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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Fantômas se tut. Il escomptait une protestation de la part de la jeune femme, mais celle-ci se taisait.

Hélène, à cet instant, ne croyait pas aux paroles de Fantômas. Ce qu’il disait était impossible. Elle était bien réellement la femme de Fandor, elle l’était légalement et Fantômas, quelle que fût sa puissance, ne pouvait rien contre le fait accompli, contre le fait acquis.

Fantômas reprit :

– Vous ne me croyez point, Hélène ? Soit ! S’il vous faut des preuves, je vais vous en fournir. Avez-vous dont oublié l’acte dont donna lecture le greffier de l’état civil, ne savez-vous pas que la dispense in extremisaccordée à l’occasion de votre mariage est, aux termes de la loi, réglée de cette façon : vous êtes mariée, Hélène, avec Fandor, sans publications légales, mais à la condition que ces publications soient faites dès le lendemain. Or, dès le lendemain, des incidents sont survenus, que j’avais ordonné moi-même. Fandor et vous, Hélène, vous n’avez pu faire exécuter ces publications ; elles n’ont pas été faites dans le temps voulu, elles ne peuvent plus l’être… Votre mariage est nul, vous n’êtes pas la femme de Fandor, vous ne le serez jamais…

Atterrée, Hélène se taisait toujours.

Elle se rappelait en effet parfaitement les dispositions de la loi dont on lui avait donné connaissance. Il était exact que le mariage in extremisaccompli entre elle et Fandor se trouvait rompu, annulé, anéanti, par le fait même que les publications légales n’avaient pas été réalisées.

La loi qu’invoquait Fantômas était cruelle, mais c’était la loi.

Alors Hélène, affolée, joignait les mains. D’une voix rauque, d’une voix brisée, elle articula :

– Fantômas, je ne suis pas la femme de Fandor, mais ma volonté est de l’être un jour. J’aime Fandor, il m’aime… Pourquoi ne voulez-vous pas que nous puissions être heureux ?

Hélène était prête, presque, à supplier le Maître de l’effroi. Elle frémit en entendant sa réponse :

– Parce que, déclarait Fantômas, il est un autre mari que je vous destine, un autre que vous épouserez, et qui vous rendra plus heureuse !

Et férocement, Fantômas ajoutait :

– Plus un mot, Hélène, assez sur ce sujet. Ma décision est irrévocable.

Et, lentement Fantômas s’éloignait, cependant qu’Hélène, malgré sa vaillance, vaincue par cette dernière menace, éclatait en sanglots.




Chapitre II


Évasion tragique

Du temps passait.

D’abord vaincue par l’effroyable menace que Fantômas avait osée contre elle, en lui disant que, de façon irrévocable, il avait décidé, dans sa tragique puissance de monstre qui n’avait jamais connu une volonté opposée à la sienne, d’empêcher son mariage avec Fandor, d’abord épouvantée à l’idée que Fantômas avait résolu de la contraindre d’épouser un autre homme, Hélène, rapidement, se révoltait, redevenait maîtresse d’elle-même, et trouvait, dans son sang-froid reconquis, comme dans son amour, les forces suffisantes pour décider de lutter et de vaincre le Maître de l’effroi.

– J’aime Fandor, se disait Hélène. Et s’il est possible qu’aux yeux de la loi il ne soit point mon mari, il est certain que je suis sa femme, dans le secret du sentiment de mon âme, et que rien, pas une force au monde, pas un homme sur terre, ne peut nous délier des serments que nous avons librement échangés, lui et moi.

La jeune femme qui avait sangloté, après le départ de Fantômas, se retrouvait brusquement maîtresse d’elle-même, disposée à la lutte, prête à combattre encore le Maître de l’épouvante, s’il était nécessaire, pour triompher de ses intentions funestes.

Ne pas épouser Fandor, cela semblait à Hélène une effroyable chose, mais la pensée d’épouser un autre homme, d’être contrainte à un mariage avec un inconnu, lui apparaissait en revanche, d’un grotesque achevé.

