l'obscurité, dans ces heures sombres et lourdes où les angoisses décuplées entretiennent l'insomnie et font battre le cœur sans qu'il soit possible de le calmer, elle demeurait éveillée, couchée sur le dos, les yeux grands ouverts, essayant de faire taire sa raison qui lui conseillait d'abandonner, de retourner à Montsalvy auprès de son enfant et d'y entamer courageusement une vie tout entière consacrée à Michel. Parfois, elle était prête à céder, mais, quand l'aube pointait, chassant les fantômes déprimants, Catherine se retrouvait plus acharnée que jamais à la poursuite de son rêve : revoir Arnaud, ne fût-ce qu'un instant, lui parler une fois encore. Ensuite...

Elle n'en éprouvait pas moins une pénible impression à constater qu'au lieu des encouragements dont elle avait tant besoin elle ne trouvait plus chez son amie que scepticisme et conseils de prudence.

Ermengarde, elle le savait bien, n'avait jamais aimé Arnaud. Elle appréciait en lui la race, la vaillance et le talent d'homme de guerre, mais elle avait, de tout temps, été persuadée que Catherine ne pouvait trouver auprès de lui que douleur et désenchantement.

Pourtant, ce matin, tandis que les sabots de son cheval résonnaient sur les pierres du vieux pont, il n'y avait place que pour l'espoir dans le cœur de Catherine. Sourde aux grondements du gave écumeux dont les eaux blanches roulaient sous ses pas, elle regardait avec une stupeur émerveillée ces immenses montagnes dont les sommets aigus, en dents de scie, s'encapuchonnaient de neige éclatante. Pour l'enfant des plaines qu'elle était et qui n'avait connu, en fait de montagnes, que les formes adoucies de l'Auvergne, ce gigantesque décor formait une barrière à la fois redoutable et exaltante où aucun chemin ne paraissait possible. Elle ne put s'empêcher de songer à haute voix :

– Jamais nous ne pourrons franchir ces montagnes, murmura-t-elle.

Vous verrez que si, dame Catherine, répondit Josse Rallard. Fidèle à l'habitude qu'il avait prise dès le départ de Figeac, il chevauchait toujours à la croupe même de son cheval – : Le chemin se découvre à mesure que l'on avance.

– Mais, poursuivit-elle tristement, celui dont le pied manque ou qui se perd dans ce pays terrible ne doit pas pouvoir espérer le salut...

Elle songeait, tout à coup, à Gauthier dont ces hautes montagnes avaient englouti la grande forme, cependant indestructible d'apparence. Jusqu'à ce que l'on arrivât en face des Pyrénées, Catherine avait espéré le retrouver, mais c'était parce qu'elle ne connaissait pas les vraies montagnes. Comment arracher leur proie à de tels géants ?

Ignorant ses pensées, Josse lui jeta un regard à la fois curieux et inquiet. Mais, devinant obscurément qu'elle avait besoin de réconfort, il répliqua joyeusement :

– Pourquoi donc ? Ne savez-vous pas que ce pays est le pays des miracles ?

– Que voulez-vous dire ?

Jetant un bref regard à Ermengarde qui. restée un peu en arrière avec ses gens, acquittait le péage du pont, Josse désigna les eaux tourbillonnantes du gave :

– Regardez cette rivière, dame Catherine. Il semble que, si l'on osait s'y aventurer, on ne garderait aucune chance d'en sortir vivant.

Pourtant, voici près de trois siècles, le roi de Navarre fit jeter dans ce torrent, pieds et poings liés, sa jeune sœur Sancie de Béarn, accusée d'avoir tenté de tuer son enfant. Elle ne devait être reconnue innocente que si elle en sortait vivante...

– Un jugement de Dieu ? s'écria Catherine en regardant avec effroi l'eau écumante.

Oui, un jugement de Dieu ! La jeune comtesse était frêle, sans forces et solidement ligotée. On la jeta du haut de ce pont et aucun des assistants n'aurait donné un sol de sa vie. Pourtant, l'eau la reporta, saine et sauve, au rivage. Bien sûr, les gens ont crié au miracle, mais je crois, moi, que le miracle peut se reproduire n'importe quand. Il suffit que Dieu le veuille, dame Catherine. Et alors, qu'importent les montagnes, la violence des éléments ou même l'inexorable temps ? Il suffit de croire...

