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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Chapitre XIV


L’enfer

À ce moment, Fantômas s’arrêtait brusquement, ayant l’air de vouloir rompre l’entretien avec son fidèle lieutenant le Bedeau. Fantômas, d’une voix maussade, appelait sur un ton de commandement :

– Ici, les copains !

Immédiatement, les apaches qui accompagnaient le Maître se rangeaient autour de lui, formant un grand cercle, et ils demeuraient silencieux, prêtant l’oreille, avides, semblait-il, de recueillir les instructions que sans doute leur chef prétendait leur donner.

Fantômas en effet, après avoir considéré leur groupe hésitant, daignait les renseigner sur ce qu’il attendait de lui.

Le Maître, toutefois, n’avait pas l’habitude de confier en détail à ses complices ses plans et ses projets. Fantômas considérait toujours ceux qu’il employait comme d’utiles instruments, des machines précieuses, et exigeait d’eux une obéissance passive, mais il n’en admettait ni contrôle, ni surveillance, ni quoi que ce soit qui pût leur donner l’ombre d’une apparente autorité.

C’était donc en ces termes peu explicites que Fantômas leur enseignait d’avoir à lui obéir.

– Vous allez, commençait-il, vous rendre les uns et les autres sur les berges. Toi, Bedeau, tu resteras le long du petit escalier qui court à flanc de muraille et descend à pic à la Seine. En bas de cet escalier, vous trouverez des gaffes. Elles sont mises là par la Société de sauvetage, et, ma foi, c’est bien d’un sauvetage qu’il s’agit… Les autres, vous vous embarquerez à bord d’un bachot qui est attaché à cet endroit également. Vous irez vous embusquer sous le premier pont et vous attendrez…

– On attendra quoi ? demanda la Rouquine.

Fantômas foudroya du regard celle qui se permettait de l’interroger.

– Voici ce qui se passera, continua-t-il. Dans vingt minutes à peu près, vous entendrez un coup de sifflet. À ce moment, vous commencerez à surveiller le courant de la Seine. Quelqu’un viendra, que vous accrocherez au bout de vos gaffes. Ce quelqu’un ce sera…

Fantômas brusquement s’interrompait.

– Au fait, murmurait-il, je n’ai pas besoin de vous expliquer tout cela. Soyez là où je vous dis pour me prêter main forte, le cas échéant, et c’est l’essentiel.

Fantômas achevait de parler, haussait les épaules en homme qui se moque pas mal après tout des entreprises qu’il est sur le point de tenter, puis, sans ajouter un mot, hautainement redressé, s’éloignait, marchant à grands pas, ayant l’air de profondément mépriser ceux qu’il appelait pourtant ses amis.

Fantômas, à ce moment, se perdait dans la nuit, marchant volontairement dans les coins d’ombre, évitant l’auréole lumineuse des becs de gaz. Il allait vite et sans bruit… Rien qu’à le voir, on eût deviné qu’il était l’ami de l’ombre, qu’il était l’ami des ténèbres, le familier des nuits obscures…

Fantômas ne témoignait d’ailleurs d’aucune hésitation ni d’aucune inquiétude. Quel que fût le plan qu’il allait tenter de mettre à exécution, il n’était pas évidemment inquiet à son sujet ; il considérait sa réussite comme certaine.

Mais quel était donc ce plan ? Quelle résolution Fantômas avait-il donc arrêtée lorsqu’il était sorti de chez Trois-et-Deux, le contre-policier, qu’il avait vu cette nuit-là même ?

Quelques minutes plus tard, Fantômas atteignait la petite place sur laquelle s’élèvent encore les bâtiments de la morgue qu’il est toujours question de démolir, et dont la municipalité parisienne ne parvient pas, malgré tout, à débarrasser l’île Saint-Louis.

Fantômas avait pour le lugubre bâtiment, refuge dernier de tant de désespérés, de tant d’inconnus, qui cherchent dans la mort l’oubli parfait et éternel, un regard de pitié méprisante.

Il semblait mesurer du geste la hauteur des murailles, il semblait sonder du regard la profondeur, l’épaisseur du monument.