– On ne disposera pas de moi ainsi, pensait-elle. Je ne suis pas en vain l’enfant qui a grandi, qui s’est formée dans les plaines du Transvaal. Je saurai lutter contre le Maître de l’effroi, contre celui qui ose se dire mon père, et qui pourtant, dans l’aveuglement de sa tendresse, se conduit à mon égard comme le plus abominable des tortionnaires.

Hélène se leva. Elle examina la situation avec un sang-froid parfait, un calme d’esprit absolu. Certes, elle ne doutait pas que Juve et Fandor ne fussent dès à présent à sa recherche. Elle savait même que le journaliste et le policier n’auraient ni cesse, ni répit qu’ils aient pu retrouver sa trace. Mais bien qu’elle sût tout cela, elle se rendait parfaitement compte qu’il lui fallait, pour se sauver, ne compter que sur elle-même.

Fantômas l’avait maintes fois prouvé, il ne laissait rien au hasard. Il ne risquait rien sans être sûr de la réussite de ses tentatives, et, par conséquent, s’il s’était emparé d’elle, s’il l’avait conduite dans cette péniche, c’est qu’il était assuré que Juve et Fandor ne pourraient pas de longtemps trouver cette piste, c’est qu’il tenait pour certain que la prisonnière ne pourrait pas lui être ravie.

– Je ne peux pas compter sur Juve et sur Fandor, s’avoua tristement Hélène. Ils ne peuvent pas me sauver. C’est donc à moi de trouver le moyen de déjouer les ruses de Fantômas.

La situation de la jeune femme était en vérité tragique. Seule, abandonnée de tous, entièrement aux mains de Fantômas, prisonnière du monstre, elle décidait de s’évader, de relever le défi que Fantômas lui avait jeté, d’accepter la lutte, et de vaincre…

Mais n’était-ce pas un présomptueux dessein ? Hélène ne présumait-elle pas trop de ses forces ? Pouvait-on réellement lutter contre Fantômas, et pouvait-elle, faible et désarmée comme elle l’était, espérer vaincre celui que nul au monde ne pouvait se vanter d’avoir définitivement vaincu, celui qui se nommait lui-même le Maître de tous, celui que le monde appelait l’insaisissable ?

Hélène était de ces natures énergiques et vaillantes qui, tout en gardant soigneusement leurs illusions, savent ne point mesurer les difficultés des entreprises qu’il leur plaît de tenter.

Si elle avait résolu, si elle avait réfléchi à l’impossibilité où elle était de vaincre Fantômas, elle se fût probablement découragée, elle eût compris qu’elle ne pouvait rien contre le destin.

Tout au contraire, elle se refusait à la réflexion, elle s’empêchait de songer au péril, et elle n’envisageait la bataille que pour s’applaudir de la joie des victoires à gagner.

Hélène eut ce petit mouvement de tête à la fois mutin et décidé qui lui était particulier.

– Il faut se battre, murmurait-elle, soit, je me battrai. Je me battrai jusqu’à la mort, sans crainte et sans regret, car je ne tiens pas à vivre si je dois vivre sans Fandor…

La lutte décidée en son esprit, Hélène immédiatement songea à organiser la victoire qu’elle comptait bien remporter.

Que pouvait-elle contre Fantômas ? Le braver en face, le menacer de représailles, tâcher de lui arracher sa liberté.

Elle y pensa d’abord, puis, une réflexion rapide la convainquit qu’un tel espoir était vain. Fantômas n’était pas homme à se laisser attendrir ; Fantômas n’était pas accessible à la pitié, jamais de son plein gré, il ne la remettrait en liberté.

– Tant pis, pensa Hélène. Je m’évaderai…

Mais pouvait-on s’évader d’une prison choisie par Fantômas ?

Hélène, à l’instant où le bandit la transportait de l’automobile sur la barge hollandaise, avait tout juste eu le temps d’apercevoir quelques détails du bateau. Elle avait remarqué qu’il était chargé de tas de charbon ; elle avait noté qu’il se trouvait presque à l’extrémité de l’avant-port, et que la mer libre commençait à quelque distance.