Catherine ne répondit pas, mais le regard chargé de gratitude qu'elle adressa à son écuyer improvisé lui prouva qu'il avait touché juste et qu'il venait de lui payer une partie de sa dette de gratitude. Ce fut avec une sérénité totale qu'elle regarda les rayons du soleil allumer la blancheur des glaciers.

Elle chevaucha un moment sans parler, les yeux fixés au prodigieux incendie rose qui éclatait là-haut, tout près du ciel, la pensée absente. Josse avait repris sa place en arrière, mais, soudain, elle l'entendit toussoter, sursauta èt tourna vers son écuyer un regard un peu égaré.

– Qu'y a-t-il ?

– Il faudrait peut-être attendre la dame de Châteauvillain. Elle est toujours sur le pont.

Catherine retint son cheval et se retourna. En effet, Ermengarde, arrêtée au milieu du pont, semblait entretenir une conversation animée avec le sergent qui en commandait la garde. Catherine haussa les épaules

– Mais que fait-elle donc ? Si cela continue, nous ne serons pas à Ostabat ce soir.

– S'il ne dépendait que de dame Ermengarde, remarqua tranquillement Josse, nous n'y serions même pas demain soir!

Catherine haussa les sourcils et lui jeta un coup d'œil stupéfait.

– Je ne comprends pas ! Expliquez-vous.

– Je veux dire que la noble dame fait tout son possible pour ralentir notre voyage. C'est tout simple : elle attend quelqu'un !

– Quelqu'un ? Et qui donc ?

– Je ne sais pas. Peut-être ce sergent qui nous a quittés si brusquement après la domerie d'Aubrac. N'avez-vous pas remarqué, dame Catherine, que votre amie regarde bien souvent en arrière ?

La jeune femme se contenta de hocher la tête affirmativement. En effet, elle avait plus d'une fois remarqué le manège d'Ermengarde.

Non seulement celle-ci n'avait plus aucune hâte d'arriver en Galice, mais encore elle jetait, de temps à autre, derrière elle, des regards anxieux. Une bouffée de colère enflamma les joues de Catherine. Elle ne se laisserait pas manœuvrer plus longtemps, si bonnes que puissent être les raisons d'Ermengarde. Sur le pont, la comtesse bavardait toujours. Catherine enleva son cheval.

– En avant, Josse ! Elle saura bien nous rattraper ! J'ai décidé, moi, d'être à Ostabat ce soir même. Et tant pis si nous distançons Mme de Châteauvillain. Je refuse de continuer à perdre du temps !

La grande bouche de Josse s'étira vers les oreilles en un muet sourire tandis qu'il lançait sa monture sur la trace de la jeune femme.

Moitié maison forte, moitié hôpital, l'antique relais routier d'Ostabat avait beaucoup perdu de sa primitive prospérité. Les temps difficiles, la guerre surtout qui, depuis tant d'années, ravageait le royaume de France, avaient ralenti les pèlerinages. Les bonnes gens hésitaient d'autant plus à se risquer sur des routes que les troupes, anglaises ou françaises, jointes aux brigands et aux ordinaires périls des grands chemins, rendaient par trop dangereuses. Il fallait être en bien grande peine ou bien dépourvu de toute richesse terrestre pour se risquer en ce voyage qui, souvent, était sans retour. Et les grandes foules qu'avait vues passer le vieil hospice, situé à la jonction des trois grandes routes d'Auvergne, de Bourgogne et d'île-de-France, se réduisaient à quelques groupes déjà terrifiés par ce qu'ils avaient vu en cours de route et qu'angoissaient encore les dangers de la montagne prochaine parmi lesquels celui des célèbres bandits basques n'était pas le moindre, sans compter celui des inquiétants passeurs de cols qui n'offrent leurs services que pour mieux détrousser le voyageur trop confiant. Plus d'un seigneur-brigand avait sa tour fortifiée au flanc de la grande montagne. Elle servait de repaire à tous ces gens de sac et de corde.

– Avec un peu de chance, avait dit Ermengarde à Catherine, nous aurons l'hospice pour nous seules et nous y aurons nos aises.