– Bien ! fit-il enfin d’un ton pensif. Ce qui est nécessaire est nécessaire, et d’ailleurs, je n’ai pas le choix des moyens…

Frissonnant un peu, secoué, semblait-il, d’une très réelle émotion, Fantômas longea la morgue et se pencha par-dessus le parapet de pierre qui domine à pic les flots boueux de la Seine, battant l’île Saint-Louis.

– Je pense, murmurait-il, que le chemin est toujours praticable…

Mais de quel chemin s’entretenait-il ? À quoi pouvait-il bien faire allusion, puisque, à l’endroit où il se penchait, le fleuve baigne directement les murailles, et qu’il n’existe, au bas de la morgue, aucune espèce de berge.

Fantômas évidemment employait un terme pour un autre… Le chemin dont il s’agissait n’était pas un véritable chemin, c’était tout bonnement un moyen de pénétrer dans le monument, car, ainsi qu’il l’avait dit au Bedeau, Fantômas prétendait s’introduire cette nuit-là dans la morgue.

Fantômas, d’ailleurs, penché sur les flots de la Seine, témoignait bien vite d’une certaine satisfaction.

– Très bien ! disait-il. Rien n’est changé, et je ne vais pas avoir la moindre difficulté…

Mais Fantômas assurément exagérait, car il semblait tout au contraire qu’il s’apprêtait à se livrer à l’un de ces périlleux exercices dans lesquels il était passé maître, qu’il accomplissait d’ordinaire comme en se jouant, en véritable amoureux de la gymnastique, en homme aussi qui aime à affronter le danger, à défier la mort, à vaincre le péril…

D’un rapide coup d’œil, le Génie du crime s’assurait tout d’abord que nul ne pouvait épier ses faits et gestes. À droite et à gauche de la morgue, les ponts semblaient déserts. Bien évidemment nul passant à cette heure ne se souciait de flâner aux environs de la sinistre maisonnette. Les gardiens de la paix, d’autre part, n’effectuaient pas de faction à cet endroit. Fantômas était donc tranquille, libre d’agir.

Et dès lors, en effet, il se hâtait…

Le Maître de l’effroi, tout d’abord, commençait par enjamber le parapet. Il se retenait à la pierre, et se laissait pendre dans le vide. Ses pieds rasèrent alors la muraille, cherchant un point d’appui. Il finit par trouver, en tâtonnant, un gros anneau de fer, mis là évidemment pour aider au sauvetage de quelque péniche en danger de naufrage en ce coin du fleuve où les courants sont toujours très violents.

Fantômas, appuyé sur cet anneau, risquait alors la plus périlleuse des gymnastiques : il se collait littéralement à la muraille, puis, lâchant les mains, il se laissait tomber sur la droite, ses pieds posant sur l’anneau, lui permettant de se tendre, de s’allonger…

Or, en tombant de la sorte, Fantômas finissait par pouvoir attraper des deux mains un autre anneau de fer auquel il semblait ne se retenir qu’une seconde à peine.

Fantômas, en effet, lâchait à ce moment l’appui de ses pieds. Son corps tombait, tournant au bout de ses bras, un coup de rein augmentait son élan, et cette fois il bondissait dans le vide…

Et ce bond de Fantômas, ce bond qu’il réussissait ainsi, ayant pris par sa chute calculée une sorte d’élan factice, était merveilleusement voulu.

Loin de tomber, en effet, loin de rouler dans le fleuve qui clapotait en dessous de lui, Fantômas se jetait littéralement contre les grillages d’une sorte de petite fenêtre percée dans les murs même de la morgue et qui surplombe le fleuve. Il s’agrippait aux barreaux, bandait ses muscles, un rétablissement, un coup de rein encore, lui permettaient de se relever, de prendre pied sur la fenêtre.

Le reste, dès lors, n’était qu’un jeu d’enfant !… Fantômas, étendant le bras, pouvait atteindre en effet au-dessus de sa tête le rebord de la gouttière du toit. Il l’empoignait à pleines mains, faisait encore un effort prodigieux et se hissait dans cette gouttière.