– Que signifie cette situation ? se demanda-t-elle. Une péniche ne peut naviguer en mer. Fantômas n’a donc pas l’intention, j’imagine, de s’enfuir par là. Aura-t-il donc l’audace de faire remorquer la péniche à travers le port ? C’est douteux. Juve et Fandor, en effet, très probablement, obtiendront des autorités que l’on fouille et que l’on perquisitionne à bord de tous les navires. Que pense donc décider le Maître de l’effroi ?

Mais Hélène eut beau réfléchir, elle ne put rien inventer qui lui permît de se forger une idée, même incertaine, des desseins de Fantômas.

Qu’importait, d’ailleurs, après tout !

– Quoi qu’il fasse, quoi qu’il décide, songeait Hélène, je ne veux point souffrir davantage sa loi. J’entends être libre, j’entends m’évader au plus vite.

Mais comment s’évader ?

Hélène envisagea le salon dans lequel elle se trouvait, ce salon qui était installé dans la petit cabine située à l’extrémité de la péniche. La pièce, malgré son luxe, lui apparut immédiatement une cellule hermétiquement close. Des panneaux de bois obturaient les fenêtres grillagées ; la porte était verrouillée de quadruples serrures, et le plafond, le plancher, les murailles, étaient faits de chêne épais qui ne pouvait évidemment être défoncé.

– Je ne resterai pas ici, répéta pourtant Hélène, tapant du pied.

Elle colla son oreille successivement aux murailles de son cachot. Elle entendit d’abord le clapotement des eaux du bassin, heurtant les flancs de la péniche. Puis enfin, elle saisit, très lointain, très indistinct, le bruit d’une conversation, l’écho d’une discussion joyeuse.

Alors la jeune femme frémit. Assurément, Fantômas et elle-même n’étaient pas seuls à se trouver à bord de la péniche. Celle-ci devait servir de repaire à toute une bande formée des complices de Fantômas. Les tas de charbon qui encombraient le pont ne devaient avoir d’autre but que de donner le change. Ils dissimulaient sans doute d’autres cabines plus spacieuses, des cabines dans lesquelles on faisait ripaille en ce moment, fêtant sans doute son enlèvement.

En un instant, Hélène imagina toute une organisation secrète, relative à la bande de Fantômas.

La péniche, aux dimensions modestes, semblait-il, lorsqu’on la considérait du quai, pouvait être en réalité fort grande. Qui pouvait indiquer sa profondeur réelle ? qui prouvait même, qu’allégée de son lest, elle n’était point capable de tenir la haute mer, de se transformer en un véritable cargo-boat ?

Hélène imaginant cela, se prenait à frémir plus encore. Si elle avait réellement deviné la vérité, il lui fallait s’attendre aux pires catastrophes.

Fantômas sur sa péniche, pouvait, à la faveur de la nuit, quitter le port sans être remarqué, gagner la haute mer, et là, mettre la voile.

– Où me mènerait-il ? pensa la jeune femme.

Mais Hélène ne chercha pas longtemps une réponse à cette angoissante question.

– Qu’importe les intentions du misérable, songeait-elle, puisque je suis résolue à ne pas les subir, puisque ce soir je me serai évadée !

Cette évasion, dès lors, occupait Hélène avant tout. D’abord, elle n’en concevait pas le plan ; puis, peu à peu, il naissait dans son esprit, il se précisait, il se matérialisait, et bientôt elle ne doutait plus de sa réussite.

Forcer la porte, arracher les serrures, gagner le pont de la péniche, sauter sur le quai et s’enfuir, il n’y fallait évidemment pas y songer.

La porte était robuste à déjouer toutes les tentatives, et Fantômas d’autre part devait avoir des factionnaires qui ne se feraient pas faute d’arrêter la fugitive.

Il n’était pas davantage plus rationnel d’essayer de défoncer une des cloisons qui séparait le cachot d’Hélène des autres cabines aménagées à l’intérieur de la péniche. Outre que l’entreprise apparaissait difficilement réalisable, il était encore à craindre que la cloison une fois éventrée, Hélène se trouvât en présence d’une bande d’individus qui la traiteraient sans pitié, ni miséricorde.

