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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Pierre Souvestre et Marcel Allain















Le Cadavre géant















FANTÔMAS 27

(1913 – Arthème Fayard)




















BOUQUINS – ROBERT LAFFONT




Chapitre I


La menace de Fantômas

Que s’était-il donc passé ?

La reine, à l’instant où elle entrait dans le salon orange, où sans doute un drame incompréhensible venait de se dérouler, apercevait brusquement Fandor écroulé dans un fauteuil, sanglotant, accablé, l’air égaré, et Juve debout au milieu de la pièce, tournant machinalement entre ses mains un masque noir, une cagoule, cependant qu’il répétait, d’une voix brisée par l’angoisse :

– Ah ! Fantômas… Fantômas… rien ne te désarmera donc, rien… pas même l’amour ?

La reine embrassait d’un coup d’œil l’attitude accablée des deux hommes.

Elle frissonnait et, joignant les mains, demandait alors d’une voix altérée :

– Mon Dieu ! qu’avez-vous ? Pourquoi ce masque, Juve ?…

Mais Juve ne lui laissait pas le temps d’achever.

– Votre Majesté, murmurait-il, devine la sinistre vérité, Fantômas vient d’oser un rapt effroyable… Hélène a été enlevée par lui, et… Fandor et moi nous sommes bien malheureux !


Juve avait-il raison ?

Était-il réellement admissible que le sinistre Génie du crime, que l’effroyable Maître de l’épouvante eût osé à l’instant même où l’habileté de Juve et de Fandor lui imposait une terrible défaite, tenter cette audacieuse revanche, d’enlever Hélène, d’arracher la jeune femme à l’affection de Juve, à l’amour du journaliste ?

Le Maître de l’effroi, à la vérité, était bien homme à ne reculer devant rien. Et c’était bien lui, en effet, qui s’était emparé de la jeune femme, répondant par cette sorte de défi à la victoire qui récompensait les efforts de Juve et de Fandor, à l’instant où, grâce à eux, la reine de Hollande remontait sur son trône et se trouvait à l’abri de toute révolution politique.

Fantômas, toutefois, n’avait peut-être pas pu réussir facilement l’entreprise téméraire qu’il avait ainsi décidée. Peut-être bien n’était-il pas loin encore. Peut-être était-il exposé à la poursuite des deux amis qui, hélas ! ne songeaient guère à le poursuivre…

Car c’était un fait.

Juve et Fandor qui, tant de fois, avaient donné des preuves de leur effarante audace, de leur merveilleux courage, de leur ténacité aussi, Juve et Fandor, accablés par le nouveau malheur qui les frappait, demeuraient immobiles, anéantis, prostrés, n’osant plus un mouvement, ne risquant plus une parole.

Que faire ?

Certes, bien souvent, dans sa vie, Fandor avait frémi en imaginant l’implacable silhouette du Roi de l’épouvante. Jamais cependant peut-être il n’avait aussi bien compris qu’en cette minute la terrifiante et réelle autorité de ce Roi du meurtre et du crime, qui bravait les royautés terrestres, et, au cœur même d’un palais, à deux pas de la reine Wilhemine, osait enlever une femme, la femme de Fandor, celle qui passait pour sa fille…

Mais comment Fantômas avait-il opéré ?

Juve et Fandor avaient à peine abandonné quelques instants le salon orange pour accompagner dans la salle du trône la reine Wilhemine.

Les deux amis avaient laissé Hélène seule quelques minutes seulement. Ces quelques minutes, hélas ! avaient été suffisantes puisque, lorsque Fandor s’était précipité dans la pièce, devançant Juve, le journaliste avait trouvé le salon orange vide, avait dû se résoudre à comprendre la douloureuse vérité, la disparition d’Hélène !

Ah ! si Fandor avait su !… Si à cet instant il avait deviné l’effroyable drame qui se déroulait près de lui, tout près de lui, si près qu’un incident fortuit pouvait le lui révéler à l’improviste !

Mais Fandor ne soupçonnait rien, ne pouvait point se douter de la vérité, et seulement torturé d’angoisse, abêti de souffrance, demeurait prostré, accablé, sanglotant.

