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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
  • Текст добавлен: 5 октября 2016, 23:56

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Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Chapitre V


Policiers prudents

– La première rue après avoir traversé le boulevard Anspach… la première rue il n’y a pas à s’y tromper, c’est celle-ci. On m’a dit encore : « Vous apercevrez une lanterne verte portant un écriteau Poste de police ». Cherchons la lanterne verte !

L’homme qui monologuait ainsi, marchant à grands pas sur les boulevards de Bruxelles était un individu fort correctement habillé d’un grand pardessus noir, d’un chapeau melon, de souliers vernis. Il tenait de la main droite une canne à pomme d’or, et serrait sous son bras gauche une serviette d’avocat, que maintenait fermée, par surcroît de précaution, semblait-il, une épaisse sangle d’étoffe.

Ce personnage pouvait avoir une trentaine d’années, il paraissait fort comme il faut, et tout, dans son attitude, révélait l’homme bien élevé qui occupe un certain rang social et n’hésite point, le cas échéant, à se considérer lui-même comme un personnage !

Ce personnage, toutefois, par moment, fronçait les sourcils, et sa mine alors devenait préoccupée.

– Pourvu que je réussisse, murmurait-il, pourvu que l’on m’écoute…

Il s’était orienté, suivant évidemment les indications qu’on lui avait fournies quelques minutes avant ; il avait, quittant le boulevard Anspach, tourné dans une rue voisine et, désormais traversant la chaussée, il se dirigeait vers un immeuble d’assez modeste apparence, dont le rez-de-chaussée était occupé par une grande boutique aux fenêtres grillagées que surmontait une grande inscription : Poste de police.

– Voici mon affaire, murmura l’inconnu.

Quelques instants plus tard, il abordait avec aisance l’un des deux gardiens de la paix qui, en la capitale belge, imitant à merveille les mœurs parisiennes, stationnaient sur le seuil en qualité de factionnaires :

– Les bureaux du commissariat ?

L’inconnu avait légèrement salué le gardien de la paix qui répondit, en touchant son képi :

– À quel sujet, savez-vous ?

Un sourire plissa les lèvres du questionneur, qui, très évidemment, s’amusait de la pittoresque tournure de ce français belge que l’on parle communément à Bruxelles, qui s’en amusait d’autant plus qu’il n’était certainement pas Belge lui-même, qu’il devait être tout au contraire Parisien et même Parisien averti, ainsi que cela se devinait à sa tournure, à sa démarche.

L’inconnu répliqua :

– Je désirerais entretenir personnellement M. le commissaire de police.

L’agent salua encore, évidemment impressionné par l’autorité du questionneur, qui prétendait ainsi, de prime abord, obtenir audience du grand magistrat qu’était le commissaire de police aux yeux de son subordonné.

– Pour une fois alors, répondit l’agent, il faut monter l’escalier qui colimaçonne, certes oui, sais-tu ?

L’étranger sourit encore, amusé de ce parler belge, puis remercia.

– À votre disposition, fit l’agent.

Les deux factionnaires recommençaient leur monotone promenade devant le poste de police, l’homme grimpait un petit escalier étroit et tortueux, un escalier en colimaçon, ainsi qu’on dit en français, un escalier qui colimaçonne, ainsi que le disent avec une exactitude d’expression parfaite, les Belges, nos voisins.

Sur le palier du premier étage, le personnage trouva un huissier qui, sans lever la tête, le regardant par-dessus ses lunettes, l’interrogea brusquement d’un ton rogue :

– Que voulez-vous ?

– Pourrais-je parler à M. le commissaire de police ?

Il y avait malheureusement entre l’huissier et le gardien de la paix la différence profonde qui sépare toujours un homme ordinaire d’un fonctionnaire de l’État. Le gardien de la paix avait été aimable, et l’huissier, qui n’était d’ailleurs qu’un simple garçon de bureau pompeusement titré, suivant la mode belge, fut bourru.

– On ne dérange pas le commissaire, savez-vous ?

À quel sujet voulez-vous le voir ?

– Pour affaire urgente et grave.

Si l’huissier se faisait désagréable, le personnage se faisait indifférent à sa brusquerie calculée. Il parlait en homme qui est sûr de son fait, son ton n’admettait guère la discussion.