Que faire dès lors ?

Il régnait dans cette péniche une atmosphère glaciale et pénétrante, une atmosphère d’humidité qui entretenait un froid intense.

À deux reprises déjà, Hélène avait frissonné. Elle se rapprocha donc d’une petite cheminée et frileusement se chauffa au feu de charbon qui brûlait lentement.

Or, c’était en considérant ce foyer, en se penchant sur les rougeoiements des flammes, sur les étincelles qui montaient de l’écoulement des bûches, qu’Hélène, brusquement, formait un projet hardi.

– Je m’échapperai, répétait-elle. Je m’échapperai ce soir, j’en suis certaine…

La jeune femme avait soigneusement remonté sa montre, elle considéra l’heure : midi était depuis longtemps passé.

– Fort bien, dit-elle encore. J’ai douze heures devant moi, car je ne puis rien tenter avant minuit.

Et avec un sourire de véritable ironie, Hélène ajoutait :

– Suivant le conseil de Fantômas, reposons-nous, il me faut prendre des forces, si je veux réussir.

Nature indomptable, en vérité, nature d’énergie et de vaillance, Hélène s’imposait en conséquence une sieste tranquille. Les événements qui s’étaient déroulés, implacables depuis quelque temps, avaient en quelque sorte épuisé ses réserves nerveuses, et elle était très lasse.

Elle s’étendit sur un divan, et ferma les yeux, elle attendit le sommeil, en attendant la nuit.

Hélène ne bougea point de toute la journée. Elle ne tournait même pas la tête lorsqu’à sept heures du soir, un homme masqué, un homme qu’elle ne connaissait point, venait après avoir respectueusement frappé à sa porte, lui apporter un somptueux repas qu’il dressait sur une table soigneusement recouverte d’une vaisselle d’un art merveilleux.

Hélène ne touchait pas au repas. Simplement, lorsque ce geôlier avait disparu, elle prenait quelques-uns des mets et les jetaient dans le feu, pour faire croire qu’elle avait en réalité dîné.

– Inutile, murmurait la jeune femme, que Fantômas sache que je n’ai pris aucune nourriture. Cela pourrait attirer l’attention.

Une heure plus tard, le geôlier venait desservir la table dressée.

– Le Maître, disait-il d’une voix lente, m’a prié de vous demander, mademoiselle, si vous n’aviez besoin de rien. J’ai ordre de me tenir à votre disposition et vous n’auriez qu’à frapper trois coups contre la muraille pour me voir accourir.

L’homme n’obtenait aucune réponse, il s’éloignait après un grand salut.

Or, ce geôlier avait à peine disparu, qu’Hélène, qui avait hâte d’être seule, se redressait rapidement.

– Ainsi, soupirait-elle, par surcroît, il importe, si je veux m’évader, que j’agisse sans aucun bruit. Puisqu’il suffit de frapper sur la cloison pour être entendue, je dois m’en souvenir et ne pas m’exposer à une surprise qui pourrait ruiner mes projets.

Hélène, cette remarque faite, ne semblait pas d’ailleurs vraiment inquiète.

Qu’avait-elle donc imaginé pour s’enfuir ?

À quel procédé pensait-elle avoir recours, procédé qui devait être, elle le reconnaissait d’elle-même, complètement silencieux ?

Hélène posait sa montre sur la table desservie. Elle regardait fixement la marche lente, invisible presque, des aiguilles. Elle attendait évidemment une heure donnée pour agir. Et c’était en vérité en frémissant qu’elle se forçait ainsi à attendre, à attendre toujours.

Le temps passait cependant, interminable et monotone.

Or, à dix heures et demie, la jeune femme, brusquement, se départait de son immobilité.

– Fuyons, murmurait-elle. Coûte que coûte, fuyons…

Hélène se leva. D’un geste décidé, elle commençait à s’apprêter pour sa fuite, dont elle semblait désormais préparer, avec minutie, les moindres détails.