Juve et Fandor avaient à peine quitté la pièce pour accompagner la reine jusqu’au trône et la sauver, si besoin était, des périls nouveaux que pouvait faire naître pour elle sa brusque apparition parmi les courtisans, qu’Hélène, restée seule dans le salon orange, avait frissonné des pieds à la tête.

La jeune femme, à cette minute, était profondément émue, violemment troublée même, à la pensée de l’accueil que la reine Wilhemine avait daigné lui faire. Hélène avait vivement senti le prix qu’il fallait attacher aux paroles de la souveraine.

Si elle s’était dévouée pour Wilhemine, elle trouvait, en sa délicatesse, que la récompense accordée à son dévouement était superbe ; cette récompense consistait dans ce mot de la souveraine :

– Vous serez désormais plus que mon amie, vous serez ma sœur…

Or, tandis qu’Hélène réfléchissait ainsi, tandis que, le cœur battant un peu, elle se dépouillait des bijoux qu’elle avait revêtus pour mieux incarner le personnage de la reine aux yeux des courtisans, tandis qu’elle songeait que c’en était fini des tourments de ces dernières semaines et que Fandor, son mari, viendrait, quelques instants plus tard, la prendre pour remporter vers le bonheur, brusquement elle entendait un appel qui la glaçait d’effroi des pieds à la tête.

Une voix, une voix grave, une voix d’homme rude et autoritaire, avait simplement dit :

– Hélène !…

Et comme la jeune femme se retournait, elle croyait à cet instant défaillir. Devant elle était un personnage dont l’énigmatique silhouette ne lui était, hélas ! que trop connue…

Grand, mince, souple, il se croisait les bras, fixant la jeune femme d’un regard de feu qui la brûlait jusqu’à l’âme. Il portait un maillot noir qui moulait étroitement son corps ; ses mains étaient gantées de noir ; une cagoule noire dissimulait son visage, ne laissant voir de ses traits qu’un peu de ses prunelles.

– Hélène !… répétait l’apparition.

Reculant devant cet homme qui l’appelait, Hélène gémit, affolée :

– Fantômas !… Fantômas !

Et, certes, moins que tout autre, Hélène pouvait s’y tromper. Combien de fois, hélas ! l’avait-elle vu en cette livrée de nuit qui était sa livrée de crimes, le génial et monstrueux Fantômas !

Combien de fois s’était-il dressé sur sa route ? Combien de fois déjà avait-elle frémi en entendant cette voix, cette voix qui faisait peur et qui éprouvait quelque peine, semblait-il, à s’adoucir pour répéter son nom, rien que son nom :

– Hélène !…

La jeune femme reculait, la sueur au front. Livide, les mains jointes dans un geste de supplication, Hélène râlait :

– Que me voulez-vous, Fantômas ?

Et il paraissait alors qu’un instant le Génie du crime hésitait.

Fantômas tardait à répondre.

Fantômas avait-il donc peur lui-même de ce qu’il devait dire ? La monstruosité de ses propos, l’ignominie de ses desseins, l’effrayaient-elles à son tour ?

Ce fut d’un ton dur, d’une voix qui n’admettait pas de réplique, de sa voix de maître que Fantômas rétorqua :

– Ce que je veux, Hélène, tu le sais… C’est ton bonheur, ton bonheur avant tout et par-dessus tout… Viens…

Il avait fait un pas vers la jeune femme, il tendait la main, sa main gantée de noir, comme s’il eut voulu prendre Hélène par le bras.

La femme de Fandor précipitamment se recula.

– Venir ? fit-elle d’une voix rauque… Allons donc… Vous suivre ? Vous accompagner ? Jamais…

Et comme Fantômas ne bronchait point en l’écoutant, comme il gardait son impassibilité coutumière, Hélène se hâtait de reprendre :

– Fantômas, il est inutile de vouloir peser sur mes résolutions. Vous ne m’êtes rien… Grâce à Dieu, je suis délivrée de l’horrible cauchemar que j’ai connu lorsque je me croyais votre fille. Vous ne m’êtes rien, vous n’avez aucun droit sur moi, je vous hais…

Elle était frémissante, elle était superbe, Hélène, à l’instant où elle osait, elle, faible femme, défier ainsi le Maître de l’effroi, et lui crier sa haine, cette haine qui était sans doute si cruelle à la pensée de Fantômas.

