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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Chapitre XIII


Trois-et-Deux

Si Fandor pouvait être à bon droit légèrement ahuri par les formidables raclées qu’il recevait à la gare du Nord, à l’instant précis où il se précipitait sur Fantômas, bien certain d’ailleurs que les agents massés dans la gare allaient lui prêter main forte, Fantômas tout au contraire ne manifestait aucun étonnement, aucune émotion même, en se voyant soudain au centre d’une bagarre formidable, en comprenant que la police tentait un nouvel effort pour s’emparer de sa personne.

Fantômas ne manifestait aucune surprise, et à cela il y avait une bonne raison, une raison infiniment simple, qui était tout simplement qu’il s’attendait à la chose depuis Bruxelles.

Le Maître de l’épouvante, en effet, n’était point de ces hommes qui ne laissent rien au hasard, et que la destinée peut prendre au dépourvu. Il calculait tout, au contraire, savait être toujours sur le qui-vive, et, en conséquence, se trouvait toujours prêt à toutes les éventualités.

Que s’était-il donc passé et comment Fantômas pouvait-il s’attendre à ce que Fandor préparait contre lui ?

Lorsque le terrible bandit avait au passage à niveau échappé à Fandor qui crevait, d’un coup de revolver, le réservoir de sa voiture, Fantômas était littéralement furieux.

– Maudit journaliste ! jurait-il. Je n’arriverai donc jamais à le tuer…

Et il passait sa rage sur sa voiture, la conduisant de main de maître, mais avec une réelle brutalité.

Fandor, assurément, menait mieux que lui, et la voiture, bientôt, en mécanique intelligente, car les automobiles ne sont point des machines stupides, répondait aux brutalités dont elle était victime en s’arrêtant net !

Fantômas, à cet instant, réellement fou de colère, sautait du siège, arrachait les courroies qui retenaient le capot, se penchait sur le mécanisme…

Certes, l’instant était grave, les minutes avaient leur valeur, la panne choisissait bien son moment pour immobiliser Fantômas…

Le bandit, toutefois, avec son audace tranquille et son accoutumé sang-froid, ne s’effarait pas outre mesure.

Il avait bien fait cinq ou six kilomètres ; Fandor, éclopé comme il l’était, ne lui donnerait pas la chasse de sitôt, Fantômas pouvait donc encore disposer, croyait-il, d’une grande heure en toute tranquillité.

– Que va tenter Fandor ? se demandait en effet le Génie du crime. Tout au plus il peut prévenir la gendarmerie, mobiliser la police par télégraphe, donner le signalement de ma voiture… Le tout est donc de ne pas être immobilisé longtemps, et de pouvoir gagner de vitesse sur les instructions qui vont être données.

Fantômas, tranquillement, se mit à chercher sa panne. Il ne la trouvait pas toutefois avec facilité. Force lui était donc d’emprunter à son coffre, et cela afin de ne point trop se salir, de vieux vêtements pour se glisser sous le châssis et aller tripoter dans la boue du mécanisme.

Fantômas fit ainsi œuvre de mécanicien pendant près d’un quart d’heure. Enfin, la voiture repartit…

– Victoire ! criait Fantômas.

Mais, cent mètres plus loin, il déchantait… La voiture s’immobilisait encore, et s’immobilisait cette fois de façon définitive.

Et c’était la plus terrible des pannes qui survenait, celle qui est irrémédiable en pleine campagne, c’était la panne d’essence…

Fandor avait en réalité été merveilleusement inspiré en essayant de crever le réservoir de la voiture.

Fantômas ne s’était pas aperçu de la chose, désormais il était impuissant à repartir.

Que faire en ces conditions ?

Fantômas décidait tout d’abord de confier à ses complices la garde de l’automobile. Puis, lui-même prenait une petite valise dans laquelle il avait un costume de rechange, et, à pied, partait à l’aventure le long de la route.

Fantômas n’avait guère à ce moment de projets bien arrêtés. Il ne savait où il allait, il était désireux seulement de fuir, de s’éloigner au plus vite de ce maudit Fandor qui le talonnait depuis quelque temps de la plus redoutable façon.

Or, précisément il arrivait ce que Jérôme Fandor avait prévu : Fantômas, en longeant la grande route, finissait par apercevoir la halte où s’immobilisaient les trains rapides. Il avait tout naturellement l’idée de demander si un train n’allait point passer prochainement, et comme on lui répondait affirmativement, il se décidait à y prendre place.

Fantômas était donc monté dans le rapide de Bruxelles, était absolument persuadé qu’il dépistait définitivement Fandor.

Le convoi dans lequel Fantômas prenait place était toutefois quelques instants plus tard victime d’un incident qui devait suffire à donner l’éveil au Maître de l’effroi.

Fandor faisait des signaux sur la voie, contraignait le mécanicien à bloquer ses freins, puis disparaissait…

Les voyageurs, lorsque le train repartait, étaient tous d’accord pour affirmer que le mécanicien s’était trompé. Fantômas, lui, était fort tenté de croire le contraire.

Le Génie du crime, en effet, était beaucoup trop avisé, beaucoup trop réfléchi, pour admettre si facilement une erreur de la part d’un homme qui jurait ses grands dieux avoir vu, avoir bien vu, un homme étendu sur la voie, et faisant des gestes de détresse.

Fantômas, dès lors, soupçonneusement, se disait :

– C’est bizarre…

Si Fantômas, d’ailleurs, voulait réfléchir, il songeait que le train dans lequel il venait de prendre place l’avait en quelque sorte ramené sur ses pas, et que son arrêt avait été occasionné à très peu de distance de l’endroit où Jérôme Fandor devait précisément se trouver.

De là à conclure que l’inexplicable arrêt du train pouvait être imputé à l’intervention de Fandor, il n’y avait pas très loin, et Fantômas ne manquait pas de se poser la question.

C’était donc l’esprit en éveil que Fantômas arrivait à Bruxelles et descendait du wagon de seconde classe où il était monté avec ses habits d’apache, ses vieux habits, sans la moindre vergogne.

Mais Fantômas n’était pas plutôt descendu sur le quai qu’il se disait, tout naturellement :

– Si j’étais Fandor, que ferais-je ? à supposer que Fantômas se trouve dans ce train ?

Immédiatement Fantômas se répondit :

– Je me précipiterais vers la sortie et j’irais guetter les personnes qui sortent !

Ayant décidé ce que devait faire Fandor, Fantômas immédiatement tirait parti de sa pensée : il examinait de loin la sortie de la gare de Bruxelles, et tout naturellement il apercevait là, masqué par un tas de bagages, un homme habillé en bleu qui n’était autre que Jérôme Fandor.

– Très bien, se dit Fantômas. C’est absolument parfait…

Et tranquillement il revint vers son wagon, à peine contrarié par la pensée que Jérôme Fandor, loin d’abandonner sa poursuite, était tout au contraire acharné sur sa piste.

Le Maître de l’effroi, quelques instants plus tard, souriait :

– Eh bien, soit, décidait-il, puisque Fandor est là, finissons-en…

Loin de se cacher, Fantômas se promenait ostensiblement le long du train, ne cherchant nullement à éviter Fandor.

C’était Fandor, en effet, qui évitait le bandit, et Fantômas, qui le surveillait du coin de l’œil, sans en avoir l’air regardant dans une glace qui lui permettait de voir derrière lui, discernait parfaitement la course rapide du journaliste se précipitant au télégraphe pour câbler à la Sûreté.

– Allons, pensa Fantômas à ce moment, Jérôme Fandor va encore avoir le dessus ! Il s’apprête en tout cas à me faire prendre plus tard, il donne des instructions pour notre arrivée, j’ai toutes les chances du monde de pouvoir voyager tranquillement !

Fantômas regagna son compartiment, s’enveloppa d’une couverture de laine, baissa la lampe bleue de son wagon, et s’endormit.

Il était difficile au Maître de l’effroi, toutefois, de sommeiller tranquillement alors qu’il connaissait, dans le même train que lui, la présence de cet adversaire acharné qu’était Jérôme Fandor.