L’huissier sentit la menace, eut un instant l’idée de se révolter, mais n’osa pas.

– Vous avez une carte ?

– Voici.

L’inconnu avait tiré son portefeuille, il tendait un bristol, dont l’huissier, d’un geste machinal, vérifiait impoliment la gravure en passant son pouce sur le nom. Le serviteur épela les titres et qualités du questionneur.

– Vous êtes M. Jussieu, courtier en parfumerie ?

L’étranger s’inclina sans répondre.

– Attendez, je vais voir…

L’huissier se levait pesamment, en homme que l’on arrache à une béate torpeur, s’en allait frapper à une porte, pénétrait dans un bureau voisin. Quelques secondes plus tard il réapparaissait, annonçant :

– M. le commissaire veut bien vous recevoir, entrez…

Un instant plus tard, le personnage qui insistait de la sorte pour parler au commissaire de police, se trouvait dans le cabinet même du magistrat, en face d’un personnage d’une quarantaine d’années, à l’air assez infatué de lui-même, aux gestes brusques, au ton cassant.

– Vous désirez ? s’informait-il.

Le courtier en parfumerie, qui avait salué et demeurait découvert, ne paraissait nullement surpris et moins ému encore de la façon un peu sèche dont on lui adressait la parole. Il prenait une chaise sans qu’on l’y invitât, et posément déclarait :

– Monsieur le commissaire, je vous demande pardon de venir ainsi vous importuner, mais il s’agit d’une affaire grave.

– Laquelle ? interrompit le magistrat.

– Je m’en vais vous l’exposer, continua M. Jussieu. Mais, auparavant, permettez-moi de me présenter. La carte que je vous ai fait tenir vous a appris mon nom et mes qualités ; j’ajouterai, afin que vous soyez renseigné complètement sur mon identité, que je suis en réalité, non pas un simple courtier en parfumerie, mais bien le principal fondé de pouvoir d’une des grosses maisons de la place parisienne.

Le commissaire de police, qui tout en écoutant son visiteur, jouait nerveusement avec un coupe-papier, en homme qui tient à bien marquer qu’on l’importune, interrompit brièvement pour questionner :

– Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse ?… Après ?

M. Jussieu eut un sourire ironique.

– Monsieur le commissaire, ripostait-il, tout cela fait énormément, et vous allez précisément voir, par les détails que je m’en vais vous communiquer, qu’il était nécessaire que vous connaissiez ces choses. Je poursuis donc…

M. Jussieu faisait une petite pose pour tousser, puis continuait en effet d’un ton fort calme :

– Fondé de pouvoir d’une grosse maison, je suis actuellement de passage à Bruxelles pour effectuer des encaissements pour le compte de mes patrons. J’ai touché hier une somme de trente mille francs, ce matin j’ai fait un encaissement de dix mille francs, et cet après-midi…

– C’est bon, coupa court encore le commissaire. Je vois votre affaire. On vous a dépouillé de ces fonds, n’est-ce pas ? Vous venez d’être volé, et vous accourez porter plainte ?

– Pas du tout ! trancha nettement M. Jussieu.

Et comme le commissaire de police, surpris du ton décidé de son interlocuteur, était bien obligé de s’arrêter dans ses suppositions, M. Jussieu reprenait :

– Je n’ai nullement été dépouillé des fonds que j’ai encaissés, et la preuve en est, monsieur le commissaire, que j’ai précisément dans cette serviette, ainsi que vous pouvez vous en assurer, les trente billets de mille francs qui représentent le montant de mes encaissements.

Tout en parlant, le courtier en parfumerie avait en effet ouvert sa serviette, il présentait au magistrat une liasse de billets de banque que celui-ci ne s’attendait évidemment pas à apercevoir.

– Alors, interrogea encore le commissaire, si vous ne vous plaignez pas d’un vol, de quoi vous plaignez-vous ?

M. Jussieu, à cet instant, rebouclait soigneusement la sangle qui fermait sa serviette.

– Voici, expliqua-t-il. Je ne me plains pas d’avoir été volé, je me plains parce que je vais être volé.