Le Génie du crime, impassible, toujours cependant, et feignant de ne pas l’entendre, se contentait d’insister :

– Viens… disait-il. Viens, je le veux…

Il avançait toujours vers la jeune femme. Hélène, reculant devant lui, pas à pas, se trouvait maintenant adossée presque à la tenture garnissant la fenêtre du salon orange.

– Je ne vous suivrai pas, riposta Hélène, articulant ses paroles avec une lenteur décidée. Je ne vous suivrai jamais… Tuez-moi si vous le voulez, Fantômas ; cela seulement vous pouvez le tenter… et encore, si vous faites un mouvement, je vous avertis que je donne l’alarme et que je vous ferai prendre, enfin, comme un ignoble bandit que vous êtes…

Or, à cette apostrophe virulente, Fantômas ne répondait point. Simplement il haussait les épaules, pendant qu’un sourire passait sur ses lèvres.

La colère alors affolait Hélène. Cessant de reculer, elle marcha brusquement dans la direction du Génie du crime.

– Je suis la femme de Fandor, murmurait-elle. La femme de Fandor ne peut pas être une poltronne. Fantômas, je n’ai point peur de vous… Fantômas, je vous somme de fuir… On vient… Dans quelques secondes, il sera trop tard. Partez… Je ne vous livre pas, par respect pour les sentiments dont vous avez fait preuve pour moi… Vous m’avez aimée, vous m’aimez peut-être encore maintenant ; j’étais à vos yeux votre fille, une fille ne livre pas son père. Ah !… profitez de ma clémence, Fantômas, mais souvenez-vous que vous êtes à ma merci ! Allons, fuyez… partez…

Certes, à cet instant, Hélène, comme elle l’avait dit elle-même, se montrait digne de Fandor. Il fallait une âme intrépide à la jeune femme, il lui fallait un courage surprenant pour oser parler ainsi au Maître de l’épouvante, pour oser lui donner des ordres, à lui qui en donnait à tous.

Fantômas, toutefois, souriait toujours.

Sous le masque qui voilait ses traits, son impassibilité amusée avait quelque chose d’énigmatique et d’effroyable. On sentait que la colère d’Hélène, que les efforts de la jeune femme étaient vains, et que Fantômas, à son heure, à l’instant où cela lui semblerait bon, disposerait d’elle, en dépit d’elle-même.

Fantômas jouait avec Hélène comme un chat joue avec la souris qu’il fascine. Il était le tigre qui fixe sa proie ; immobile encore, on le devinait prêt à bondir, prêt à satisfaire sa férocité.

Hélène, cependant, s’énervait de plus en plus. Véhémente, elle osa s’avancer jusqu’à frôler presque Fantômas. La voix sifflante, le regard affolé, elle répéta :

– Fantômas, on vient… Fantômas, il faut fuir…

La jeune femme tendait les bras, désignant la porte au bandit. Des pas se rapprochaient en effet, Fantômas seulement alors parut sortir de son impassibilité.

Sa main se leva. Son gant noir, tranquillement, fut arraché, tomba sur le tapis. En un instant, il dépouillait la cagoule qu’il portait sur son visage, et qu’il jetait à terre au hasard…

– Il faut fuir, Hélène ? demandait-il sur un ton de raillerie…

– Il faut fuir, répéta la jeune femme, se contraignant à parler sur un ton de suprême énergie.

Mais elle n’achevait même pas sa phrase. Fantômas, brusquement, venait d’éclater de rire.

– Enfant… dit-il.

Et avant qu’Hélène ait fait un mouvement, elle sentait son poignet à demi brisé, sous l’étreinte de Fantômas qui l’attirait violemment.

– Hélène, disait avec précaution le Génie du crime… Hélène, vous devriez savoir que je ne suis point de ceux qui fuient… moins encore de ceux qui peuvent avoir peur, et que personne jamais, en aucun temps, en aucun lieu, en aucun cas, n’a pu faire obstacle à ma volonté ! Il faut m’obéir, il faut venir, tu viendras !

Le bouton de la porte grinça.

