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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Chapitre IX


Obstination tragique !

– Voyez-vous, mon bon monsieur, l’immobilité, il n’y a rien de tel… l’eau froide aussi, ça fait du bien. Tenez, je me rappelle, il y a deux ans, quand mon homme courait après la Rouge, la Rouge, sauf vot’respect, c’est not’vache, et qu’il dégringola dans le fossé qui borde le champ au père Mathieu, eh bien, c’est tout juste ce que lui avait ordonné le médecin. Bougez pas, qu’il lui disait, restez tranquille, tâchez de ne pas vous faire des sangs, et de temps à autre, mettez-vous le pied dans l’eau froide… Dame, ça été une affaire de quinze jours, mais enfin…

– Quinze jours !…

Le blessé auquel s’adressait ces paroles avait sursauté sur son siège, répétant : quinze jours ! sur une intonation effarée qui eût suffi à prouver à elle seule qu’il lui semblait totalement impossible de consacrer quinze jours à se soigner.

Mais quel était donc ce blessé ?

C’était tout bonnement Jérôme Fandor. Une fois encore, en effet, le journaliste avait, par une chance inespérée, évité le sort qui, logiquement, eût dû être le sien. À l’instant où la voiture faisait panache, elle roulait encore à une allure d’au moins quatre-vingts kilomètres à l’heure, et sa culbute avait été si violente, si soudaine et si imprévue, qu’on n’eût pas trouvé étonnant que Fandor eût été écrasé sous ses débris, ou du moins eût été gravement blessé.

Or, il n’en était rien. C’était même précisément l’excès du danger qui avait sauvé Fandor d’une aventure cependant en tout point redoutable.

La voiture roulait si vite, en effet, que le journaliste avait été littéralement projeté au loin. Il s’était meurtri les côtes en heurtant le volant ; mais, et cela était de beaucoup préférable, il n’était point resté sous le véhicule à l’instant où celui-ci s’écrasait sur la route.

Bec-de-Gaz et Bouzille d’ailleurs avaient bénéficié d’une chance semblable : ils avaient été, eux aussi, lancés en avant. Bec-de-Gaz était moelleusement tombé dans une mare infecte, d’où il s’était immédiatement relevé, et cela avec une précipitation d’autant plus grande qu’il prenait la fuite à la seconde. Pour Bouzille, le choc l’avait envoyé la tête la première dans un énorme tas de fumier d’où il était ressorti fort sale, mais indemne, à part une balafre qui le défigurait un peu.

Fandor était en réalité le plus gravement atteint des trois voyageurs de l’automobile. Le jeune homme s’était foulé le pied, il en était immédiatement résulté une violente enflure et la fièvre occasionnée par la douleur lui faisait claquer les dents moins de vingt minutes après.

Bouzille avait alors donné des preuves de son ingéniosité et de sa tranquille candeur d’esprit.

Sorti de son tas de fumier, encore un peu stupéfait et étourdi de leur aventure, Bouzille, loin de s’enfuir comme Bec-de-Gaz, s’était précipité au secours de Jérôme Fandor qui gisait à cet instant sur le sol de la route, à une dizaine de mètres de l’automobile renversée.

– Alors quoi ? demandait Bouzille. C’est fini, la promenade ? On ne continue pas ?… Sauf vot’respect, m’sieur Fandor, vous avez tout de même une drôle de façon d’arrêter !… Moi, dans le temps, quand je faisais de l’automobile, quand j’avais mon train spécial…

Quand Bouzille évoquait des souvenirs, c’était évidemment terrible, car l’ancien chemineau, bavard comme pas un, ne tarissait plus d’anecdotes.

La crainte de ce bavardage fut sans doute le stimulant qui réveilla Fandor. Le jeune homme, en effet, qui, jusque-là, n’avait point bougé, aux trois quarts évanoui, s’asseyait sur son séant.

– Zut, Bouzille, déclarait Fandor. Vous avez tort de vous plaindre. On arrête comme on peut, l’essentiel est d’arrêter. D’ailleurs, mon bon, tous les gens compétents affirment qu’il ne faut jamais freiner. Un coup de frein, c’est la mort des pneus. Vous voyez que j’ai été logique, économe et prudent, en arrêtant d’autre façon ?…

Tout en plaisantant, car Fandor plaisantait toujours, même aux heures les plus graves, le journaliste essayait de se lever.

Par malheur, à cet instant, il devait s’apercevoir de son entorse et comprendre qu’il lui était impossible de marcher plus d’une dizaine de mètres.

– Bigre, je suis frais… pensa Fandor.

Bouzille, de son côté, grognait :

– À cette heure, remarquait le chemineau, va falloir que je me fasse brancardier et infirmier pour vous guider, monsieur Fandor. C’est bien le quatre-vingt-dix-neuvième métier que j’essaierai. Mais, ma foi, je ne désespère pas toutefois de faire fortune !

Bouzille aidait Fandor à se mettre debout, il grommelait encore :

– D’ailleurs, c’est rudement dommage que j’sois pas une artiste à l’Opéra. Rapport à ce que j’suis égratigné et que ma beauté en souffrira, je vous attaquerais devant la police !

Bouzille pouvait bien grommeler, Fandor ne l’écoutait déjà plus.

Remis de la secousse brusque qu’il avait éprouvée lors de l’accident, Jérôme Fandor, en effet, était déjà repris par les graves préoccupations qui, quelques instants avant encore, lui faisaient de sang-froid affronter la plus dangereuse des luttes.

Fandor était furieux.

– Avec tout cela, pensait-il, j’ai laissé Fantômas s’enfuir, et il y a désormais bien des chances pour que je ne puisse jamais le rattraper !

Appuyé sur l’épaule de Bouzille, Fandor essayait en effet de faire quelques pas, mais le moindre mouvement lui causait une intolérable douleur ; et, malgré son énergique vaillance, il devait se rendre compte qu’il allait lui falloir à toute force prendre du repos, se soigner, attendre.

Précisément, Bouzille demandait :

– Et alors, m’sieur Fandor, qu’est-ce qu’on fait ? Vous n’avez pas l’intention de continuer à cloche-pied… C’est-il qu’on va demander l’hospitalité à la ferme qu’il y a là-bas ?

Bouzille exagérait un peu en parlant de ferme, car on apercevait tout juste, à quelque distance du passage à niveau fermé, une petite maisonnette des plus modestes, qui devait être évidemment l’habitation du garde-barrière. Des poules couraient dans la cour, un chien dormait sur le seuil, un peu de fumée bleuâtre empanachait le haut des cheminées, mais nul habitant ne se montrait.

Jérôme Fandor, d’un coup d’œil, embrassa l’aspect rustique et paisible de cette maisonnette tranquille, puis accepta :

– Soit, allons là-bas. Tout de même, je me demande comment il se fait que le garde-barrière ne soit pas accouru au bruit de l’accident ?

S’appuyant toujours sur Bouzille qui déclarait en aparté qu’à eux deux ils devaient faire un tableau charmant, Fandor se dirigeait vers la maisonnette et bientôt avait le mot de l’énigme en s’apercevant qu’à part un enfant de trois ans qui jouait dans une cour, elle était entièrement vide.

Fandor restait ainsi avec Bouzille près d’une heure dans l’humble logis, lorsqu’enfin la garde-barrière faisait son apparition et, naturellement, s’effarait.

La brave femme, d’ailleurs, tout en s’empressant de se mettre à la disposition du journaliste, lui donnait la clef de l’énigme que constituait la fermeture du passage à niveau.

– Ça, c’est plutôt fort, déclarait-elle, entremêlant, en bonne Belge qu’elle était, ses paroles d’expressions des plus pittoresques. Ça vous met vraiment le parapluie de travers ! Pour une fois, savez-vous, la barrière n’aurait pas dû être close, et sûrement c’est quelqu’un qui l’a bouclée !

Quelqu’un avait fermé le passage à niveau…

Immédiatement, Bouzille devinait la véritable explication en ajoutant :

– Tiens, parbleu, je comprends, alors ; justement on devait prendre Œil-de-Bœuf sur la route. Sûrement, c’est Œil-de-Bœuf qui a fermé le passage. Il a vu venir le tram, a vu venir l’automobile, il a deviné que vous étiez au volant et que Fantômas était poursuivi, crac, il a tiré les barrières… Eh ! mais, c’est pas bête du tout !

Bouzille était évidemment sans rancune, car il apparaissait tout prêt à admirer la prouesse d’Œil-de-Bœuf dont le plus clair résultat, pourtant, était qu’il venait lui-même de frôler la mort de bien près.

Fandor, à vrai dire, se montrait moins généreux que lui.

– Ah ! ronchonnait le journaliste, c’est Œil-de-Bœuf qui a fermé le passage à niveau, eh bien ! il aura de mes nouvelles au jour de l’an, celui-là ! Que le diable l’emporte !…

La garde-barrière, cependant, ne restait pas inactive. Elle déchirait la bottine de Fandor, le délivrait de sa chaussette, lui trempait de force le pied dans l’eau froide.

– Rien de tel, voyez-vous, pour les enflures !

Et la brave femme citait à l’appui de ses dires toute une série d’histoires de vaches dans lesquelles elle mêlait au petit bonheur la médecine vétérinaire aux notions chirurgicales.

Femme de tête, d’ailleurs, l’excellente garde-barrière se multipliait. Elle pensait à tout, préparait un savoureux repas, téléphonait au pharmacien de la ville pour qu’il envoyât une potion calmante, et, de force, persuadait Fandor qu’elle avait une chambre de vide, qu’il ne la gênerait en rien, qu’on devait s’entr’aider et qu’il fallait qu’il soit assez raisonnable pour rester quelques jours chez elle.

Or, Fandor, plus pressé que jamais de se jeter à la poursuite de Fantômas, de rejoindre Juve au moins, aurait certainement refusé de suivre ses excellents avis, si Bouzille n’avait accepté à sa place et surtout, si la fièvre ne l’avait pris au point qu’il n’était plus bien capable de comprendre exactement ce qui se passait et ce qu’on lui disait.

Assis sur un grand fauteuil d’osier, la jambe étendue sur un tabouret de bois, souffrant le martyre, Fandor passait de longues heures ce jour-là, sommeillant, accablé, et ne sachant trop où il en était.

Vers les cinq heures du soir cependant, le jeune homme commençait un peu à se remettre. Précisément un individu arrivait en bicyclette, se présentait comme étant le garçon pharmacien, et avec des airs doctoraux, disposait en rangs de bataille, sur une table, une multitude de fioles.

– Voilà, voilà, déclarait-il, le patron m’a bien recommandé de vous avertir qu’y fallait avaler tout ça. Le moyen de s’en servir, c’est écrit dessus. D’ailleurs, c’est simple, c’est des potions à boire…

Bouzille déjà débouchait les flacons, et reniflait avec des grimaces de déception leur parfum pharmaceutique.

– C’est du doux, déclarait-il, c’est du doux, y a rien de regipant là-dedans !…

L’excellent Bouzille eût évidemment préféré une médication un peu plus alcoolique.

Il n’y avait pourtant pas à discuter, et force était bien à Fandor d’accepter que la garde-barrière lui préparât immédiatement une première potion. Bouzille, d’ailleurs, enchanté du rôle qu’il jouait, appuyait, lui aussi, la proposition :

– Bien sûr, faisait-il, faut s’soigner, m’sieur Fandor… Tenez, justement, moi aussi, j’ai un peu la fièvre, et beaucoup d’appétit, mais ça ne fait rien, j’m’en vais aussi en prendre, de vot’potion, rapport à c’qu’elle est sucrée et qu’ça vous donnera du courage !…

Bouzille aurait immédiatement bu toute la bouteille par dévouement si, très fier de son rôle, il n’avait tenu à multiplier les marques de déférence à l’endroit du garçon pharmacien.

Bouzille faisait des grâces comiques :

– Ne vous donnez donc pas la peine, faisait-il. Passez le premier, tenez, j’vas vous conduire à votre bicyclette !

Bouzille quittait Fandor, sortait, restait cinq minutes absent, et Fandor allait justement boire sa potion lorsque le chemineau faisait irruption dans la salle, levant les bras, hurlant, sur un ton de désespoir :

– Arrêtez, m’sieur Fandor, arrêtez !…

L’attitude de Bouzille était si extraordinaire que Fandor, en effet, suspendit son geste.

– Qu’est-ce qui te prend, Bouzille ? demanda-t-il.

Bouzille, qui était très pâle, expliqua tout d’une haleine :

– Ce qui m’prend, faisait-il, ah bien, c’est pas ordinaire ! Y m’prend que sans moi vous alliez passer de la réserve dans la territoriale… Autrement dit, que vous descendiez au sous-sol, que vous claquiez, quoi, ni plus ni moins !… Ah ! cochonnerie de bon sort… quand je pense qu’après tout, moi aussi, j’allais trinquer avec vous…

Et comme, devant l’énervement de Bouzille, Fandor, impatienté, allait boire, le chemineau se précipitait en avant :

– Mais lâchez donc vot’verre, faisait-il, c’est de la poison !

La révélation était pour le moins inattendue, Jérôme Fandor sursauta :

– Du poison ! disait-il, tu es fou ?

Mais cette supposition mettait Bouzille hors de lui :

– C’est cela, ripostait-il, prenant un air tragique et offensé. C’est cela… insultez-moi maintenant… Mettez-moi plus bas que tout ! Ah ! la voilà bien la reconnaissance : je vous empêche de trépasser, et vous déclarez que je suis saoul ! Traitez-moi d’ivrogne, pendant que vous y êtes !…

Bouzille se formalisait, se vexait ; il fallait assurément aviser, sous peine de ne point obtenir de renseignement. Fandor posa son verre et questionna :

– Voyons, mon bon vieux Bouzille, dites-moi plutôt ce qui arrive. Qu’est-ce que tu as après cette potion ?

Bouzille, déjà se rassérénait. Il montrait la bouteille du doigt, il ripostait :

– Ce que j’ai, m’sieur Fandor, eh bien, c’est que ce jus-là, paraît que c’est Fantômas qui vous l’envoie, et c’est de la poison… Tenez, vous avez cru que c’était le garçon pharmacien qu’était là, moi aussi… Ah bien zut, alors ! c’est un copain à Fantômas, un poteau que j’n’avais même pas reconnu, tant il était grimé, c’est Gueule-de-Bois, et Gueule-de-Bois m’a dit comme ça :

– Bouzille, bois donc pas dans l’verre à Fandor, rapport à c’que c’est Fantômas qu’a fabriqué les drogues, et qu’il paraît que l’pante va très proprement en claquer.

Bouzille ajoutait :

– Tout de même, après ça, j’suppose que vous m’la ferez avoir, ma médaille de sauveteur, puisque j’ai pas pu avoir celle de sauvé lorsque je trafiquais à la pêche miraculeuse ?

Bouzille allait parler encore, lorsque, brusquement, d’un geste, Fandor lui imposait silence :

– Tais-toi ! écoute. Ah ! nom de Dieu !…

Fandor jurait, se levant d’un brusque mouvement, ne sentant même point la douleur que lui causait sa cheville enflée, se traînant jusqu’à la fenêtre.

D’un rapide coup d’œil, Fandor regardait, de l’autre côté de la voie du chemin de fer, la route poussiéreuse où devait se trouver l’automobile renversée.

Mais quel était donc le nouvel incident qui tirait ainsi Fandor de son apathie et le bouleversait ?

Le journaliste, tout bonnement, en causant avec Bouzille, en apprenant qu’il venait d’échapper à une tentative d’empoisonnement imaginée par Fantômas, venait de surprendre le ronflement caractéristique d’un moteur d’automobile.

Or, à peine arrivé à la fenêtre, Jérôme Fandor comprenait ce qui se passait :

Il voyait des hommes vêtus en chauffeurs, des touristes, s’effarer autour de la voiture culbutée qu’ils avaient remise sur ses roues. L’un d’eux avait donné un coup de manivelle, le moteur tournait ; la voiture, par extraordinaire, n’était point trop abîmée, déjà ils prenaient place, déjà les inconnus se préparaient à partir…

Les inconnus ? Était-ce bien des inconnus ?…

Jérôme Fandor, en les apercevant, les nommait immédiatement :

– Miséricorde, fit-il, Fantômas !… Bec-de-Gaz !… Œil-de-Bœuf !…

Le journaliste grinçait des dents, serrait les poings, se sentant secoué d’une colère folle.

Ainsi, l’audace de Fantômas était telle que le bandit, à peine descendu du car électrique, osait, non seulement tenter de l’empoisonner en lui envoyant un faux garçon pharmacien, mais encore, le sachant immobilisé, venait rechercher sa voiture et se préparait à s’enfuir avec elle !

– Bon, bon, très bien, grogna Fandor sourdement. On va rire…

Le journaliste ne sentait plus la douleur. Sa surexcitation était telle qu’il retrouvait en quelques minutes évidemment toute sa présence d’esprit, toute son ardeur, sinon toute son agilité.

– On va rire ! dit-il encore.

Et il appela brièvement :

– Bouzille, suis-moi et fais comme moi !

Et Jérôme Fandor, au même instant, sortait de la maisonnette ; il se mettait à genoux, se défilait derrière la haie de la voie ferrée, rampait dans la direction de la voiture.

Jérôme Fandor avait pris son revolver dans la main. Bien que blessé et incapable de se défendre normalement, l’intrépide ami de Juve n’hésitait pas à aller attaquer Fantômas et ceux de sa bande.

Jérôme Fandor, à cet instant, sentait son cœur battre à grands coups dans sa poitrine. Une rage folle l’animait.

– Mordieu, jurait-il, on verra bien si Fantômas triomphera toujours !

Et Fandor se retournait pour jeter un ordre à Bouzille.

Or, Bouzille, à cet instant, faisait plutôt piètre figure.

Bouzille était désespéré de ce qui arrivait.

– C’est pas prudent, faisait-il, c’est pas prudent, c’que vous faites, m’sieur Fandor. Vaut mieux ne pas chercher querelle à Fantômas ; sûrement, ça va encore tourner aigre… Et puis, moi, dans quelle position que vous m’mettez ? J’suis votre ami, et j’suis pas son ennemi, quoi… Laissez-le donc partir, cet homme !

Bouzille pouvait bien prêcher le calme, ses paroles produisaient tout autant d’effet sur Jérôme Fandor qu’une cuiller à café d’eau sur un incendie déchaîné. Tout simplement, les exhortations de Bouzille cinglaient la volonté de Jérôme Fandor.

– Reste là, dit le jeune homme, je n’ai pas besoin de toi…

Mais Bouzille, qui n’était point lâche et qui surtout était curieux, continua d’avancer.

Le drame, d’ailleurs, devait se terminer rapidement.

En rampant, Fandor venait d’atteindre derrière la haie la hauteur de l’automobile. Brusquement, il se dressa :

– Fantômas, rendez-vous !

Et, brandissant son revolver, il ajoutait :

– Rendez-vous, ou je tire !

Or, à l’apparition de Jérôme Fandor, surgissant brusquement derrière la haie, et leur faisant ainsi sommation d’avoir à se constituer prisonniers, Fantômas et ceux de sa bande, d’abord surpris, reculaient brusquement. Leur hésitation, toutefois, n’était guère de longue durée.

Fantômas, tranquillement, braquait, lui aussi, un revolver. Il articulait :

– Fandor, vous êtes un imbécile ! Je ne me rends pas quand je peux tuer !…

Mais, au même instant, Fantômas poussait un juron formidable, et, de dépit, jetait son browning…

Le bandit n’avait point pensé à recharger son arme, il n’avait plus de cartouches, il était désarmé !

Fantômas, d’ailleurs, n’était pas homme à perdre la tête dans une pareille situation, et Fandor qui, malgré lui, répugnait à faire feu sur un homme, fût-il le Génie du crime, n’avait point encore pressé la détente qu’il était déjà trop tard pour tirer.

– Vite ! avait juré Fantômas, embarquez !

Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz tiraient sur Fandor quelques balles qui ne portaient pas, car les deux apaches, pris d’une grande frayeur, tremblaient l’un et l’autre de tous leurs membres, puis ils sautaient dans la voiture.

Fantômas, à son tour, y grimpait, et, à l’instant où Jérôme Fandor faisait enfin feu, l’automobile démarrait.

– Au revoir ! criait narquoisement Fantômas.

Le Génie du crime pensait évidemment, en cet instant, triompher facilement de Fandor, et lui échapper sans la moindre difficulté.

Il lui fallait, toutefois, mal connaître le journaliste pour imaginer qu’il était capable de renoncer si facilement à une poursuite de pareille importance.

À l’instant où la voiture démarrait, Fandor se jetait en avant, faisant un véritable bond.

Certes, il ne pouvait rejoindre Fantômas, mais il arrivait à s’agripper à la capote de la voiture ; il sautait sur les ressorts, s’agenouillait sur le réservoir, et cela pendant que l’engin filait à une allure folle.

– Je le tuerai s’il le faut, pensait Fandor. Mais, je ne le laisserai pas partir ainsi !

En dépit de sa situation vertigineuse, en dépit des cahots de la voiture, qui menaçaient à chaque minute de le faire rouler sur la chaussée, Fandor, en effet, braquait son browning et visait Fantômas qui, penché au volant, était à moins d’un mètre de lui.

En était-ce fait du bandit ?

Hélas, à ce moment, brusquement, Bec-de-Gaz se dressait dans la voiture.

Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, en effet, à l’instant où Fantômas démarrait, avaient été jetés l’un contre l’autre et Fandor, une seconde, les avait oubliés.

Or, Œil-de-Bœuf, se redressant, apercevait tout naturellement Fandor cramponné à la capote. L’apache alors ne perdait point de temps : d’un violent coup de poing, il détournait le bras du journaliste, dont le coup de feu demeurait vain, puis, féroce, d’autant plus brutal que Fandor, dans la position où il était, ne pouvait pas lutter, il assénait sur la tête du malheureux de terribles coups de poings.

Aveuglé, étourdi, le visage en sang, Jérôme Fandor cette fois lâchait prise.

Et tandis qu’allégée, la voiture bondissait plus vite encore, Jérôme Fandor roulait sur le sol, faisant une chute effroyable mais qui, par bonheur, n’était point mortelle, car le journaliste tombait de fort bas, les ressorts de la voiture étant à peine à quatre-vingts centimètres du sol.

Était-ce donc là le dernier épisode de la lutte acharnée qui mettait aux prises Fandor et Fantômas depuis une journée entière ?

Non !

Jérôme Fandor, tombé sur le sol, avait encore l’énergie surhumaine de faire un geste : il tendait le bras, il visait la voiture, il faisait feu…

Quand Bouzille arrivait à son secours, Fandor déjà se levait et déjà se traînait en avant.

Deux minutes plus tard, à Bouzille, effaré, Jérôme Fandor expliquait :

– Les misérables !… Ils m’ont encore glissé dans les doigts… Mais ça ne fait rien, je les tiens !

Or, à cet instant, la figure de Bouzille exprimait la plus totale incompréhension.

– Vous les tenez ? demandait le chemineau. Comment diable les tenez-vous ?

– Parce qu’ils vont être forcés de s’arrêter.

– Pourquoi, m’sieur Fandor ?

– Parce que, Bouzille, dans dix kilomètres tout au plus, il ne leur restera pas une goutte d’essence.

Bouzille ouvrait des yeux ronds, se demandant si Fandor ne déraisonnait pas, mais le journaliste le rassurait :

– Bouzille, quand je suis tombé, expliquait-il encore, j’ai pensé à tirer sur la voiture, et j’ai crevé le réservoir d’essence. À l’heure actuelle, leur provision s’épuise : je calcule qu’ils seront en panne dans dix kilomètres au plus tard…


– Hardi, Bouzille, presse le pas !

– Sauf vot’respect, m’sieur Fandor, c’est plutôt vous qui marchez comme une canne qui pondrait ses œufs en s’baladant !

– Ne parle pas, Bouzille, dépêche-toi !

– Mais j’me dépêche, m’sieur Fandor ! Et puis, c’est pas pour dire, mais trente sous du kilomètre que vous m’donnez, pour vous servir de béquille, là, vrai, c’est pas payé…

– Je te donnerai quarante sous, Bouzille.

– Alors, on va galoper.

La journée s’achevait. Il y avait une demi-heure que la fuite de Fantômas s’était réalisée, et Fandor et Bouzille avançaient le long de la grande route, se hâtant vers une destination inconnue.

Fandor, sitôt le drame, avait envoyé Bouzille aux renseignements. Il estimait que Fantômas serait en panne au bout de dix kilomètres, et il voulait à toute force savoir en quel endroit se trouverait Fantômas dix kilomètres plus loin.

Bouzille avait été interroger la garde-barrière et revenait trouver Fandor qui l’attendait sur la route.

– Voilà, déclarait-il : paraît que dans six kilomètres, m’sieur Fandor, on s’trouve à une station du chemin de fer, une halte, comme qui dirait, où les rapides s’arrêtent tout juste, rapport à un député qui est influent.

Fandor, en écoutant cela, devenait blême de rage.

Ainsi, le hasard allait encore servir Fantômas !… Six kilomètres plus loin, à l’instant où, fatalement, le bandit se serait aperçu qu’il allait être en panne, il aurait la chance de trouver un train dans lequel embarquer pour s’enfuir…

– Nom de Dieu !… jura Fandor.

Et, haletant, il interrogea Bouzille :

– Tu n’as pas demandé si un rapide passait prochainement ?

– Si fait, m’sieur Fandor, paraît qu’y en a un dans trente-cinq minutes.

– Dans trente-cinq minutes !

Et Jérôme Fandor se mordit les lèvres au sang. Dans trente-cinq minutes, Fantômas serait tranquillement arrivé à la gare. Or, dans trente-cinq minutes, Jérôme Fandor, lui, perdu en cette campagne déserte, sans moyen de transport, souffrant d’une entorse, ne pouvait pas espérer couvrir les six kilomètres…

– Il s’échappe ! grogna Fandor.

Mais à ce moment même une idée folle venait au journaliste :

– Bouzille, demandait-il. Où passe la voie du chemin de fer ? Nous sommes ici à côté d’une voie secondaire, mais la grande ligne ne doit pas être loin ?

– C’est bien possible, approuva Bouzille, mais je n’en sais rien.

– Va le demander, cours !

Bouzille, cinq minutes plus tard, revenait trouver Fandor.

– Paraît, disait-il, que la grande ligne, c’est là-bas, derrière les peupliers que vous apercevez.

Et narquois, ironique un peu, Bouzille ajoutait :

– Des fois, m’sieur Fandor, vous ne voulez pas vous rendre là-bas ? Vous n’avez pas l’intention d’aller agiter vot’mouchoir pour saluer Fantômas au passage ?

Bouzille cessa de plaisanter en entendant la réponse de Fandor :

– J’ai l’intention, disait le journaliste, d’arrêter le train, d’y monter et de brûler la cervelle à Fantômas si d’aventure il veut résister !

Une minute plus tard, Fandor et Bouzille cheminaient à travers champs.

Bouzille, qui ne perdait jamais de vue ses intérêts financiers, car il avait l’âme finaude d’un commerçant juif, Bouzille avait spécifié qu’il entendait toucher de l’argent s’il devait aider Jérôme Fandor.

Le journaliste, tout naturellement, n’avait pas discuté ses conditions. Il était donc entendu que Bouzille allait prêter son épaule à Fandor, qu’il lui servirait de béquille, comme il disait, et que ses bons offices lui rapporteraient quarante sous du kilomètre !

La difficulté, toutefois, n’était point de calmer les exigences, modestes, d’ailleurs, de l’excellent Bouzille.

Ce qui terrifiait Fandor, c’était qu’il ignorait l’heure exacte à laquelle passerait, sur le remblai, le rapide dans lequel certainement aurait pris place Fantômas après avoir abandonné sa voiture.

– Arriverons-nous à temps, se disait Fandor. Pourrons-nous arriver à temps ?

Et il pressait le pas, bousculant Bouzille, s’énervant au fur et à mesure que les minutes passaient, lentes, implacables, tendant l’oreille, croyant à tout instant entendre le sifflement du rapide, le brouhaha du convoi franchissant à toute vitesse les rails de fer.

Une autre angoisse d’ailleurs torturait Fandor.

Il avait dit :

– J’arrêterai le train.

Hélas, arrêtait-on un train ? Pouvait-on espérer faire stopper un convoi ?

Ah ! sans doute, Fandor ferait des signaux, essayerait d’attirer l’attention du mécanicien, mais celui-ci, penché sur sa machine, occupé à surveiller les signaux, occupé à manœuvrer, le verrait-il seulement ?

Et Fandor, angoissé au plus haut point, se demandait encore :

– Admettons même que le mécanicien m’aperçoive. Admettons qu’il comprenne mes gestes. Obéira-t-il ? hélas ! je ne peux pas me déguiser en agent de la compagnie, je ne peux pas même employer un geste conventionnel, j’ignore les signaux des chemins de fer, mordieu, j’ai toutes les chances du monde de ne pas pouvoir faire stopper le train !

Mais une telle pensée n’était pourtant pas de nature à décourager Jérôme Fandor. Tout au contraire, le sentiment exact des difficultés l’aiguillonnait, le talonnait.

– J’en viendrai à bout, mordieu !… j’en viendrai à bout !

Or, comme Fandor se pressait davantage, comme il était à moins de cinquante mètres du remblai, le jeune homme, blême de rage, s’arrêtait soudain :

– Trop tard, Bouzille. Trop tard !

Au lointain, en effet, on entendait le vacarme causé par le passage pesant d’un convoi sur un pont de fer.

– Trop tard !… répétait Fandor.

Il imaginait l’express dévalant à toute allure, lui passant sous les yeux, sans qu’il puisse rien tenter pour arrêter sa course.

Fandor, désespéré, avait presque les larmes aux yeux. La voix claironnante de Bouzille soudain s’éleva :

– Ma foi, disait tranquillement l’ancien chemineau, sûrement vous perdez la tête ! Il n’est pas trop tard du tout. Regardez donc, m’sieur Fandor : c’est pas l’rapide, c’est un train de marchandises qui s’avance. Ah ! celui-là, sûr, vous pourriez l’arrêter ! C’est pas comme l’autre… L’autre, y paraît qu’il suit à huit minutes par derrière, et qu’à c’t’endroit-ci, sauf’vot’respect, il fout le camp comme un zèbre qu’aurait la queue allumée !

Fandor, reconnaissant un train de marchandises, avait soupiré de soulagement.

– Allons vite, disait-il, en avant !

Et une lueur d’espoir semblait mettre une flamme de volonté dans ses yeux.


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