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Catherine et le temps d'aimer
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 15:54

Текст книги "Catherine et le temps d'aimer"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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– Ah ! j'allais oublier ! Écoute ce que je vais te dire, femme, et tâche de t'en souvenir, si tu veux vivre ; le caprice de mon frère, qui ne durera pas, sois-en bien certaine, t'a mise à la place d'une sultane et logée dans mon voisinage. Mais si tu tiens à réjouir encore durant quelques nuits les sens du Calife, ne t'approche pas de mon logis.

Seules, les femmes de mon service ont ce droit ou celles que je convie, mais je ne tolère pas qu'une étrangère, une barbare s'y introduise. Si l'on te voit rôder autour de mes appartements, tu mourras !

Catherine ne répondit pas. Elle comprenait que cette rigueur s'appliquait surtout à une femme venue du même pays qu'Arnaud. Un instant, elle eut la tentation de lancer ce qu'elle pensait au visage de sa rivale, mais se retint. A quoi bon exciter la colère dangereuse de cette fille ? Ce n'est pas une joute oratoire avec Zobeïda qui lui rendrait Arnaud. Elle ne put, cependant, se retenir de murmurer :

– Caches-tu donc un trésor dans ta demeure ?

– Tu es trop bavarde et trop curieuse, femme aux cheveux jaunes

! Et je n'ai plus de patience pour toi. Remercie Allah que je ne veuille pas attrister 'non frère en lui brisant si tôt un jouet dont il n'est pas encore las ! Mais tiens ta langue et voile tes yeux si tu veux conserver l'une et les autres ! Aveugle et muette, tu serais tout juste bonne pour les galeux du Maristan ! Souviens-toi : n'approche pas de mon logis !

D'ailleurs... Tu ne resteras pas longtemps ma voisine.

– Et pourquoi donc ?

Parce que tu m'as déçue ! On disait merveilles de toi dans le palais et j'ai voulu contempler une beauté aussi exceptionnelle, mais...

Tout en parlant, Zobeïda était revenue vers Catherine. Son allure nonchalante, féline évoquait irrésistiblement une panthère noire. Elle se penchait maintenant et le cœur de la jeune femme manqua un battement car la princesse choisissait, dans la corbeille, une énorme pêche rose et duveteuse dans laquelle ses petites dents aiguës mordirent avidement. Ne sachant pas ce que contenait au juste le couffin, Catherine trembla qu'elle ne le découvrît avant elle. Était-ce sous les fruits... ou dans un fruit ? Avec Abou-al-Khayr, on ne pouvait savoir. Les yeux agrandis, elle regardait Zobeïda manger le fruit dont le jus coulait sur ses doigts. Quand elle eut fini, la princesse jeta le noyau sur Catherine comme si elle eût été un simple pot de détritus et daigna achever sa phrase.

– ... Mais tu n'es pas aussi belle que je le croyais ! Non, en vérité, j'en connais de plus belles que toi !

A nouveau elle se penchait, choisissait, cette fois, une figue noire aux reflets violets et, de son pas languissant, s'éloignait enfin. Il était temps ! Folle de colère, Catherine avait déjà empoigné un gros melon doux et allait s'en servir comme projectile. Mais le brocart couleur de mer de Zobeïda avait déjà disparu et le fruit tomba des mains de Catherine tandis qu'avec un gémissement Morayma se relevait enfin.

Durant tout l'entretien, elle était demeurée prosternée à terre. Zobeïda en effet avait oublié de lui ordonner de se relever. Épouvantée de l'audace de Catherine, elle avait préféré se faire oublier et avait assez bien réussi à se confondre avec les épais tapis de soie. Mais ce long agenouillement avait endolori ses articulations.

– Allah ! grogna-t-elle. Mes os craquent comme un sarment dans le feu ! Qu'est-ce qui t'a pris, Lumière de l'Aurore, de tenir tête à la redoutable Zobeïda ? En vérité, je m'étonne que tu vives encore !

Faut-il que la nuit passée ait été douce à notre princesse pour qu'elle soit si magnanime !

Ces mots trop évocateurs étaient plus que Catherine n'en pouvait endurer.

– Va-t'en ! gronda-t-elle entre ses dents serrées. Va-t'en !