Fantômas et Hélène étaient encore au milieu du salon orange. Dans une seconde Fandor allait entrer. C’était lui qui, rassuré sur le sort de la reine, ayant fait son devoir jusqu’au bout, revenait vers sa femme.

Fandor entra… et c’était alors qu’il poussait un cri terrible : le salon orange était vide !

Fantômas et Hélène venaient de disparaître !

Où donc était le Maître de l’effroi ?

Comment donc avait-il ravi la jeune femme ?

Pourquoi celle-ci, sans mot dire, s’était-elle subitement résignée à accompagner le monstre ?

Fantômas, une fois de plus, venait de trouver, dans sa froide férocité, une terrible force morale pour contraindre Hélène à faire son bon plaisir.

Comme la porte s’ouvrait déjà, Fantômas avait brusquement repoussé la jeune femme dans l’embrasure de la fenêtre. Hélène était cachée par la tenture. Lui-même, dans les plis du grand rideau de velours, se dissimulait aisément…

Et Fantômas avait tiré un revolver. Ce revolver il le braquait sur la personne qui entrait, sur Fandor ; disait en même temps :

– Un mot, Hélène, et je fais feu… Un mot, et Fandor est mort…

Alors, Hélène se taisait.

Dans le salon orange, cependant, où Juve s’était précipité derrière Fandor, une scène tragique se poursuivait.

Les deux hommes, petit à petit, retrouvaient un peu de leur habituel sang-froid. Juve et Fandor s’arrachaient à l’anéantissement qui s’était emparé d’eux lorsqu’ils avaient dû s’apercevoir de la disparition d’Hélène.

Juve, debout, secouait Fandor par les épaules.

– Nous n’avons pas le droit de nous désespérer, murmurait le policier, il faut agir… Hélène ne peut pas être loin, il faut la chercher, il faut la retrouver… il faut la sauver.

Et Fandor, lui aussi, se levait. Il passait d’un geste égaré sa main tremblante sur son front moite. Il titubait de douleur, de vertige. Pourtant, il se reprenait déjà.

– Vous avez raison, Juve. Sangloter, c’est lâche. Se désespérer, c’est indigne. Il faut lutter.

Et d’une voix changée, d’une voix basse, d’une voix qui détonnait sinistrement, Fandor reprenait :

– Ah, parbleu, oui, il faut lutter… Fantômas, Fantômas… tu ne sais point ce que nous pouvons oser Juve et moi, quand il s’agit d’Hélène. Pardieu… ta vie, ton sang, nous paiera ces minutes, je le jure.

Juve déjà cependant, enquêtait. Devant la reine affolée, le policier examinait la pièce.

– La fenêtre est fermée, remarquait-il. Fantômas et Hélène ne sont point partis par là… Ils sont certainement sortis par l’intérieur du palais. Peut-être sont-ils encore à l’intérieur des bâtiments même. Hardi ! Fandor, cherchons !

Et Juve, se tournant vers la reine, ajoutait :

– Que Votre Majesté oublie notre angoisse ! Votre Majesté se doit à son peuple. Qu’elle daigne regagner ses appartements ; Fandor et moi nous lui demandons de ne point s’exposer inutilement. La reine de Hollande n’a pas à savoir qu’il y a guerre et guerre à mort entre nous et le Génie du crime.

Wilhemine, cependant, refusait tout d’abord de s’éloigner. La reine ne pouvait pas se résoudre à abandonner ainsi celle qui ne l’avait pas abandonnée et qui au péril de sa vie, lui avait gardé son trône.

Malgré tout, cependant, Juve finissait par la convaincre.

Le policier trouvait des phrases persuasives.

À coup sûr, Fantômas était vaincu. À coup sûr, l’émeute hollandaise était matée. Toutefois, il convenait de ne pas prêter le flanc à ces terribles attaques. Cela ne serait en rien utile à Hélène, et cela simplement compliquerait la situation.

La reine s’inclina devant la volonté formelle de Juve. Elle quitta le salon orange. Fandor et Juve, restés seuls, échangèrent une étreinte et, sans mot dire, quittèrent la pièce, eux aussi.

– Il faut enquêter, disait Juve.

Et Fandor approuvait :

– Il faut savoir si nul n’a vu sortir Fantômas, si nul n’a remarqué le départ du Grand Éclusier.

