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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Juve interrogeait :

– N’est-ce pas ton avis, Fandor ?

Mais Fandor, à cet instant, ripostait avec une grande tranquillité :

– Avez-vous remarqué, Juve, comme Hélène était jolie lorsqu’elle portait le diadème royal à la cour ?

Cela prouvait évidemment que Fandor n’écoutait pas très attentivement Juve. Le policier le comprit ; il eut un sourire indulgent.

– Amoureux, va ! fit-il sur un ton de raillerie. Ce soir, tu n’es bon à rien, tu ne penses qu’à Hélène. Soit, nous causerons demain.

– Nous causerons demain, dit Fandor.

Le journaliste avait été chercher une photographie d’Hélène qu’il regardait avec des yeux extasiés. Juve, encore une fois, l’arracha à sa songerie.

– Un instant, demandait-il. As-tu rencontré à nouveau, Fandor, cet après-midi, l’étrange jeune homme que j’ai vaguement aperçu, que l’on m’a signalé, qui s’appelle Daniel, et qui, paraît-il, à des allures de policier ?

– Non, dit Fandor. Je n’ai vu personne répondant à ce signalement plutôt imprécis d’ailleurs. Pourquoi, Juve ?…

– Pour rien, répondit le policier, pour rien du tout. Cela n’a pas d’importance. Le personnage m’intriguait un peu, voilà tout…

Juve, peut-être, eût trouvé ce personnage beaucoup plus important et lui eût accordé un tout autre intérêt s’il avait pu se douter que Fantômas, l’homme brun, l’avait, lui aussi, remarqué, ce jour-là même, dans une tabagie hollandaise, s’il avait pu savoir ce que Fantômas faisait à cette heure même !




Chapitre IV


Nuit d’angoisse

Cette même nuit que Juve et Fandor employaient à causer longuement, à échafauder des hypothèses et des projets, relativement à la capture de Fantômas, qui, de plus en plus, de minute en minute, leur semblait nécessaire, des événements mystérieux, tragiques aussi, se déroulaient en effet à quelque distance d’Amsterdam, tout près d’Haarlem, dans la superbe propriété du malheureux M. Eair, ou plus exactement du père de Fandor, d’Étienne Rambert, puisque telle était en réalité l’identité de cet extraordinaire personnage .

Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier étaient toujours occupés à la cueillette des roses chez l’extraordinaire original.

Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier ne comprenaient naturellement rien aux événements qui se déroulaient, et dans lesquels ils jouaient, sans même le savoir, un rôle anecdotique.

Les deux excellents colosses, aussi bien, ne fatiguaient point leur intelligence à vouloir deviner des problèmes qu’instinctivement ils supposaient fort complexes.

Tout simplement, ils riaient parfois à la pensée de la surprise qu’ils avaient causée à Juve lorsqu’ils avaient frappé à sa porte, et de la façon merveilleuse, à leur avis, dont ils s’étaient acquittés de la commission dont M. Eair les avait chargés, puisque, en réalité, grâce à eux, Juve était venu voir le vieil homme.

Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique estimaient, en fin de compte, que ce qu’il y avait de plus clair dans toute leur aventure, c’était que, d’une part, Juve leur avait promis de retrouver Bobinette, ce qui leur ôtait toute inquiétude à cet égard, et que, d’autre part, ils avaient pu revenir bien tranquillement s’installer chez M. Eair, où ils se gobergeaient tout à leur aise.

Les deux forts de la Halle s’étaient d’ailleurs passionnés pour leur nouveau métier, encore qu’il fût, au moins en l’apparence, contraire à leurs véritables aptitudes.

– On est des jardiniers, disait Benoît le Farinier.

À quoi Geoffroy la Barrique répliquait :

– Pas du tout, on est des parfumeurs.

Même, Benoît avait un jour hasardé qu’ils étaient en réalité des papillons, puisqu’ils butinaient des fleurs !

En fait, les deux braves gens s’acquittaient à merveille de leur tâche. Ils se levaient de grand matin, s’habillaient en hâte, descendaient dans les champs de roses, et là se livraient à une abondante cueillette, heureux de vivre ainsi au grand air, d’autant plus heureux qu’ils avaient découvert que le parfum des roses creuse l’appétit, et qu’ils s’autorisaient de cette remarque pour faire cinq grands repas par jour, ce qui les plongeait dans une perpétuelle béatitude.