Le bandit n’avait plus alors qu’à traverser le toit à plat ventre pour sauter dans la courette intérieure. Une fois là, il lui était évidemment facile de pénétrer dans les différentes salles dont les portes intérieures n’étaient naturellement pas fermées.

Fantômas, quelques instants plus tard, en effet, se trouvait seul dans la cour intérieure de la morgue. D’abord, il commençait par s’asseoir sur le brancard d’une civière qui traînait là, à l’abandon, ayant été probablement déposée très tard par les porteurs de quelque hôpital.

Fantômas, sans souci du tragique endroit où il se trouvait, tirait une cigarette de sa poche, l’allumait, en aspirait quelques bouffées…

Et c’était seulement lorsqu’il s’était reposé quelques secondes que Fantômas se décidait à se lever.

– Inutile de flâner maintenant, murmurait-il ; je dois songer au plus pressé.

Fantômas jeta sa cigarette et, semblant fort décidé, paraissant se diriger vers un but très net, entra dans une sorte de petit corridor qui, longeant l’amphithéâtre où sont professés les cours de médecine légale, aboutissait à la salle où le public est admis à défiler devant les cadavres inconnus que la police tient à faire identifier.

– Je ne suppose pas, murmurait Fantômas, que Juve l’a fait mettre parmi les morts exposés… Voyons tout de même !

Arrivé dans la salle du public, dans cette salle macabre, séparée en deux par une grande vitre, derrière laquelle sont exposés les morts, Fantômas s’arrêtait interdit.

Certes, le Maître de l’épouvante avait maintes et maintes fois commis d’épouvantables horreurs. Certes, lui qui se vantait à juste titre d’être le plus raffiné des tortionnaires, avait assisté à des spectacles plus abominables encore.

Mais l’impression qui se dégageait de la vision nocturne qu’il avait sous les yeux, de ces morts inconnus qui étaient là, roidis dans une pose conventionnelle ayant l’air de dormir d’un sommeil de cauchemar, lui causait un malaise indéfinissable et cette sensation nouvelle le forçait sans doute à réfléchir que lui, qui avait tant tué, serait un jour tout comme un autre, un pauvre et misérable cadavre, puisque la mort est égale pour tous, étant une loi inéluctable, une loi courbant sous son tranchet les forts, les puissants, les riches, aussi bien que les pauvres et les faibles…

Fantômas, machinalement, s’était découvert…

Il éprouva brusquement une certaine honte de son attitude respectueuse.

Lui qui n’admettait aucune contrainte, se révoltait à l’idée du plus faible amoindrissement occasionné à sa volonté souveraine, ne pouvait tolérer d’être victime d’un sentiment de respect.

– Ah ! je suis un sot ! bougonna-t-il… Ces misérables disparus me font en vérité plus peur qu’une armée de policiers…

Celui qu’il cherchait, toutefois, n’était pas parmi les cadavres exposés. Fantômas n’avait dès lors aucun motif de s’attarder dans la salle commune.

Tournant les talons, il revenait en conséquence sur ses pas, regagnait la courette de la morgue, se dirigeant vers une sorte de mur percé d’étroites niches dont chacune était fermée par une petite porte de fer.

– Voyons le frigorifique, murmurait-il.

Ce mur aux trous multiples, c’était en effet l’appareil frigorifique dans lequel, à la morgue, au moyen d’un froid intense, on arrive à conserver intacts, pendant fort longtemps, les corps qui sont nécessaires pour des recherches judiciaires de police.

Fantômas, longtemps, examina l’appareil. Dans chaque petite porte se trouvait une sorte de guichet de verre derrière lequel s’apercevait, collée, une étiquette portant en termes sommaires les indications relatives au cadavre qui dormait là son dernier sommeil, en attendant le repos définitif et bienfaisant de la terre douce et molle.

Fantômas, soudain, sursauta.

– Ah ! très bien… dit-il. Voilà ce que je cherche !