Mais lorsque la jeune femme, toujours suivie de Josse, franchit le portail, elle eut la surprise de voir, dans la cour, une assez forte troupe de chevaux dont s'occupaient activement des valets bien vêtus. Il y avait aussi des mulets de bât et, assis autour d'un feu dont les flammes illuminaient le crépuscule, une dizaine de soldats se reposaient en faisant rôtir un gros quartier de viande. En résumé, le train habituel d'un grand seigneur en voyage ! La porte de l'hospice était grande ouverte et l'on apercevait les chanoines prémontrés qui allaient et venaient, sans doute pour servir l'hôte de marque, et les éclats d'un grand feu ronflant dans une cheminée.

– Il semble que nous n'aurons pas à redouter la solitude, marmotta Catherine avec humeur. Aura-t-on seulement une cellule pour nous ?

Josse n'eut pas le temps de répondre. Déjà, un religieux s'avançait vers la jeune femme :

– La paix du Seigneur soit avec vous, ma sœur ! Que pouvons-nous pour vous ?

– Nous donner le gîte et le couvert, répondit Catherine. Mais nous sommes plus de deux. Le reste de notre troupe nous suit, et je crains...

Le vieil homme eut un bon sourire qui plissa toutes les rides de son visage.

– A cause de ce seigneur qui nous est arrivé tout à l'heure ? Ne craignez pas. La maison est grande et elle vous est ouverte. Voulez-vous descendre ? Un frère lai prendra soin de vos montures.

Mais Catherine, déjà, ne l'écoutait plus. Elle venait d'apercevoir, au seuil d'une écurie, un officier qui devait être le chef des soldats et qui, encore tout armé, portait sur sa cuirasse un tabard armorié. Or, malgré l'ombre grandissante, il n'était pas possible de s'y tromper : les armes étalées sur la soie épaisse du vêtement, Catherine ne les connaissait que trop bien : c'étaient celles du duc de Bourgogne !

Elle se sentit pâlir et, dans sa tête, les pensées se mirent à tourner à une grande allure. Voyons ! ce n'était pas possible que le duc Philippe fût ici ! Cette escorte pouvait être celle d'un seigneur, elle était tout de même trop mince pour le Grand Duc d'Occident !... Pourtant, c'étaient bien là les fleurs de lys et les barres ducales, les briquets de la Toison d'Or... cette Toison d'Or fondée jadis en souvenir d'elle !

Sa mine défaite et son attitude rigide frappèrent le religieux qui, doucement, secoua la bride du cheval.

– Ma fille ! Vous êtes souffrante ?

Sans bouger, les yeux toujours fixés à l'inquiétant emblème, Catherine demanda :

– Ce seigneur qui vous est arrivé... Quel est-il ?

– Un envoyé personnel de Monseigneur le Duc Philippe de Bourgogne.

– Un envoyé ? Vers qui ? En quel pays ?

– Comment voulez-vous que je le sache ? Sans doute vers le souverain de Castille, ou le roi d'Aragon, à moins qu'il ne s'agisse du roi de Navarre. Mais vous voilà bien nerveuse, ma fille ? Venez ! Le repos vous fera du bien.

Un peu rassurée, Catherine se décida à descendre de son cheval, au moment précis où Ermengarde et le reste de la troupe pénétraient en trombe dans la cour de l'hospice. La comtesse semblait fort mécontente. Très rouge, les lèvres pincées, les yeux fulgurants, elle interpella Catherine furieusement :

– Ah ! ça, ma mie, à quoi jouez-vous ? Voilà des heures que nous vous galopons derrière sans pouvoir vous rattraper!

– Je suis lasse de perdre du temps, Ermengarde ! rétorqua la jeune femme sèchement. Il y a sur votre route trop de gens avec qui vous trouvez plaisir à bavarder. J'ai craint de ne point parvenir, ce soir, dans cette sainte maison et j'ai pris les devants.

– Il me semble pourtant... commença la comtesse.

Mais les mots moururent sur ses lèvres tandis qu'un éclair s'allumait dans ses yeux gris. Elle venait, elle aussi, de reconnaître les armes de l'officier. Un large sourire étira ses lèvres soulignées d'une ombre de moustache.

