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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Chapitre VII


La peur de Juve

Comment se faisait-il que Juve et Fandor fussent montés à Amsterdam dans le même train qui avait emmené Fantômas déguisé en vieille femme et la malheureuse dépouille mortelle de Daniel passant pour un paralytique ?

Cela tenait en réalité à une succession d’événements fort naturels en apparence, fort normaux, semblait-il, à propos desquels Juve et Fandor avaient raisonné avec la plus grande logique, et qui cependant prouvaient quelle était l’effroyable maîtrise du Génie du crime, quelle était la stupéfiante audace du Roi de l’épouvante.

La veille au soir, en effet, tandis que Juve était plongé dans l’étude d’une série de documents policiers communiqués par la police d’Amsterdam, dans lesquels il espérait découvrir quelque indice relatif à Fantômas, la porte de sa chambre d’hôtel s’était brusquement ouverte, repoussée à coups de pieds par un personnage qui paraissait éprouver une exubérante émotion.

Juve, depuis bien longtemps, avait pris l’habitude des plus fantastiques aventures et était arrivé ainsi à ne plus s’étonner de rien. Juve s’attendait donc au pire et veillait à se tenir toujours prêt à tout. Le policier, en effet, avait pu maintes fois s’apercevoir que Fantômas était l’homme à tenter les choses les plus folles et Juve, en conséquence, n’aurait jamais juré qu’à la minute suivante il ne se trouverait point en face du redoutable bandit.

Dans ces conditions, à l’instant où l’on cambriolait en quelque sorte sa porte, Juve, brusquement se levait, sautait derrière sa table, et tirait un revolver qu’il braquait à l’instant dans la direction de l’arrivant.

Juve, toutefois, ne restait pas longtemps dans cette position de défense. Le personnage qui s’introduisait en effet auprès de lui n’était pas un ennemi, ne pouvait pas être un ennemi. C’était au contraire le plus dévoué et le plus sûr des alliés, puisque c’était tout bonnement Jérôme Fandor.

Mais qu’avait Jérôme Fandor pour paraître à ce point nerveux, à ce point excité, à ce point angoissé aussi ?

– Nom d’un chien ! grommela Juve, en reconnaissant le journaliste, tu pourrais faire un peu moins de pétard en venant me retrouver. Qu’est-ce qu’il y a ?

Fandor ne prêtait naturellement aucune attention à la gronderie de Juve ; il avait tranquillement pris son élan, avait sauté sur le lit du policier, et là, assis en tailleur, le buste penché en avant, il commençait à discourir.

Jérôme Fandor devait être de bien bonne humeur et avoir appris de bien bonnes nouvelles, car il commençait en ces termes :

– Mon vieux Juve, rentrez vos rengaines, fermez le sac aux récriminations, accrochez les lampions au plafond, ou plutôt écoutez-moi sans bouger !

Cet exorde était incompréhensible ; Juve grogna encore :

– Tu étais déjà un peu fou, mais, ma parole, tu le deviens complètement. Explique-toi, que diable…

Pour s’expliquer, Jérôme Fandor dégringola du lit et vint tomber à genoux aux pieds de Juve, dans la posture d’un suppliant :

– Juve, ne m’insultez pas, clamait Fandor. Juve, ne grognez point ; Juve, ne prétendez point que je suis fou, car je suis tout au contraire le plus raisonnable, le plus intelligent, le plus fortuné des mortels. Autrement dit, vous n’avez rien fait de bon et c’est moi qui me débrouille terriblement dans les enquêtes que nous menons…

Cela devenait de plus en plus incompréhensible et Juve, malgré sa patience, s’impatienta tout à fait :

Le policier quittait son fauteuil, prenait Fandor aux épaules, le secouait d’importance :

– Fiche-moi la paix, avec tes plaisanteries, tes phrases énigmatiques et tes paroles incompréhensibles ! Qu’est-ce qu’il y a, nom d’un chien !

Fandor changea de ton immédiatement. Il se fit grave, sérieux, et prit un maintien respectueux.

– Mon cher Juve, faisait-il, d’une voix posée, j’ai l’avantage de vous rapporter ce que vous avez perdu.