Sur l’étiquette d’une porte, Fantômas venait de lire des instructions fort nettes ainsi énoncées :


Daniel, cadavre grimé en Jérôme Fandor et retrouvé par Juve dans le train d’Amsterdam-Anvers-Bruxelles-Paris, Juve s’occupe de l’affaire.


– Parfaitement ! répéta Fantômas.

Et bientôt il ajoutait :

– Le secret du cadenas est toujours le même, j’espère ?

Jadis, en effet, Fantômas avait pu, grâce à la complaisance d’un gardien acheté au moyen d’une forte somme, apprendre le mot formant la combinaison secrète de la serrure ouvrant les portes du frigorifique.

Ce mot n’avait-il pas changé ?

Il le forma, la main tremblante, et soudain il eut la joie de voir s’ouvrir la niche du frigorifique dans laquelle il prétendait fouiller…

Or, la porte était à peine ouverte, Fantômas avait à peine regardé à l’intérieur de la glacière, que tout énervement semblait l’abandonner.

– C’est bien cela, murmurait-il. J’ai toutes les chances du monde aujourd’hui !

Et sans souci de l’horreur véritable de la profanation qu’il tenait ainsi, Fantômas, tout en parlant, introduisait le bras dans le frigorifique, empoignait les pieds glacés du mort et tirait le corps à lui.

Fantômas, à la lueur blafarde de la lune, se penchait alors sur le cadavre qu’il finissait par frôler presque.

– C’est bien lui, murmurait-il… c’est bien lui !

Et il avait un rire de triomphe devant le mort qu’il reconnaissait à ce moment.

– Ah ! ah ! disait-il. Juve prétend faire parler Daniel… Juve prétend, à l’aide de ce cadavre, savoir tout ce que je veux lui cacher… Juve convoque Théodore Gauvin dans le but de le faire bavarder… Eh bien, soit, ils verront que je puis réduire à néant toutes les prétentions de Juve !

Portant le mort sur son dos et ne marquant toujours aucune répugnance à l’infâme besogne qu’il accomplissait ainsi, Fantômas traversait la morgue, se dirigeant vers les fenêtres qui dominent le fleuve.

Que prétendait-il donc faire ? Voulait-il ravir le cadavre de Daniel ?

Fantômas, un instant, soufflait, ayant déposé sur le rebord du mur le corps du malheureux.

Puis, bientôt, ricaneur, Fantômas semblait apostropher sa victime :

– Je n’aime pas les bavards, faisait-il. Et Juve sait rendre bavards ceux-là même que j’ai tués ! Allons… Je vais brusquement arrêter toutes les enquêtes de Juve…

Fantômas riait un peu, puis il empoignait au collet le mort, il le dressait à moitié, et fixant dans ses yeux son regard de flamme, il articulait encore :

– Je tue ceux qui se dressent sur ma route… Je tue ceux qui me gênent… Je tue ceux qui prétendent lutter contre moi !

Soudain, c’était un éclat de rire démoniaque qui s’échappait de ses lèvres, il semblait devenu fou cependant qu’il articulait :

– Je tue même les morts, lorsque les morts se font mes ennemis !

Et, d’un grand geste, Fantômas poussait dans le fleuve le cadavre du malheureux Daniel…


Qu’était devenu Bouzille, et comment Bouzille, à l’instant même où Fantômas précipitait de la cour intérieure de la morgue dans les flots jaunâtres de la Seine le cadavre de Daniel, se trouvait-il à quelque distance, accoudé sur le pont de l’Hôtel-de-Ville, penché en avant, au grand risque de tomber, et paraissant fort intrigué ?

Bouzille, à vrai dire, avait eu de nombreuses aventures, et avait dû faire preuve d’une habileté sans pareille pour parvenir à rentrer à Paris aussi vite que Fandor et que Fantômas qui, eux, avaient rejoint la capitale par le moyen du rapide.

Le retour de Bouzille tenait à vrai dire du prodige.

Alors qu’il se disputait avec l’aiguilleur au sujet du disque qu’il prétendait fermer et qu’il avait ouvert, risquant d’occasionner ainsi un épouvantable tamponnement entre le train rapide et le train de marchandises supplémentaire qui le devançait, Bouzille s’était enfui droit devant lui, courant au hasard dans la campagne, perdant la tête, littéralement affolé.