– On dirait que nous aurons de la compagnie, ici ? dit-elle avec un entrain qui n'échappa pas à Catherine. Des amis, sans doute !

Catherine eut un froid sourire.

– Des amis ? Je vous conseillerais plutôt, ma chère amie, de fuir et d'éviter le seigneur qui possède de telles armoiries. Oubliez-vous que vous êtes proscrite, en fort mauvais termes avec le duc Philippe ?

– Bah ! fit Ermengarde avec une belle insouciance. Nous voilà bien loin de Bruges et de Dijon. De plus, j'ai gardé quelques amis fidèles auprès de Monseigneur Philippe ! Enfin, vous le savez, je n'ai jamais été peureuse. J'aime affronter les choses en face !

Et, relevant le bas de sa robe de velours pourpre, montrant de longs pieds étroits chaussés de bottes solides, la dame de Châteauvillain se dirigea vers la porte sur laquelle l'officier se tenait toujours, regardant venir à lui cette imposante personne qui, de toute évidence, ne lui imposait guère. Elle l'interpella :

– Dis-moi, l'ami, qui est ton maître ?

– Ambassadeur de Monseigneur le duc Philippe de Bourgogne, comte de Flandre, de...

– Fais-nous grâce des titres du duc, je les connais mieux que toi et nous serons encore là au lever du soleil ! Dis-moi plutôt qui est cet ambassadeur ?

– Qui êtes-vous vous-même pour interroger de la sorte, dame ?

La colère n'eut pas le temps d'empourprer les joues, déjà d'un beau rouge sombre, de la comtesse. Une main étroite mais ferme venait d'écarter l'officier tandis qu'un homme jeune encore, vêtu avec une simplicité qui n'excluait pas une certaine élégance, de daim feuille-morte, apparaissait sur le seuil. Sa tête nue montrait de courts cheveux blonds fortement mélangés de gris. Le reflet du feu éclaira un visage étroit aux lèvres si minces qu'elles semblaient scellées. Un long nez droit les surmontait. Le regard glacial de deux yeux bleus, légèrement globuleux, enveloppa la douairière furieuse, mais, brusquement, leur expression changea : un sourire détendit l'ennui des traits réguliers tandis que les yeux ternes se mettaient à briller.

– Ma chère comtesse ! J'avais craint de vous manquer et, déjà...

Un geste discret et autoritaire de la vieille dame lui coupa la parole, mais il était trop tard : non seulement Catherine avait entendu la phrase maladroite, mais elle avait vu le geste. Elle sortit de l'ombre, s'avança auprès de son amie.

– Et moi, Jean, dit-elle froidement, craigniez-vous aussi de me manquer ?

Le peintre Jean Van Eyck, valet de chambre du duc Philippe de Bourgogne et son ambassadeur secret dans bien des circonstances, ne se donna pas la peine de feindre. La joie qui éclata sur son visage était bien réelle et bien sincère. Un élan le jeta en avant, les mains tendues vers la mince silhouette.

– Catherine !... C'est vous ! C'est bien vous ? Je ne rêve pas ?...

Il était si évidemment heureux que la jeune femme sentit fondre un peu sa méfiance. Ils avaient été de bons amis, au temps où elle régnait à la fois sur la cour de Bourgogne et sur le cœur de son duc. Plus d'une fois elle avait servi de modèle à ce grand artiste dont elle admirait passionnément le génie tout en appréciant la fidélité de son amitié. Jean avait même été quelque peu amoureux d'elle et ne s'en était jamais caché. Malgré tout, Catherine ne pouvait se défendre d'un sentiment de joie. Celui que l'on éprouve en retrouvant un ancien ami depuis longtemps perdu de vue. Elle n'avait de lui que de bons souvenirs et les longues heures de pose passées en face de son chevalet avaient été des heures de paix et de douceur, hormis peut-être la dernière ; ce jour-là, elle avait appris la maladie de l'enfant qu'elle avait eu du duc Philippe et que soignait Ermengarde de Châteauvillain. Elle avait décidé de quitter Bruges pour n'y plus revenir car Jean Van Eyck partait lui aussi, mais pour le Portugal où il allait demander pour le duc la main de la princesse Isabelle. Et la vie avait entraîné Catherine dans son torrent sans retour. Il y avait six ans qu'elle n'avait revu Van Eyck... Spontanément, elle plaça ses mains dans celles qui se tendaient.