M. Eair, leur bienfaiteur, avait d’ailleurs droit à leur considération, non seulement en raison de sa parfaite bonté et de son hospitalité si complète, mais encore eu égard, à la composition de sa cave fort bien montée, et dont Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique mettaient l’approvisionnement en coupe réglée.

Le maître de la maison avait dit :

– Faites comme chez vous.

Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique estimaient qu’il y aurait eu impolitesse de leur part à ne point profiter d’un encouragement si aimable.

Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique cependant, dans les délices où ils vivaient, n’oubliaient point Paris ni les Halles. Par moments, ils avaient la nostalgie du pavillon des légumes et des bars interlopes de la pointe Saint-Eustache.

– Si qu’on s’en allait ? proposait Benoît.

– Assurément ! acceptait Geoffroy.

Mais, pour discuter ce projet, ils s’attablaient, débouchaient une bouteille, et, naturellement son contenu suffisait à les décider d’attendre encore un peu de temps avant de quitter la Hollande.

Depuis vingt-quatre heures d’ailleurs, Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique étaient relativement inquiets et n’osaient plus guère formuler des projets de départ.

Ils savaient que Juve était parti en expédition et, d’autre part, ils n’ignoraient point que M. Eair, de son côté, s’était rendu au palais royal. Mais de Juve ni de M. Eair, Benoît, pas plus que Geoffroy, n’avaient eu la moindre nouvelle.

Certes, les deux forts de la Halle eussent été épouvantés s’ils avaient connu le véritable motif de ce double silence.

L’excellent M. Eair avait été assassiné par Fantômas à l’instant où il apportait le sceau royal, et, quand à Juve, il avait, tout comme Fandor, bien d’autres sujets de préoccupation que la destinée des deux forts qu’il oubliait un peu.

Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier ne savaient cependant que penser.

– C’est ma tournée, déclarait Benoît. Bois, encore un coup, mon vieux. Vois-tu, pour moi, de deux choses l’une : ou bien M. Eair va revenir, ou bien il ne reviendra pas !

C’était là une vérité probable ; Geoffroy, cependant, y réfléchissait longuement avant de la tenir pour certaine.

– À ta santé, ripostait-il. Après tout, c’est bien possible. Mais si qu’on s’en allait ?

L’idée fixe de Geoffroy était en effet de partir. C’était une idée fixe, d’ailleurs, qui ne conduisait nullement Geoffroy à s’en aller. Il proposait la chose, mais il ne l’eût jamais fait tant que Benoît ne l’aurait pas voulu avec lui.

Or, ce soir-là, précisément, Benoît le Farinier n’avait nullement l’intention de quitter Haarlem.

Benoît le Farinier et son compagnon avaient tout le jour travaillé dans les champs de roses, ils étaient rentrés dans la maison d’habitation à sept heures et demie du soir, avaient copieusement dîné, et maintenant, ils s’attaquaient à une provision de six bouteilles qui, très certainement, allait suffire à occuper les loisirs de leur soirée.

– Fameux, cet aramon-là ! déclarait Benoît.

– Fameux, affirmait sobrement Geoffroy la Barrique, qui, entraîné par l’habitude, ne pouvait s’empêcher de proposer :

– Encore un verre, Benoît. C’est ma tournée !

De tournées en tournées, il arrivait que les deux hommes commençaient à être quelque peu gris. Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier, à vrai dire, ne s’enivraient jamais complètement. Ces deux solides buveurs parvenaient tout juste à s’égayer un peu, et c’était précisément gais qu’ils se trouvaient à cet instant.

Ils s’étaient tous les deux introduits dans la cuisine, ils avaient allumé dans la grande cheminée un splendide feu de bois, et, étendus dans de grands fauteuils, fumant d’énormes pipes, se chauffant avec volupté, ils remplissaient leurs verres et les vidaient avec des gestes précipités et réguliers qui disaient la grande habitude qu’ils possédaient d’une semblable opération.

Au fur et à mesure cependant que la nuit tombait, Geoffroy la Barrique se rapprochait du foyer et devenait bavard.

Bientôt, il entreprenait Benoît le Farinier de la plus énergique façon :

– Écoute, vieux frère, grommelait-il. Tout ça, dans le fond, c’est des boniments à la graisse d’oie. Ici, n’est-ce pas, on est bien ?

– Très bien, concéda Geoffroy.