Le brave chemineau n’avait évidemment aucune intention mauvaise, lorsqu’il avait appris son erreur involontaire ; fou de désespoir, furieusement vexé aussi dans son amour-propre, appréhendant enfin de sérieux reproches du journaliste, il était parti courant à travers champs, sans nullement se soucier d’aller voir ce qu’il était advenu de son malheureux compagnon.

Bouzille, toutefois, cependant qu’il courait le plus vite qu’il lui était possible, ne pouvait s’empêcher de réfléchir. Or, quand Bouzille réfléchissait, il arrivait régulièrement que, suivant une pente naturelle, ses pensées l’amenaient à s’occuper de transactions financières.

Bouzille avait l’âme d’un négociant, Bouzille rêvait toujours de vente et d’achat, et n’était jamais plus heureux que lorsqu’il lui était possible de s’adonner à quelque combinaison au résultat problématique le plus souvent.

Dans ces conditions, Bouzille, tout en courant, songea bientôt :

– Sûrement, si le rapide cogne dans les marchandises, ça va faire un bouzin formidable, et un rude tas de ferraille.

De là à songer tout net qu’une collision, un accident, avait pour effet de produire un certain désordre, de là à penser qu’au cours d’un accident, il devait y avoir pas mal de valises égarées, de vêtements abandonnés, voire de blessés à détrousser, il n’y avait pas évidemment très loin.

Bouzille, brusquement, cessa de courir et l’oreille au guet, une grimace de contentement plissant son front, se prit à respirer profondément.

– Eh ! eh ! se disait le chemineau, si j’allais faire un tour par là ?

Il se décidait rapidement.

Bouzille, d’ailleurs, était l’homme des résolutions promptes. Rebroussant donc chemin, il revenait dans la direction de la voie ferrée. Or, il arrivait à peine au bas du remblai, qu’il apercevait tout juste le rapide en panne, le rapide qui venait de s’arrêter pour ne point écraser Jérôme Fandor.

Bouzille, naturellement, trouva l’occasion excellente pour se distraire un petit peu. La curiosité, d’ailleurs, le piquait, il avait essentiellement l’âme du badaud, et c’est pourquoi il se mêlait à la foule, écoutant les conversations des voyageurs, hochant la tête, approuvant, commentant, suggérant aussi.

– Dame, si le mécanicien a vu quelqu’un sur la voie et qu’on ne le trouve pas, c’est probablement qu’ce quelqu’un s’est débiné ?…

Bouzille se disait, en effet, que le mécanicien ne s’était certainement pas trompé. Il devinait fort bien que le personnage qui avait été aperçu était Fandor, et il comprenait à merveille que Fandor avait disparu, sachant parfaitement que le journaliste ne pouvait pas se montrer ostensiblement, puisqu’il entendait, au terme de ses projets, surprendre Fantômas en le faisant arrêter à l’improviste.

Bouzille, nullement inquiet du sort de Fandor, mais peut-être déplorant tout bas que l’accident escompté n’eût pas eu lieu, songeait bientôt, malgré tout, à tirer profit raisonnable d’une situation qu’il avait un peu créée.

– Ce train-là, ça s’en va à Paris, se disait Bouzille. Si seulement je pouvais trouver moyen de monter dedans…

Mais Bouzille n’avait pas de billet, et Bouzille ne se souciait guère, étant donné les aventures qu’il venait d’avoir, tant en compagnie de Fandor qu’en compagnie de Fantômas, de risquer d’attirer l’attention sur lui.

Si voyager sans billet était dangereux, Bouzille jugea en revanche que voyager avec un billet volé était tout ce qu’il y avait de plus pratique.

Profitant donc de ce que les voyageurs, inquiétés par l’arrêt brusque du rapide, s’étaient répandu sur les voies, Bouzille escaladait les marchepieds des wagons, se glissait à l’intérieur des compartiments, et sans vergogne, commençait à fouiller dans les valises et dans les sacs à main qui se trouvaient dans les filets.

Bouzille était servi par le hasard. À la troisième tentative, il découvrait un coupon de voyage circulaire à destination de Paris. Ce coupon était un coupon de deuxième classe, mais Bouzille ne tenait aucunement, en vérité, à voyager en première.

Le chemineau, dès lors, tranquille comme Baptiste, ne songeant point que peut-être ce billet pouvait le faire signaler et reconnaître, s’installait dans le train. Il se couchait sur une banquette, et, pour éviter d’être reconnu par Fantômas ou par Fandor, qui devaient être ses compagnons de route, il avait soin de se coucher sur le ventre, enfouissant sa tête entre ses mains, se faisant aussi petit que possible.

Tout se passait d’ailleurs le mieux du monde. Le train, à la suite de son arrêt, avait du retard. Cela occasionnait un changement dans les habitudes de surveillance, on ne contrôlait point les billets. Bouzille se tirait fort habilement des difficultés de la douane, bref, il arrivait à Paris sans encombre.

À la gare cependant, tout manquait de se gâter.

Comme Bouzille, en effet, était descendu l’un des premiers, il apercevait parfaitement Fandor qui se dirigeait vers la sortie et s’embusquait là sans bouger.

– Ouais… se dit Bouzille, peut-être bien que m’sieur Fandor ne me ferait pas des amitiés s’il me voyait… Vaut mieux que j’rebrousse chemin !

Bouzille était revenu sur ses pas, avait attendu quelques instants, et, de loin, avait assisté à l’abominable bagarre au cours de laquelle Fantômas, avec un sang-froid parfait, organisait en quelque sorte la formidable raclée que recevait Jérôme Fandor.

Philosophe, Bouzille se rassura pour l’avenir.

– C’est épatant, murmurait-il. Ça, c’est de la boxe, au moins… bon Dieu, que c’est beau ! Ils cognent tous à la fois !

L’admiration toutefois n’excluait pas chez Bouzille une certaine prudence.

– Et puis, ajoutait-il brusquement, si c’est beau, c’est dangereux aussi. Moi, je les aime bien tous, mais j’voudrais pas être arrêté comme complice de Fantômas, ou être assommé comme ami de Fandor… Autant vaut s’débiner par ailleurs.

Sortir de la gare sans être vu ne pouvait évidemment pas embarrasser Bouzille lui, pendant plus d’une année, avait fréquenté les champs de course, se rendant toujours à Auteuil, par la Ceinture, et ne payant jamais son billet. Il connaissait à merveille, en effet, les moindres détours de la gare, et il s’empressait d’en profiter.

Bouzille traversait les voies, longeait les bâtiments des aiguilleurs avec l’insouciance d’un employé qui sait qu’il a le droit d’être où il se trouve, et finissait par atteindre le dépôt des mécaniciens.

D’un signe de main protecteur, Bouzille saluait le fonctionnaire qui gardait la porte d’entrée.

Il avait l’air si sûr de lui, que personne ne l’inquiétait. Bouzille regagnait donc la rue le plus aisément du monde. Cela d’ailleurs l’enchantait.

– Il y a qu’moi, remarquait-il, les ministres et les p’tits oiseaux pour oser s’balader comme ça, sans seulement fout’deux sous de pourboire au directeur de la compagnie !

Une fois dans la rue, cependant, Bouzille, qui avait des sentiments chauvins au fond de son âme, humait l’air de la capitale avec une véritable satisfaction.

– Vrai, l’crottin d’ici, estimait Bouzille, y sent rudement bon !… L’pavé, ça fait plaisir pour râper ses godasses. Seulement, j’boirais bien un coup !

Bouzille avait réfléchi et longuement cherché dans quel cabaret on pourrait lui faire crédit d’un litre à seize, ce qui représentait à ce moment le summum de ses ambitions.

Bouzille avait quelque peine à le trouver, car, en réalité, il devait de l’argent un peu partout, et n’inspirait confiance nulle part.

– À Montmartre, disait-il, chez l’bossu, je dois un camembert… Aux Halles, j’ai six francs de cervelas sur le dos… À Ménilmuche, on m’a fichu à la porte partout, rapport à ce que j’trichais au jeu, une blague, d’ailleurs !