Disparais de mes yeux si tu ne veux pas que le Calife. Entende parler de toi à son retour...

– Qu'est-ce qui te prend ? s'étonna la vieille Juive. Je ne t'ai rien dit d'offensant.

– Je veux la paix, tu m'entends ? La paix ! Disparais et ne reviens que si je t'appelle ! Je t'ai déjà dit que je voulais dormir : Dormir !

C'est clair ?

– C'est bon, c'est bon, je m'en vais...

Impressionnée, malgré elle, par le ton exaspéré de la nouvelle favorite, Morayma jugea plus prudent de s'esquiver.

Demeurée seule avec sa colère, Catherine ne perdit cependant pas de temps à lui donner libre cours. Attirant la corbeille de fruits, elle se mit en devoir de la vider, empilant les fruits sur son lit. Il y en avait une belle quantité et il lui fallut aller jusqu'au fond pour trouver ce qu'elle cherchait sans savoir ce que cela pouvait être. Abou-al-Khayr était un homme prudent.

Contre la vannerie dorée du panier, Catherine trouva trois choses dont l'une, au moins, lui arracha une exclamation de joie : sa chère dague à l'épervier, la compagne fidèle de ses jours les plus difficiles.

Deux autres objets l'accompagnaient, une petite fiole de verre enchâssée dans un étui d'argent et une lettre qu'elle se hâta de lire.

« Quand le voyageur s'introduit dans la profonde forêt où grondent les fauves, il lui faut une arme pour défendre sa vie. Tu as commis une grande folie en t'éloignant sans mon avis car j'aurais souhaité pour toi un destin moins éclatant... mais moins exposé. Mais celui qui veut se dresser contre la volonté d'Allah est un insensé et tu as seulement suivi ton destin. Tes serviteurs veillent sur toi de loin. Josse a pu entrer dans la garde du vizir. Il loge maintenant à l'Alcazaba, près du palais. Mais Gauthier a grand-peine à jouer le rôle de serviteur muet que je lui impose auprès de moi. Il me suit partout et je pense rendre de nombreuses visites au Commandeur des Croyants lorsqu'il sera de retour. Jusque-là, ne brusque rien. La patience, elle aussi, est une arme.

« Quant au flacon, il contient un poison rapide. Le sage prévoit toujours qu'il peut échouer... et les bourreaux mongols de la princesse savent trop bien comment jouer des symphonies de souffrance sur les pauvres harpes humaines... »

Il n'y avait, bien entendu, aucune signature. Catherine se hâta de brûler la lettre sur les charbons du grand brûle-parfum de bronze posé au centre de la pièce. Elle était écrite en français, mais ce palais recelait trop de surprises pour ne pas la détruire... Catherine regarda le papier de coton se tordre, noircir et se changer en une fine cendre.

Elle se sentait infiniment mieux, l'esprit plus libre, plus léger.

Maintenant qu'elle était armée, les chances lui semblaient plus égales puisqu'elle avait le pouvoir de frapper cette arrogante Zobeïda et l'arracher définitivement des bras d'Arnaud, quitte à la suivre aussitôt dans la mort.

Serrant contre son cœur l'acier froid de l'arme, Catherine se laissa glisser de nouveau sur ses coussins. Il lui fallait réfléchir posément à ce qui allait suivre !...

Accroupie sur un énorme coussin de cuir brodé, Marie, la jeune odalisque française, suçait un sorbet à la rose avec des grâces de jeune chat. Elle observait silencieusement Catherine qui, étendue à plat ventre, le menton dans ses paumes, réfléchissait sombrement à son sort. À cette heure de la sieste, le palais tout entier était plongé dans le silence et le repos. Seules bougeaient un peu les esclaves chargées d'agiter les immenses éventails de plumes au-dessus des belles endormies. Dans l'air brûlant du dehors, les plantes elles-mêmes semblaient pétrifiées.

La visite de Zobeïda, vieille maintenant de trois jours, avait anéanti tous les projets de Catherine. Non contente de lui interdire l'approche de ses appartements, la princesse avait pris des dispositions spéciales concernant sa voisine.

En effet, quand la jeune femme avait voulu quitter son appartement pour se rendre au jardin avec ses suivantes, elle avait vu soudain deux lances se croiser devant elle tandis qu'une voix gutturale lui intimait l'ordre de rentrer dans sa chambre. Et, comme elle s'insurgeait contre cette claustration forcée, l'eunuque chargé spécialement de sa surveillance lui avait appris qu'en l'absence du Calife la très précieuse favorite devait être surveillée jours et nuits de crainte qu'il ne lui arrivât malheur.

– Malheur ? Dans ce jardin ?

– Le soleil brûle, l'eau noie, les insectes piquent et la vipère porte la mort ! avait répliqué le Noir sans s'émouvoir. Les ordres sont formels. Tu dois demeurer chez toi.

– Jusqu'à quand ?

– Jusqu'à ce que le Maître revienne.

Catherine n'avait pas insisté. Aussi bien, l'étrange sollicitude de Zobeïda avait de quoi l'inquiéter car elle ne s'illusionnait guère sur les sentiments que lui portait la princesse : sans même la connaître, Zobeïda, d'instinct

sans doute, la haïssait aussi farouchement qu'elle– même le faisait.

Alors pourquoi cette garde attentive, ces consignes sévères ? Zobeïda ne pouvait deviner les liens qui l'attachaient à Arnaud. Elle n'était, pour Faîtière princesse, qu'une esclave de plus, une femme comme les autres, même si le caprice du prince l'élevait un instant au-dessus de ses pareilles. Craignait-elle tant que son captif, en apercevant seulement la nouvelle venue, ne s'y intéressât par trop ? Était-ce le seul fait que Catherine appartînt au même peuple qu'Arnaud qui motivait ses agissements ? La simple crainte des bourreaux aurait dû suffire, normalement, à retenir la favorite loin du logis de la princesse... Depuis trois jours, l'esprit de Catherine s'était acharné à trouver des réponses à toutes ces questions mais en vain. Morayma, interrogée, était devenue curieusement discrète. Elle faisait le dos rond, semblait chercher à se faire aussi petite que possible et ne levait plus sur Catherine qu'un regard où l'espoir se mêlait à une crainte insurmontable. Ses visites étaient d'une remarquable brièveté. Elle venait s'enquérir de ce que pouvait désirer la jeune femme et disparaissait avec une hâte visible. En vérité, Catherine n'y comprenait plus rien, mais, vivant dans la crainte d'apprendre le départ de Zobeïda, et d'Arnaud par conséquent, pour les terres lointaines du Maghreb, elle en arrivait peu à peu à l'épuisement de sa résistance nerveuse. Les nuits surtout, au cours desquelles son imagination affolée servait sa jalousie, étaient insupportables et Catherine était à deux doigts de se jeter, tête première, dans le premier coup de folie qui lui passerait par la tête, quand, dans la matinée du quatrième jour, elle avait vu arriver Marie-Aïcha, étroitement voilée suivant la tradition, mais souriante.

– J'ai pensé que tu t'ennuyais, lui dit la jeune femme en rejetant son voile, et Morayma n'a pas fait trop de difficultés pour me permettre de venir ici.

– Les eunuques t'ont laissée passer ?

– Pourquoi pas ? Ils ont ordre de t'empêcher de sortir, mais tu peux recevoir des visites.

La présence de Marie avait fait du bien à Catherine. C'était une présence amicale et, de plus, la jeune fille venait du même pays qu'elle

: la Bourgogne. Avec stupeur, Catherine, en l'écoutant raconter son histoire, avait découvert avec la sienne propre plus d'une analogie. En effet, cette jolie fille de vigneron beaunois avait eu la malchance d'attirer l'attention d'un sergent du duc Philippe. Cet homme, jouissant de la faveur de son maître, avait demandé que Marie Vermeil lui fût donnée pour épouse et l'ordre était venu, dans la petite maison de Beaune, de préparer la noce. Marie aurait peut-être pris la chose avec philosophie car le sergent, Colas Laigneau, était plutôt beau garçon, si elle ne s'était éprise, depuis longtemps déjà, d'un sien cousin Jehan Goriot auquel elle avait juré foi et amour.

Jehan était un assez mauvais sujet, toujours à court d'argent, mais jamais à court de filles et rêvant d'aventures fabuleuses. Il avait la langue bien pendue, l'imagination fertile et, auprès de lui, Marie rêvait tout éveillée. Tel qu'il était, malgré ses nombreuses infidélités, elle l'adorait, et quand l'ordre du duc était venu lui enjoindre d'épouser Colas, Marie s'était affolée, avait supplié Jehan de l'enlever et de fuir avec elle vers ces pays du Sud, pleins de soleil et de fleurs, dont il lui rebattait les oreilles depuis qu'un ménestrel de passage lui en avait parlé.

À sa manière, Jehan aimait Marie. Elle était belle et sage. Il la désirait ardemment et l'idée de l'enlever, surtout en la soufflant à un autre, lui souriait. Mais il fallait de l'argent. C'est alors qu'ils avaient commis leur mauvaise action : Marie avait emprunté la moitié des économies de son père, sans l'en avertir bien entendu, tandis que Jehan dévalisait la maison du bailli parti pour une journée sur ses terres de Meursault. La même nuit, une nuit bien sombre, les deux amants avaient fui vers la Saône pour ne plus revenir. Mais Marie, qui avait cru partir vers le bonheur, n'avait pas tardé à déchanter.

Certes, Jehan lui avait appris l'amour et elle y avait pris goût, mais, en se donnant à lui, Marie avait perdu, peu à peu, toute valeur aux yeux de son amant. Et puis, elle l'aimait trop, elle finissait par l'ennuyer. Enfin, les yeux noirs des belles filles du Midi avaient attiré le garçon qui n'avait plus eu qu'une idée : se débarrasser de Marie qui ne cessait de parler mariage. Et il avait trouvé pour cela le plus bassement abject des moyens ; spéculant sur la beauté fraîche de sa fiancée, il l'avait vendue à un trafiquant grec de Marseille qui, enlevant la jeune fille nuitamment, l'avait embarquée sur sa nef marchande et l'avait revendue, au marché des esclaves d'Alexandrie, au pourvoyeur sarrasin du Calife de Grenade.

– Voilà comment je suis arrivée ici, conclut Marie avec simplicité. Bien souvent, j'ai regretté mes noces bourguignonnes... et la maison de mes parents. Ce Colas n'était peut-être pas un mauvais homme, j'aurais pu être heureuse!

– Et Jehan ? avait demandé Catherine passionnée malgré elle.

Les yeux clairs de la petite avaient eu un éclair meurtrier.

– Si je le retrouve un jour, je le tuerai ! affirma-t-elle d'une voix si paisible que Catherine ne mit pas en doute un seul instant cette affirmation.

Après quoi, encouragée par la confiance que Marie venait de lui témoigner, elle avait, à son tour, raconté son histoire à sa nouvelle amie.

Cela avait pris un long moment, mais Marie l'avait écoutée de bout en bout sans l'interrompre. C'est seulement lorsque la jeune femme eut terminé son récit que Marie soupira :

– Quelle fabuleuse histoire ! Ainsi le mystérieux Franc est votre époux ? Et moi qui te... qui vous croyais une pauvre fille comme moi

! Je sais maintenant où je vous ai vue : c'était à Dijon où mon père m'avait menée à la foire. J'étais bien jeune encore, mais j'ai gardé la vision éblouie d'une dame merveilleusement belle et aussi brillante que le soleil.

– Tu dois trouver que j'ai changé ! remarqua Catherine avec un peu d'amertume. Et il n'y a aucune raison pour que tu me dises vous.

Il n'y a plus de distance entre nous maintenant...

– Changé ? fit la petite avec gravité. Certes, vous avez changé, mais, à cette époque, vos parures empêchaient presque d'apprécier votre beauté. Maintenant, elle est plus évidente ! Vous êtes différente, voilà tout.

– Je t'en supplie, pria Catherine gentiment, ne me traite pas en grande dame ! Simplement en amie, j'en ai bien besoin.

Marie, alors, avait joyeusement consenti à laisser de côté le vous protocolaire et, la glace étant définitivement brisée, les deux jeunes femmes s'étaient retrouvées complices, liées l'une à l'autre aussi étroitement que par un lien du sang. Marie, venue moitié par désœuvrement, moitié par curiosité, se retrouva dévouée à Catherine corps et âme, son alliée pour le meilleur et pour le pire.

– Promets-moi, si tu fuis, de m'emmener avec toi et je ferai tout pour t'aider ! Tu dois tellement souffrir à cause de Zobeïda.

– Si je quitte ce palais et cette ville, tu me suivras, je le jure.

Alors, la jeune fille avait fourni à sa nouvelle amie quelques renseignements pleins d'intérêt.

– Tu es en danger, lui dit-elle. Si le Calife ne revient pas, tu ne vivras pas une heure de plus.

– Pourquoi ne reviendrait-il pas ?

– Parce qu'Aben-Ahmed Banu Saradj, le Grand Vizir, le hait presque autant qu'il désire Zobeïda dont il était l'amant avant l'arrivée du chevalier franc. Il désire aussi s'emparer du trône pour y faire monter la princesse avec lui... et cette soi-disant expédition de Yusuf, l'ancien Calife, père de Muhammad, contre son fds, ne me dit rien qui vaille. Les deux hommes ne s'aiment pas, mais Yusuf est las du pouvoir. Il faut la naïveté de son fils pour croire qu'il souhaite lui reprendre un trône abandonné de son plein gré. La naïveté et les insinuations de Banu Saradj !... Je crains fort que le Maître ne soit allé au-devant d'une embuscade bien montée.

– Alors ? fit Catherine en pâlissant, je suis perdue ?

– Pas encore ! Muhammad est naïf mais valeureux. C'est un guerrier, il peut s'en tirer. C'est pourquoi Zobeïda se contente de te faire surveiller. Si son frère revient, elle n'aura fait que veiller, un peu trop soigneusement peut-être, sur la favorite de son frère bien-aimé.

Et si la nouvelle de la mort du Calife arrive ici, tu ne vivras pas une heure de plus !

– Pourquoi ? Que lui ai-je fait ?

– Toi, rien. Mais Zorah l'Égyptienne s'est chargée de toi. Elle est bien vue de la princesse envers laquelle elle a toujours montré une écœurante servilité. Et, comme Zorah veut ta mort à tout prix, elle a fait preuve d'imagination... je pourrais presque dire de génie puisqu'elle a, sans le savoir, découvert la vérité !...

– Que veux-tu dire ?

– Qu'une seule personne ose s'opposer au Calife : Zobeïda. Il fallait te faire d'elle une ennemie impitoyable. Pour cela, un seul moyen : sa jalousie envers tout ce qui touche le capitaine franc. Zorah, jouant sur le fait que tu viens du même pays, a insinué à la princesse que tu étais éprise de son prisonnier et que tu cherchais à l'approcher !

Catherine poussa un cri de terreur, vite étouffé sous sa main tremblante.

– Elle a dit que... mon Dieu ! Mais je suis perdue ! Comment se fait-il que je n'aie pas encore été livrée ?...

– Aux bourreaux mongols ? C'est bien ce qu'espérait Zorah, connaissant le tempérament de Zobeïda. Mais la princesse n'est pas folle : te tuer, toi dont le Calife s'est si passionnément épris dès le premier regard, tandis qu'il était absent, c'était avouer sa participation au complot de Banu Saradj, c'était proclamer qu'elle espérait bien ne plus le revoir vivant. S'il revient, il te retrouvera donc intacte, mais sois certaine que tu ne jouiras pas longtemps de ses caresses. Tu n'auras pas à craindre les bourreaux, mais il t'arrivera quelque accident assez bien organisé pour que Zobeïda ne soit pas soupçonnée. Elle connaît son frère et sait que, sous l'apparente douceur d'un poète, il cache un goût de la sauvagerie digne de sa sœur. Ses colères sont rares mais dangereuses. Et le désir qu'il a de toi est violent... Si j'en crois tout ceci !

De la main, Marie désignait un rouleau de papier enveloppé d'une housse de velours constellée de saphirs et contenant des poèmes que Muhammad envoyait à sa bien-aimée. Les jours précédents, Catherine avait reçu, de la sorte, une aigrette blanche retenue par une boucle de grosses perles roses, une cage d'or pleine de perruches bleues et une extraordinaire œuvre d'art : un paon d'or massif déployant l'éventail d'une queue toute de pierreries.

– C'est d'ailleurs assez rassurant, conclut Marie. Cela prouve au moins que le Commandeur des Croyants est toujours en vie... qu'Allah veuille l'y conserver !

Les esclaves apportant le repas des deux femmes avaient interrompu leurs confidences. Mais, tandis que Marie faisait joyeusement honneur aux nombreux plats qu'on lui servait, Catherine tombait dans une rêverie profonde dont Marie se garda bien de la tirer. Sa situation était pire encore qu'elle ne l'avait imaginée. À tout instant pouvait arriver la nouvelle de la mort de Muhammad... et alors !... Dieu seul savait combien de minutes il lui resterait à vivre. Elle n'aurait même pas la possibilité d'avertir Arnaud et elle mourrait près de lui sans même qu'il s'en doutât. Quant à ses amis ; comment les appeler à son aide ?

Josse, enrôlé dans les troupes du Calife, était à l'Alcazaba, mais le moyen de lui envoyer un messager ? Pouvait-elle faire appeler Fatima auprès d'elle, lui confier une lettre pour Abou-al-Khayr ? La lettre parviendrait-elle ? Et, toujours, revenait la même question torturante : aurait-elle le temps ?

Marie, qui avait fini son sorbet, commençait à picorer de grosses dattes luisantes de sucre, bien décidée à ne pas interrompre la méditation de Catherine, quand, brusquement, celle-ci se retourna sur le dos et planta son regard dans les yeux de la jeune fille.

– Puisqu'il en est ainsi, déclara-t-elle calmement, je n'ai plus un instant à perdre. Il faut agir aujourd'hui même.

– Que vas-tu faire ?

Catherine ne répondit pas tout de suite.

Au moment de prononcer les paroles décisives, elle s'accorda le temps d'une ultime hésitation parce que tout de même c'était sa vie qu'elle allait jouer et parce que cette fille lui était encore à peu près inconnue. Mais la petite Marie posait sur elle des yeux si clairs, si francs que la légère prévention demeurée en Catherine s'envola. Si elle ne pouvait faire confiance à cette petite, en vérité elle ne pourrait plus accorder créance à personne. Aussi bien, le temps pressait. Elle se décida.

– Il faut que je sorte d'ici, que je voie mon époux...

– C'est l'évidence.. Mais comment ? A moins que...

– À moins que ?

– À moins que nous ne changions de vêtements et que tu ne sortes à ma place. Ce costume a du bon : pour savoir ce qu'il y a au juste dans leurs paquets de voiles il faut être malin, d'autant plus que nous avons la même nuance de peau et qu'en baissant les paupières la couleur des yeux ne se voit pas.

Le cœur de Catherine battit plus fort mais plus régulièrement. Marie l'avait devinée et, tout naturellement, proposait ce qu'elle hésitait à lui demander. Elle prit la main de la petite dans la sienne.

– Est-ce que tu te rends compte, Marie, que tu vas risquer ta vie dans cette affaire ? Si l'on vient pendant que je serai absente...

– Je dirai que tu m'as attaquée, ficelée. Ce n'est pas difficile de ligoter quelqu'un ici. Le tissu fin et solide ne manque pas. Si l'on vient, je serai à couvert... ou à peu près. Si l'on ne vient pas, tu me délieras en revenant, si tu reviens, et tout sera dit !...

– Comment expliqueras-tu mon absence si Morayma apparaît ?

– Je dirai que tu étouffais ici et que tu voulais absolument respirer.

– Au point de te ficeler pour prendre tes vêtements ?

– Pourquoi pas ? Si tu savais les idées invraisemblables que l'ennui souffle aux femmes, dans ce harem, tu saurais que Morayma ne s'étonne plus de rien ! Malgré tout, prends garde ! Ce que tu vas faire est extrêmement dangereux. Vouloir parler au chevalier franc, c'est chercher la mort. Si Zobeïda te surprend, rien, pas même la pensée de la colère de son frère, ne pourra te sauver de sa fureur.

Dans ces instants-là elle devient sourde, aveugle à tout ce qui n'est pas sa haine.

– Tant pis ! Qui ne risque rien n'a rien. Ce qui me tourmente, c'est comment je franchirai les postes de garde. Le jardin privé de Zobeïda est sur l'autre face de son logis, n'est-ce pas ? Et j'ai entendu dire que mon époux y habitait un pavillon isolé.

– En effet. On l'appelle le palais du Prince parce qu'il a été construit pour un frère du sultan Muhammad V. Ses murs s'élèvent au bord d'un bassin d'eau bleue. Le seigneur franc n'en sort que pour la chasse... et sous bonne garde. Zobeïda craint trop que la nostalgie du pays natal ne l'emporte sur ses charmes et elle a fait du Grand Vizir son gardien favori.

– Je croyais qu'il était épris d'elle ?

– Cruauté bien dans le genre de Zobeïda. Banu Saradj exècre son rival et espère bien, sans doute, lorsqu'il sera sultan, s'en débarrasser, mais pour le moment rien ne lui importe plus que plaire à sa princesse. Elle ne pouvait choisir meilleur gardien et le sait bien. Mais revenons à notre plan. Ce n'est pas tellement difficile d'atteindre le jardin de Zobeïda. Il y a, près de ma chambre, une petite porte toujours fermée à clef, mais facile à ouvrir avec une lame de fer et un peu d'habileté. Elle donne sur les jardins. Un mur isole celui de Zobeïda, mais il est assez bas et quelqu'un de souple peut le franchir aisément en s'aidant des branches des cyprès qui le bordent. Tu dois être capable de faire cela, après toutes tes aventures.

– Je le suis. Mais si le mur est si aisé à franchir, pourquoi donc mon époux ne fuit-il pas ?

– Parce que le palais du Prince est gardé, étroitement, par les plus fidèles eunuques de Zobeïda. Ils sont nombreux, aveuglément fidèles, et leurs alfanges 1 tranchent net.

Ce n'était évidemment pas rassurant. Catherine, négligeant cependant le détail inquiétant, se fit expliquer soigneusement le chemin à suivre pour gagner d'abord la chambre de Marie sans éveiller la curiosité, puis, de là, la fameuse petite porte que la jeune odalisque lui décrivit avec un soin minutieux.

– On dirait que tu la connais bien ! remarqua Catherine.

– Il pousse, dans les jardins du Calife, d'énormes prunes particulièrement savoureuses et réservées à sa seule table... et je suis affreusement gourmande !

Catherine ne put s'empêcher de rire. Les deux amies continuèrent à bavarder en attendant que le jour baisse.

Le plan qu'elles avaient élaboré ne pouvait s'exécuter sous la grande lumière du soleil, mais les heures, à partir de cet 1 Cimeterre mauresque.

Instant, parurent longues à Catherine, d'autant plus pressée de se lancer vers son époux que l'approche de chaque nuit la mettait au supplice.

Elle savait trop comment Zobeïda employait le temps nocturne.

Elle vit s'éteindre le jour avec un réel soulagement. Quand ses esclaves apparurent avec les plateaux du souper, elle leur ordonna de tout laisser là et de disparaître.

– Nous reviendrons pour t'aider à te mettre au lit, maîtresse, fit la principale servante.

– Non. Je me coucherai seule. Mon amie restera encore un moment auprès de moi. Nous voulons que l'on nous laisse en paix.

Préviens Morayma que je la dispense de sa visite du soir. Je n'ai besoin de rien, que de tranquillité. Tu peux éteindre une partie des lampes. La grande lumière me blesse.

– Comme tu voudras, maîtresse ! Je te souhaite une agréable nuit

!

Dès que les esclaves eurent disparu, laissant les deux femmes dans une douce pénombre, Catherine et Marie grignotèrent quelques boulettes de mouton et des gâteaux au miel, puis se mirent en devoir d'exécuter leur plan. Marie dépouilla tous ses vêtements, les tendit à Catherine qui lui passa les siens. Elles étaient sensiblement de la même taille, mais Catherine était un peu plus mince. Elle dut serrer davantage autour de ses hanches la ceinture du pantalon de mousseline bleu de nuit qu'avait porté Marie. Ensuite, à l'aide de longs voiles déchirés, les deux femmes confectionnèrent des liens dont Catherine emprisonna son amie après l'avoir couchée dans son lit. – N'oublie pas de me bâillonner ! précisa Marie. Sinon, ce ne serait pas convaincant !

Une écharpe de soie fit l'affaire, mais, avant que sa compagne lui fermât la bouche, Marie recommanda :

Surtout, reste voilée, même si le voile est encombrant pour franchir un mur. Si tu ne montres pas ton visage, ton cas sera moins grave au cas où tu serais prise. Pas beaucoup moins, bien sûr, mais il faut mettre toutes les chances de ton côté. Maintenant, que Dieu te garde !

– Toi aussi, Marie. Sois tranquille, je n'oublierai pas ma promesse envers toi, sauf si je meurs !

– Cela va de soi. Mets le bâillon maintenant et serre !

Après s'être assurée que la prisonnière n'était tout de même pas trop mal installée, car sa captivité pouvait durer plusieurs heures, Catherine se pencha vers elle, l'embrassa sur le front et vit les yeux de Marie briller plus fort dans l'ombre. Puis elle tira soigneusement autour d'elle les rideaux roses et s'éloigna de quelques pas pour juger de l'effet. La légère couverture de soie fine montait jusqu'au nez de Marie et, dans l'ombre de la chambre, l'illusion était parfaite...

Catherine s'enveloppa du voile bleu de son amie. Elle ne portait dessous que le pantalon et une courte brassière à manches courtes emprisonnant les seins et s'arrêtant juste au-dessous. Malgré le voile, sa liberté de mouvements était suffisante et, après un adieu chuchoté, elle se dirigea d'un pas assuré vers la porte.

D'instinct, les gardes croisèrent leurs lances, mais elle murmura, imitant de son mieux la voix de la jeune fille :

– Je rentre chez moi. Laissez-moi passer. Je suis Aïcha !

L'un des eunuques tourna vers elle sa large face noire au nez camus et ricana.

– Tu rentres bien tard, Aïcha ! Que fait la favorite ?

– Elle dort ! fit Catherine inquiète de ce questionnaire inattendu.

Laisse-moi passer.

– Il faut que je m'assure que tu n'emportes rien, fit-il en posant sa lance contre le mur. La favorite a reçu de fabuleux trésors...

Les mains noires se mirent à la palper avec une insistance et une indiscrétion qui firent naître, chez la jeune femme révoltée, des doutes sur l'absence totale de virilité chez ce Noir. Elle savait déjà qu'il existait, chez ces êtres répugnants, des castrations incomplètes qui leur laissaient d'étranges appétits. Celui-là devait appartenir à la catégorie. Mais, comme il cherchait à déboucler sa ceinture pour poursuivre plus loin ses investigations, elle s'emporta.

– Laisse-moi tranquille ! Sinon j'appelle.

– Qui donc ? Mon camarade est sourd, muet et déteste les femmes.

– La favorite ! lança Catherine audacieusement. Elle est mon amie. Si je l'appelle, elle viendra et alors tant pis pour toi ! Elle demandera sûrement ta tête au Calife qui ne lui refusera pas un aussi modeste présent.

Elle eut la satisfaction de voir le visage noir devenir gris de peur.

L'eunuque laissa retomber ses mains, reprit sa lance et haussa les épaules.

– Si on ne peut plus plaisanter un peu... Passe ton chemin, et vite

! On se retrouvera...

Elle ne se le fit pas dire deux fois et, resserrant son voile autour d'elle, s'enfonça sous les ombres du patio. Elle traversa le jardin sans hésiter, franchit un mirador ajouré et se retrouva au cœur même du harem, dans la salle des Deux Sœurs, ainsi nommée à cause de deux énormes dalles jumelles qui en formaient l'ornement central. Là commençait le danger car plusieurs femmes étaient réunies dans cette salle miroitante, diaprée de rouge, de bleu et d'or, scintillante de stalactites irisées comme une grotte marine, sous ses coupoles aériennes tout en nids d'abeilles. Étendues sur des coussins, des tapis ou des divans, les femmes bavardaient, croquaient des sucreries ou sommeillaient. Certaines dormaient là n'ayant pas de chambre bien définie. L'ensemble formait un tableau somptueux, chaud et coloré.


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