– Hein !… vous dites ?…

Le commissaire de police, en écoutant cette extraordinaire déclaration, avait naturellement sursauté. M. Jussieu, tout au contraire, demeurait impassible. Le courtier en parfumerie continua :

– Je vois, monsieur le commissaire de police, que mes déclarations vous surprennent. Elles sont cependant nettes et claires, et j’ajoute qu’elles sont conformes à la vérité. Je n’ai pas encore été volé, mais je vais l’être. C’est pourquoi je m’adresse à vous.

Or, M. Jussieu eût parlé chinois, arabe ou japonais, que le magistrat, peut-être, n’eût pas moins bien compris ses affirmations.

– Expliquez-vous ? demanda-t-il.

– Je ne fais que cela, répliqua le courtier. Les explications que j’ai à vous fournir sont d’ailleurs très brèves. Elles se résument en ceci : quelqu’un, monsieur le commissaire de police, quelqu’un que je ne connais pas, mais dont je connais le nom, hélas, au même titre que tout un chacun, quelqu’un qui n’est autre que Fantômas, pour tout dire, va me voler et…

Le commissaire de police interrompit encore :

– Fantômas va vous voler… répétait-il d’un ton d’incrédulité profonde. Ah ! ça, que me chantez-vous là ?

M. Jussieu à ce moment ne cacha point qu’il éprouvait quelque impatience de ces continuelles interruptions.

– Je ne chante rien, fit-il assez sèchement. Je m’adresse à un magistrat, et je parle sérieusement !

Ce petit avertissement donné, le courtier en parfumerie continuait en effet :

– Fantômas a dû savoir très évidemment que je me rendais à Bruxelles pour toucher des fonds. Il l’a su, puisqu’il me l’a écrit, et il se propose de me voler.

M. Jussieu, une fois encore, dut écouter une observation du commissaire de police.

– Fantômas vous a écrit ?… protestait le magistrat. Vous vous moquez de moi ?…

– Monsieur le commissaire, je ne me le permettrais pas, d’ailleurs voici la lettre…

Le courtier en parfumerie avait sorti de sa poche une enveloppe dont il tirait une lettre qu’il offrait au commissaire. Celui-ci, ébahi, lut à haute voix :


Monsieur,

J’ai appris que vous alliez toucher une somme de quarante mille francs. J’ai moi-même besoin d’argent, je vous propose donc une entente : versez-moi vingt mille francs immédiatement ou je vous tue et vole la totalité des fonds. Si nous sommes d’accord, laissez de la lumière dans votre chambre toute cette nuit, je m’arrangerai pour vous faire savoir où et quand je vous ferai présenter ma quittance.

Croyez-moi tout à vos ordres,

Fantômas


– C’est inimaginable ! bégayait le commissaire de police.

M. Jussieu répéta :

– C’est inimaginable, mais c’est réel.

À ce moment, le commissaire de police toisa son visiteur avec une certaine admiration.

– Et alors, demanda-t-il, qu’avez-vous fait ? Vous n’avez pas eu trop peur ?

Mais à cette question, M. Jussieu se contentait de répondre par un discret haussement d’épaules :

– Je ne suis pas homme à m’effrayer facilement, murmurait-il. Et d’ailleurs, le danger n’était pas immédiat. Je n’ai naturellement pas allumé ma lampe, mais, ainsi que vous le voyez, dès ce matin, j’ai pris les fonds dont je disposais et je suis venu vous demander aide et protection.

M. Jussieu parlait d’un ton calme, et pensait bien à ce moment ne rien dire d’extraordinaire. Or, le commissaire de police, en apprenant ses intentions, sursautait plus fort encore.

– Hein ! demandait-il, vous êtes venu me demander aide et protection ? Mais, sapristi, vous ne savez pas ce que vous dites, alors ? Croyez-vous donc que je sois chargé de protéger tout le monde, moi ?…

À cette virulente apostrophe, ce fut au tour du courtier en parfumerie d’être plutôt étonné.

– Dame, riposta-t-il tranquillement. Je croyais que vos fonctions…

Mais le commissaire de police se faisait net et catégorique :

– Mes fonctions sont bien définies, dit-il, et je n’entends pas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mon rôle, monsieur, est de m’occuper des crimes et des délits ; quand vous aurez été volé, venez me trouver, et je vous écouterai. Jusque-là, je ne peux rien pour vous !