Bouzille se rappela qu’à Montrouge, en un cabaret fort bien achalandé, on l’avait encore condamné à crever de pépie, rapport à ce qu’il avait liché en une seule soirée, tout le litre d’un ouvrier qui jouait paisiblement aux dames sans s’apercevoir que Bouzille fouillait tranquillement dans son panier et escamotait le restant de ses provisions.

– C’est terrible ! gronda Bouzille… C’est rudement terrible… de n’pas avoir de crédit !

Mais soudain il se frappait le front : rue de la Huchette, il connaissait une sorte de caveau où habitait l’un de ses copains. Quand Bouzille avait été mêlé aux terribles affaires du fiacre de nuit, ce copain et lui avaient voulu trafiquer dans le commerce des vins . Bouzille avait naturellement bu son fond, mais le copain avait continué le commerce. C’était un brave homme, Bouzille estima :

– Je pleurerai pendant une heure, mais tout de même, j’aurai mon litre. Allons-y…

Il y avait loin de la gare du Nord à la rue de la Huchette, mais Bouzille n’était pas pressé. Il était si peu pressé qu’il trouvait moyen d’allonger le chemin et de passer par le pont de l’Hôtel-de-Ville.

Or, Bouzille était arrivé sur ce pont, précisément à l’instant où Fantômas jetait le cadavre de Daniel par-dessus les murs de la morgue…


– Sûrement, se disait quelques instants après le chemineau, sûrement ils sont en train de trafiquer quelque chose de louche…

Et tirant la langue d’émotion, ouvrant des yeux ronds, reniflant avec une force qui prouvait la tension de son esprit, Bouzille surveillait sous les piles du pont une petite barque noire qui était dissimulée là, et sur laquelle semblaient avoir pris place quatre ou cinq individus.

– C’est rudement rigolo, songeait Bouzille. J’peux pourtant pas croire qu’ils sont occupés à faire de la politique… Ça ne serait-y pas l’heure ni l’moment, et puis d’abord, y n’gueulent pas… la politique, ça fait plus d’bruit !

Cette remarque faite, Bouzille passait à une autre supposition :

– Y n’pêchent pas non plus la baleine, décidait-il, car la Seine est trop haute, le poisson ne pourrait pas passer sous les arches… Quant à ce qui est d’chercher des perles, faut pas y songer… les huîtres, y n’y en a que dans les caboulots à Paris !

Bouzille allait du complexe au simple, bientôt il imagina :

– Sûrement, ça doit être un truc à la manque… un bain froid, p’t’être bien, que l’on offre à un cossu ?…

Précisément, à cet instant, le vent, qui était propice, apportait à Bouzille un coup de sifflet prolongé.

Bouzille, à cet instant, n’en menait pas large…

– Oh ! oh ! se dit-il, ça, c’est les flics…

Mais il changea d’avis en voyant les individus de la barque au lieu de s’enfuir, prendre les avirons et se tenir prêts à avancer.

– C’est qu’ils ne foutent pas le camp, reconnut Bouzille. Ils ne foutent pas le camp du tout. C’est donc pas les flics, alors ?

Bouzille restait indécis, lorsqu’il était brusquement témoin de la plus extraordinaire des choses.

Il apercevait tout d’abord une nouvelle barque qui faisait force de rames et descendait le courant. À bord se trouvait un homme que Bouzille ne pouvait distinguer, car la barque longeait les berges, restées dans l’ombre, et il était quasi invisible.

Les yeux perçants du chemineau lui permirent pourtant de deviner que la seconde barque, habilement dirigée, semblait convoyer quelque chose qui devait flotter au gré du courant.

– Je n’comprends pas, se dit le chemineau, je n’comprends pas du tout !

Mais, un instant plus tard, Bouzille comprenait, et ce qu’il comprenait le terrifiait à tel point qu’il se prenait à claquer des dents, à sentir ses jambes flageoler sous lui au point qu’il demeurait anéanti, appuyé sur le parapet du pont, incapable de se mouvoir…

– Ça, c’est plus fort que tout… c’est plus fort que tout ! murmurait Bouzille.