Fantômas, bientôt, renonça à dormir, et se prit à songer :

– Que diable a pu télégraphier cet infernal journaliste ?… pensait-il.

Et en dépit de son flegme, Fantômas devenait, au fur et à mesure que les heures passaient, quelque peu nerveux.

– Je suis peut-être imprudent ? se demandait-il. Je ne m’occupe pas assez de ce qui se trame contre moi…

À la frontière, pendant les opérations de douane, Fantômas courut au télégraphe.

Là, avec un toupet infernal, il expédiait une dépêche au commissariat spécial de la gare du Nord :


Avez-vous bien reçu mon télégramme ?… Pour la bonne règle, réexpédiez-le moi en double…


Et il signait : Fandor,et il donnait comme adresse le dernier arrêt du train avant son arrivée à Paris.

Les choses se passaient tout naturellement comme l’avait prévu Fantômas. Au commissariat spécial de la gare du Nord, on imaginait que le journaliste, inquiet de savoir si ses ordres avaient bien été scrupuleusement exécutés, demandait une confirmation, on répondait fort régulièrement pour le tranquilliser.

Fandor, de son côté, ne se doutait nullement qu’un télégramme l’attendait au bureau de la gare, ne songeait pas à y aller. Fantômas retirait la dépêche, lisait ce qu’avait câblé Fandor et se frottait les mains…

– Très bien, murmurait-il. Je n’ai pas perdu mon temps. Désormais je puis être sans inquiétude !

Ayant regagné son wagon, Fantômas en effet prenait sa valise et se rendait au cabinet de toilette pour s’y habiller.

La valise en effet contenait des vêtements de rechange, bientôt Fantômas n’était plus l’apache que Fandor avait vu à Bruxelles et qu’il avait signalé à Paris, il était au contraire un fort élégant gentleman. La conclusion avait toutes les chances du monde de se produire, elle se produisait en effet.

Fantômas, au cours de la lutte que les agents de la Sûreté soutenaient contre Fandor, que, dans leur affolement, ils prenaient quelques secondes pour le Génie du crime, avait reçu de bons horions.

Un coup de poing notamment l’avait atteint en pleine figure, et cela lui avait fait si mal qu’il avait cru un instant défaillir. L’incident n’avait pas grande importance, et Fantômas, descendant la rue La Fayette, s’applaudissait de fort bon cœur des résultats de ses ruses.

– Évidemment, pensait-il, Jérôme Fandor ne sera pas longtemps prisonnier ; l’erreur est une question de quelques minutes, et dans quelques minutes Fandor sera libre. Pendant ce temps toutefois, j’aurai eu tout le loisir du monde pour disparaître, et, par conséquent, je n’aurai plus rien à craindre.

Fantômas n’était pas inquiet de l’attitude de Jérôme Fandor, mais en revanche se montrait beaucoup moins rassuré sur les faits et gestes de Juve.

Il n’avait plus de nouvelles du policier, en somme, depuis l’instant où il l’avait perdu de vue, debout sur le marche-pied du train de Paris, appelant Fandor, et quelques instants avant qu’il ne fût amené à découvrir tout naturellement le cadavre de Daniel habilement grimé, de façon à ressembler au journaliste.

Qu’avait fait Juve depuis lors ? Où en était-il de ses enquêtes et de ses recherches ? Soupçonnait-il la vérité ?

Fantômas se le demandait avec anxiété, et par moment fronçait les sourcils.

– Moi qui sais qui est Daniel, murmurait-il, moi qui n’ignore pas en raison des papiers que j’ai volés dans son portefeuille, ce qu’il était venu faire à Amsterdam je puis à bon droit redouter que Juve n’arrive à connaître la vérité !

Le Maître de l’effroi, qui descendait toujours la rue La Fayette, tourna à la hauteur de Saint-Vincent-de-Paul, prit la rue d’Hauteville, et délibérément entra dans un immeuble de vilaine apparence où sa présence en homme chic pouvait surprendre.