À cette extraordinaire déclaration, cependant, le courtier en parfumerie se récriait :

– En vérité, vous n’y songez pas, disait-il. Et si je suis assassiné, moi ?

Mais le commissaire de police haussait les épaules avec indifférence :

– Tant pis pour vous, faisait-il. Je n’y peux rien. Quand vous serez assassiné, je m’occuperai de vous. Comment voulez-vous que j’en sorte si je me mets à m’occuper des crimes et des délits qui n’ont même pas reçu un commencement d’exécution ?

– Le cas est pourtant exceptionnel ?

Le malheureux courtier en parfumerie insistait, légèrement ému, désormais, semblait-il, mais le commissaire de police s’entêtait :

– Il n’y a pas de cas exceptionnel ! déclarait-il. Prenez vos précautions, méfiez-vous, soyez prudent, c’est tout ce que je peux vous dire. D’ailleurs, c’est la loi. Je ne connais que cela !

C’était simple et net, monsieur Jussieu s’emporta :

– Si c’est la loi, déclara-t-il, la loi est stupide !

– C’est possible, dit le commissaire de police, véhément à son tour, mais vous avez le droit de le penser, et pas celui de le dire !

Les choses se gâtaient, évidemment. Le courtier en parfumerie en eut l’intuition.

– Soit, dit-il, coupant court à un entretien qui semblait devoir mal finir. Si je ne puis être protégé par vous, monsieur, je m’adresserai en plus haut lieu…

– Adressez-vous au pape, si bon vous semble !

Il parut un instant que le courtier en parfumerie allait se jeter sur le commissaire de police, et lui infliger la verte leçon qu’il méritait, mais il sut, heureusement pour lui, se contenir.

– Votre serviteur, dit-il.

Et sur un très bref salut, l’encaisseur s’éloigna.

Il entendait d’ailleurs, cependant qu’il descendait l’escalier qui devait le ramener à la rue, le commissaire de police s’emporter furieusement.

– Qu’est-ce que c’est que cette histoire-là ? murmurait le magistrat. Les gens viennent se plaindre d’avance, maintenant… En voilà un imbécile ! Plus souvent, d’ailleurs, que je m’exposerais à lutter contre Fantômas… Fantômas est bien plus fort que moi, cela me ferait une sale histoire sur les bras !

À cette diatribe, toutefois, le courtier en parfumerie ne prêtait guère attention. Il était pâle, et c’était d’un geste nerveux qu’il pressait contre son sein sa serviette où reposaient les billets de banque exposés au désir de Fantômas.

– C’est insensé, murmurait-il. Vraiment, c’est une jolie chose que la police…

Il hésitait un instant sur le seuil du poste de police, puis hélait un fiacre qui maraudait :

– Au Palais de Justice, cocher !

Une heure plus tard, le courtier en parfumerie se trouvait en face du procureur général, près le tribunal de Bruxelles.

L’accueil différait évidemment.

Le magistrat avait des procédés de politesse et de courtoisie qui ignorait la brutalité d’un commissaire de police. Toutefois, ce procureur général prêtait la plus grande attention aux déclarations du courtier en parfumerie, mais il n’accueillait guère plus favorablement sa demande.

– Monsieur, déclarait-il avec un grand calme, et cela précisément en présence d’un jeune substitut, fils d’un député influent, je ne puis rien pour vous. La lettre que vous avez reçue constitue, il est vrai, une tentative de chantage, mais vous n’avez pas l’intention, je pense, d’intenter un procès à Fantômas ?… Ce que vous voudriez, n’est-ce pas, c’est que l’on mit à votre disposition deux agents de police pour vous protéger ? C’est cela, n’est-ce pas ?

– Oui, monsieur, dit le courtier dont la voix s’altérait.

– Eh bien, affirmait le magistrat, cela m’est totalement impossible. Cela ne peut être accordé, comme vous l’a fort bien dit le commissaire de police que vous avez vu, qu’au cas où il y a eu commencement d’exécution. Supposez, en effet, que vous soyez simplement victime d’une fumisterie ?