– Donc, ma vieille, il n’y aurait pas l’occasion de s’en aller, si des fois on n’était pas mieux à Paris…

– Sûr ! approuva encore Geoffroy.

Un instant de silence s’établit, les deux hommes buvaient ; Benoît le Farinier reprit :

– Seulement, comme ça, tu comprends, rapport à notre travail, faudrait pas qu’on perde trop de temps. Aux Halles, on pourrait se demander ce que nous sommes devenus et la clientèle nous lâcherait…

– Nous lâcherait, répéta docilement Geoffroy.

Mais, en parlant, la Barrique venait brusquement de se retourner dans son fauteuil. Il avait, un instant, considéré la fenêtre, faisant un drôle de visage ; il se retournait maintenant d’un seul mouvement, contemplant Benoît le Farinier qui le regardait, lui aussi, avec une certaine attention.

– Hein !… fit Geoffroy la Barrique.

Benoît le Farinier haussa les épaules.

– C’est rien, c’est une branche d’arbre qui a craqué… Ils avaient entendu tous les deux un bruit provenant du jardin, le craquement d’une branche sans doute, et cela les avait fait tressaillir.

– À la tienne ! proposa Benoît.

– À la tienne ! répliqua Geoffroy.

Ils trinquèrent encore, rallumèrent leurs pipes.

– Mon vieux, reprenait alors Geoffroy la Barrique, pour rentrer à Pantruche, paraît que c’est très loin, mais ça ne fait rien, mes souliers sont neufs. Justement, je les ai fait ressemeler. C’est pas des quarante ou cinquante kilomètres qui me font peur…

– À moi non plus ! D’ailleurs, on trouvera peut-être un voiturier.

– C’est bien possible.

Leurs notions géographiques n’étaient pas très exactes ; Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier estimaient toujours qu’ils étaient à une cinquantaine de kilomètres au plus des barrières de Paris et comptaient bien regagner la capitale sans se presser, allant à pied et flânant par les routes.

Une nouvelle bouteille fut débouchée et promptement entamée.

– C’est qu’on est bien, ici ! soupirait Geoffroy la Barrique. Ça fera peine de s’en aller.

– Bah ! on reviendra le dimanche…

– Ça, d’accord.

Leurs verres pleins, ils allaient trinquer lorsque Benoît le Farinier sursautait si fort qu’il renversait une partie de son vin.

– Qu’est-ce que t’as ? interrogea Geoffroy.

Benoît était tout pâle.

– Ce que j’ai ?… rien… t’as pas entendu ?

– Entendu quoi ?

– Est-ce que je sais !…

Il y avait eu dans le jardin comme un nouveau bruit, un craquement plus distinct encore, le sifflement peut-être de la rafale, car il ventait dur, qui avait secoué les massifs.

Benoît le Farinier resta quelques instants l’oreille aux écoutes, puis haussa ses larges épaules.

– C’est rigolo tout de même ! déclarait-il avec un rire discret et se moquant de lui-même, c’est rigolo, n’est-ce pas ? Mais ici, mon vieux, on est dans la tranquillité, dans la fortune jusqu’au cou, et pourtant on ne se sent pas à l’aise. Hein ! qu’est-ce que t’en dis ?

Le second fort n’en disait rien, et, tout au contraire, se taisait obstinément.

Lui aussi prêtait l’oreille, et c’était brusquement que Geoffroy la Barrique finissait par se lever :

– Après tout, soupirait-il, on ne sait jamais ce qui peut arriver… T’as fermé la porte du jardin, au moins ?

– Oui, oui, elle est fermée.

– Alors ça va. À ta santé !…

– À la tienne !

Ils trinquèrent encore, puis Geoffroy la Barrique jetait un nouveau fagot dans le feu et tirait sa chaise si près qu’il s’asseyait presque dans l’âtre.

– Moi, commençait-il, je dis une chose qui est une chose : quand on est bien quelque part, faut y rester. On est bien ici, alors, dame, si on s’en va…

Mais Geoffroy la Barrique s’interrompait une fois encore.

– Sûr, il y a un chat qui rôde dans la cour.

– Un chat, c’est ça… fit Benoît le Farinier qui approchait, lui aussi, sa chaise de l’âtre et fixait le feu avec une attention soutenue.

– Va donc lui dire de s’en aller, Geoffroy.

Geoffroy la Barrique avala là-dessus une énorme lampée de vin, puis se dirigea vers la porte qu’il entrebâilla.

– Hou… hou… le chat ! faisait-il.

Mais il ne criait pas bien fort et il ne restait pas longtemps devant la porte ouverte qu’il s’empressait de fermer, donnant même un tour de clef à la serrure, ce qui était, en somme, une précaution inutile à l’égard d’un chat.

Geoffroy la Barrique retourna s’asseoir en face de Benoît le Farinier.

– Hein ! on est bien ici ?

Mais il n’y avait plus guère d’enthousiasme, et la voix de Benoît le Farinier elle-même ne résonnait pas bien haut tandis qu’il répliquait :

– On est bien… seulement, qu’est-ce qui fait donc du potin dans la cour ?

De fait, par moments, on entendait distinctement des bruits légers qui provenaient du jardin. Benoît le Farinier serra les poings et fronça ses sourcils épais.

– C’est rigolo, commençait-il… La nuit, quand on entend du bruit, eh bien, n’est-ce pas, ça vous fait…

Il ne complétait pas sa pensée, mais Geoffroy devait la deviner, car il répliquait :

– Oui, oui, bien sûr… C’est des idées…

Ils trinquèrent encore, mais, le verre en main, ils demeuraient immobiles, prêtant l’oreille.

Geoffroy hasarda :

– C’est p’t’être bien M. Eair qui rentre…

– Peut-être bien.

– Des fois que ça serait Juve, aussi…

– Rien ne l’empêche.

Benoît le Farinier proposa :

– Geoffroy, si t’allais voir jusqu’au bout du jardin ?

Mais Geoffroy déclina l’invitation.

– Ah ! pour ça, non, mon vieux ! D’abord, j’ai pas bonne vue, et puis je crains l’humidité. Vas-y, toi…

– Oh ! moi, refusa Benoît le Farinier, j’ai pas besoin de me déranger, vu que ça m’est bien égal. Ce que j’en disais, c’était pour toi… J’vois bien qu’t’as les sangs retournés, et que…

La phrase, une fois encore, n’était pas achevée ; les deux hommes, d’un même mouvement, avaient sursauté, ils se regardaient maintenant avec des yeux agrandis par une peur secrète qu’ils ne parvenaient plus du tout à se dissimuler.

– Mon vieux, commença Geoffroy, y a sûrement quelqu’un dans le jardin… j’ai entendu qu’on marchait…

– Et moi, dit Benoît le Farinier, j’ai cru qu’on heurtait aux carreaux…

Geoffroy et Benoît s’entre-regardèrent quelques instants, puis, tournant le dos à la fenêtre, se rapprochèrent plus encore de l’âtre.

– Si on heurtait aux carreaux, commençait Geoffroy, on verrait bien qui c’est qu’est là, parbleu !…

– Oui, approuva Benoît. Mais ça me fait tout drôle de penser qu’on pourrait ainsi nous regarder à travers les fenêtres sans seulement que nous le sachions !

Ils firent silence et, fait extraordinaire, sans trinquer, burent encore deux verres de vin.

– Alors, la santé ? demandait Geoffroy, on ne la porte plus ?

Il voulait rire, plaisanter, mais sa voix sonnait faux. Il insinua brusquement :

– Va donc fermer le rideau, on sera tranquille…

Il n’obtint aucune réponse.

Les yeux fixés sur le feu, la tête et les épaules engagées sous le manteau de la grande cheminée, Benoît le Farinier ne paraissait nullement disposé à quitter son poste.

– Moi, j’demande rien, déclarait-il. Si les rideaux ouverts ça te gêne, va les fermer toi-même, Geoffroy…

Geoffroy n’eut garde de bouger.

– Oh ! moi, faisait-il, ça ne me gêne pas…

Les deux forts de la Halle, silencieux, se tassaient l’un contre l’autre, grillés par le feu, mais ne voulant ni l’un ni l’autre quitter l’abri que semblait leur offrir la cheminée.

Pourtant, au bout de quelques instants, ils sursautaient encore.

Oh ! cette fois, le doute n’était pas permis, il était certain que quelque chose se passait qui n’était ni ordinaire ni naturel. Sûrement, on avait heurté à la fenêtre. Sûrement, on avait marché dans le jardin…

Le bruit avait été cette fois assez distinct, avait paru si proche que le doute n’était pas possible.

– Va fermer les rideaux, supplia presque Geoffroy…

Benoît le Farinier, à voix basse, proposa :

– Viens les fermer avec moi…

Mais ils né bougeaient ni l’un ni l’autre.

Une nouvelle bouteille de vin, la dernière des six, fut décachetée sans que les deux hommes eussent seulement tourné la tête.

– Allons, à la tienne !…

– À la tienne, mon vieux !

Benoît, ayant bu, s’essuyait poliment la bouche sur le revers de sa manche, ce qu’il considérait comme étant une preuve de suprême élégance.

– Voilà, déclarait-il brusquement. Si tu veux mon avis, je vais te dire quelque chose : eh bien, ici, on est rudement installé… le vin est fameux, le rhum gratte bien le gosier ; pour la viande, y a rien à dire, et les lits sont assez grands. Seulement, rapport à ce qu’on sait que Fantômas est dans le pays, on n’est pas assez tranquille… Alors, dame…

Un juron retentit, poussé par Geoffroy la Barrique.

– Ah ! nom de Dieu ! tout de même, ce coup-ci…

Un caillou venait de heurter violemment les fenêtres de la cuisine. Il n’avait pas cassé les carreaux, mais il les avait ébranlés avec force.

Qu’était-ce donc ?

Que se passait-il au juste ?

Les deux forts de la halle, incapables de maîtriser leur émotion, s’étaient, cette fois, levés d’un même mouvement.

Leur curiosité était plus forte que leur peur. Tout en s’enfonçant dans la cheminée pour s’écarter le plus possible de cette maudite fenêtre, ils se retournaient pour voir.

– Ah ! sang Dieu ! jura encore Geoffroy la Barrique… tu as vu ?

Il tendait son énorme main, sa main velue qui tremblait, dans la direction de la fenêtre…

– Tu as vu ? répétait-il, haletant, le front moite, la gorge serrée, parlant d’une voix rauque. Tu as vu, là… contre le carreau… comme une tête d’homme, un jeune homme… qui nous regardait… Ah ! par exemple…

Benoît le Farinier avait tout autant d’émotion que Geoffroy la Barrique.

Lui aussi haletait :

– Oui, oui, j’ai vu…

– Ah ! bon sang de bon sang ! qu’est-ce que ça veut dire ? quel sacré patelin !… Sûrement qu’il va se passer des choses !… Malheur de malheur !… Qu’est-ce qu’il faut faire ?

Geoffroy la Barrique commençait à se remettre de son accès de frayeur, mais il s’en remettait à la façon dont les poltrons se guérissent de l’épouvante. Une résolution désespérée lui venait :

– Voilà, articula Geoffroy la Barrique… ça, mon vieux, c’est des choses… qu’on ne peut pas comprendre, nous autres. Probable qu’y se trafique des manigances qui ne sont ni claires ni bonnes… C’est Fantômas, peut-être bien, qui se balade par ici, et je te dis une bonne chose, Benoît…

– Laquelle, mon vieux ?

– Dame, qu’on est bien ici, mais qu’on n’est pas tranquille !

– Et alors ?

– Et alors, acheva Geoffroy, je te répète cette bonne chose : Foutons le camp !…

– Foutons le camp !… accepta immédiatement Benoît le Farinier.

Les deux hommes sortirent de l’abri de la cheminée en se glissant le long des murs. Dans un coin de la cuisine étaient déposés leurs bonnets de coton, accrochés à la poignée de leurs énormes cannes. Ils s’en saisirent, puis Geoffroy marchant en tête, et Benoît le suivant, la main sur sa blouse, comme un enfant qui a peur, ils se rapprochèrent de la porte.

– Foutons le camp… répétait Benoît le Farinier.

– Sûrement, approuva Geoffroy.

Ils ouvrirent la porte brusquement.

Il y avait à peine un soupçon de clair de lune ; le jardin qui entourait la propriété était plongé dans les ténèbres épaisses, mais le vent apportait des bouffées odorantes toutes chargées du parfum des champs de roses voisins.

Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique ne s’attardèrent pas à goûter la poésie de la nuit. La porte à peine ouverte, ils se jetèrent au bas des quelques marches qui formaient le perron, et se précipitèrent dans la grande allée qui rejoignait la route, passant au bord de la propriété.

Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique se prirent à courir de toutes leurs forces.

– Vite, vite, disait Geoffroy…

Et Benoît, qui s’époumonait pourtant, surenchérissait encore :

– Vite, nom d’un chien, plus vite…

Sans esprit de retour, les deux forts de la Halle, abandonnaient Haarlem…


Que s’était-il passé cependant, et quelle était la cause de la terreur qui chassait du domicile de M. Eair, Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier ?

Il était minuit à peine lorsque les deux forts s’enfuyaient sur la route, et depuis deux heures environ, un drame étrange, une aventure extraordinaire, se déroulaient en réalité dans les dépendances de la propriété.

À dix heures du soir, en effet, un homme aux gestes souples, à l’attitude résolue, avait tranquillement enjambé la clôture du jardin et lestement sauté sur le sol.

Il faisait beaucoup trop noir pour qu’on pût distinguer les traits de l’inconnu qui pénétrait ainsi chez M. Eair. Toutefois, à sa démarche même, il était aisé de deviner que cet homme était en réalité fort jeune et qu’il portait des habits, sinon recherchés, du moins dénotant une certaine élégance.

Quel était-il ? D’où venait-il ? Pourquoi se dirigeait-il vers la maison de M. Eair ? Qui l’eût vu enjamber la clôture se le serait certainement demandé.

Or, il y avait à peine quelques instants que cet inconnu s’était ainsi introduit dans le jardin, il y avait à peine quelques minutes qu’il avançait, prenant garde de ne pas faire le moindre bruit, qu’au long de la grande route une ombre nouvelle semblait se mouvoir dans les ténèbres.

Quelle était cette ombre ?

À dix mètres, l’œil le plus perçant eût été incapable d’en saisir la silhouette, d’en deviner les contours.

Cette ombre était une ombre noire. C’était en réalité une tache de nuit, comme un morceau de ténèbres qui se déplaçait, qui grimpait le long de la muraille, qui bondissait dans le jardin, disparaissait dans les massifs, et, sans bruit, sans le moindre bruit cette fois, suivant le nocturne visiteur qui l’avait précédé dans la propriété.

Le jeune homme se dirigeait vers la maison, et bientôt collait son front aux vitres éclairées de la fenêtre de la cuisine.

L’ombre était derrière, immobile, invisible presque.

Le jeune homme, après avoir regardé dans la cuisine longuement, fit le tour de la maison… l’ombre l’accompagna. Partout où le jeune homme portait ses pas, l’ombre, dix mètres plus loin, le suivait avec grand soin.

À la fin, l’inconnu revint se poster devant la fenêtre de la cuisine, et de nouveau colla son front aux carreaux, regardant évidemment dans la pièce.

Or, à cet instant, il arrivait qu’un nuage démasquait la lune pendant quelques secondes et laissait filtrer un peu d’une clarté blafarde.

L’ombre, à ce moment, se trouva baignée de lumière, et se jeta violemment en arrière.

Une ombre ?

Oh ! dès lors, il était facile de préciser l’identité de cette ombre. Cette ombre était un homme, un homme vêtu de noir des pieds à la tête, dont le visage disparaissait sous une cagoule noire, dont les membres étaient moulés dans un maillot de laine noire, qui était ganté et chaussé de noir, et qui, de la sorte, arrivait à se mêler avec la nuit…

Ombre sinistre et légendaire que cette ombre maudite ! Ombre effroyable, ombre criminelle ! Était-il seulement un homme sur terre qui eût pu ne pas la nommer, qui n’eût point, en apercevant la lugubre forme, gémi dans un cri d’effroi, le plus terrifiant de tous les noms, le nom de crime, le nom de meurtre, le nom d’épouvante, le nom de Fantômas ?

C’était bien en effet Fantômas qui, à l’instant, trahi par l’inattendue clarté lunaire, se rejetait dans les massifs du fourré en pestant.

– Maudite lumière, dit le Maître de l’épouvante. Pourvu que je n’aie pas été aperçu ? Fichtre ! Je ne tiens pas du tout à être deviné, d’autant que je ne sais pas encore le mot de cette énigme !

Fantômas, de loin, surveillait toujours l’inconnu qui collait son visage aux carreaux de la cuisine où Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier frémissaient de terreur, entendant des bruits dont ils ne s’expliquaient pas l’origine.

– Mille dieux, grommelait encore Fantômas, il faudra bien pourtant que je connaisse le mot de ce mystère… Cet homme m’inquiète !

Fantômas, quelques instants plus tard, haussait encore les épaules puis ajoutait :

– Si je ne comprends point, j’agirai !

Et à la façon dont Fantômas prononçait ces mots, il fallait comprendre qu’agir avait pour lui un sens terrible, et qu’il était une fois encore prêt à tuer.

Fantômas ne perdait pas en vérité un seul mouvement du jeune homme.

– Cet homme est un policier, soupirait-il bien vite. Juve et Fandor m’ont déjà affirmé, par le moyen du truc convenu, qu’ils ne savaient point ce qu’était devenu Vladimir. Or, voici un inconnu qui semble espionner depuis quelques jours dans la pègre d’Amsterdam. Assurément, il convient de penser que cet individu peut être pour quelque chose dans la disparition de Vladimir !

Fantômas, à ce moment, serrait les poings, grinçait des dents, tout secoué d’une véritable colère.

– Si cela était, ajoutait-il, je me vengerais…

Le Maître de l’épouvante eut un de ces éclats de rire dont les accents chez lui glaçaient d’épouvante. Il commettait toutefois une grande imprudence, car l’inconnu qui collait son visage aux vitres de la cuisine, cet inconnu que Fantômas avait déjà rencontré dans la tabagie hollandaise, cet inconnu qui avait déjà intrigué Juve et Fandor, entendant du bruit, se retournait brusquement.

L’éclat de rire de Fantômas avait un double résultat.

Il attirait l’attention de l’inconnu et l’inconnu lui-même surpris, se retournait bruyamment.

Un instant plus tard, Geoffroy la Barrique et Benoît le Farinier, à bout d’émotion, ouvraient la porte de la maison et s’enfuyaient dans la nuit noire.

– Les imbéciles, raillait Fantômas à mi-voix… ils ne sont pas en cause, eux, et ce sont eux qui ont peur…

Assurément, en effet, Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique n’étaient pas en cause.

L’inconnu qui venait de les voir s’enfuir, tout comme Fantômas, avait pu, lui aussi, s’en rendre compte, ne tentait aucunement de les poursuivre. Cet inconnu, tout bonnement, s’écartait de la maison, et se dirigeait vers le vieux moulin désaffecté dont M. Eair avait fait depuis longtemps son laboratoire nécessaire à la distillation des parfums.

Or, comme l’inconnu pénétrait dans le vieux moulin, Fantômas, lentement, se rapprochait de lui.

– Mon Dieu, murmurait le Maître de l’effroi, ce que je vais faire est peut-être une sottise, mais je n’ai guère le choix des moyens. Coûte que coûte, il me faut sortir de l’incertitude.

L’inconnu venait d’entrer dans le laboratoire. Il faisait un pas en avant, marchant avec précaution, redoutant de heurter quelque objet, et d’occasionner du bruit. Mais le malheureux n’allait pas loin.

Fantômas, en effet, hâtant le pas, venait de se rapprocher de lui à tel point qu’il le frôlait presque désormais.

Fantômas alors, osait un geste terrible, si souvent osé par lui déjà.

Sa main se leva, rapidement, il y eut dans l’air comme un sifflement bref, puis un râle étranglé, puis le bruit lourd d’un corps qui s’affale sur le sol…

Fantômas, maintenant, ne prenait plus aucune précaution…

Mort !… dit-il à voix haute. Décidément, je sais toujours donner un bon coup de poignard. J’ai très proprement expédié cet individu dans l’autre monde. Voyons maintenant tranquillement son visage.

Fantômas prit dans sa poche une lampe électrique, et en projeta les rayons sur la face exsangue de l’homme poignardé. Mais lorsque Fantômas eut vu le visage de cet homme, la lampe s’échappa de ses mains :

– Miséricorde, murmurait le Maître de l’effroi, d’une voix étonnée, miséricorde, comme il lui ressemble !…

Fantômas, longtemps, contempla le cadavre qui gisait à ses pieds. Puis il éclata de rire, se frotta les mains. Un murmure sortit de ses lèvres, il disait, se parlant à lui-même :

– Ce sera une plaisanterie, une bonne plaisanterie, ma parole…

Et, penché sur le mort, Fantômas fouillait dans ses poches, volant le portefeuille, compulsant les papiers.

Une exclamation brusque lui échappa encore :

– Ah ! par exemple…

Puis il ajouta pensivement :

– Quelle trouvaille…

Quel était donc l’homme tué par Fantômas, quelle découverte venait donc de réussir le sinistre Génie du crime ?


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