Hélène commençait par se débarrasser des vêtements d’apparat qu’elle portait encore. Dans une armoire du salon, elle avait vu des vêtements plus simples, qui allaient lui permettre d’avoir une plus grande liberté de mouvement. Fébrilement, elle s’en revêtit.

Dans le désir encore de passer inaperçue, dans le but secret de se défigurer aussi – la précaution pouvait n’être pas inutile – Hélène prenait ses lourds cheveux, les nattait, et les tordait sur sa tête en un chignon qui ne rappelait que de loin la jolie coiffure qu’elle portait d’ordinaire.

C’était seulement quand tous ces préparatifs étaient terminés, qu’Hélène entreprenait réellement la tâche périlleuse qu’elle s’était imposée.

La jeune femme, en vérité, devait se montrer en cette occasion la digne épouse de Fandor, la digne compagne du plus rusé des reporters policiers.

Hélène, pour échapper à sa prison, avait recours au procédé le plus simple et le plus certain à la fois.

Tout simplement, la jeune femme enfonçait dans les charbons ardents de son foyer la tige d’un tisonnier. Elle laissait la barre de fer rougir, puis, quand elle était arrivée à un degré de chaleur extrême, elle s’en servait pour tracer dans l’une des parois de sa cellule, un large sillon.

Hélène, en réalité, dessinait sur le bois, du bout de son tisonnier rougi à blanc, une large entaille qui, petit à petit, devait s’agrandir.

Certes, le travail qu’entreprenait ainsi la jeune femme devait être long et difficile. Mais il n’en était pas moins vrai que, forcément, il devait aboutir.

Hélène, à l’aide de son tisonnier rougi, devait, sans faire le moindre bruit, parvenir à percer le bordage de la péniche, et, ce qui était le mieux, à détacher de ses flancs une sorte de panneau, un carré de bois, qui, arraché, lui laisserait la place suffisante pour passer, pour s’enfuir…

La jeune femme cependant, et tandis qu’elle travaillait avec énergie à ce simple et pourtant extraordinaire moyen d’évasion, n’était pas sans inquiétude.

Elle se demandait, en effet, si le panneau de bois qu’elle attaquait se trouvait en dessus ou en dessous de la ligne de flottaison. Dans le premier cas, son entreprise réussissait ; dans le second, tout au contraire, par la brèche ouverte, les eaux s’engouffreraient avec fracas, et Hélène aurait des chances de périr noyée avant qu’on ait pu seulement venir à son secours.

Longtemps, la courageuse femme de Fandor travailla de la sorte à son évasion…

Elle rencontrait dans son entreprise des difficultés quasi insurmontables ; les parois de la péniche étaient terriblement épaisses, d’une part, elles étaient humides, d’autre part, et le tisonnier, bien que rougi à blanc, ne brûlait chaque fois le sillon que sur l’épaisseur de quelques millimètres.

Dans ces conditions, que faire ?

Hélène n’hésitait nullement. Elle s’obstinait, elle persévérait.

– C’est une question de temps, pensait-elle, mais il faut que j’arrive à faire sauter le panneau de bois, et j’y arriverai…

L’énergie de la jeune femme devait être en effet récompensée. Il était près de trois heures du matin, et Hélène travaillait depuis cinq heures, lorsqu’elle parvenait à ses fins.

Le panneau de bois sautait sous la poussée de son épaule, l’eau n’entrait pas… Hélène avait réussi à percer les murs qui la retenaient prisonnière.

Allait-elle donc s’enfuir ?

La jeune femme, tout d’abord étourdie par la réussite de sa manœuvre dont elle avait désespéré quelque temps, demeurait immobile, haletante, à côté de la brèche qu’elle venait de se ménager.

Il faisait encore nuit noire… Le ciel était nuageux, aucune étoile, aucun rayon de lune ne permettait de percer l’obscurité.

Hélène, toutefois, respirait avec délices l’atmosphère pure et glaciale qui parvenait jusqu’à elle, par le panneau de bois arraché. Elle passa la tête dans l’ouverture, elle huma l’air, tendit le bras, ne rencontra que le vide.