– Pardon, interrompit le courtier. Mais supposez que ce ne soit pas une fumisterie ?…

Or, le procureur général trouvait à cela une réponse qui devait laisser son visiteur désemparé :

– Évidemment, déclarait-il, c’est un risque à courir !

Et il poussait doucement le courtier en parfumerie vers la porte de son cabinet qu’il lui ouvrait courtoisement afin de bien marquer que l’audience était terminée.

En quittant le cabinet du procureur général, le courtier en parfumerie, dès lors, ne savait plus guère de quel côté se diriger :

– C’est invraisemblable, grognait-il en s’éloignant, avec l’espoir évident d’être entendu du jeune substitut qui venait d’assister à sa conversation avec le procureur général. C’est invraisemblable ce que la police est mal faite !… Les honnêtes gens ne sont pas protégés. Oh ! mais cela ne se passera pas comme cela, je ferai du scandale !

Sur ces mots, le jeune substitut se rapprochait rapidement de lui :

– Et vous aurez raison, déclara-t-il. Laissez-moi vous donner ma carte. Je suis fils de député ; si par hasard un ennui vous arrivait, mon père porterait la question à la tribune !

Cela évidemment n’avançait pas beaucoup le courtier en parfumerie, qui, à un scandale politique, eût préféré, étant donné les circonstances, une protection efficace. Toutefois, il s’inclinait :

– Je vous remercie, monsieur, j’accepte volontiers votre offre, car il est inimaginable que quelqu’un qui se sait menacé comme moi ne puisse pas se faire protéger.

M. Jussieu s’était arrêté pour causer au substitut ; il allait s’éloigner lorsque celui-ci le rappela :

– À votre place, déclarait tranquillement le jeune homme, je m’adresserais à une agence de police privée.

– C’est exact, tressaillit le courtier. Vous avez une excellente idée, monsieur. Mais où trouver une adresse ?

– Oh, conseillait le substitut, dans le premier bottin venu !

Deux heures après ces diverses démarches, M. Jussieu, fort nerveux, fort émotionné semblait-il, se trouvait dans un petit bureau sobrement et presque pauvrement meublé, dans l’un des faubourgs de Bruxelles, en face d’un homme d’une trentaine d’années qui n’était autre que Job Tylor, directeur de l’agence de police G.D.H. « spécialité d’enquêtes, de recherches et de surveillances » ainsi que le disait le prospectus de ce détective privé.

Job Tylor avait une physionomie intelligente, semblait énergique et décidé. Il écoutait, amusé malgré lui, le récit mouvementé de M. Jussieu qui lui narrait les visites qu’il avait faites.

– Vous le voyez, déclarait le courtier en parfumerie, j’ai tout essayé pour émouvoir les sphères officielles, mais je me suis rendu compte qu’il n’y avait rien à espérer de ce côté. Je pense être plus heureux avec vous. Voulez-vous accepter, monsieur Job Tylor, de m’accompagner jusqu’à mon retour à Paris ?

Le détective n’avait garde, bien entendu, de refuser une affaire de si grande importance.

– Cela dépend des honoraires, murmurait-il.

Mais M. Jussieu, en vérité, était bien trop inquiet à ce moment pour ne point se montrer accommodant sur un pareil détail.

– Les honoraires, déclarait-il, seront ceux qu’il vous plaira de fixer, car je ne doute pas que vous ne soyez raisonnable.

Étant désormais d’accord, le détective privé interrogeait son client et se faisait raconter toute la genèse de l’affaire dont les péripéties promettaient d’être fort importantes.

– Vous ne connaissez pas Fantômas ? demandait-il.

– Nullement.

– Vous ne voyez point de quelle façon il a pu être mis au courant de vos affaires ?

– Je n’en ai pas la moindre idée.

– Vous ne prévoyez pas davantage où et quand il pourrait vous attaquer ?

– Non, soupira encore M. Jussieu.

Le détective eut un sourire de parfaite assurance.

– Eh bien, dit-il, j’en serai quitte pour être continuellement sur mes gardes.

Et Job Tylor ajoutait avec un sourire assez avantageux :

– Rassurez-vous, monsieur Jussieu, un homme averti en vaut deux, et un détective prévenu en vaut quatre. On ne vous volera pas, et il ne vous arrivera pas malheur.