– Je n’ai rien perdu, tonna Juve.

– Si, riposta Fandor. Vous avez perdu Fantômas…

Or, au nom du bandit, la physionomie de Juve s’éclairait immédiatement.

– Ah ça, bégayait-il, devenant subitement nerveux, lui aussi ! Qu’est-ce que tu radotes, Fandor ? Tu me rapportes Fantômas ?

Fandor secoua la tête, éclatant de rire.

– Non, pas tout à fait, confessait-il. Je n’ai pas trouvé Fantômas dans le ruisseau, et je ne l’ai pas mis dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus. Tout de même je l’ai retrouvé, c’est-à-dire que je sais où il est…

– Où ? nom d’un chien !

– À Bruxelles.

Et Fandor brandissait sous les yeux de Juve un journal belge, une édition spéciale, publiée avec une énorme manchette, et dans laquelle on racontait avec force détails la soi-disant épouvantable agression dont le faux M. Jussieu avait été victime chez Job Tylor, de la part de Fantômas.

Juve, naturellement, s’emparait alors du journal, avec une hâte fiévreuse. Le policier en parcourait rapidement les colonnes, dévorant les détails, puis il serrait à les briser les mains de Fandor.

– Pas de doute, disait-il alors. Nous connaissons trop bien la manière de Fantômas pour pouvoir nous y tromper. Il n’y a que lui, en effet, pour avoir osé un vol semblable. Il est certainement à Bruxelles, et par conséquent, nous n’avons plus, pour le poursuivre, qu’à filer dans la capitale belge.

Fandor, à cet instant, ouvrait déjà une malle et, au hasard, sans ordre aucun, précipitait tous les objets qui traînaient dans la chambre de Juve.

– Parfaitement, déclarait le journaliste. Vous parlez d’or, Juve. Vous ne vous trompez pas plus qu’un phonographe… Branle-bas de combat ! comme vous dites. Nous filons à Bruxelles. À quelle heure est le premier train ?

Un instant plus tard Juve se plongeait dans la lecture de l’indicateur, et le résultat de ses recherches était tel que le lendemain matin, le journaliste et le policier arrivaient à la gare pour prendre place dans l’express de neuf heures quatre.

C’était à cet instant que Fandor heurtait sans le vouloir le brancard sur lequel Fantômas transportait son soi-disant paralytique. Certes, le journaliste qui s’excusait et offrait d’aider à ce macabre charroi était loin de se douter de la vérité, loin de soupçonner que la vieille dame était en réalité Fantômas, et que le paralytique était le cadavre d’un inconnu, qui peut-être allait jouer tout mort qu’il était, un rôle terrible dans sa vie…

Juve et Fandor ne soupçonnaient donc pas la présence de Fantômas dans ce train qu’ils prenaient. La ruse du Maître de l’épouvante, ruse habile entre toutes les ruses, réussissait parfaitement. Juve et Fandor imaginaient le Génie du crime à Bruxelles, et par conséquent ne pouvaient penser qu’ils étaient à peine séparés de lui par quelques compartiments.

S’ils ne redoutaient point de rencontrer le tortionnaire, Juve et Fandor cependant ne voyageaient point l’âme tranquille et l’esprit sans inquiétude.

Juve, tout aussi bien, était beaucoup trop prudent, beaucoup trop avisé, pour ne pas prendre des précautions, toujours et en dépit de tout. À peine étaient-ils donc montés dans l’un des grands cars du train de luxe, que Juve, d’un geste, appelait Fandor :

– Écoute, soufflait le policier. Il y a toujours plus de chance que deux hommes soient remarqués qu’un seul. Nous croyons Fantômas très loin d’ici, mais, en somme, rien ne l’établit de façon absolue. Donc, prudence et méfiance !

– Ce qui veut dire ? interrogeait Fandor.

– Ce qui veut dire, continuait Juve, que nous allons nous séparer. Va-t-en si tu veux dans le dernier compartiment, celui des fumeurs, moi, je me mettrai dans celui qui suit les dames seules. Ouvre l’œil, Fandor, comme j’ouvrirai l’œil moi-même, et, toutes les deux heures, va tranquillement te laver les mains au lavabo. Tu m’y retrouveras. Par conséquent, s’il y a quelque chose de suspect, tu me feras signe.