Le Maître de l’effroi, cependant, connaissait à merveille l’art de duper ceux dont il ne tenait pas à exciter la curiosité.

Tranquillement il allait donc à la loge de la concierge et demandait :

– M. Durand, s’il vous plaît…

Fantômas donnait ainsi le nom d’une boutique d’avocat-conseil dont il avait lu les qualités sur une plaque d’émail accrochée à la porte.

– Au premier étage, escalier B, répondit la concierge.

– Merci, fit Fantômas.

Mais au lieu d’écouter les indications qu’on lui donnait, au lieu de se diriger chez ce M. Durand, Fantômas passait devant l’escalier B, longeait les voûtes, et s’engageait dans un boyau noir désigné sous le nom d’escalier C.

Fantômas monta cinq étages de marches branlantes et couvertes de saletés. La concierge, très évidemment, ne nettoyait jamais ce dernier escalier, qui constituait la honte de la maison, qui conduisait à d’horribles logements loués à de misérables crève-la-faim.

Fantômas monta les cinq étages, puis s’orienta, et délibérément s’en alla frapper à une porte.

– Qui est là ? s’informa une voix.

Fantômas frappa encore. Il frappait d’ailleurs d’une certaine façon et cette façon devait être significative car immédiatement la porte s’ouvrait.

Devant Fantômas se dressait alors un petit homme à la figure ravagée par la misère, aux épaules voûtées, aux doigts tachés d’encre, qui sentait d’une lieue son expéditionnaire ou son employé de bureau.

– Trois-et-Deux… commença Fantômas, je viens aux renseignements !

Trois-et-Deux, car tel était le nom du personnage, tel était son sobriquet plutôt, s’inclina.

– Tu viens aux renseignements, demandait-il, à cette heure-ci, Maître ?

Il était en effet tout près d’une heure du matin, et ce n’était vraiment pas le moment de déranger d’honnêtes citoyens.

Fantômas, pourtant, devait évidemment savoir à quoi s’en tenir sur la mentalité de Trois-et-Deux.

Aussi bien le personnage était connu ; son extraordinaire sobriquet venait de ce qu’il passait dans la pègre pour avoir commis deux crimes abominables. Lors du premier, il avait tué trois personnes, lors du second, il en avait tué deux.

Trois-et-Deux toutefois n’était pas un assassin ordinaire.

Loin de dilapider, en effet, la petite fortune que ses deux crimes lui avaient rapportée, il s’occupait à la gérer et la gérait de si habile façon qu’il était en quelque sorte devenu un véritable petit rentier, touchant, affirmaient les gens bien informés, près de huit cents francs d’intérêts par an !

Trois-et-Deux, évidemment, ne pouvait songer, avec ces revenus, à vivre largement, mais comme c’était un sage, il ne se plaignait point de son sort. Tout rentier qu’il fût, d’ailleurs, Trois-et-Deux n’avait pas renoncé à travailler. Par exemple, il avait une profession bizarre, il s’intitulait tout simplement contre-policier.

Trois-et-Deux, en effet, s’occupait principalement de faire de la contre-police. C’est ainsi que lorsqu’un crime se commettait, il se chargeait, moyennant une honnête rétribution versée d’avance, de surveiller les agissements de la police, et de filer les inspecteurs de la Sûreté qui cherchaient eux-mêmes à filer le criminel.

Trois-et-Deux était inattaquable, car la prescription couvrait ses méfaits passés, et, d’autre part, il avait bien soin de vivre honorablement désormais. Trois-et-Deux opérait donc en toute liberté d’esprit.

Cet extraordinaire bonhomme trouvait moyen de s’insinuer un peu partout, de traîner à la Préfecture de police, d’être bien avec les commissariats, d’apprendre enfin tous les mouvements concernant les affaires criminelles. Il tenait des fiches, avait un répertoire fort en ordre, c’était en réalité un homme précieux et que les criminels instruits avaient tout intérêt à fréquenter.

