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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Pardon ! fit-il.

Et, tendant la main, Juve secoua Fandor par l’épaule.

Mais, hélas, à peine Juve avait-il mis la main sur l’épaule de Fandor pour le contraindre à se réveiller, que le journaliste s’écroulait de tout son long sur le sol, s’écroulait à la façon d’une masse, à la façon d’un homme privé de sentiment…

Et c’était alors d’une voix désespérée, sur un ton d’indicible horreur, parmi l’effarement des autres voyageurs, que Juve s’écriait, tout en relevant le jeune homme :

– Ah ! mon Dieu, mon Dieu, je deviens fou !… Fandor ! Fandor !… Fandor est mort !

C’était, en effet, un cadavre que Juve relevait, un cadavre déjà froid, déjà roide…




Chapitre VIII


À

110 à l’heur

e

Que s’était-il passé ? Quel effroyable drame s’était donc accompli en gare d’Anvers ? Comment Fantômas avait-il triomphé de Jérôme Fandor, sinistrement triomphé, puisque, aussi bien, c’était le cadavre du journaliste que le policier, quelques instants plus tard, pensait relever dans le wagon ?

À la vérité, si Juve avait connu dans leur exactitude les événements qui venaient d’avoir lieu, s’il avait su véritablement ce qui s’était passé, il eût été certes fort inquiet, mais il n’aurait tout de même point connu le terrible désespoir qu’il éprouvait en ce moment !

Juve, en effet, n’eût pas été désespéré par la mort de Fandor, tout simplement parce qu’il aurait su que Jérôme Fandor n’était pas mort, et qu’en réalité, s’il courait de très certains dangers, s’il affrontait des risques terribles, il n’avait tout de même nullement l’intention, nullement la crainte même, de perdre la vie.

Juve, relevant le cadavre de Jérôme Fandor dans le train qui l’emportait vers Bruxelles, était donc tout simplement victime d’une aventure effroyable, dont il ne devait connaître qu’ultérieurement la véritable et définitive explication.

Mais, s’il n’était pas mort, qu’était devenu Jérôme Fandor ?

Jérôme Fandor avait bel et bien manqué le train. Il l’avait manqué non point par étourderie, car, si étourdi qu’il fût, sa distraction n’allait point jusqu’à oublier qu’il devait regagner le rapide, mais bien parce que des phénomènes, fort indépendants de sa volonté et d’une importance primordiale, l’avaient contraint à laisser de côté le souci de rejoindre Juve pour s’occuper d’affaires beaucoup plus pressantes.

Avec une audace inouïe, un toupet infernal, une invraisemblable insolence, Fantômas s’était soudain dressé devant Jérôme Fandor, à l’instant où celui-ci grillait une cigarette, et lui avait demandé du feu.

Fantômas avait-il reconnu le journaliste, et s’amusait-il à le provoquer volontairement ? C’était sinon certain, du moins probable, car Fantômas n’était pas homme à agir à la légère, à commettre, en un mot, sans s’en apercevoir, une bévue d’aussi grande importance.

Fandor, d’ailleurs, ne réfléchissait point à cela. Il ne réfléchissait même à rien du tout, car, cédant à un mouvement tout instinctif, à peine avait-il vu Fantômas qu’il se précipitait sur le bandit, pensant enfin pouvoir engager la lutte suprême, et triompher de celui qu’il poursuivait avec Juve depuis de si longues années.

Fantômas avait tourné derrière un amoncellement de bagages, évitant Jérôme Fandor, toujours avec son merveilleux sang-froid, et ricanant comme amusé par les événements qui cependant, d’une minute à l’autre, pouvaient se conclure pour lui de la plus sinistre façon.

Fantômas disparut derrière les bagages et apparut au bout de quelques secondes un peu plus loin sur le quai, de sorte que Jérôme Fandor, sans perdre le moins du monde sa piste, pouvait aisément se jeter sur ses traces et continuer la poursuite.