– Ma bonne étoile est avec moi, se dit Hélène. Je n’ai pas de doute à avoir, j’ai sabordé la péniche du côté de la pleine mer, et non du côté de la berge, je n’ai plus, pour m’enfuir, qu’à me jeter à l’eau.

Hélène, par bonheur, avait gardé de son aventureuse enfance dans les plaines natales, le goût des sports dans lesquels elle excellait. C’était une nageuse intrépide, et pourtant elle frissonna en songeant qu’il importait de ne pas perdre une minute et qu’il lui fallait, sous peine d’imprudence suprême, se jeter immédiatement à l’eau.

Hélène, toutefois, n’hésitait pas. Elle avait un dernier regard pour le salon qui lui avait tenu lieu de prison, puis elle se rapprochait du sabord, elle s’apprêtait à se jeter à la mer…

Or, à l’instant même où Hélène allait faire le geste suprême, une flamme s’illuminait dans ses yeux.

Elle était bien femme, en vérité, pour songer à pareille chose, dans un pareil instant. Elle était bien femme, mais elle était encore plus amoureuse. C’était le cri de son amour, la protestation de son cœur, qu’elle songeait encore une fois à faire entendre à Fantômas !

Hélène revint vers la table qui occupait le centre de sa prison. Elle prit une feuille de papier et un crayon et, de sa grande écriture, nette et ferme, Hélène écrivit ce court billet :


Avant tout, et par-dessus tout, avant tous et malgré tous, j’aime Jérôme Fandor. Que ce soit la guerre entre vous et moi s’il vous plaît, Fantômas, mais sachez que je n’épouserai jamais un autre homme que Fandor, et que je me considère déjà et pour toujours comme sa femme.

Et Hélène signa : Hélène Fandor


Le billet laissé bien en évidence sur la table, Hélène, toutefois, décidait de ne point tarder davantage. Elle se rapprocha du sabord qu’elle avait pu ménager avec tant de peine. Elle se glissa par l’étroite ouverture, elle s’abandonna aux eaux froides qui clapotaient le long des flancs de la péniche.

Or, à cet instant, il semblait que la nature voulut aider la jeune femme par une complicité secrète.

Déjà noire, la nuit devenait plus noire encore… Hélène, nageant à grandes brasses, cessa vite d’apercevoir jusqu’à la silhouette du bâtiment lugubre qui avait été un instant pour elle la plus terrible des prisons. Elle cessa d’apercevoir la péniche et pour tout dire, ne vit plus rien… Elle nageait à l’aventure droit devant elle, espérant rencontrer une épave où s’accrocher, espérant aller vers la berge, espérant se sauver, et se disant dans le secret de son âme que si le sort devait lui être contraire elle aimait mieux s’engloutir à jamais dans les flots noirs du port qu’être restée la prisonnière de Fantômas.


Il y avait bien une bonne demi-heure qu’Hélène nageait ainsi à l’aventure, et déjà il apparaissait à la pauvre femme qu’elle était perdue, perdue sans espoir…

Le froid la gagnait d’abord, et paralysait ses mouvements… elle ne savait plus ensuite où elle était… il lui était impossible de s’orienter et de décider dans quel sens pouvait se trouver la berge. Enfin, et cela surtout était effroyable, Hélène avait le sentiment très net qu’en nageant à l’aventure, elle s’était engagée dans un courant rapide, un courant qui l’emportait malgré elle, qui la roulait dans ses flots, qui augmentait de minute en minute d’intensité, et qui, sans doute, l’entraînait vers la haute mer.

Merveilleuse de sang-froid, ne se faisant aucune illusion sur ce qui se produisait, Hélène devinait la très triste vérité.

– Mon Dieu, pensa-t-elle… Je suis prise par la marée… le flot baisse, je vais être entraînée hors du port, je me noierai infailliblement…

Elle voulut, pour se reposer, faire la planche quelques instants et s’abandonner au courant. Mais des crampes la terrassaient. Alors, elle décida de lutter. Lutte-t-on, hélas ! contre le flot ?