Or, à l’instant où Juve et Fandor, prêts à recommencer la lutte, abandonnaient le salon orange, Hélène et Fantômas, à quelques mètres d’eux seulement, éprouvaient des sentiments bien divers.

Derrière la tenture du salon, la femme de Fandor, terrifiée par les menaces de Fantômas, par le revolver qu’il braquait continuellement sur Fandor, vivait mille morts.

Elle connaissait trop celui qui avait passé pour son père, pour oser un geste, pour tenter un cri.

Si elle révélait leur présence, Fantômas n’hésiterait pas…

Certes, s’il s’était agi d’elle, si le revolver s’était braqué sur sa poitrine, Hélène n’aurait pas tardé une seconde à s’élancer en avant. Mais Fantômas l’aimait. Fantômas se gardait bien de la menacer, elle, c’était Fandor qu’il visait, c’était Fandor qui tomberait sous ses yeux, c’était Fandor qu’elle assassinerait en criant au secours !

Et c’est pourquoi, libre entièrement, point même bâillonnée, Hélène demeurait muette, immobile, prisonnière de la peur, prisonnière de Fantômas, prête à suivre docilement ses ordres et ses impulsions.

Fantômas, surpris de l’attitude de la jeune femme, quelques minutes plus tôt, lorsque Hélène avait osé le braver, se rassurait désormais au contraire.

– Je la tiens, murmurait-il. Tant que j’aurai Fandor à ma disposition, Hélène fera ce que je voudrai.

Et à l’instant même, tandis que Juve, la reine et Fandor se désespéraient dans le salon orange, Fantômas, braquant toujours le canon de son revolver sur le journaliste, combinait un plan infernal.

Certes, ce rapt d’Hélène, qu’il avait décidé en raison sans doute de motifs impérieux que nul ne soupçonnait, ce rapt n’était pas encore achevé et offrait encore de grandes difficultés.

Fantômas, avec sa prisonnière, sa prisonnière enchaînée par la peur, était en somme au centre même du palais de la reine. Dans les couloirs, les courtisans s’empressaient ; dans la salle du trône, les dignitaires de la couronne s’entassaient, et c’était dans tout le palais royal, à l’occasion de la solennité constituée par l’ouverture du Parlement, un remue-ménage continuel, des allées et venues perpétuelles.

Il fallait traverser cette foule ; il fallait, en dépit des difficultés, sortir de ce palais, prendre le large, et en même temps, entraîner Hélène sans que celle-ci pût faire un geste, ou prononcer un mot compromettant.

Un autre eût renoncé à un projet si fou. Fantômas, en sa témérité coutumière, n’hésitait pas, tout au contraire, à décider de l’accomplir.

– Nous sortirons ! murmurait-il.

Et comme Fandor et Juve quittaient le salon orange, brusquement la main du bandit se posait sur l’épaule d’Hélène.

– Un mot, répétait-il, et Fandor est mort… Songes-y.

Comme Hélène, terrifiée, le regardait, Fantômas entraînait la jeune femme hors de l’embrasure de fenêtre qui, si opportunément, venait de leur servir d’abri.

Fantômas, en quelques gestes, se dépouillait du maillot noir qui tout à l’heure moulait son corps. Il portait, en dessous, un costume de cour, bas de soie, culotte de satin, habit à la française.

Fantômas tirait de sa poche une perruque qu’il coiffait. Il avait si bien l’art de se maquiller que quelques secondes lui suffisaient à changer son visage.

Alors, le bandit métamorphosé se tournait vers Hélène :

– Je suis, murmurait-il, méconnaissable, et nous allons en profiter. Une voiture m’attend dans la cour du château. C’est dans la cour que Juve et Fandor vont aller enquêter. Ils me croient devant eux, parti déjà ; tout au contraire, nous allons les suivre…

Et comme Hélène le regardait sans comprendre, Fantômas reprenait :

– C’est Fandor, Hélène, qui va nous ouvrir la route. C’est Fandor qui me garantira de ta sagesse. Tu sais quel tireur je suis. Or, nous ne le perdrons pas de vue ; j’ai mon revolver dans ma poche : rappelle-toi qu’un mot, un seul mot imprudent échappé à tes lèvres, et Fandor est un homme mort…

Fantômas avait parlé d’un ton rude et brusque. D’une voix soudainement devenue aimable il demandait :

– Ton bras, Hélène ? Nous allons fuir, mais fuir ensemble…

Et il fallut bien alors qu’Hélène s’inclinât. La main gantée de blanc de la jeune femme, sa main tremblante, s’appuya sur le bras de Fantômas. Ils quittèrent le salon orange ; ils furent dans le couloir encombré de courtisans, de gentilshommes de la chambre, d’officiers et d’huissiers.