Jérôme Fandor, par malheur, devait avoir à lutter contre une suite d’événements qui, s’ils servaient merveilleusement les intérêts du bandit, paralysaient dans la même mesure les efforts du journaliste.

À cet instant, en effet, une cloche résonnait dans la gare d’Anvers, annonçant qu’il était temps pour les voyageurs du rapide de regagner leur place, et cela naturellement avait pour effet d’augmenter encore l’encombrement des quais.

Devant Jérôme Fandor, une foule de gens s’agitaient, courant en tout sens pour retrouver leurs wagons et ne faisant nullement attention aux imprécations du jeune homme qui, peu soucieux d’être poli, jouait des coudes, et distribuait des coups de poing sans la moindre vergogne.

– Place ! place ! criait Fandor.

Et il se précipitait toujours en avant.

Cette poursuite à la gare ne pouvait évidemment s’éterniser bien longuement. Il était certain qu’on allait à la fin remarquer les clameurs désespérées de Fandor, qu’on se précipiterait à son aide, qu’au seul nom de Fantômas on se grouperait sous ses ordres, et qu’en conséquence le bandit serait vivement acculé dans un coin, appréhendé, mis hors d’état de nuire.

Fandor espérait bien tout cela, mais, hélas ! Fantômas ne s’illusionnait pas plus à ce sujet que lui-même, et Fantômas, pour éviter cette extrémité fâcheuse, déployait en conséquence les trésors d’habileté dont il était coutumier.

Loin de courir, ainsi que le faisait Jérôme Fandor, Fantômas se contentait de marcher très vite. Il faisait de brusques détours, pivotait sur lui-même, revenait sur ses pas, et se dirigeait le plus possible dans la direction des salles d’attente séparant les quais d’embarquement de la sorte d’esplanade qui s’étend devant la gare d’Anvers.

Jérôme Fandor s’aperçut rapidement de sa manœuvre, comprit son but et son intérêt, et pesta de toute son âme.

– S’il quitte la gare, il m’échappe, songea le journaliste.

Et Jérôme Fandor, à son tour, avait cessé de crier. Dans le remue-ménage du train voisin, on n’entendait pas ses appels ; il fallait réserver sa voix pour donner l’alarme un peu plus tard.

Et, serrant les poings, furieux de ne pas même avoir le moyen de prévenir Juve dont il entendait brusquement les appels, Jérôme Fandor se hâta encore pour rejoindre Fantômas.

Par malheur, le bandit devait connaître la gare d’Anvers beaucoup mieux que ne la connaissait Jérôme Fandor lui-même. Il s’orientait donc à merveille, trouvait moyen de se glisser derrière un encombrement de chariots qui retardait Fandor, et se précipitait dans la salle d’attente.

Il avait encore une dizaine de pas à faire et il arrivait dans la cour de la gare où, sans le moindre doute, il lui serait relativement facile de disparaître et de s’enfuir.

– Nom de Dieu ! tonna Fandor, je suis fichu !

Il avait vu le geste de Fantômas, il l’avait vu ouvrir la porte de la salle d’attente, l’instant était décisif.

Alors, brusquement, Jérôme Fandor conçut une nouvelle idée.

Loin de se précipiter en avant, il rebroussa chemin en toute hâte.

La route derrière lui était libre car les voyageurs avaient tous repris place dans le train de Bruxelles, et les employés s’empressaient à fermer les portières et les verrous de sûreté du convoi ; Jérôme Fandor en profita pour courir librement et sortir du hall.

Quelle était donc l’idée du journaliste ?

Jérôme Fandor, au cours de sa poursuite contre Fantômas, avait, en réalité, tout bonnement remarqué que la gare se prolongeait assez loin et qu’il y avait un endroit où les quais n’étaient séparés de la voie publique que par une petite barrière. Enjamber cette barrière, sauter par-dessus, se jeter sur l’esplanade, et là, courir à perdre haleine de façon à prendre le plus court chemin et à couper la sortie à Fantômas, tel était le plan de Jérôme Fandor.