– Entendu, accepta Fandor.

Les deux hommes causaient encore quelques minutes puis, à l’instant où le train démarrait, se séparaient définitivement. Jérôme Fandor allait prendre place dans le compartiment des fumeurs, un compartiment qui se trouvait tout à l’extrémité du wagon, vers l’arrière du train, Juve se logeait dans le compartiment qui suivait celui affecté aux dames seules.

Et, dès lors, le voyage commençait, monotone, tranquille, un voyage que Juve occupait à dépouiller les journaux belges relatant le crime de Fantômas à Bruxelles, et dont Fandor profitait pour mettre à mal toute une abondante provision de cigarettes.

Fandor et Juve d’ailleurs suivaient scrupuleusement le plan qu’ils s’étaient imposé à eux-mêmes. Deux heures après le départ de leur train, Juve et Fandor se rencontraient donc dans le cabinet de toilette situé au centre du wagon.

– Eh bien ? interrogeaient-ils en même temps.

Juve, le premier, déclara :

– Jusqu’à présent rien de suspect. J’ai comme compagnon de route une grosse femme qui passe son temps à changer de paire de lunettes, et un monsieur qui soigne avec affection un perroquet qu’il a enfermé dans un petit panier. Ce sont des gens paisibles, mais peu intéressants. Et toi, Fandor ?

Fandor parut hésiter à répondre.

– Moi, Juve, déclarait-il enfin, eh bien, je n’ai rien remarqué non plus de suspect. Pourtant…

– Pourtant quoi ? dit Juve, qui notait à merveille l’hésitation de Fandor.

– Pourtant, continua le journaliste, j’ai eu tout à l’heure une bizarre impression…

– Laquelle, nom d’un chien ?

Fandor hésita encore à répondre, puis parut prendre son parti.

– Vous n’allez pas vous moquer de moi, Juve ? J’ai cru…

Mais Fandor réfléchissait avant de terminer sa phrase.

– C’est absolument idiot, ce que je vais dire, remarquait-il. J’ai cru quelque chose d’impossible… J’ai cru entendre une voix, une voix bien connue, une voix abominable, la voix de Fantômas !


Juve avait sérieusement questionné Fandor pour le contraindre à préciser ce qu’il appelait une bizarre impression.

– Oui ou non, demandait le policier, as-tu entendu ou n’as-tu pas entendu ?

Mais, en dépit de la netteté d’esprit et du parfait sang-froid dont Fandor faisait preuve à l’ordinaire, le journaliste ne savait que répondre à son bouillant ami.

– Dame… je n’ose rien affirmer… déclarait piteusement Fandor. Dans le vacarme que fait le train en roulant, vous comprenez bien, Juve, que j’ai parfaitement pu me tromper… Il m’a semblé entendre, j’ai cru reconnaître, voilà tout ce que je peux dire…

Et, logique avec lui-même, Fandor concluait :

– Mais, bien entendu, je me suis trompé, cela ne peut pas faire de doute, puisque Fantômas vient de commettre un vol à Bruxelles, fichtre de nom d’un chien, il y a gros à parier qu’il ne se trouve pas dans un train qui va d’Amsterdam à Bruxelles. Pourquoi diable serait-il revenu en Hollande ?

Les explications de Fandor étaient évidemment plausibles, et le journaliste avait raison de douter. Il eut toutefois tenu un tout autre langage s’il avait pu apprendre que le crime de Bruxelles commis par Fantômas n’était en réalité qu’une ruse du bandit, s’il avait pu seulement se douter qu’il y avait, dans ce même wagon où il se trouvait, une vieille femme étrange qui, quelques instants plus tard, devait, à une station, rencontrer un de ses amis !

Juve et Fandor raisonnaient en tout cas à perte de vue sur ce que le journaliste finissait par appeler une hallucination. Juve, de son côté, assez troublé, ne voulait pas inquiéter Fandor.