– C'est bien moi, mon ami... et j'ai grande joie de vous revoir !

Que faites-vous si loin de Bourgogne ? J'ai cru comprendre que vous aviez rendez-vous avec dame Ermengarde ?

Tout en parlant, elle jetait un coup d'œil du côté de son amie et la vit rougir légèrement. Mais Van Eyck ne parut pas autrement ému par ses questions.

– Rendez-vous est beaucoup dire ! Je savais que dame Ermengarde se rendait à Compostelle-de-Galice et, comme ma mission m'envoyait sur le même chemin, j'espérais bien faire route avec elle.

– Est-ce donc auprès de Monseigneur saint Jacques que vous envoie le duc ? fit Catherine avec une ironie qui n'échappa pas à l'artiste.

– Allons, fit-il avec un sourire, vous savez bien que mes missions sont toujours secrètes. Je n'ai pas le droit d'en parler. Mais rentrons, la nuit est complète et il fait frais au pied de ces montagnes !

De la soirée passée sous les vieilles voûtes de la salle commune où s'entassaient, depuis des siècles, des foules denses, animées par la foi, Catherine devait garder un curieux sentiment d'irréalité et d'insécurité tout à la fois. Assise à la grande table entre Ermengarde et Jean, elle les écouta parler sans trop se mêler à la conversation. Comment l'aurait-elle pu ? Les affaires de Bourgogne dont ils discutaient lui étaient devenues à ce point étrangères qu'elle n'y trouvait plus la moindre trace d'intérêt. Même l'héritier ducal, ce jeune Charles, comte de Charolais, que la duchesse Isabelle avait mis au monde quelques mois plus tôt et qui soulevait la passion des deux Bourguignons, ne parvenait pas à secouer son indifférence. Il s'agissait là d'un monde mort pour elle à tout jamais.

Mais, si elle ne prêtait que peu d'attention à leurs propos, elle n'en observait pas moins, avec une attention aiguë, ses deux compagnons.

Tout à l'heure, quand elle avait quitté la cellule qu'on lui avait octroyée pour se rendre dans la grande salle, elle avait trouvé Josse qui l'attendait, immobile dans l'obscurité presque totale du cloître. Elle avait sursauté en le voyant surgir de l'ombre, mais il avait aussitôt mis un doigt sur ses lèvres. Puis il avait chuchoté :

– Ce seigneur venu de Bourgogne... c'est lui qu'attendait la noble dame !

– Qu'en savez-vous ?

– Je les ai entendus, tout à l'heure, dans le jardin aux herbes.

Prenez garde ! C'est pour vous qu'il est venu !

Il n'avait pas eu le temps d'en dire davantage. Ermengarde, à son tour, arrivait flanquée de Gillette et de Margot que sa personnalité puissante semblait fasciner. Catherine avait remis à plus tard la suite des explications. D'ailleurs, Josse s'était évanoui dans l'ombre comme un vrai fantôme. Mais c'était à cela qu'elle songeait durant le frugal repas de pois chiches, de lait et de pommes tandis que son regard allait du long visage calme de Van Eyck à la large figure enjouée et pleine d'animation d'Ermengarde. Celle-ci était joyeuse comme elle ne l'avait pas été depuis de longs jours et Catherine se disait que Josse pouvait bien avoir raison : c'était le peintre qu'elle attendait, mais, alors, quel rapport cette rencontre pouvait-elle avoir avec Catherine elle-même ?

Elle n'était pas femme à laisser longtemps sans réponse une question aussi irritante et comme, le repas terminé, Ermengarde se levait en s'étirant et en bâillant effroyablement, elle décida de passer à l'attaque. Après tout, jusqu'à preuve du contraire, le peintre était son ami. Il allait s'agir pour lui de le prouver !

Comme la grosse comtesse quittait déjà la pièce et que Van Eyck prenait une chandelle pour lui faire escorte, Catherine le retint :


    Ваша оценка произведения:

Популярные книги за неделю