Ils passèrent au milieu de cette foule. Sur l’ordre de Fantômas, Hélène avait jeté sur ses épaules un grand manteau qui traînait sur un meuble où sans doute le bandit l’avait déposé, et qu’il avait été prendre mystérieusement. Ce manteau, vaste et lourd, cachait la toilette de la jeune femme. Nul ne pouvait la reconnaître, et Fantômas, de son côté, grâce à sa perruque, grâce à son maquillage, était impossible à identifier.

La foule des courtisans s’écartait sur leur passage. On les prenait sans doute pour quelques hauts personnages de la bourgeoisie invités par la reine à la cérémonie de la signature des brefs parlementaires. On s’écartait devant eux, ils passaient…

Hélène dut se composer un visage souriant. Tandis que son cœur battait à se rompre dans sa poitrine, tandis que le désespoir faisait glacer son sang dans ses veines, elle trouvait la force d’âme de sourire, de s’incliner lorsqu’on la saluait, de feindre de s’appuyer galamment au bras de son cavalier.

Faire un geste ? Oser un mot ? Crier au secours ? Ah ! pour rien au monde, en cet instant, Hélène ne l’eût osé.

Fantômas avait toujours la main dans la poche de son habit. Il feignait d’y chercher quelque chose, un mouchoir, une boîte à poudre de riz, peut-être ; son geste était naturel, ordinaire, mais Hélène, hélas ! ne pouvait s’y tromper. Ce que Fantômas tenait, c’était son revolver. Le Maître de l’effroi avait eu raison, elle était en son pouvoir, elle se tairait… elle ne dirait rien… car Fandor était à cinquante mètres devant eux, Fandor qui ne se doutait point qu’un revolver le menaçait, Fandor qu’une imprudence de sa part pouvait irrévocablement condamner.

Et Hélène, crispée par l’effort moral qu’elle devait s’imposer, se disait :

– Je ne puis rien tenter. Je ne puis rien essayer… Fantômas tirerait, Fandor serait mort, et certainement, à la faveur du scandale, Fantômas s’échapperait.

Le couple tragique traversa de la sorte les vastes galeries du palais royal.

Fandor et Juve, comme l’avait deviné Fantômas, se rendaient, en effet, à la cour du château où sans doute ils voulaient, en interrogeant les factionnaires, essayer de retrouver la piste du bandit, qu’ils supposaient logiquement parti devant eux.

La démarche même de Fandor et de Juve servait Fantômas. Le bandit les accompagnant de loin, en effet, parvenait ainsi tout naturellement dans cette cour du château où, comme il l’avait annoncé à Hélène, une voiture l’attendait. C’était une superbe automobile, une limousine puissante, que conduisait un chauffeur au masque énergique.

– Montez, Hélène.

Fandor était toujours à quelques mètres. Un dernier regard d’Hélène supplia Fantômas.

Hélas ! l’âme de Fantômas était inaccessible à la pitié.

– Montez, répéta le bandit.

Et Hélène, une fois encore, dut obéir à l’ordre qu’on lui donnait.

Alors que Juve et Fandor, alors que son mari était à quelques pas d’elle, alors qu’elle ne pouvait point douter que Fandor eût donné jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la sauver, la prisonnière de la peur dut embarquer dans cette voiture qui allait sans doute la conduire vers de tragiques destinées…

Hélène, défaillante, s’installa sur les coussins de l’automobile. Fantômas prenait place à côté d’elle. Le chauffeur démarra…

– Attention, disait alors Fantômas. Voici l’instant capital… N’oubliez pas…

La voiture effectuait un grand virage dans la cour du palais, pour se diriger vers la grille, et, de là, gagner les rues d’Amsterdam. Elle allait frôler Juve et Fandor. Il suffisait d’un regard de Fandor ou de Juve, d’un cri d’Hélène, pour que Fantômas fut irrémédiablement pris.