La barque qui descendait le courant avait brusquement été rejointe par la barque qui stationnait sous le pont. Les deux bateaux s’étaient heurtés, puis s’écartaient l’un de l’autre. Les hommes qui les montaient alors se dressaient, agitaient de longues gaffes, semblaient faire de violents efforts pour attirer quelque chose qui devait être lourd et pesant.

Mais qu’était-ce donc que ces hommes noirs repêchaient ?

Bouzille, pris de stupeur, voulut le savoir coûte que coûte et s’efforça, malgré l’obscurité, de ne point perdre un mouvement des étranges bateliers.

Or, sa ténacité devait être récompensée : quelques instants plus tard, en effet, Bouzille était renseigné, renseigné à merveille, puisque, juste au-dessous de lui, le flot emportait les barques pendant que les bateliers, penchés sur le fleuve, hissaient à leur bord une forme noire, rigide, une forme qu’il était très facile d’identifier, la forme d’un cadavre…


Bouzille, absolument stupéfié par ce qu’il venait de voir, demeurait tout d’abord quelques instants encore, sans bouger, ne sachant plus très bien quel parti il était important de prendre, et de quelle façon il pouvait légitimement espérer tirer parti des aventures dont il venait d’être témoin.

Mais Bouzille, par bonheur, était un homme inventif et obstiné.

Il n’avait pas besoin de réfléchir longtemps lorsqu’une question de gros sous était en jeu. L’inspiration lui venait comme elle vient d’ordinaire aux hommes de génie, brusquement et sans peine aucune.

– Ma foi, se dit Bouzille, avant tout, il faut savoir si cette chose-là ne pourrait pas intéresser la police !…

Bouzille claquait de la langue, satisfait, car, tout au fond de lui-même, il était depuis quarante-huit heures assez inquiet au sujet de sa situation policière.

Fandor l’avait découvert avec Fantômas, cela ne pouvait-il pas lui causer des ennuis ?

Et Bouzille, qui tenait à sa tranquillité, se disait à ce moment tout naturellement :

– Ma parole, j’suis bien bête de m’faire du mauvais sang… y a quelque chose qu’est bougrement simple pour me remettre dans les bonnes grâces de l’autorité, je n’ai qu’à lui être utile… Allons donc raconter à qui de droit ce que je viens de découvrir !

Et Bouzille, oubliant sur-le-champ sa soif et le désir qu’il avait d’avaler un litre à seize, se reprit incontinent à trotter…

Bouzille traversait à nouveau tout Paris et parvenait rue Tardieu au commencement du petit jour.

Bouzille s’était rendu rue Tardieu, car, tout naturellement, il avait pensé à faire bénéficier Juve, qu’il appelait toujours son vieil ami Juve, des découvertes de sa nuit.

Or, précisément à l’instant où Bouzille remontait la rue de Steinkerque, s’apprêtant à aller carillonner à la porte de l’immeuble qu’occupait le policier, Bouzille butait dans les jambes de Juve, qui, venant de quitter Théodore Gauvin, s’apprêtait, étant terrassé de fatigue, et ne soupçonnant pas qu’une dépêche de Fandor l’attendait chez lui, à prendre quelque repos.

Bouzille, naturellement, agrippait Juve au passage.

Bouzille paraissait dans un état de surexcitation extraordinaire.

– Voilà, criait-il, m’sieur Juve, c’est moi-même et pas un autre… D’abord, quoi qu’on en dise, on est toujours à la hauteur, et y en a pas encore beaucoup pour nous faire le poil… Enfin, pour c’qui est de ce qui retourne aujourd’hui, j’peux comme ça vous confier une bonne chose, une chose qui vous mettra dans des états, encore… J’viens d’me promener sur un pont et d’voir des gars qui refilaient en douce un cadavre. Si c’est qu’l’indication vous paraît valoir quelque argent, vous pouvez toujours verser sans crainte, je n’ferme pas les guichets de la caisse !


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