– Tu t’es trompé, concluait donc le policier… Comme tu dis, tu as cru entendre, alors qu’en réalité tu n’as rien entendu…

À cela, Juve ajoutait qu’il importait néanmoins de faire bonne garde, de prêter attention aux plus petits incidents, et les deux hommes se séparaient, convenant à nouveau de se rencontrer dans ce même cabinet de toilette du wagon, deux heures plus tard, c’est-à-dire, étant donné les renseignements de l’indicateur, quelques instants avant que le rapide n’entrât en gare d’Anvers.

Là-dessus, Juve et Fandor regagnaient chacun leur compartiment. Toutefois, Juve, par acquit de conscience, se promenait quelques instants dans les couloirs du train. Il jetait alors de curieux regards à l’intérieur des compartiments, mais il ne remarquait rien d’anormal, et bientôt il regagnait sa place, plus que jamais persuadé que Fandor s’était trompé.

Tel devait bien être aussi le sentiment du journaliste lorsque, deux heures plus tard, il revenait à nouveau rencontrer Juve au lavabo du wagon.

– Eh bien ? interrogeait le policier.

Fandor, cette fois, confessait :

– Rien, Juve, rien du tout ; je me suis fichu le doigt dans l’œil tout à l’heure, voilà tout.

Les deux amis causaient alors quelques instants, puis soudain tressaillaient, car le train, bloquant ses freins, ralentissait progressivement, signe indiscutable de la proximité d’une station.

– C’est Anvers, annonça Juve.

– Tant mieux, répliqua Fandor. Il y a quelques minutes d’arrêt, j’en profiterai pour aller chercher des allumettes au buffet.

Comme le train s’arrêtait en effet, comme les wagons s’emplissaient des allées et venues affairées des voyageurs quittant le train ou venant au contraire y prendre place, Jérôme Fandor sautait sur le quai.

– Un instant, avait-il dit à Juve, je reviens tout de suite, et, ma foi, je crois bien qu’en l’absence de tout danger précis, de tout signe suspect, nous pourrons maintenant, jusqu’à Bruxelles, voyager ensemble.

Juve n’avait pas dit non, et Fandor, tout heureux à la pensée que son ami allait se laisser convaincre et ne pas lui imposer l’ennui d’un voyage solitaire en face de compagnons inconnus, se dirigeait vers le buffet.

L’arrivée du rapide d’Amsterdam occasionnait naturellement dans la gare d’Anvers un grand remue-ménage. Fandor devait donc jouer des coudes pour se frayer un passage, et même entamer presque une lutte à coups de poing pour obtenir d’une buraliste surmenée la boîte d’allumettes tisons dont le fumeur qu’il était éprouvait un ardent besoin. Fandor, toutefois, était homme à savoir se faire servir ; il finissait, parmi les protestations indignées, par obtenir les allumettes sollicitées, et il revenait vers son wagon, prêt à y prendre place.

Or, à l’instant même où Jérôme Fandor s’apprêtait ainsi à rejoindre Juve, le journaliste, qui venait d’acheter des allumettes, éprouvait par un instinctif besoin, le désir de griller une cigarette. Il en choisissait une dans son écrin, la portait à ses lèvres, puis, craquait un tison.

Mais comme il approchait le brandon incandescent du tabac, Jérôme Fandor sentit qu’une main se posait légèrement sur son épaule.

– Après vous, monsieur, s’il vous plaît ?

Quelqu’un, évidemment, lui demandait du feu, Jérôme Fandor, poliment, et par un geste tout naturel, au lieu d’allumer sa propre cigarette, offrit son allumette au solliciteur.

– Faites donc, prenez, monsieur !

Hélas, le journaliste n’avait pas articulé ces mots qu’une stupeur folle le clouait sur place, cependant qu’il avait grand peine à ne point crier d’émotion.

Il y avait d’ailleurs bien de quoi !