Fantômas, pourtant, demeurait impassible, suprêmement calme.

– Attention, répétait-il simplement. Il faut que vous vous enfonciez sur cette banquette ; voici un éventail, servez-vous-en, je ne veux pas qu’on vous aperçoive…

Cette dernière cruauté, cette cruauté qui contraignait Hélène à se cacher elle-même, il fallut bien que la jeune femme la subît.

Comme l’avait dit Fantômas, Hélène s’éventa. À l’instant où la voiture frôlait Juve et Fandor, marchant doucement, tout doucement, et cela pour ne point attirer l’attention, le policier et le journaliste qui interrogeaient un homme de garde, se retournaient et, d’un regard anxieux, dévisageaient les occupants de la voiture.

Ni Juve, ni Fandor ne purent voir Hélène. Ils distinguèrent en revanche, et parfaitement, les traits du gentilhomme qui occupait cette automobile. Mais, pendant les quelques secondes que durait cette vision, Juve et Fandor ne pouvaient pas matériellement avoir le temps de reconnaître Fantômas déguisé, grimé, Fantômas qui n’était plus ni lui-même, ni le Grand Éclusier, qui, merveilleux acteur, s’était savamment composé un visage nouveau.

Juve et Fandor, à peine de donner l’alarme et de provoquer un scandale redoutable pour la reine, ne pouvaient d’autre part, fouiller toutes les voitures qui quittaient le château.

L’automobile qui s’en allait à petite allure n’était suspecte par aucun détail. Ils la laissèrent aller.

À cet instant, Fantômas, redoutant encore un geste d’Hélène, s’agenouillait sur la banquette. Par la petite lucarne percée dans le dossier de la limousine, Fantômas braquait toujours Fandor. Et Fantômas, lentement, disait à Hélène :

– Le revolver que je tiens porte avec précision jusqu’à deux cents mètres environ. Dans quelques instants, vous serez libre de hurler si bon vous semble.

Mais c’était là, en vérité, une dernière raillerie, raillerie inutile.

Brusquement, en effet, et sans laisser à la jeune femme le temps d’esquisser un mouvement de défense, Fantômas se jetait sur elle, et la bâillonnait. Il avait fermé les rideaux des portières, il n’avait plus rien à craindre. Après avoir employé la peur, Fantômas avait recours à la force.


Le drame s’accomplissait.

L’automobile de Fantômas avait stoppé, deux heures plus tard, aux bords extrêmes du quai qui termine le port d’Amsterdam. Une sorte de péniche, une barge hollandaise, était amarrée là. Elle était sale, et couverte de morceaux de charbon. Il semblait en apparence que ce fût une péniche ordinaire, attendant les bons offices d’un remorqueur. Telle était cependant l’habitation mystérieuse que Fantômas s’était choisie dès l’instant où Juve, en sauvant la reine, l’avait contraint d’abandonner la retraite qu’il s’était d’abord ménagée dans la vieille frégate désaffectée que connaissait si bien le vieux M. Eair, ou plus exactement, Étienne Rambert, puisque M. Eair n’était autre que le père de Fandor.

L’automobile avait à peine stoppé, que Fantômas prenait Hélène dans ses bras et la soulevant comme il eût soulevé le plus léger des fardeaux, l’emportait à bord de cette péniche.

Fantômas se dirigeait vers l’arrière du bateau. Là se trouvait une sorte de petite cabine, sale en apparence, couverte à l’extérieur de poussière et de charbon écrasé, et qui, à l’intérieur, constituait en réalité, un fort luxueux salon.

Fantômas ferma la porte, posa son revolver sur la table, et défit lentement le bâillon d’Hélène.

– Vous avez besoin de calme, dit le bandit. Reposez-vous.

Mais Hélène, depuis l’instant où elle avait été bâillonnée, depuis l’instant où elle avait perdu de vue Fandor, qu’elle s’était irrémédiablement sentie aux mains de Fantômas, s’était précisément efforcée au calme, s’était précisément contrainte à réfléchir.