Fantômas connaissait depuis longtemps, naturellement, l’existence de Trois-et-Deux. Il utilisait rarement cependant les avis du bonhomme. Fantômas était en effet si parfaitement intelligent, si supérieurement documenté par ses propres complices qu’il n’avait guère besoin des services d’autrui.

Cette fois, cependant, il lui était indispensable de se renseigner.

La bande de Fantômas était en effet quelque peu disséminée.

Ma Pomme, parti avec Juve, était nul ne savait où. Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz devaient se trouver encore en Belgique, occupés à rapatrier ou plus probablement à fourguer l’automobile de Fantômas.

Gueule-de-Bois était resté à Bruxelles sans doute, Bouzille lui-même avait disparu depuis le passage de Fandor dans le passage à niveau.

Fantômas ne pouvait s’adresser à ses autres complices, car ceux-ci, bien évidemment, et cela par sa faute, n’étaient pas au courant de ses dernières aventures.

Fantômas, dans ces conditions, prenait un ton aimable pour interroger Trois-et-Deux.

– Je viens chercher des renseignements, disait-il, et je paierai bien.

Trois-et-Deux, à un tel exorde, répondait par un aimable sourire.

– Bien payer, déclarait-il sentencieusement, c’est le moyen d’être bien servi. Que veux-tu savoir, Fantômas ?

Le Maître de l’effroi parut, avant de répondre, réfléchir quelque peu.

– Je voudrais, hasardait-il enfin, connaître exactement ce que fait Juve depuis quelque temps ?

Un sourire passa sur les lèvres de Trois-et-Deux, qui, ayant introduit Fantômas dans une petite pièce organisée en bureau, s’était assis sans façon sur le coin de sa table.

– Fort bien, répondait-il. Depuis quand, Fantômas, veux-tu ces renseignements ?

Le Maître de l’effroi, à ce moment, regardait soupçonneusement Trois-et-Deux.

L’infernal contre-policier souriait, en effet, d’un sourire énigmatique, et cela n’était pas sans inquiéter le Génie du crime qui, brusquement, demanda :

– Pourquoi ris-tu, Trois-et-Deux ?

Le bonhomme ne fit aucune difficulté pour répondre.

– Parce que, répliquait-il, Fantômas, je pense que si je voulais m’amuser à te donner tous les renseignements qui peuvent être pris sur Juve, il faudrait que je te fasse fouiller dans plus de cent mille documents…

– Fichtre… dit Fantômas. Tu pistes donc Juve ?…

Trois-et-Deux eut un petit hochement de tête satisfait.

– Naturellement, déclarait-il. Je pique des fiches sur lui le plus souvent possible. Elles te serviront quelque jour, Fantômas, tu verras !

Trois-et-Deux avait l’air de sous-entendre quelque chose qu’il ne voulait point préciser ; il reprit brusquement :

– Enfin, Fantômas, précise ta question. Que dois-je t’apprendre sur Juve ?

Fantômas, à son tour, se fit net et précis.

– Voici, dit-il. Qu’a fait Juve depuis son retour à Paris ?

Trois-et-Deux ferma les yeux, et, tout d’une tirade, débita :

– Juve a été pris par moi-même en filature à son arrivée à la gare du Nord. Ceci est d’ailleurs le fait d’une coïncidence ; c’est par hasard que je l’ai rencontré. Juve a été tranquillement, fort tranquillement, mon Dieu, enquêter chez un chemisier, j’ai pu savoir à quel sujet… Il voulait avoir des renseignements relativement à un certain Daniel dont il a retrouvé le cadavre fort habilement grimé et qui…

Mais Trois-et-Deux n’achevait pas. Fantômas, en l’écoutant, avait brusquement blêmi.

– Tu dis ? interrompait-il, que Juve a été enquêter à propos d’un certain Daniel ?… Sait-il donc que ce Daniel a été tué par moi ? Sait-il son nom ?

Trois-et-Deux hocha la tête, affirmativement.