L’allumette enflammée qu’il tendait avait été prise tranquillement par le personnage qui venait de l’aborder. Ce fumeur s’en servait le plus posément du monde pour allumer un gros cigare…

Et ce fumeur, ce fumeur que Jérôme Fandor venait d’obliger, ce fumeur qu’il voyait en face de lui, à moins d’un pas de sa poitrine, à portée de sa main, ce fumeur qui le regardait ironiquement, qui le narguait d’un sourire de défi, voilà que Jérôme Fandor, à l’improviste, en levant la tête, en l’apercevant, le reconnaissait !

Ah ! certes, la vision qu’avait alors le journaliste tenait du prodige, de l’impossible, du cauchemar…

L’homme qui était devant lui était bien celui-là que Jérôme Fandor pouvait le moins s’attendre à rencontrer ainsi…

Ce fut dans un râle, dans un bégaiement indistinct que Jérôme Fandor le nomma ; le journaliste dit :

– Fantômas !…

Et c’était bien, en réalité, Fantômas, Fantômas qui, après avoir, en compagnie de Ma Pomme, quitté son costume de vieille femme, avait eu l’audace de descendre en gare d’Anvers, de suivre Jérôme Fandor et, tranquillement, posément, de lui demander du feu !

La scène, toutefois, ne s’éternisait pas. Jérôme Fandor pouvait à la rigueur, et pendant de très courtes minutes, être victime d’une surprise ; il n’était pas homme toutefois à ne point retrouver rapidement son sang-froid. De fait, à peine avait-il identifié le bandit que Jérôme Fandor, comme un fou, comme un furieux, se jetait en avant.

– Ah ! Fantômas, grondait-il, tu ne m’échapperas pas toujours…

Fantômas cependant avait parfaitement prévu le mouvement de Jérôme Fandor. À l’instant où le journaliste s’élançait en avant, il se jetait donc de côté, faisant rapidement quelques pas, tournant autour d’un amoncellement de malles qui venait d’être déchargé d’un des fourgons du train.

La poursuite toutefois ne pouvait sans doute pas être longue.

Fatalement, les deux hommes devaient au bout de quelques instants se trouver face à face. Qui triompherait alors, de ces deux ennemis acharnés ? Qui donc aurait la victoire, la victoire définitive du courageux Jérôme Fandor ou du terrifiant Fantômas ?

Cette courte scène toutefois avait occupé quelques minutes. Tandis qu’elle se déroulait, Juve, resté dans son wagon, debout à l’entrée du couloir, s’impatientait et pestait contre Fandor.

– L’animal ! maugréait le policier. Il lui en faut, un temps, pour acheter des allumettes. Que diable, il va manquer le train…

Une cloche, en effet, venait de sonner ; des hommes d’équipe, déjà longeaient le convoi, criant de toutes leurs forces avec l’inimitable accent belge :

– Les voyageurs pour Bruxelles, en voiture ! en voiture s’il vous plaît. Savez-vous !

Déjà les portières claquaient, le quai devenait désert, Juve n’apercevait toujours pas son ami.

– Sûrement, pesta encore le policier, il est en train de plaisanter quelque part, l’imbécile…

Juve, machinalement, voulut descendre en bas du marchepied, mais un homme d’équipe le repoussa.

– Trop tard, monsieur, en voiture !

Alors Juve s’énerva de plus en plus.

– Fichtre de fichtre, pensa-t-il. Que faire ?

Il songea brusquement que Fandor, peut-être, ne retrouvait plus son wagon. Pour le guider, Juve l’appela à haute voix.

– Fandor, ohé, Fandor, par ici…

Mais nul ne lui répondait, et le chef de train, à cet instant donnait le signal du départ.

– Ça, par exemple, pesta Juve, c’est stupide : il rate le train…

Fandor, en effet, n’apparaissait pas, et le convoi démarrait…

Perdant tout espoir de voir son ami, s’accrochant au marchepied, car déjà les wagons roulaient à bonne allure, Juve, alors, remontait dans le wagon, et, furieux, longeait le couloir.

– Pourvu qu’il ne lui soit rien arrivé, pensait-il.

Puis Juve eut un nouvel espoir.

– Parbleu, je ne suis qu’un imbécile. Fandor est peut-être monté en tête du train ; j’imagine que je vais le rencontrer dans le couloir, venant à ma rencontre.

L’hypothèse était plausible. Il était en effet très possible que Fandor, surpris par le départ du convoi, eût grimpé dans n’importe quel wagon, se réservant de regagner son compartiment, en suivant le couloir des voitures.

Rapidement, Juve remonta jusqu’au fourgon, mais il n’aperçut personne.

Cette constatation, naturellement, mettait le comble à sa mauvaise humeur.

– Le maudit étourdi, grommelait-il. Cette fois, cela passe les bornes. Quand il me rejoindra, je ne lui mâcherai pas ses vérités !…

Juve, toujours grommelant, rebroussait chemin cependant. Il avait été de son compartiment à la tête du train, et il lui restait tout juste l’espoir que Fandor fût monté, tout au contraire, dans les wagons qui se trouvaient entre ce compartiment et la queue du convoi.

– Dans ce cas, estima Juve, il doit être revenu à notre compartiment. Allons voir…

Bousculant les voyageurs, car il était fort nerveux. Enjambant les colis qui encombraient, ainsi que d’ordinaire, l’étroit passage, Juve parcourut le train en son entier, espérant encore un peu, malgré tout, qu’il allait retrouver Fandor.

D’ailleurs, dans sa hâte, et dans son énervement, quoique ce fût une imprudence, Juve appelait le jeune homme :

– Fandor, criait-il. Fandor…

Or, comme Juve longeait les compartiments de première classe et pensait n’avoir pas encore atteint celui dans lequel était installé pendant le commencement du trajet Jérôme Fandor, le policier éprouvait une surprise qui, certes, n’était comparable qu’à celle qu’avait connue le journaliste lorsqu’il s’était trouvé à l’improviste en face de Fantômas, sur les quais de la gare d’Anvers.

Juve venait, en effet, tout juste de crier à haute voix :

– Fandor…

Personne n’avait répondu. Or, dans le compartiment que Juve longeait, qui apercevait-il d’abord, tranquillement occupé à fumer un cigare ? Jérôme Fandor en personne !

Juve, à cette vue, eut réellement un mouvement de colère.

– Ah ça, par exemple, pensait l’excellent policier, c’est un peu fort ! mais voilà une plaisanterie que je n’admets pas… Fandor me laisse le chercher comme un imbécile ; que diable, il aurait bien pu me répondre !

Et Juve, entraîné par son accès de mauvaise humeur, allait se précipiter vers le journaliste et lui adresser de virulents reproches, lorsque, tout au contraire, il s’arrêtait net, surpris.

Jérôme Fandor, bien qu’ayant l’air de fumer avec rage, gardait les yeux clos et ne bougeait pas. Il y avait évidemment dans son attitude quelque chose de voulu, d’étrange, de systématique.

Juve, qui connaissait à merveille Fandor pour être remuant au possible, ne pouvait, sur ce point, garder le moindre doute. Si Fandor était ainsi immobile, s’il ne tournait même pas la tête, si, pour tout dire, il continuait sa plaisanterie et ne souriait pas à Juve, c’était évidemment qu’il avait un grave motif pour agir ainsi.

Quel était ce motif pourtant ?

Juve, bien évidemment, ne pouvait l’imaginer. Toutefois, il était trop homme de sang-froid pour hésiter sur le parti à prendre.

– Bon, se dit Juve en lui-même. C’est moi qui suis un imbécile, et j’ai eu tort de l’accuser. Il se passe quelque chose d’extraordinaire, j’en mettrais ma main au feu ; Fandor enquête sur quelque chose ou du moins surveille quelqu’un !

Debout dans le couloir du wagon, se tenant à la main courante pour résister aux secousses occasionnées par la marche rapide du train, Juve inspecta le wagon dans lequel se trouvait le journaliste.

Juve, toutefois, avait quelque peine à passer ainsi une inspection sérieuse et détaillée. Le wagon, en effet, était plongé dans la pénombre, car le soir venait, et de plus, l’un des voyageurs, précisément situé en face de Fandor, avait tiré, pour s’accoter confortablement, le rideau de la fenêtre.