Hélène toisa le bandit.

– Je ne puis avoir de repos, répondit-elle, tant que je me trouverai sous votre dépendance. Vous prétendez que vous m’aimez, Fantômas ; vous prétendez que vous voulez, malgré tout me considérer toujours comme votre fille, je vous somme de me répondre, et de me dire pourquoi vous causez en ce moment, et mon désespoir, et le désespoir de Fandor ?

Il fallait en vérité qu’Hélène fût bien sûre de l’amour de Fantômas, de l’affection que le bandit lui portait pour oser ainsi interroger, pour oser surtout prononcer devant lui le nom de Fandor.

En écoutant celle qu’il regardait, en effet, comme sa fille, Fantômas avait froncé les sourcils. Un pli barrait son front. Il interrompit Hélène.

– Ne me parlez point de Fandor, fit-il. Je le hais, comme je hais Juve… Et vous ne saurez jamais ce que j’ai souffert tout à l’heure, quand je le tenais au bout de mon revolver et quand j’ai dû me contraindre à ne point l’abattre !

À son tour, Hélène interrompit Fantômas.

– Cette haine, fit-elle, vous n’avez pas le droit d’en parler, Fantômas. Fandor est un honnête homme, et Fandor fait son devoir en luttant contre vous. Votre haine n’a pas de motif avouable.

– Si, fit rudement Fantômas.

– Lequel ?

À l’interrogation précise de sa fille, car c’était toujours sa fille à ses yeux, Fantômas frissonna. Les veines de ses tempes se gonflèrent. Un accès de colère le secoua.

– Je hais Fandor, commença-t-il, parce que…

– Parce que ? demanda Hélène.

– Parce que vous l’aimez !

Mais à cette sombre déclaration, Hélène s’emporta :

– Vous mentez ! murmura-t-elle. Vous mentez, Fantômas !… Vous haïssiez Fandor avant ! D’ailleurs, que vous ferait que j’aime Fandor ? Fandor est mon mari… Voudriez-vous donc mon malheur ? Préféreriez-vous que je sois la femme d’un homme que je n’aimerais point ?

Hélène haletait…

Peut-être espérait-elle, connaissant l’affection sincère que Fantômas avait pour elle, arriver à toucher son cœur. Peut-être se disait-elle que l’âme farouche de Fantômas, cette âme inaccessible à la pitié, n’avait jamais eu, en somme, qu’une seule faiblesse, cette affection qu’il lui vouait.

Ne pourrait-elle s’en faire une arme ? N’obtiendrait-elle pas sa liberté ?

La malheureuse dut abandonner rapidement toute lueur d’espoir. Fantômas de ce ton impérieux qu’il prenait quelquefois, et qui rendait toute discussion impossible, rétorquait déjà :

– Je vous défends, Hélène, de jamais oser prétendre devant moi que vous êtes la femme de Fandor. Vous ne lui êtes rien, et il ne vous est rien, voilà la vérité…

Mais à cette affirmation, Hélène protestait encore :

– La vérité à vos yeux peut-être, disait-elle. Mais il n’empêche que la loi elle-même…

La jeune femme se tut.

Fantômas venait d’éclater d’un rire infernal.

– La loi est pour moi, déclarait-il, en affectant une pitié plutôt méprisante à l’endroit de sa fille. La loi est pour moi, et je dois vous rapprendre… Hélène, vous croyez être la femme de Fandor… Vous ne l’êtes pas ! Vous ne le serez jamais ! Oh ! sans doute, je ne me fais point d’illusion, vous allez me répondre que vous avez épousé Fandor à la maison de santé du docteur Paul Drop .Vous allez me rappeler que Fandor, par je ne sais quel moyen, obtint du président de la République lui-même la dispense de publicité que rendait nécessaire votre agonie apparente. Vous allez me rappeler tout cela, vous allez me citer cette cérémonie grotesque, au cours de laquelle en infirmier Claude, je fus votre témoin, tout comme l’était Vladimir, le comte d’Oberkhampf. Eh bien, tout cela, Hélène, apprenez-le, n’a aucune valeur, ne compte pas, n’existe point, pas plus à mes yeux qu’aux yeux de la loi !


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