– Laisse-moi achever, Fantômas. Juve n’est pas un imbécile, tu devrais le savoir ! Donc, il a enquêté à propos de ce Daniel, et il a trouvé qu’il s’agissait d’un certain clerc de notaire habitant Grenoble et travaillant à l’étude appartenant à M e Théodore Gauvin. Juve a téléphoné à M Gauvin, mais je n’ai pas pu entendre, naturellement, ce qu’ils disaient. J’ajoute qu’il ne me paraît pas impossible que M e  Gauvin vienne à Paris, ou que Juve aille à Grenoble…

Trois-et-Deux se taisait. Fantômas, qui était toujours très pâle et se mordait les lèvres, interrogea encore :

– C’est tout ?…

Trois-et-Deux répondit avec affabilité :

– C’est tout… et c’est vingt-cinq louis !

Le prix de la consultation était évidemment extraordinaire, quelque peu exagéré même. Fantômas, toutefois, le payait sans sourciller.

Le billet bleu qu’il avait sorti de sa poche fut rapidement caché par Trois-et-Deux. Fantômas interrogeait encore :

– Autre chose, demandait-il. Qu’a-t-on fait du cadavre de ce Daniel ?

Trois-et-Deux parut surpris de la question.

– Eh, ripostait-il, on en a fait ce qu’on fait toujours d’un cadavre en pareil cas, il est à la morgue…

À ces mots, Fantômas éclatait littéralement de rire, haussant les épaules, semblant s’amuser infiniment.

– Juve a mis ce cadavre à la morgue ! murmurait-il. Ah ! l’imbécile, l’imbécile !

Puis Fantômas, changeant de ton, redevenant sérieux.

– Merci, Trois-et-Deux, faisait-il. Je n’ai rien d’autre à te demander, au revoir…

– Au revoir, fit le bonhomme, à ta disposition !

Fantômas descendit rapidement l’escalier, demanda le cordon au concierge, sortit, recommença à descendre la rue d’Hauteville.

Un peu avant d’arriver au boulevard, Fantômas héla un taxi-auto.

– Passage Tivoli, commandait-il, à la gare Saint-Lazare !

Le taxi fila rapidement par les rues désertes à cette heure. Fantômas arrivait bientôt à l’entrée du passage Tivoli, payait sa voiture, et gagnait l’un des hôtels louches qui se trouvent à cet endroit et que fréquente le plus ordinairement une pègre interlope aux occupations douteuses.

Fantômas entra dans l’un de ces hôtels, et, sans même avertir le garçon, qui d’ailleurs s’effaçait devant lui en donnant des signes de profond respect, montait directement jusqu’à une chambre où il frappa rudement.

Une voix enrouée s’informa :

– Qu’est-ce qu’il y a, bon Dieu !… on ne peut pas vous laisser pioncer tranquillement !

– Ouvre ! insista Fantômas.

Le bandit, évidemment parlait d’une certaine façon où encore le ton de sa voix était connu, car immédiatement on entendait le bruit de deux pieds nus accourant sur le sol.

La porte s’ouvrit, un homme en chemise se montra :

– Ah çà, c’est vous, patron ? Bon Dieu, qu’est-ce qu’il y a donc ?

– Rien, dit Fantômas. Absolument rien. Seulement, j’ai besoin de toi, Bedeau. Lève-toi, et viens !

Le Bedeau ne faisait nulle objection, n’opposait pas davantage une seule question au Maître de l’effroi.

Le Bedeau savait fort bien que Fantômas n’était pas homme à tolérer qu’on se permît de l’interroger. Il savait aussi que le Maître ne le dérangeait pas à l’improviste sans de graves raisons, et que si Fantômas faisait appel à lui, c’était qu’il était nécessaire qu’il se mît à sa disposition, c’est qu’il était urgent qu’il obéisse.

– Bon… bon… dit Le Bedeau, je m’habille et je calte… Ah, tout de même, Fantômas, tu choisis mal ton jour… Cette nuit, j’avais du monde !

– Qui ? demanda Fantômas.

– La Rouquine.

– Que la Rouquine vienne…

Dix minutes plus tard, le trio étrange quittait le bouge du passage Tivoli.