Job Tylor était-il réellement aussi rassuré qu’il voulait bien le dire ? Exagérait-il, au contraire, la confiance qu’il avait en lui-même, et cela afin d’impressionner favorablement son client ?

L’explication de sa tranquillité était en réalité tout autre.

Job Tylor aimait passionnément son métier. C’était un énergique garçon qui vivait chichement d’une profession qui ne nourrit jamais largement son homme, et qui se passionnait depuis longtemps pour les aventures, célèbres dans le monde entier, du terrible Fantômas.

Job Tylor, dans le secret de son âme, rêvait d’être présenté à Juve, et désirait ardemment égaler les prouesses du célèbre policier.

Rien que cela eût été suffisant pour que Job Tylor accueillit avec enthousiasme le client particulièrement intéressant que représentait à ses yeux le courtier en parfumerie. Mais il était une raison surtout qui faisait que Job Tylor ne concevait en ce moment aucune émotion à l’idée d’avoir à se mesurer, peut-être même à entrer en lutte avec Fantômas : cette raison, c’était tout simplement que Job Tylor doutait fort que Fantômas fut réellement l’auteur des menaces qui avaient tant effrayé le courtier.

– Non, non, se disait-il. Fantômas n’a pas de ces procédés enfantins, il n’écrirait pas à l’une de ses victimes pour lui annoncer aimablement qu’il a l’intention de s’attaquer à elle… À coup sûr, cet excellent homme est tout simplement le jouet d’une plaisanterie de mauvais goût, cette lettre est le fait d’une blague de commis voyageur, il n’y a pas plus de Fantômas là-dedans qu’il n’y a d’intervention mystérieuse dans un tour de prestidigitation !

Partant de ce principe, Job Tylor, fort tranquillement, continuait à rassurer le courtier en parfumerie.

– C’est entendu, continuait-il, comme M. Jussieu persistait à lui fournir des détails qui ne l’intéressaient guère, en homme qui se félicite d’avoir enfin trouvé un auditeur complaisant. C’est entendu, cher monsieur. Vous avez quarante mille francs à sauvegarder, je vous garantis qu’on vous les sauvegardera, et je vous donne ma parole que vous les rapporterez à Paris !

Et pour donner plus de poids à ses paroles, Job Tylor ajoutait :

– D’ailleurs, à partir de maintenant, je ne vous quitterai pas d’un instant, je vous suivrai en marchant sur vos talons. Je serai armé, et par conséquent, vous le voyez, vous n’avez rien à craindre.

L’assurance de Job Tylor calmait naturellement les appréhensions du courtier en parfumerie qui, petit à petit, semblait se laisser gagner par le flegme tranquille du détective.

– Vous m’enlevez un poids de dessus la poitrine, déclarait-il avec une certaine rondeur. On a beau ne pas être un poltron, cela vous fait tout de même un certain effet, voyez-vous, de penser que Fantômas veut lutter contre vous. Ma parole, cher monsieur, je n’étais pas rassuré.

– C’est tout naturel, affirmait Job Tylor.

Le courtier en parfumerie reprit :

– Et même, je pense à quelque chose : parbleu, si Fantômas nous attaque, à nous deux, nous l’arrêterons, hein ? Une sensationnelle aventure, en vérité !

Job Tylor hochait la tête avec émotion :

– Fichtre, oui !

Puis le détective proposait :

– Mais vous avez sans doute des affaires à traiter, monsieur Jussieu ? Désormais, il n’y a plus aucun motif pour que vous ne vaquiez pas à vos occupations. Voulez-vous que je vous accompagne dès ce matin ?

– Vous êtes libre ?

– Assurément.

M. Jussieu se leva.

– En ce cas, je ne dis pas non, acceptait-il. Allons d’abord déjeuner, j’irai voir ensuite deux clients, et nous prendrons ce soir le rapide de Paris.

– C’est parfait, décida encore Job Tylor.

Le détective venait de mettre un peu d’ordre sur sa table de travail qui d’ailleurs en avait grand besoin, et s’excusait auprès de son client :

– Voulez-vous m’attendre un instant, monsieur Jussieu ? Dame, je ne pensais pas partir en voyage… je vais jeter deux chemises et trois faux-cols dans un sac, prendre quelques objets de toilette, laisser un mot pour prévenir mon secrétaire, et je suis à vous.

– Faites donc, approuva M. Jussieu.

Job Tylor quitta la pièce, fort enchanté, en vérité, de la marche des événements. Certes, il avait eu une rude émotion lorsque M. Jussieu, en arrivant, lui avait annoncé qu’il venait le trouver à propos de Fantômas. Il avait alors inventé toute une sensationnelle intrigue, escompté un succès magnifique, entrevu la gloire et la célébrité. Certes, il lui était un peu pénible de renoncer à cette superbe perspective, mais somme toute, il s’en consolait en pensant que néanmoins l’affaire était intéressante, car l’enquête à laquelle il allait se livrer lui vaudrait certainement d’importants honoraires.

– Faisons de l’argent, se disait Job Tylor, à l’instant où il quittait M. Jussieu, pour passer dans sa chambre à coucher, faisons de l’argent… et ne nous occupons pas du reste !


Or, Job Tylor n’avait pas quitté M. Jussieu depuis plus de deux minutes, lorsqu’il devait brusquement changer d’avis.

Le détective était en effet à peine parvenu au milieu de sa chambre, c’est-à-dire qu’il s’était tout juste éloigné de quelques pas de son cabinet de travail où l’attendait M. Jussieu, qu’un cri terrible, cri de peur et d’angoisse, cri de détresse et cri d’agonie, retentissait dans ce cabinet de travail.

Job Tylor, un instant, s’arrêta stupéfait. Au cri avait succédé un grand silence, puis un bruit pesant, puis un fracas retentissant.

Tout cela se passait très vite ; Job Tylor, haletant, déclara :

– Mon Dieu, on s’assassine… la victime tombe… la fenêtre est brisée !…

Et il n’en dit pas plus, parce que, rebroussant chemin, il se précipita dans son cabinet de travail.

Or, le spectacle qu’aperçut le détective était bien fait pour lui occasionner la plus extraordinaire des stupeurs :

La pièce était dans le plus grand désordre ; des chaises étaient bousculées dans un coin ; sous le bureau, renversé, geignant faiblement, M. Jussieu paraissait à moitié mort. Des papiers voltigeaient enfin, échappés de la serviette aux billets de banque, qui gisait, éventrée d’un coup de poignard, entièrement vide… La fenêtre brisée offrait des traces d’effraction et à sa poignée pendait, accroché là, déchiré, un grand lambeau d’étoffe noire…

– Nom de Dieu ! jura le détective… Est-ce que, par hasard…

Et il se jetait à genoux, se penchait sur M. Jussieu :

– Allons, vous m’entendez ? Qu’est-ce qui…

M. Jussieu ne geignait plus… Il était maintenant immobile. Job Tylor s’affola.

– Mais, fichtre de nom d’un chien, il est mort !

En toute hâte, le détective allait quérir un pot à eau, dont il vidait le contenu sur la tête de son malheureux client.

Le froid, la douche glaciale, tira le courtier en parfumerie d’un profond évanouissement.

– Vous êtes blessé, râla Job Tylor.

M. Jussieu était pâle comme un mort. Il se remettait péniblement sur son séant, il avait le geste égaré d’un homme qui se réveille d’un effroyable cauchemar.

Job Tylor répéta :

– Pour Dieu, répondez-moi, faites un effort… que s’est-il passé ? Êtes-vous blessé ?

M. Jussieu, cette fois, parut comprendre, mais il était hors d’état de parler distinctement. D’une voix blanche, indistincte, il bégayait seulement ces mots qui avaient, hélas, un sens bien compréhensible :

– Je… je… je… volé… Fantômas… par la fenêtre…

Job Tylor hurla une imprécation, se précipita à la fenêtre. Son appartement était au rez-de-chaussée, la rue où il habitait était droite à l’infini, il la fouillait du regard, il ne vit rien…

– Personne, nom de Dieu ! sacra le détective.

En deux pas il traversa le cabinet de travail, bondit dans l’escalier.

Il était entièrement vide. Alors, s’arrachant les cheveux, Job Tylor revint dans le cabinet de travail où le courtier en parfumerie, pour la seconde fois, venait de glisser sur le sol, pris d’une syncope…


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