Hélène eut beau faire appel à toute son intrépidité et à toute son habileté de nageuse avertie, elle se rendit compte qu’il lui était impossible de remonter le courant, et que ses efforts n’auraient d’autre conclusion que de hâter sa perte en l’épuisant plus vite.

– Perdue, je suis perdue… se dit-elle.

Elle nagea encore quelques instants. Tout un monde de visions se déroulait dans son cerveau où la fièvre mettait une hantise. Elle se vit enfant, au Natal, nageant dans des torrents, dans des plaines désertes. Brusquement, elle imagina la scène tragique au cours de laquelle, incarnant encore le personnage de Teddy, elle avait fait la connaissance de Fandor, de celui qu’elle considérait comme son mari.

Puis Hélène se vit reine. La veille encore, elle ceignait le diadème. Le matin même, la reine de Hollande la remerciait de lui conserver son trône… Puis Fantômas, Démon du mal, survenait, et tout se brouillait… et tout s’anéantissait…

Fandor ne pouvait plus rien pour elle, et elle ne verrait plus jamais Fandor…

Hélène eut la sensation aiguë qu’elle n’était plus désormais qu’une pauvre chose, une épave vivante que la tempête entraînait, et qu’elle s’en allait vers le large, au gré des flots, dans la nuit noire…

La jeune femme alors ralentit ses brassées…

Le terrible drame dont elle était l’héroïne parvenait fatalement à sa sinistre conclusion. Dans la lutte téméraire qu’elle avait entreprise, elle était vaincue et Hélène, à l’instant même où elle allait mourir, ne pouvait s’empêcher de répéter, haletante :

– Fantômas est le Maître de tous… Fantômas est le Maître de tout…

La fièvre, à cet instant, lui donna le délire, elle songea encore :

– Quel beau linceul me fera la mer frangée d’écume !…

Puis, elle ne songea plus… l’évanouissement suprême mit fin à sa torture… elle cessa de nager… sa jolie tête chercha l’appui trompeur des flots moelleux… la mer s’ouvrit, la reçut en son sein, l’engloutit, se ferma sur elle, tranquille, calme, voilant le meurtre qu’elle venait d’accomplir sous les vaguelettes joueuses du courant.


– Donne-lui encore du rhum…

–  By Jove, tu vas la mettre dans les vignes.

– T’inquiète pas, ma vieille… elle en reviendra…

– Place, place… voilà des briques chaudes…

– Vente dur, ce matin… Et alors, qu’est-ce qu’elle dit ?

– Rien, capitaine… rien encore…

Cela sentait la mer dans ce logis étroit aux formes arrondies, dans cette cabine qui comportait tout juste un petit lit, un cadre, une table à roulis et quelques ustensiles de toilette.

Cela sentait la mer et, de fait, si quelque curieux avait glissé un regard à travers un étroit hublot, il n’eût aperçu, au plus lointain de l’horizon, que les flots glauques, frangés d’écume, se creusant en d’énormes vagues, se bousculant en colères soudaines, s’enflant en montagnes et déferlant en avalanche…

Une cabine !… Était-ce donc à bord d’un bateau que se trouvaient ces hommes au rude visage, aux gestes brusques, qui s’entassaient dans l’étroit logement, se bousculant les uns les autres, apportant chacun un objet, qui des briques chaudes, qui un grand bol rempli de rhum ?

Le doute, à la vérité, n’était pas permis. Les oscillations du plancher, les craquements qui se faisaient entendre, le heurt sourd des lames battant les flancs du vaisseau, et par-dessus tout les hurlements de la brise… l’odeur âcre et saline qui régnait en ces lieux eût suffi à en donner la certitude.

Mais que se passait-il dans cette chambre ? Pourquoi ces hommes frustres et brutaux se hâtaient-ils ainsi vers le lit ?

Sur le cadre étroit était étendue une femme. Elle paraissait inanimée, morte peut-être… Ses cheveux dénoués s’enroulaient autour de son front, emmêlés d’algues, parsemés de coquillages. Ses vêtements trempés collaient à ses membres. Son visage blême était immobile.

Qu’était-elle ? D’où venait-elle ?