Fantômas avait changé d’habits chez Le Bedeau. Il avait laissé chez ce lieutenant dévoué ses vêtements élégants. Maintenant il portait une veste d’ouvrier, un pantalon de velours, et, sans faux-col, la chemise débraillée, il apparaissait souple, élancé, mince, plus à son aise encore.

À côté de Fantômas, la casquette enfoncée sur les oreilles, un foulard autour du cou, les mains dans ses poches, Le Bedeau marchait. Il ne semblait pas encore très bien réveillé, ou bien il titubait quelque peu…

Derrière eux, enfin, à quelques pas, la Rouquine, en gonzesse qui sait garder ses distances, marchait lentement, laissant les hommes jacter et ne se doutant aucunement que le compagnon de son amant était le terrible Fantômas.

Le Bedeau pourtant, qui se réveillait en raison de la fraîcheur de la nuit, le Bedeau tranquillement déclarait :

– C’est tout de même pas pour nous offrir un lait Vichy que tu nous a tirés du pieu, la môme et moi, Fantômas… Où c’est donc qu’on radine ?

Fantômas, pour toute réponse, se retournait et d’un geste appelait la Rouquine :

– De quoi ? fit la femme. Qu’est-ce qu’on me veut ?…

Fantômas dévisageait la pierreuse, un sourire ironique semblait réellement flotter sur ses lèvres.

– La Rouquine, commença-t-il, je ne te connais pas, et je ne veux pas te connaître. Toutefois, fais bien attention à mes paroles : il se passe cette nuit quelque chose d’assez grave, tu vas nous aider, à coup sûr, n’est-ce pas, tu connais tous les amis du Bedeau ?

– Oui, fit la Rouquine. Après ?

– Eh bien, répartit Fantômas, tu vas te rendre d’urgence chez chacun d’eux et les convoquer. Tu leur diras de se trouver derrière Notre-Dame dans une heure et demie d’ici.

La Rouquine, en écoutant ces instructions, ouvrait des yeux ronds, fort étonnée :

– Non, mais des fois… commençait la femme. Faudrait voir à ne pas me prendre pour ta bonne… y a le commissionnaire du coin, mon vieux, y s’dérange pour dix ronds… Mais moi, je n’marche pas… D’abord, j’ai les pieds nickelés !

La Rouquine refusait de rendre service à cet individu qu’elle ne connaissait pas. Elle devait rapidement changer d’avis, Fantômas, en effet, se contentait de faire un pas vers elle et de poser la main sur son épaule.

Regardant alors la pierreuse bien dans le fond des yeux, Fantômas articulait lentement :

– Ma fille, tu es une sotte… Tu ne sais point qui je suis, mais tu aurais dû deviner, à l’attitude du Bedeau, qui j’étais… Je suis… si mon nom ne t’est pas encore venu à l’esprit, celui auquel on ne désobéit pas ! Répondre comme tu viens de le faire, cela vaut la mort. Je te pardonne pour cette fois, mais souviens-t-en… Maintenant, va !

La Rouquine était véritablement médusée par l’extraordinaire discours qu’elle venait d’entendre.

– Ah bien, maladie !… soupirait-elle.

Et après un coup d’œil nouveau lancé au Bedeau qui ne disait rien, la Rouquine articula lentement :

– Mais qui donc es-tu, alors ? Dis-le tout d’même…

Fantômas, simplement, répéta :

– Va…

Et, matée, domptée comme tant d’autres, la Rouquine n’insista point, se précipita vers les quartiers excentriques de la Villette pour exécuter l’ordre de celui qui était encore pour elle un complet inconnu.

Une heure plus tard, il y avait, derrière Notre-Dame, dans un coin d’ombre propice, un groupe d’individus à mine patibulaire, à gestes inquiétants, qui devisaient avec animation semblait-il.

C’étaient là les compagnons que la Rouquine avait été chercher, les uns après les autres. Elle avait raconté la scène dont elle venait d’être victime, elle interrogeait les aminches, elle leur demandait :

– Qui diable croyez-vous que ça peut être ? Qui a osé m’engueuler juste en présence du Bedeau, et sans que le Bedeau, qu’a pourtant pas la trouille, ait seulement tenté de rouspéter ?

Il y avait unanimité dans les réponses, chacun tombait d’accord que Fantômas seul pouvait avoir osé pareille chose.

La Rouquine, quelques instants plus tard, devait d’ailleurs acquérir à ce sujet une certitude, parce que, lorsque Fantômas arrivait en effet en compagnie du Bedeau, des exclamations étouffées l’accueillaient.

– Ah ça, bon Dieu, le patron revenait donc avec les poteaux, qu’il leur avait fait signe ? On allait donc travailler ensemble ? Pardieu, depuis quelque temps, Fantômas, précisément, oubliait trop ses amis… On ne fichait plus rien… On s’ennuyait de lui…

Fantômas écoutait toutes ces amabilités, son extraordinaire sourire aux lèvres. Mieux que personne, évidemment, il connaissait les véritables sentiments de ces hommes qui se disaient ses amis, et qui étaient tous, à un titre quelconque, ses complices, ses subordonnés.

Certes oui, on parlait toujours de lui dans la pègre… Certes oui, il était de ces misérables qui devaient regretter le temps où Fantômas, comme un ordinaire bandit, s’occupait de vols ou de crimes motivés par l’argent.

Mais Fantômas n’ignorait pas davantage, il en avait d’ailleurs fait l’expérience, que ceux qui l’entouraient étaient fort capables de le trahir aussi.

Pour gouverner ces homme rusés, ne rêvant que meurtres et crimes, pour dompter ces bêtes féroces, il fallait une poigne de fer…

Fantômas répondit brutalement :

– Les aminches, ce soir, y n’s’agit pas de rigolade, et moins encore de fariboles. Je n’dis pas qu’un jour prochain, un jour très prochain même, nous n’aurons pas à travailler ensemble ; cette nuit, c’est surtout une opération de sûreté qu’il faut accomplir.

Fantômas fit une pose, il ajouta :

– J’ai besoin de vous, les poteaux… Il me faut un coup de main. Qui me le donne ?

Tous répondirent, tous acceptèrent…

Fantômas garda son sourire triomphant.

Sa popularité dans la pègre n’était pas morte, tant s’en fallait. Il ne paraissait nullement surpris de la façon dont on l’écoutait. Simplement, il ajoutait :

– Je suis content de voir la bande ainsi reconstituée. Je commence par vous dire que dans trois mois, jour pour jour, j’aurai du travail pour chacun de vous… Autre chose, maintenant. Allons effectuer notre besogne, suivez-moi !

Fantômas pivotait sur ses talons, s’éloignait…

Fantômas, d’un coup d’œil, s’assurait que ses acolytes ne commettaient point d’imprudence.

Mais ils étaient, au contraire, les uns et les autres, fort raisonnables, fort avisés.

Ils marchaient à quelques pas, n’ayant point l’air d’être ensemble, paraissant d’inoffensifs promeneurs.

Fantômas avait pris le bras du Bedeau.

Celui-ci était ému quelque peu. Il lui semblait que Fantômas devait méditer quelque chose de terrible, quelque entreprise gigantesque, pour avoir parlé ainsi qu’il venait de le faire.

Et le Bedeau osait encore interroger Fantômas :

– Patron, demandait-il, où nous mènes-tu ?

Fantômas répondit nettement :

– À la morgue…

Or, à ces mots, le Bedeau sursautait :

– À la morgue ?… faisait-il. Mais que diable veux-tu faire à la morgue ? Il n’y a pas de sous, là-bas ?…

– Nous n’y allons pas voler, fit Fantômas.

Le Bedeau eut un gros rire.

– Pourtant, demandait-il, on n’y va pas esquinter un pante… Y a qu’des macchabées, à la morgue…

Fantômas toisa son complice.

– Imbécile, articula-t-il. Tu devrais savoir, Bedeau, qu’il y a des morts qu’il est nécessaire de tuer…

Dans l’ombre, malgré sa férocité, le Bedeau frissonna…


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