La demi-obscurité qui régnait ainsi dans l’étroit petit compartiment était telle que Juve pouvait tout juste apercevoir son ami sans avoir aucune facilité pour distinguer l’expression de ses traits.

– Qui diable observe-t-il ? pensa Juve.

Et, lentement, le policier, tâchant de ne pas être remarqué, considéra les voyageurs qui entouraient Fandor.

Outre le voisin du journaliste, un homme d’une quarantaine d’années qui somnolait paisiblement, la bouche ouverte et prêt à ronfler, il n’y avait pas grand monde dans son compartiment. Il s’y trouvait tout juste, en effet, une vieille dame qui s’occupait fort d’une petite fille, laquelle semblait franchement insupportable, et, enfin, un autre monsieur à l’apparence fort correcte, qui fumait, lui aussi, les yeux au plafond, suivant les zig-zags que dessinaient ses bouffées de tabac.

Juve vit tout cela en un clin d’œil, et dut s’avouer qu’il ne notait rien parmi les habitants du compartiment, qui lui parût digne de remarque.

– Ma parole, grogna le policier… que diable surveille donc Fandor ?

À nouveau, le journaliste fixa son ami. Fandor, toutefois, ne bougeait pas ; il gardait sa même pose de nonchalance, le cigare aux lèvres, les yeux clos, la tête renversée en arrière.

Juve alors s’impatienta.

– Fichtre de bonsoir, je n’y comprends rien ! jura-t-il encore.

Et, comme il était sincère avec lui-même, Juve se déclara brutalement :

– Décidément, je vieillis, et Fandor devient plus fort que moi… Où je ne trouve rien de suspect, il voit évidemment quelque chose de très intéressant, de remarquablement intéressant !

Juve ne pouvait pas, en effet, se tromper sur l’intérêt que Jérôme Fandor portait à la surveillance qu’il devait effectuer. Il ne pouvait pas s’y tromper, pour une très bonne raison qui était tout simplement que Fandor, quoique fumeur enragé, paraissait oublier complètement qu’il fumait. Le jeune homme, en effet, ne tirait pas une seule bouffée de son cigare qui se consumait lentement.

C’était évidemment là l’indice certain d’une extrême préoccupation, et cela n’échappait pas à Juve.

Il fallait toutefois sortir d’une inquiétude qui grandissait pour le policier, de minute en minute.

– Quelque chose se passe que je ne comprends pas ! disait Juve. Je connais trop Fandor pour hésiter, le cas échéant, à lui prêter main forte. Il ne veut pas me reconnaître, donc, c’est qu’il veut éviter le scandale, mais, ma foi cela n’est pas une raison pour ne pas me mettre à sa disposition ?

Un instant plus tard, Juve avait été chercher dans le compartiment qu’il occupait jusqu’à Anvers, c’est-à-dire le compartiment qui voisinait avec celui des dames seules, la valise et la couverture de voyage qui composaient le plus clair de son bagage. Juve alors revenait tranquillement, affectant un air naturel, dans le couloir du wagon. Il imitait les gestes d’un voyageur à la recherche d’une bonne place, et, finalement, se glissait dans le compartiment de Fandor, prenant place sur la banquette qui faisait face au journaliste.

Nul ne paraissait faire attention au policier ; c’était tout juste si la grosse dame enjoignait, d’un ton sévère, à la petite fille de rester un peu tranquille, et de ne pas marcher sur les pieds du monsieur…

Juve, d’ailleurs, à peine installé, glissait un coup d’œil furtif dans la direction de Fandor.

Juve, en ce moment, s’applaudissait très fort de son stratagème.

– Me voici dans la place, pensait-il, tout en clignant de l’œil dans la direction de Jérôme Fandor. Je ne sais pas ce que je suis venu faire dans ce compartiment, mais, évidemment, je ne vais pas tarder à l’apprendre !

Avec un peu de fatuité, même, Juve se disait encore :

– Et j’imagine que Fandor ne doit pas être autrement fâché de me voir ainsi près de lui…

Si Jérôme Fandor était satisfait d’avoir vu entrer Juve dans son compartiment, le journaliste cependant cachait à merveille sa préoccupation. Juve devait se l’avouer bientôt.

Fandor, en effet, gardait toujours son immobilité profonde, et ne tournait même point la tête dans la direction de Juve, qui, de plus en plus, ne comprenait rien à l’attitude impassible de son ami.

Quelle était donc au juste la cause de l’attitude de Fandor, comment s’était donc terminée la lutte qui, fatalement avait mis aux prises le mari et le soi-disant père d’Hélène dans la gare d’Anvers ?

Longtemps, tout d’abord, aucun des personnages tragiques qui devaient se trouver réunis dans le wagon où Juve venait prendre place ne faisaient ou ne tentaient quoi que ce soit de remarquable.

Imitant, en effet, l’attitude ultra-prudente de Fandor, Juve avait de son côté fermé les yeux, se penchant en arrière, prenant la position d’un homme qui s’apprête à dormir. Juve, toutefois, bien entendu, était loin d’avoir sommeil. Il continuait donc à observer Fandor, et, petit à petit, son étonnement se changeait en une stupeur anxieuse…

Que croire et que penser ?… Juve se le demandait avec une impatience qui grandissait d’instants en instants. Il avait beau regarder, en effet, avec la plus grande attention, chacun de ses compagnons de route, Juve ne leur découvrait toujours aucun caractère étrange, aucun détail suspect.

D’autre part, l’attitude de Fandor, ou pour tout dire le maintien du journaliste devenait de plus en plus stupéfiant, de plus en plus inconcevable.

Juve, au fur et à mesure que le temps passait, s’énervait davantage. Comme il y avait près de vingt minutes qu’il avait pris place dans le compartiment du journaliste, il dut s’avouer qu’il était incapable de rester plus longtemps impassible.

– Fichtre de nom d’un chien, se disait Juve, c’est à croire que j’ai le cauchemar. Ma foi, tant pis, je vais tenter le tout pour le tout ! Je vais adresser la parole à Fandor, sans avoir l’air de le connaître, et tout simplement sous le prétexte de lui demander un renseignement sur l’horaire !

Juve décidait cela, en vérité, mais ne le faisait pas.

– Peut-être vais-je tout gâter ? pensait-il encore.

Et Juve, soudain, prenait une décision :

– Je parlerai, se déclarait-il, à l’instant où Fandor aura terminé son cigare. Forcément alors, pour ne pas se brûler les lèvres, il devra bouger, je saisirai l’occasion…

Cette résolution prise, Juve, malgré lui, ne perdait plus de vue le cigare allumé du journaliste. Ce cigare, sur lequel Fandor ne tirait point, se consumait lentement. Toutefois, il était aux trois quarts brûlé ; Juve n’avait donc plus bien longtemps à attendre…

Or, quelques instants plus tard, par le jeu naturel des événements, Juve était tout naturellement conduit à formuler une hypothèse à laquelle il n’avait pas encore songé.

Il arrivait, en effet, que le cigare se consumait si bien que la moustache de Fandor commençait à roussir.

Le journaliste, pourtant, ne se réveillait pas !

Juve alors, brusquement, songea :

– Mais, bougre de nom d’un chien, je suis le dernier des imbéciles, parbleu ! j’ai cru que Fandor jouait la comédie, or, il ne la joue pas du tout, il dort… il dort pour de bon, il ne s’aperçoit pas seulement qu’il roussit sa moustache !

Et dans un éclair de pensée, Juve se rappelait que Fandor, à la suite des événements tragiques survenus à Amsterdam, avait passé quatre nuits blanches et qu’en conséquence il était à la rigueur admissible que le jeune homme ait été terrassé par le sommeil.

Juve, en un instant, fut soulagé alors de toute son inquiétude. Il ne pouvait pas, toutefois, laisser ainsi Fandor roussir sa moustache, une moustache dont il était fier, sans le réveiller. Le cigare se consumait toujours d’ailleurs et probablement collé à ses lèvres, risquait de le brûler atrocement.

Juve, tout souriant, point inquiet, se leva donc. Il s’excusait de déranger la grosse dame pour aller dire deux mots à son ami :


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