Quel terrible accident l’avait réduite au triste état où elle se trouvait ?

– Donnez-lui du rhum, sang Dieu ! reprenait une voix. Avec le rhum, on remet toujours les gens sur patte. C’est la meilleure médecine…

Dans le grand bol une large rasade fut versée. Un homme, un colosse, qui, pieds nus, portait pour tout vêtement une courte culotte de toile et une sorte de chandail ouvert au cou, laissant apercevoir une robuste poitrine, s’approchait précautionneusement de la malade.

– Une… deux… trois… sautez muscade, annonçait-il. Je parie qu’à ce coup-ci la belle enfant se décide à nous dire bonjour ou bonsoir…

Cet homme, qui semblait d’une force herculéenne, avait en réalité des gestes assez doux. Il trouvait moyen, avec le manche d’une cuiller de plomb, de desserrer les dents de la malade inanimée et alors, avec de douces précautions, il versait de petites gorgées de liquide, la forçant en quelque sorte à boire.

Il n’insistait pas longtemps, d’ailleurs. Le rhum dont il se servait était effroyablement fort, et son effet ne se faisait pas longtemps attendre.

La malade, tout à l’heure inanimée, ouvrit les yeux. D’abord, elle considéra avec une stupeur profonde les visages qui se penchaient sur elle. Puis, il sembla qu’une épouvante passa sur son visage. Ses mains se crispèrent, elle voulut parler, un son indistinct sortit seul de sa gorge crispée.

Autour d’elle, cependant, ceux qui la soignaient se répandaient en exclamations de joie.

– Boum, ça y est… disait un grand gaillard qui venait d’apporter des briques chaudes, et de les appuyer contre les pieds de la rescapée. Y a pas à dire, elle revient…

– Elle revient si bien, affirma l’homme qui tenait le bol de rhum, que la voilà hors de danger. Encore une rasade, et, ma parole, ni vu ni connu !

Il forçait en effet la malade à boire encore, mais celle-ci, bientôt, repoussait le bol. Le rhum semblait lui causer une fièvre intense. Elle retrouvait des forces factices ; d’une voix sourde, elle interrogea :

– Où suis-je ? Que me voulez-vous ?

Dix voix la renseignèrent en même temps :

– Ah ! par exemple… ripostait l’homme au bol, elle est fameuse… Eh bien ! madame ma chère, sauf vot’respect, vous êtes sur La Cordillère, un fin voilier, ma parole, et qui file en ce moment vent arrière une jolie couple de nœuds. Ce qui vous est arrivé, dame, ce serait plutôt à vous de nous le dire… quoique… enfin… suffit… je m’entends !…

Un éclat de rire couvrait ses paroles. L’assistance prêtait évidemment un sens mystérieux à cette réponse peu claire.

La malade, pourtant, s’informait encore :

– Je suis à bord d’un bateau… comme cela se fait-il ?

Mais cette fois-ci, les hommes d’équipage riaient encore plus fort.

– Ma belle poulette, reprenait l’homme au rhum, sûrement vous n’avez pas encore la tête bien à vous… Voyons, un petit effort de mémoire. Vous ne vous rappelez pas que vous étiez dans la tasse, et en train de boire Un fameux coup, lorsque, tout bonnement, la gaffe au veilleur de beaupré vous a proprement crochée et tirée du bouillon ?

Ce n’était peut-être pas très clair, mais la jeune femme cependant semblait désormais comprendre les explications qu’on lui donnait.

– C’est vrai, murmurait-elle faiblement… Je m’étais évanouie, je me noyais… Mais c’est vous qui m’avez sauvée, alors ?

– Dame ! probable !

La rescapée, à ce moment, faisait effort pour se soulever faiblement. On l’aidait à s’asseoir sur son lit, puis elle reprenait :

– Oh ! si vous saviez à quel danger j’échappe… si vous saviez qui je suis…

À cette minute, l’inconnue s’interrompit…

La scène était étrange, en vérité, car à peine avait-elle dit ces mots que l’équipage, à nouveau, éclatait d’un grand rire amusé.


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