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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Chapitre VI


Le paralytique

C’était évidemment une très vieille dame et en même temps, incontestablement, une brave femme, un peu bavarde et exubérante, mais sympathique cependant. Devant sa petite maisonnette, à Haarlem, elle avait hélé d’un geste bref une des voitures publiques qui se tenaient à la disposition des clients, et maintenant elle assourdissait le cocher de recommandations extraordinaires, faisant de grands gestes, multipliant les signes de tête, ce qui semblait mettre en grand péril le volumineux panache de plumes qui ornait sa capote aux brides de velours.

– N’est-ce pas mon brave ? recommandait-elle : vous irez très vite, car je ne voudrais pas manquer le train, mais vous éviterez de passer sur les pavés car la moindre secousse cause au pauvre enfant une intolérable douleur… Ah, j’oubliais… à la gare, il faudra aussi m’aider à le faire descendre.

Le cocher, un Hollandais de pure race, qui fumait une énorme pipe de porcelaine, écoutait flegmatiquement tous ces avis, et tâchait d’en démêler le sens exact.

– C’est bon, faisait-il. On fera ce qu’on pourra pour vous être utile. Quel âge a votre fils ?

– Vingt-six ans, répliquait la vieille femme. Ah ! Dieu m’aide !… je vous assure, cocher, que c’est un bien grand malheur pour une pauvre femme comme moi, qui n’a plus de mari, et qui se trouve seule dans la vie, d’avoir à soigner un infirme si gravement atteint… D’ailleurs, vous allez voir. Descendez de votre siège, mon bon, vous m’aiderez à porter son fauteuil. On se doit assistance, n’est-ce pas ?

– Sûrement, accepta le cocher.

Il venait d’accrocher son fouet, il rejetait ses guides, déroulait sa couverture, et finissait par sauter sur le sol, pesamment, avec des gestes engourdis.

– Venez, répétait la vieille dame, venez…

Le cocher, suivant sa cliente, pénétra dans une salle obscure qui se trouvait au rez-de-chaussée de la maisonnette. Les volets étaient clos, la pièce était en ordre, le cocher salua en entrant :

– Pardon, excuse…

Et il tournait son chapeau dans ses doigts, considérant le fond de la pièce.

Là, se trouvait, en effet, l’un de ces fauteuils de malade que l’on porte au moyen de brancards. Sur ce fauteuil était assis un homme de vingt-cinq ans environ, au visage extraordinairement pâle, à l’air souffreteux et malade, qui, immobile, la tête penchée sur la poitrine, semblait ne pas avoir entendu l’arrivée de la vieille dame et du cocher.

La vieille dame expliquait déjà :

– Le pauvre enfant vient d’avoir une crise terrible, et il dort en ce moment… Parbleu, on tirerait le canon à côté de lui qu’il n’entendrait même pas. Tenez, cocher… prenez les brancards par derrière, je vais prendre ceux de devant ; nous l’emporterons ainsi jusqu’à votre voiture.

Le cocher s’exécutait, la vieille dame geignait encore d’un ton convaincu :

– Que le bon Dieu m’aide !… que la sainte Vierge me fasse miséricorde ! Justement, je l’emmène à Lourdes. Vous comprenez, on voit tant de miracles extraordinaires.

La vieille dame et le cocher, portant le fauteuil, atteignaient bientôt le fiacre.

– Soyez complaisant, disait encore la vieille dame. Voilà ma clef, cocher ; voulez-vous fermer la porte de la maison pendant que je vais le faire monter en voiture ?

Le cocher, qui commençait à escompter un fort bon pourboire, ne refusait pas le service qu’on lui demandait. Il allait donc fermer la porte de la maisonnette, cependant que la vieille dame, soutenant son fils paralytique, le portait presque, le poussait dans la voiture, où elle l’installait sur un coin de la banquette avec des gestes précautionneux.

– Et voilà… faisait-elle, comme le cocher lui rendait son trousseau de clefs. Mettez le fauteuil sur le siège à côté de vous, il me servira pour transporter mon pauvre malade à la gare ; mais fouettez votre cheval, hein ! nous avons juste le temps !

Le cocher regrimpait sur son siège, bientôt la voiture démarrait.

Or, le fiacre s’était à peine ébranlé, se dirigeant vers Amsterdam pour gagner la gare d’où partent les grands rapides de France, que la vieille dame, seule avec son fils paralytique à l’intérieur de la voiture, se prenait à soupirer profondément :

– Ouf ! faisait-elle. