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Catherine et le temps d'aimer
  • Текст добавлен: 9 октября 2016, 15:54

Текст книги "Catherine et le temps d'aimer"


Автор книги: Жюльетта Бенцони



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! – Es-tu bien certain que je ne veuille pas seulement lui reprocher sa trahison ? Jouir de sa confusion en le voyant, lui, un chrétien, un capitaine du Roi, roucouler aux pieds d'une moricaude, et qu'ensuite...

Brusquement, Gauthier devint pourpre de colère.

– Ne me prenez pas pour un imbécile, dame Catherine ! Vous iriez là-bas uniquement pour faire une scène à votre époux ?

– Et pourquoi non ?

Dressée sur la pointe des pieds, les bras croisés, sa petite tête bien droite, elle avait l'air d'un jeune coq en colère. Pour la première fois, elle et celui qui, la nuit précédente, l'avait si passionnément possédée s'affrontaient.

– Parce que ce n'est pas vrai. Parce que vous n'avez jamais aimé que lui, que vous desséchez de rage de le savoir aux mains d'une autre et que vous n'aurez ni trêve ni repos, dussiez-vous endurer les pires supplices, que vous ne l'ayez rejoint... et reconquis !

– Pour lui faire payer sa trahison !

Et de quel droit ? Qui donc avait trahi le premier ? Voulez-vous que nous reparlions du sire de Brézé ? Pour employer, en parlant de votre beauté, des termes aussi chaleureux, il devait la bien connaître. Si vous ne lui aviez donné aucun gage, il n'aurait pas supposé que vous l'épouseriez ? Et lui, le proscrit, le reclus de Calves, quelles tortures n'a-t-il pas endurées en apprenant cette belle nouvelle ? Car Fortunat ne lui a rien caché, vous le saviez. Si, moi, j'avais été à sa place, je me serais enfui, j'aurais été vous arracher des bras de votre beau chevalier et je vous aurais tuée de mes propres mains avant de me faire justice !

– Peut-être parce que tu m'aimes ! fit Catherine amèrement. Lui ne raisonnait pas comme toi...

– Parce qu'il vous aimait plus encore ! Plus que lui-même puisqu'il avait fait bon marché de sa souffrance à lui pour vous laisser vivre un nouveau bonheur ! Croyez-moi, les flammes de jalousie qui vous brûlent ne sont sans doute rien auprès de celles qui ont dû le dévorer, lui, dans sa solitude affreuse ! Pensez– vous que je puisse oublier la dernière image que j'ai eue de lui ? de cet homme crucifié qui s'en allait dans le soleil, au glas des cloches, aux pleurs des cornemuses, avec, dans les mains, un autre soleil ?

À l'évocation brutale de la plus cruelle journée de sa vie, Catherine ferma les paupières où sourdaient les larmes, vacilla.

– Tais-toi ! supplia-t-elle. Tais-toi, par pitié !

– Alors, fit-il d'un ton radouci, cessez de vouloir me leurrer, cessez de vous leurrer vous-même. Pourquoi donc essayez-vous de nous mentir à tous les deux ? A cause de cette, nuit ?

Elle rouvrit soudain des yeux étincelants.

– Peut-être à cause de cette nuit, en effet ! Peut-être n'ai-je plus envie d'aller i. Grenade !

– Voilà des ours, sans doute, fit Gauthier avec lassitude, que vous luttez ainsi contre vous-même, tantôt poussée par la jalousie vers la ville où respire votre époux, tantôt prise de la tentation d'abandonner, de retourner vers votre enfant, vers le calme et la sécurité d'une vie normale. Ce qui s'est passé cette nuit n'a rien ajouté.

– Pourquoi dis-tu cela ?

– Parce que je le sais. Cette nuit, vous m'avez fait un présent merveilleux... inespéré, mais vous l'avez fait pour deux raisons : par pitié, d'abord.

– Gauthier ! protesta Catherine.

Mais si ! Par pitié d'abord, parce que vous vouliez à tout prix me guérir, mais aussi par dépit. C'était une manière de vengeance que vous exerciez, et aussi une façon de rendre moins cruelles les images qui hantent vos nuits sans sommeil !

– Non ! gémit Catherine, des larmes dans la voix. Ce n'est pas cela... ce n'est pas seulement cela, corrigea-t-elle, cette nuit, j'ai été heureuse, moi aussi, je te le jure !

Un sourire d'une grande douceur vint détendre le visage crispé du Normand.

– Merci pour ces mots ! Je crois, en vérité, que vous m'aimez bien, dame Catherine, mais... – et son doigt, pointé vers le cou de la jeune femme, désigna la lourde croix d'or et de perles que l'archevêque y avait, lui– même, accrochée quelques jours plus tôt et qui étincelait sur le velours de la robe – osez jurer sur ce Dieu que vous adorez que ce n'est pas lui que vous aimez ! Lui, votre époux, votre seigneur !

Vous savez bien que vous l'aimerez tant qu'il vous restera un souffle d'existence !

Cette fois, la jeune femme ne répondit rien. Baissant la tête, elle laissa ses larmes couler librement sur le velours de sa robe sombre.

– Vous voyez bien, fit doucement Gauthier. Aussi de cette nuit folle et merveilleuse, dont moi je garderai le souvenir, mais que je vous supplie d'oublier, nous ne reparlerons jamais...

'– Tu ne m'aimes donc plus? demanda Catherine d'une toute petite voix.

Il y eut un silence pesant, puis, d'une voix dure, qui s'enrouait, le Normand murmura :

– Les dieux de mes ancêtres savent que je ne vous ai jamais autant aimée ! Mais c'est justement à cause de cet amour que je vous supplie d'oublier. Si vous ne le faites, ma vie sera un enfer... et il me faudra vous quitter. Nous allons partir d'ici, continuer cette route qui nous mènera au royaume de Grenade. Je vous aiderai à retrouver messire Arnaud...

– Il y a des choses que tu ignores encore. Peut-être n'ai-je plus le droit de réclamer comme époux Arnaud de Montsalvy.

– Que voulez-vous dire ?

– Que je n'avais peut-être pas le droit de l'épouser... parce que j'ai peur que mon premier époux ne soit encore vivant...

Sourcils haussés par la surprise, Gauthier interrogeait la jeune femme par son seul mutisme. Alors, très vite, comme on se libère d'un fardeau insupportable, elle raconta sa stupeur devant l'apparition inouïe du moine borgne, sa terreur ensuite en constatant que tant de faits coïncidaient étrangement, sa visite enfin à la chambre du trésor, la veille même, et l'intolérable incertitude qu'elle en avait rapportée.

Elle allait poursuivre, sans doute, pour exposer ses angoisses, ses scrupules, mais, soudain, Gauthier l'empoigna aux épaules et se mit à la secouer comme s'il cherchait à l'éveiller d'un cauchemar. Il était devenu très pâle.

– Taisez-vous, dame Catherine... et écoutez-moi ! Nous allons partir, vous m'entendez, partir immédiatement de ce château, et vous ne vous retournerez pas ! Sinon, je crois bien, par Odin, que vous allez devenir folle ! Cela est trop, pour vous ! Cessez de rêver tout éveillée, abandonnez le pays des songes et des mauvais sortilèges !

Reprenez votre route et ne pensez plus qu'une chose : vous êtes, devant votre Dieu et devant les hommes, la femme d'Arnaud de Montsalvy, vous portez son nom, vous en avez un fils ! Il n'y a rien à ajouter à cela ! Oubliez tout le reste.

– Et si, cependant, ce moine était Garin de Brazey ?

– Vous n'avez pas à le savoir ! Pour le monde entier, comme pour lui-même sans doute, il a été pendu. S'il a pu échapper, il s'est refait une existence conforme à ses goûts. S'il souhaitait en changer, vous ne seriez point demeurée si longtemps dans l'incertitude. Son attitude vous dicte la vôtre. Garin de Brazey est mort, vous entendez, « mort ».

Seul respire Fray Ignacio qui n'a aucun point commun avec lui !

Maintenant, allez vous préparer et quittons au plus vite ce château de maléfices!

À cet instant, un appel de trompettes vint rompre le silence ensoleillé de la campagne immense, rappelant Catherine à la réalité. Elle se dirigea vers la porte, sourit gentiment à son ami.

– Je crois bien que tu auras toujours raison, Gauthier, mais voici que l'on corne l'eau. Don Alonso m'attend pour le repas et je ne veux pas le faire attendre.

– Annoncez-lui votre départ.

– C'est déjà fait. Mais, comme je lui ai dit que je partirai demain, je pense qu'il te faudra patienter jusque-là. Une nuit encore, Gauthier, rien qu'une nuit. C'est peu de chose !...

– Peu de chose ? Je ne suis pas de votre avis. On peut faire tenir une vie entière dans une seule nuit ! Tant de choses ont le temps de se nouer ou se dénouer... en une nuit ! Mais vous avez raison : nous devons trop au seigneur-archevêque pour agir grossièrement envers lui. Demain, au lever du jour donc !

Vivement, Catherine descendit l'escalier. Au moment de franchir la porte basse du donjon, il lui sembla qu'une silhouette s'était rejetée brusquement dans l'ombre dense de la vis de pierre, et que cette silhouette ressemblait beaucoup à celle de Tomas de Torquemada.

Elle eut un frémissement de crainte rétrospective, mais, déjà, elle était dans le grand soleil de la cour où des soldats, des frères convers et quelques servantes musardaient, se reposant de leur service ou cherchant un coin d'ombre pour s'y étendre car venaient les heures écrasantes où la chaleur tombe d'aplomb et change l'activité en torpeur. Catherine se dirigea vers eux. Les rayons dorés étaient bons, rassurants. Ils éloignaient si bien les fantômes et les ombres perverses

! D'un pas allégé, elle se dirigea vers la salle de festins.

Une intolérable sensation de chaleur, la perception inconsciente d'une lumière violente éveillèrent Catherine au milieu de la nuit. L'incendie emplissait sa chambre de son éclat et la jeune femme, un instant, se crut en plein mauvais rêve. Mais elle eut tôt fait de se rendre à la réalité. La porte de sa chambre flambait et, devant la cheminée, des paquets de paille et des fagots, répandus intentionnellement sur le sol, brûlaient en dégageant une fumée de plus en plus épaisse. Une vague de terreur souleva la jeune femme, l'arracha de son lit et la précipita, nue, vers la fenêtre dont elle arracha les volets plutôt qu'elle ne les ouvrit pour respirer avidement deux ou trois fois... Mais l'appel d'air créé par l'ouverture de la fenêtre fit bondir le feu avec une ardeur décuplée. Il ronflait dans la galerie, léchait le bois des coffres et des sièges disposés près de la cheminée. L'une des tentures murales s'enflamma près du lit, menaçant les courtines.

– Au secours ! hurla Catherine affolée. Au feu !... À moi !

Des bruits se faisaient entendre au-delà du brasier, mais il formait un rideau de flammes qui ne devait pas être facile à éteindre et il sembla à la jeune femme qu'à ces bruits se mêlaient parfois des rires !

– À moi ! cria-t-elle du sommet de ses forces. Au secours !

Elle se tourna convulsivement vers la fenêtre. Elle savait qu'il y avait cinquante pieds sous l'étroite ouverture, mais la nuit en faisait un gouffre terrifiant. Pourtant... si l'on ne venait pas à son secours il faudrait bien choisir l'abîme ! Le feu gagnait à une vitesse prodigieuse. Dans la fumée suffocante, Catherine décelait une odeur inconnue, âcre et inhabituelle, l'odeur, sans doute, de ce qui avait servi à faire flamber, si vite et si bien, un tel incendie. Plaquée contre la fenêtre, elle cherchait l'air en vain. La fumée, épaisse et noire, se rabattait vers elle, attirée par l'ouverture. La gorge en feu, incapable désormais de crier, les yeux brûlés, la jeune femme sentait ses forces l'abandonner. L'asphyxie gagnait. Dans un instant, elle ne serait même plus assez, forte pour glisser par la fenêtre, pour sauter... elle n'en était déjà plus capable. Ses jambes se dérobaient sous elle. Elle allait tomber dans cette nouvelle vague de fumée qui rampait vers elle comme un gras serpent ! Elle se mit à tousser, avec la sensation torturante que ses poumons prenaient feu à leur tour. En une folle cavalcade, à l'instant de perdre connaissance, Catherine vit passer devant elle tous les visages qui avaient peuplé sa vie, amis ou ennemis. Elle revit les yeux tendres de Sara, le visage sarcastique de Philippe le Bon, l'énigmatique figure de Garin, le regard gris de Gauthier et le sourire moqueur d'Arnaud. Alors, elle comprit qu'elle était en train de mourir, tenta de retrouver une bribe de prière...

Quand elle revint à elle, Catherine eut l'impression d'être plongée dans une rivière. Elle était trempée, transie jusqu'aux os et claquait des dents. Ses yeux pleins de larmes ne distinguaient rien qu'un brouillard rouge, mais elle sentait que des mains la frictionnaient sans douceur. Puis on l'enroula dans quelque chose de rêche mais de chaud. La même main vigoureuse lui essuya le visage et elle reconnut enfin, penchés sur elle, les traits irréguliers de Josse. Il eut son curieux sourire à lèvres closes en voyant qu'elle ouvrait les yeux.

– Il était temps ! marmotta-t-il. J'ai bien cru que je ne pourrais pas franchir le rideau de feu. Heureusement, un pan de mur, en s'effondrant, m'a ouvert un passage. Je vous ai aperçue et j'ai pu vous tirer dehors...

En se soulevant, Catherine vit qu'elle était couchée sur les dalles de la galerie. Le feu ronflait à l'une des extrémités, là où s'ouvrait auparavant la porte de sa chambre, mais il n'y avait là âme qui vive.

– Il n'y a personne ? dit-elle. Comment se fait-il que le feu n'ait pas alerté le château ?

– Parce que cela flambe aussi chez l'archevêque. Tous les serviteurs sont en train d'éteindre l'incendie pour sauver don Alonso.

D'ailleurs, les portes de cette galerie ont été barricadées du dehors.

– Comment y es-tu, alors ?

– Parce que, cette nuit, je suis venu dormir sous l'un de ces bancs de pierre. Après l'alerte de ce matin, je n'étais pas tranquille. Personne ne pouvait me voir et j'espérais surveiller ainsi votre chambre. Mais je crois que j'ai trop bien dormi ! C'est ça le hic, avec moi !

Quand je suis fatigué, je dors comme une souche. L'incendiaire ne m'a pas vu, mais, de son côté, il a fait si peu de bruit que je n'ai rien entendu quand il a installé ses fagots.

– L'incendiaire ?

– Vous ne pensez pas que ce feu s'est allumé tout seul ? Pas plus que celui qui flambe si bien chez monseigneur ? J'ai idée que je sais, d'ailleurs, d'où vient le coup...

Comme pour lui donner raison, la porte basse à l'extrémité encore intacte de la galerie s'ouvrit, livrant passage à une longue forme blanche qui portait une torche. Epouvantée, Catherine reconnut Tomas. Vêtu d'une robe de moine, les pupilles dilatées, il marchait d'un pas automatique vers l'incendie, insensible à la fumée de plus en plus dense qui envahissait la grande galerie.

– Regardez, souffla Josse. Il ne nous voit même pas !

En effet, le garçon avançait comme un somnambule. Sa torche à la main, pareil à l'ange déchu de la vengeance et de la haine, il semblait au pouvoir d'une transe. Ses lèvres s'agitaient spasmodiquement.

Catherine saisit seulement au passage le mot «Fuego »...Tomas passa tout près d'elle sans même la voir. Elle toussa. Il n'entendit rien, continua de s'avancer vers l'incendie, au milieu des noires volutes de fumée.

– Que dit-il ? souffla la jeune femme.

– Que le feu est beau, que le feu est sacré ! Qu'il purifie ! Que le maître du feu s'élève jusqu'à Dieu !... Que ce château du Malin doit brûler pour que les âmes de ses habitants retournent à Dieu, libérées...

Il est complètement fou, un maniaque du feu, conclut Josse qui ajouta

: Il n'a pas refermé derrière lui la porte de la galerie. Profitons-en pour fuir et donner l'alerte.

Catherine suivit Josse, mais, au seuil, se retourna. Les torrents de fumée avaient presque englouti la mince forme blanche.

– Mais... fit la jeune femme. Il va brûler.

C'est ce qui pourrait lui arriver de mieux... à lui et aux autres ! grogna Josse qui, d'une main péremptoire, entraîna Catherine au-dehors.

Elle faisait de son mieux pour le suivre, mais ses pieds nus s'embarrassaient dans les plis flottants de la couverture qui, seule, l'enveloppait. En courant ainsi, traînée par la main nerveuse de Josse, elle buta contre un meuble, se fit un mal affreux et poussa un cri de douleur, puis se plia en deux, le souffle coupé par la souffrance. Josse jura entre ses dents, mais, voyant qu'elle avait les larmes aux yeux, la souleva d'un bras pour l'aider à franchir les derniers mètres qui les séparaient de l'air libre. Jusque-là, ils n'avaient rencontré âme qui vive, mais, dans la cour, l'agitation était à son comble. Une meute de valets, d'hommes d'armes, de moines et de servantes y couraient dans tous les sens en poussant des cris aigus comme autant de volailles effarouchées. Entre le grand puits de la cour et l'entrée des appartements de l'évêque, une chaîne d'esclaves passait incessamment des seaux pleins d'eau pour tenter d'éteindre les flammes qui bondissaient des ouvertures à l'étage. Des cris, des lamentations et des prières en jaillissaient également sur le mode volubile.

L'agitation de la cour était créée par le fait que l'on venait tout juste de découvrir le second foyer d'incendie et que les habitants du château s'affolaient, croyant bien que le feu avait été mis aux quatre coins de l'édifice.

Cette cour, avec ses murs rouges et brillants où les flammes se reflétaient, avec une humanité folle qui s'y démenait, donnait une assez bonne représentation de l'enfer et Catherine grelottante d'émotion plus que de froid, car la nuit était tiède et l'incendie ajoutait encore à sa température, s'enroula plus étroitement dans la couverture qui cachait sa nudité et alla chercher refuge sous les arcades, tournant son regard angoissé vers le donjon qui, silencieux et sombre, semblait se tenir à l'écart.

– Gauthier ! murmura-t-elle. Où est Gauthier ? Il ne peut pas n'avoir rien entendu de tout ce vacarme...

Les murs de ce donjon sont exceptionnellement épais, remarqua Josse, et puis il a peut-être le sommeil dur...

Mais, comme pour lui donner un démenti, à cet instant même, la chaîne d'esclaves, qui venait de s'établir pour secourir l'aile habitée naguère par Catherine, parut s'écrouler comme un château de cartes.

Les Maures culbutèrent les uns contre les autres, dans un grand vacarme de seaux heurtés et d'éclaboussements, repoussés vers le centre de la cour comme par un vent de tempête et Gauthier surgit sur le seuil. Avec le pansement qu'il gardait encore et la longue djellaba dont on l'avait affublé, il ressemblait assez à ces Infidèles qu'il renversait, mais qui, auprès du géant, semblaient autant de nains.

Devant lui, solidement maintenue par son énorme poing, une maigre silhouette blanche avançait en trébuchant et vint, finalement, s'étaler sur le sol, presque aux pieds de Catherine. C'était, bien entendu, Tomas...

Il leva sur la jeune femme un regard qui était encore celui d'un somnambule, mais qui, cette fois, possédait une conscience. Un éclair de fureur y étincela en reconnaissant son ennemie. La bouche mince se tordit pour un rictus haineux.

– Vivante ! siffla-t-il... Satan lui-même te protège, maudite ! Le feu n'a pas de prise sur toi ! Mais tu n'échapperas pas toujours au châtiment !...

Avec un grondement de colère, Josse arracha la dague qui pendait à sa ceinture et bondit sur le garçon qu'il saisit à la gorge.

– Toi, en tout cas, tu n'y échapperas pas plus longtemps !

Il allait frapper sans que Catherine, pétrifiée d'horreur devant cette haine qui ne voulait pas céder, eût seulement bougé un doigt, mais la grosse patte de Gauthier s'abattit sur le bras du Parisien, le retenant en l'air.

Non... laisse-le ! Moi aussi, tout à l'heure, j'ai eu envie de l'étrangler quand je l'ai trouvé devant la porte en flammes de dame Catherine, divaguant, sa torche à la main, mais j'ai compris que c'était un fou, un gamin, un malade... On ne tue pas les gens comme lui, on les laisse pour que le ciel... quel que soit celui qui l'habite, s'en charge.

Maintenant, partons !

Du geste, Catherine désigna sa couverture et haussa les épaules.

– Comme ça ? Pieds nus et simplement vêtue d'une couverture ?

Tu n'es pas un peu fou ?

Sans répondre, Gauthier lui envoya le paquet qu'il tenait sous le bras, sourit, puis déclara enfin :

– Voilà vos vêtements et votre aumônière. Je les ai trouvés dans votre chambre... à défaut d'un cadavre qui, heureusement, était encore bien vivant ! Habillez-vous vite !

Catherine ne se le fit pas dire deux fois. Se glissant dans un renfoncement obscur de la cour, elle se hâta de passer ses vêtements de voyage, boucla son aumônière à sa ceinture non sans s'être assurée, auparavant, que sa dague et l'émeraude de la reine s'y trouvaient toujours. Quand elle rejoignit ses compagnons, elle constata que Tomas avait disparu et que Josse n'était plus là. Elle interrogea Gauthier qui, placidement, les bras croisés, regardait les sauveteurs poursuivre leur lutte contre le feu. L'incendie, pris à temps sans doute, était déjà presque maîtrisé.

– Où est Josse ?

– À l'écurie. Il prépare les chevaux. Don Alonso, hier soir, avait donné des ordres à ce sujet.

En effet, l'ancien truand revenait, tirant après lui trois chevaux tout harnachés et une mule portant des sacs qui devaient contenir des vivres et des vêtements. L'archevêque avait pensé à tout... Aussi Catherine s'insurgea-t-elle quand Gauthier voulut l'aider à se mettre en selle.

– Qu'est-ce que tu imagines ? Que je partirai ainsi, comme une voleuse, sans même savoir si notre hôte est indemne ?

– Il ne vous en voudra pas. Et, décidément, vous n'êtes guère en sûreté ici. J'ai appris la tentative dont vous aviez failli être la victime, continua Gauthier, mais Catherine lui coupa brutalement la parole.

Son regard violet s'enflamma de colère en se posant alternativement sur les deux hommes.

– Apparemment, vous vous êtes déjà mis d'accord pour me dicter ma conduite, tous les deux. Il n'y a pourtant pas longtemps que vous avez fait réellement connaissance !

– Les natures comme les nôtres se reconnaissent très vite, fit Josse, suave. Nous sommes faits pour nous entendre !

– En tout cas, quand il s'agira de votre sécurité, ajouta Gauthier, nous nous entendrons toujours. Vous n'êtes pas très prudente, dame Catherine...

Il y avait un reproche subtil sous les paroles de Gauthier, et plus encore dans son regard. Malgré elle, Catherine détourna la tête, saisie d'un regret plus cuisant qu'elle n'aurait cru. Oui, il lui reprochait d'avoir mis entre eux des souvenirs qui n'auraient jamais dû quitter le domaine du rêve. Les choses étaient différentes maintenant, quelle que puisse être leur volonté de les ramener à l'ancien état de fait. Les baisers et les gestes de l'amour laissent parfois dans l'âme des sillons aussi cruels, aussi ineffaçables que ceux du fer rouge dans la peau d'un homme.

– Est-ce bien à toi de me le reprocher ? murmura-t-elle amèrement.

Puis, changeant de ton instantanément :

– Quoi qu'il en soit, je ne partirai pas sans avoir dit adieu à don Alonso !

Sans plus s'occuper des deux hommes, elle se dirigea d'un pas vif vers la porte cintrée qui menait chez l'archevêque. Les esclaves l'avaient libérée car, maintenant, l'incendie était éteint. Seules quelques fumerolles noires montaient encore des ouvertures et une désagréable odeur de brûlé emplissait l'air matinal.

Le jour se levait, très vite comme dans tous les pays du Sud. La nuit disparaissait d'un seul coup comme une housse sombre soudainement arrachée de la terre par quelque mystérieuse et céleste ménagère, le ciel se parait de tous les roses, de tous les ors de l'aurore et le château rutilait comme un énorme rubis dans cette aube de perle rose. Dans le logis, on entendait encore des cris, des allées et venues, et Catherine hésita un instant au seuil déserté par les sentinelles. Comment se faire comprendre de tous ces gens dont elle ne parlait pas la langue ? Elle allait se détourner pour appeler Josse et l'inviter à la suivre chez don Alonso quand une haute silhouette noire se dressa soudain devant elle. Malgré son empire sur elle-même, la jeune femme recula, saisie de cette surprise superstitieuse qui lui venait toujours lorsqu'elle se trouvait en face de Fray Ignacio.

Le moine borgne la considéra sans étonnement, s'inclina brièvement.

– Je suis heureux de vous rencontrer, noble dame ! J'allais me rendre auprès de vous. Sa Grandeur m'envoie.

Une brusque angoisse serra la gorge de Catherine. Elle leva sur le moine des yeux où le désespoir se mêlait à la peur.

– Vous... vous parlez donc notre langue ?

– Quand il le faut, quand il est nécessaire, je parle en effet votre langue... comme je parle également l'anglais, l'allemand et l'italien !

Catherine sentit d'un seul coup ses doutes et ses terreurs revenir.

Garin, lui aussi, parlait plusieurs langues étrangères... Et cette incertitude intolérable revenait, elle aussi. Elle se traduisit, chez la jeune femme, en une colère brutale.

– Pourquoi, alors, avez-vous feint de ne point me comprendre, l'autre jour, dans la chambre du Trésor ?

– Parce que ce n'était pas nécessaire ! Et parce que je ne comprenais pas ce que vous vouliez dire...

– En êtes-vous tellement certain ?

Oh ! déchiffrer l'énigme de ce visage fermé, de cet œil unique dont le regard refusait le sien et allait se perdre, par-dessus sa tête, dans les profondeurs de la cour ! Arracher à ce fantôme sa vérité profonde !...

En l'entendant parler français, Catherine avait cherché à retrouver les intonations de Garin, la voix de Garin... et il lui était impossible de dire si c'était la même voix ou bien une autre !... Maintenant, elle l'entendait lui apprendre que don Alonso avait été légèrement blessé par la chute d'une colonnette de cèdre, que son médecin maure lui avait donné un puissant somnifère pour qu'il reposât en paix, mais qu'avant de s'endormir il avait ordonné à Fray Ignacio de s'assurer que Catherine était indemne, et de veiller en personne à ce que le départ prévu de la jeune femme ne subît pas de retard du fait de l'incendie nocturne et s'effectuât comme si don Alonso en personne avait pu y présider.

– Don Alonso vous prie seulement de garder son souvenir dans votre cœur, noble dame... et de prier pour lui comme il priera pour vous !

Une soudaine bouffée d'orgueil redressa Catherine. Si cet homme était Garin, s'il jouait un rôle, il le jouait supérieurement. Elle ne voulut pas être en reste avec lui.

– Dites à Sa Grandeur que je n'y manquerai pas et que jamais le souvenir de ses bontés ne me quittera. Dites-lui aussi combien je lui suis reconnaissante de l'aide qu'elle m'a donnée et aussi que je la remercie de ses prières, car, dans les lieux où je me rends, le péril sera constant !...

Elle s'arrêta un instant, regardant fixement le moine noir. Rien !

Pas un tressaillement ! Il semblait fait de pierre, insensible au moindre sentiment, à la plus simple compassion, se contentant, une fois encore, de s'incliner silencieusement.

– Quant à vous... reprit Catherine d'une voix que la colère faisait trembler.

Mais elle n'alla pas plus loin. Comme il s'était interposé tout à l'heure entre Tomas et le couteau de Josse, Gauthier intervint en posant sa main sur l'épaule de la jeune femme.

– N'en dites pas davantage, dame Catherine. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit ! Venez ! Il est temps de partir !

Cette fois, elle subit son autorité. Docilement, elle se détourna, rejoignit le groupe que formaient Josse et les

bêtes, se laissa mettre en selle sans un mot et se dirigea vers la porterie. Au moment de franchir la herse relevée, elle se retourna, mais ce fut pour trouver, juste derrière elle, les larges épaules du Normand qui bouchaient presque toute la vue.

– Ne vous retournez pas ! ordonna-t-il durement. Vous devez aller votre chemin, droit devant vous... et sans jamais plus vous retourner !

Souvenez-vous de ce que je vous ai dit : devant votre Dieu et devant les hommes vous êtes la femme d'Arnaud de Montsalvy ! Oubliez tout le reste !

De nouveau, elle obéit, regarda, au-delà de l'ogive rouge, le profil aride et magnifique du plateau, mais, derrière l'épaule de Gauthier, elle avait tout de même aperçu la forme noire du moine, debout à l'endroit où elle l'avait laissé, les mains au fond de ses manches.

Rigide, énigmatique, il la regardait s'éloigner... Et Catherine sentit que cette image se plantait dans son cœur, dans sa chair, comme une épine où peut-être s'écorcherait sans cesse son amour... en admettant qu'elle parvînt à le retrouver.

Elle chevaucha longtemps, silencieuse, laissant la bride sur le cou de sa monture. Josse avait pris la tête et traçait le chemin. Elle suivait machinalement, sans rien voir du paysage que foudroyait déjà l'impitoyable soleil de Castille. Après une dure montée, un gigantesque panorama de plaines et de sierras d'ocre rouge s'offrit à leurs yeux, piqué de villages misérables qui gardaient de leur mieux de maigres champs de chanvre. Parfois, la silhouette courte d'une petite église romane ou les murs arrogants d'un monastère, parfois aussi un maigre château perchant sa tour sur un rocher comme un héron nostalgique rêvant sur une patte... mais Catherine ne voyait rien de tout cela. Elle ne voyait qu'en elle-même la silhouette menaçante d'un moine borgne dont le silence la condamnait peut-être. Aux pieds de la Vierge du Puy, elle avait imploré que Dieu lui rendît son époux... Dieu avait-il ainsi joué avec son cœur, avec son amour ?

Dieu pouvait-il être cruel au point d'avoir remis sur sa route celui qu'elle croyait mort tandis qu'elle cherchait désespérément à retrouver un vivant ? Où était le devoir maintenant ? Gauthier disait qu'il fallait continuer, coûte que coûte, sans regarder derrière soi... Mais Gauthier ne connaissait pas Dieu. Et qui pouvait savoir ce que Dieu exigeait d'elle, Catherine ?

L'image de Fray Ignacio et celle de Garin se juxtaposaient maintenant dans son esprit. Toutes celles que sa mémoire lui conservait de son premier époux se mirent à tournoyer autour de la forme rigide du moine. Garin au soir de leur mariage, Garin le visage déformé par la haine dans le donjon de Malain, Garin enfin dans sa prison, les ceps aux pieds, la blessure de son œil à nu. Malgré le soleil brûlant, Catherine croyait sentir encore sur ses épaules l'humidité de cave du cachot, dans ses narines l'odeur de moisi et de pourriture. Elle voyait, oui, elle voyait Garin tournant vers elle son visage blessé quand elle était entrée dans la prison. Et, soudain, elle sursauta.

– Mon Dieu ! murmura-t-elle. Mais c'est vrai... Comment n'ai-je pas pensé à cela plus tôt ?...

Au beau milieu du sentier à peine tracé, elle arrêta sa monture, regarda l'un après l'autre ses deux compagnons qui, eux aussi, avaient fait halte. Et tout à coup, de la plus imprévisible façon, elle éclata de rire. Un rire clair, joyeux, jeune... un rire de délivrance qui dénouait les entrailles, desserrait la gorge, amenait les larmes dans les yeux, un fou rire qui ne voulait plus s'arrêter et qui plia bientôt Catherine jusque sur l'encolure de son cheval... Dieu que c'était drôle !...


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