L’ami de Juve n’était jamais long à réaliser ce qu’il avait une fois décidé. Il lui fallait donc à peine quelques instants pour arriver haletant, époumoné, à la sortie de la gare, sortie que n’avait pas encore franchie Fantômas, il l’espérait bien, du moins.

Jérôme Fandor, toutefois, arrivait à peine à la porte vitrée derrière laquelle il comptait bien attendre le Génie du crime, que la haute silhouette de celui-ci lui apparaissait. Il se jeta rapidement en arrière, ne voulant pas être vu, mais, hélas ! si rapide qu’avait été son geste, il avait été surpris par Fantômas…

Le bandit, en effet, s’étonnait depuis quelques instants, depuis qu’il traversait les salles d’attente, de ne plus voir Fandor sur ses talons. Il se tenait donc sur ses gardes, s’attendant évidemment à quelque surprise, et, sitôt qu’il apercevait Fandor, il comprenait quelle avait été la façon d’agir de celui-ci.

Fantômas, toutefois, n’était pas homme à se laisser prendre au dépourvu. À peine avait-il deviné plutôt qu’aperçu réellement la silhouette de son ennemi, qu’il s’arrêtait, fronçant les sourcils, et que bientôt à son tour, il rebroussait chemin.

Fantômas rentrait donc dans la gare, mais à l’instant où il pivotait sur ses talons, Fandor, qui n’avait nullement été dupe de son geste, recommençait à le pourchasser.

– Très bien, se disait le journaliste. L’animal m’a deviné, mais cela ne veut pas dire que je ne le forcerai pas à la course…

Jérôme Fandor, à cet instant, se passionnait réellement pour l’extraordinaire poursuite qu’il menait depuis une dizaine de minutes. Dans l’ardeur de la lutte, il oubliait complètement les dangers que celle-ci lui faisait courir, incapable de penser à autre chose qu’à cette certitude angoissante :

– Fantômas est là, devant moi, à quelques pas… Mordieu, si je ne suis pas un imbécile, je dois lui sauter au collet, l’arrêter et pour jamais en débarrasser le monde !

Était-il possible, cependant, d’arrêter celui que l’opinion publique nommait si souvent l’insaisissable ?

Jérôme Fandor, en s’attaquant à pareille entreprise, ne se montrait-il pas, en réalité, infiniment présomptueux ?

Les événements, hélas ! devaient bien vite donner tort au journaliste.

Rentré dans la gare, en effet, Fantômas, sans prêter attention aux coups d’yeux surpris que sa marche précipitée lui valait de la part des buralistes, retournait sur le quai de la station. Il passait si vite devant l’employé chargé de poinçonner les billets que celui-ci n’avait pas le temps de l’arrêter. Toutefois, l’homme lui courait après, lui criant :

– On ne passe pas, monsieur, prenez un ticket !

Fantômas, naturellement, ne s’arrêtait pas à une semblable intervention. Jérôme Fandor n’en tenait pas compte davantage, car, dix secondes après le bandit, il surgissait à son tour, repoussant presque d’un coup de poing le brave employé qui protestait à nouveau.

Les circonstances, d’ailleurs, avaient changé ; si, tout à l’heure, le quai était encombré de voyageurs et si leur présence empêchait Jérôme Fandor de courir, il n’en était plus du tout de même désormais. C’était donc au grand trot, au grand galop même, que Jérôme Fandor se précipitait sur les traces de Fantômas.

L’attitude des deux hommes, désormais, était significative, d’autant plus significative, qu’inquiet sans doute de la marche des événements, Fantômas venait brusquement de prendre un revolver de sa poche et qu’il courait en brandissant cette arme.

Fandor, dès lors, n’avait plus à hésiter, n’avait plus rien à ménager. De toute sa voix, et tandis qu’il courait de toutes ses forces, Jérôme Fandor hurla donc :

– Arrêtez-le, c’est Fantômas !…

Mais, hélas ! Jérôme Fandor n’avait pas compté sur la lâcheté universelle, sur la poltronnerie commune. À peine avait-il crié : « Fantômas ! » à peine le nom terrible, le nom redoutable, le nom de sang, avait-il retenti dans le hall que, de tous côtés, une véritable panique se déclarait. Des gens s’enfuyaient en désordre, des employés se jetaient à l’écart ; le résultat des cris de Fandor était tout simplement de faciliter la fuite au Maître de l’effroi !

Il fallait en finir cependant.

À son tour, Jérôme Fandor avait tiré son revolver. Toujours courant, il le braquait sur Fantômas et il hurlait :

– Arrêtez-vous ! rendez-vous, ou je fais feu !…

La réponse à sa sommation ne se fit pas attendre ; Fantômas, un instant, s’arrêtait, mais il s’arrêtait tout bonnement le temps voulu pour tendre le bras, ajuster Jérôme Fandor, presser sur la détente.

La course, toutefois, avait un peu époumoné Fantômas, cela sauvait Jérôme Fandor. La balle du revolver sifflait, en effet, aux oreilles du journaliste, perçait de part en part son chapeau mou, puis allait bien inutilement crever avec un grand fracas le cadran d’une horloge.

Or, à cet instant, Jérôme Fandor, sauf, mais résolu, allongeait le bras à son tour.

– Arrêtez-vous ! recommençait-il.

Il n’eut pas le temps d’achever. Une locomotive manœuvrait, longeant la voie ; Fantômas, fou d’audace, se jetait devant elle, traversait au risque de se faire écraser, gagnait ainsi quelques instants.

Et lorsque la locomotive s’était éloignée, lorsque Fandor enfin était libre de passer, il était hélas ! trop tard ; Fantômas venait de tenter la plus inouïe, la plus inattendue, la plus folle des manœuvres.

La gare d’Anvers, en effet, comporte de nombreux quais d’embarquement. Au long de certains d’entre eux se rangent les rapides de Belgique et les trains internationaux, mais il en est un qui, plus modeste, sert tout simplement à garer le petit chemin de fer électrique, le véritable tramway qui joint, par une voie routière, Anvers à Bruxelles.

Or, à l’instant où Fantômas arrivait sur ce quai, le tram était précisément prêt à partir, bondé de voyageurs ; il attendait, et le watmann grimpait déjà sur le marchepied.

Fantômas vit tout cela en un clin d’œil et déjà imaginait la façon d’en tirer parti. En deux bonds il fut sur le mécanicien, l’agrippa au collet, le bouscula à la renverse. Les voyageurs n’avaient pas encore eu le temps d’intervenir que Fantômas avait sauté sur la machine, qu’il manœuvrait les leviers, lançait le mécanisme, démarrait rapidement.

– Nom de Dieu ! jura Fandor…

Vingt mètres séparaient le journaliste du tram électrique ; il les franchit dans un galop effréné, voulant essayer de s’accrocher à la dernière voiture.

Hélas ! Jérôme Fandor, une fois encore, devait arriver trop tard. Ce qu’il tentait était matériellement impossible, il ne put rejoindre le car électrique.

Que faire ? Un autre eût, évidemment, abandonné toute poursuite et renoncé à une lutte qui semblait devoir être vaine.

L’idée d’une pareille lâcheté ne vint même pas à la pensée de Jérôme Fandor.

Pestant, jurant, regardant le car s’éloigner, ne prêtant même pas attention aux clameurs qui s’élevaient dans la gare, où l’alarme était générale maintenant, Jérôme Fandor râla cependant :

– Bon Dieu, il faut que je le rejoigne !…

Or, à cet instant, Fandor se rappelait brusquement qu’il avait aperçu quelques instants plus tôt, dans la cour de la gare, une superbe automobile qui stationnait là, attendant évidemment son propriétaire. Penser à cette voiture et décider de la prendre, de s’en servir pour donner la chasse au Maître de l’épouvante, c’était l’affaire d’un instant !

Le tram électrique n’avait pas disparu à l’horizon que Jérôme Fandor était dans la cour de la gare, qu’il bondissait dans la voiture, donnait un tour de manivelle, sautait sur le siège, faisait un démarrage foudroyant.

Or, la voiture n’était pas vide. C’était un torpédo à quatre places, et, sur la banquette arrière, se trouvaient deux individus qui, à l’apparition de Jérôme Fandor, se dressaient brusquement, surpris à bon droit, et hurlant de toutes leurs forces, cependant qu’un troisième personnage, qui n’était autre que le mécanicien, s’accrochait à la capote, se laissait traîner quelques instants, puis roulait sur le sol.

Mais Jérôme Fandor n’avait rien vu de tout cela. Penché sur son volant, le pied crispé sur l’accélérateur, il virait sur deux roues, escaladait un trottoir, renversait une charrette à bras, et, dans le brouhaha formidable de l’échappement libre ouvert, s’enfuyait à toute allure.

Les voyageurs de la voiture cependant, cramponnés au dossier de la banquette avant, hurlaient toujours :

– Arrêtez ! arrêtez ! criaient-ils.

Jérôme Fandor fut brusque et catégorique.

– Zut, répondit-il. Collez-vous à plat ventre dans votre tacot, ne bougez pas. Il y a des pruneaux à recevoir, et c’est Fantômas que nous avons en chasse. D’ailleurs, je vous expliquerai plus tard…

Ce n’était pas en effet le moment de s’attarder en grands discours.

Certes, Jérôme Fandor se rendait bien compte qu’il venait d’emprunter d’une façon un peu brusque une automobile qui ne lui appartenait pas, mais il n’en avait guère souci. Il agissait évidemment dans l’intérêt public, et c’était sans doute le cas ou jamais de penser que la fin justifiait les moyens.

Par malheur, si Jérôme Fandor ne pensait point renseigner autrement ses compagnons de route involontaires, ceux-ci ne l’entendaient pas ainsi. À peine Fandor avait-il dit, en effet, qu’il chassait Fantômas, que, faisant preuve d’une pusillanimité invraisemblable, ceux-ci se mettaient à hurler comme de véritables déments.

Jérôme Fandor, dans le vent de la course, n’y prêta pas grande attention.

Il était sorti de la ville d’Anvers. Sa voiture, lancée à plus de quatre-vingts kilomètres à l’heure, sautait sur une chaussée pavée, enduite d’une boue gluante, et dérapait formidablement ; il avait bien assez à faire à s’occuper à piloter son engin s’il ne voulait point provoquer un accident.

– Très peu d’entrer dans le décor !… se disait Fandor. Très peu pour moi, d’abîmer ma jolie figure !…

Mais s’il prononçait des paroles ainsi prudentes, ce n’était évidemment là que des paroles, car il accélérait toujours de plus en plus la vitesse, et la course devenait vertigineuse.

Jérôme Fandor estimait que les propriétaires de la voiture allaient le laisser en paix. Il se trompait évidemment, car il éprouvait brusquement une extraordinaire surprise.

L’un des deux hommes qui hurlaient dans son dos se taisait en effet subitement, lui posait la main sur l’épaule, et s’écriait à son oreille, sur un ton d’indicible étonnement :

– Ah bien, par exemple, ça c’est encore plus rigolo qu’un mariage de hannetons !… Comment, c’est vous, monsieur Fandor ?

La voix était familière, l’intonation était sympathique, Jérôme Fandor tourna la tête :

– Bouzille !… cria le journaliste.

Et c’était bien, en effet, l’inénarrable Bouzille qui, maintenant, s’entretenait avec Fandor !

Bouzille, en effet, était loin de demeurer silencieux. Bouzille, ayant reconnu Fandor, se répandait tout au contraire en lamentations continuelles, faites sur un ton suraigu.

– Bouzille soi-même, déclarait-il. Et mon copain, c’est Bec-de-Gaz. Mais, monsieur Fandor, sûrement que vous allez nous casser la figure… Pas si vite, nom de d’là !… Comme ça, qu’est-ce qui vous prend d’avoir chopé cette guingue que nous avions en garde ?

Fandor ne répondait pas, n’avait pas envie de répondre, car sa voiture valsait littéralement sur la route, et les risques de culbute se précisaient à chaque instant.

Bouzille, dans son dos, reprit :

– Si c’est pas malheureux, tout d’même. Bec et moi, on était bien tranquilles, occupés à faire les rentiers, à se dormir dans la voiture, on attendait Fantômas, quoi… et puis voilà que c’est vous qui rappliquez… Ah ! non, très peu !…

Bouzille interrompait son récit pour supplier, blême d’effroi :

– Pas si vite, m’sieur Fandor. Un coup de frein, nom de Dieu… Sûrement qu’on va faire peur aux oiseaux !

Bouzille pouvait avoir peur, car en réalité l’allure de la voiture, engagée maintenant sur une grande descente, avait quelque chose d’insensé.

Bouzille pouvait avoir peur, mais Fandor pouvait être content. Au lointain, en effet, on commençait à apercevoir, lorsque la route était droite, une tache blanche qui disparaissait rapidement, et qui n’était autre que la carrosserie du train électrique à bord duquel Fantômas avait pris place.

Fandor, à cette vue, naturellement, loin de ralentir, accélérait encore. Il avait ouvert les gaz en grand, donné toute l’avance ; alors que le véhicule marchait à une vitesse folle, Fandor se désespérait qu’il fut si lent, car sa pensée allait plus vite encore.

Bouzille, pourtant, s’affolait derrière lui :

– Monsieur Fandor, c’est pas moelleux les pavés ni les arbres… sûrement qu’on finira en pâté de foie, si ça continue… Doucement, que j’vous dis ! On a toute la vie pour arriver ! Et d’abord, bien sûr que si M me Hélène était là, sauf vot’respect, elle vous engueulerait comme du poisson pourri, pour vous empêcher d’aller si vite !

Bouzille invoquait Hélène pour calmer les ardeurs de Fandor, mais il choisissait mal son moyen. Plus qu’aucune autre en effet, la pensée d’Hélène devait surexciter Fandor. Et, brusquement, le journaliste voulut imposer silence à Bouzille :

– Tais-toi, lui dit-il. Si tu n’es pas content, descends…

Bouzille, du coup, roula des yeux effarés.

Descendre d’un véhicule marchant à cent kilomètres à l’heure, c’était évidemment risqué. Bouzille le comprit, et se tut.

Or, Fandor, tout en conduisant sa voiture, ne perdait point de vue le but de sa poursuite.

Il comprenait maintenant merveilleusement pourquoi Fantômas avait voulu se faire reconnaître tout d’abord, et sortir de la gare ensuite.

Fantômas avait certainement désiré le séparer de Juve, c’était pourquoi Fantômas l’avait abordé dans la gare. Il avait, en outre, pensé rejoindre sa voiture qui l’attendait au rendez-vous fixé, dans la gare d’Anvers, où sans doute, il escomptait laisser Fandor en arrière bien empêché de le rejoindre, et tout aussi empêché de rattraper Juve parti avec le train.

Fantômas, toutefois, s’était trompé ; les événements tournaient au mieux, le car électrique perdait d’instant en instant du terrain, bientôt Fandor l’aurait rejoint.

– Nom de Dieu, je le rattraperai ! jura tout haut Fandor.

Bouzille, qui s’était rejeté en arrière, qui se heurtait à Bec-de-Gaz aplati sur le plancher de la voiture et claquant des dents de frayeur, Bouzille riposta :

– Sûrement, ça va mal finir !

La route, à cette minute, descendait brusquement. Elle semblait plonger dans une vallée profonde et s’étendait droite, à perte de vue.

– Bravo ! dit Fandor.

Une vie nouvelle semblait s’emparer du mécanisme de la voiture. La vitesse augmentait encore, les organes ronflaient, les pièces métalliques tintaient follement.

Il n’était plus question de parler ; l’allure était telle que l’air étouffait, et qu’il fallait baisser la tête pour pouvoir respirer un peu.

– Vite, plus vite ! râla Fandor.

Le tram était à cent mètres, mais la voiture le gagnait facilement.

Cinquante mètres les séparèrent, puis trente, puis vingt… puis dix…

Déjà Jérôme Fandor entendait les hurlements d’effroi des malheureux voyageurs qui, terrifiés par cette course à la mort, se demandaient évidemment, eux aussi, comment cet effroyable événement allait se terminer.

À cet instant, toutefois, il fallait jouer le tout pour le tout. Jérôme Fandor s’en rendit nettement compte. Suivre le tram électrique, et attendre que Fantômas en descendît tranquillement, c’était enfantin ; essayer, d’autre part, de monter la voiture sur la voie et de faire dérailler le tram, c’était risquer un abominable accident dont Fantômas n’aurait pas été la seule victime.

Que faire alors ?

Jérôme Fandor, d’une main, se cramponna à son volant.

Si la voiture versait, tant pis ! S’il se tuait, tant pis encore ! Ce qu’il fallait, c’était obliger Fantômas à se rendre, à se livrer lui-même !

Et Jérôme Fandor, de sa main libre, prit son revolver, et le braqua sur le misérable.

Fantômas, de son côté, tendait son arme aussi. Les deux voitures, automobile et tramway, roulaient toujours à une allure folle, ne se dépassant ni l’une ni l’autre, roulant dans un bruit de tonnerre.

Fantômas ajusta Fandor.

Certes, à cet instant, le journaliste fut tenté, lui aussi, de faire feu.

Mais à l’instant où il allait presser la détente, Jérôme Fandor songea :

– Avec les cahots de la route, je vais le manquer. Or, il me reste cinq coups à tirer. Dans cinq coups je serai donc désarmé !

Et se maîtrisant, Jérôme Fandor ne tira pas.

Fantômas, de son côté, ne songeait pas évidemment au risque d’être désarmé. Moins secoué sur son tramway que ne l’était Jérôme Fandor, libre d’abandonner son mécanisme, puisque les rails se chargeaient de diriger la voiture, il ajustait longuement Fandor…

À cet instant, Bouzille et Bec-de-Gaz redoublaient de hurlements, criant comme de pauvres bêtes qu’on égorge.

Fandor, lui, très pâle, sans mot dire, le bras toujours tendu, fixait dans les yeux Fantômas.

À l’instant où il vit que le bandit allait tirer, Jérôme Fandor donna un violent coup de volant. La voiture fit une embardée, Fantômas avait perdu une balle !

– Encore quatre coups à tirer ! se dit Jérôme Fandor.

Un coup de frein lui permit d’éviter une nouvelle balle.

Mais, à cet instant, Fantômas semblait éclater de rire, tirait trois coups en l’air, puis lâchait son revolver.

Et Jérôme Fandor n’avait point le temps de se demander quel était le motif de cette nouvelle attitude, qu’une effroyable catastrophe survenait.

Le journaliste se sentait arraché de son siège, projeté en l’air ; il retombait lourdement sur le sol, cependant qu’un fracas formidable retentissait !…

Occupé par la lutte, Jérôme Fandor n’avait point vu qu’un passage à niveau fermé barrait le chemin ; il venait jeter sa voiture dans cet obstacle, l’automobile faisait panache, et Jérôme Fandor, mort peut-être, gisait parmi ses débris.

Au lointain, le car électrique continuait à s’enfuir…


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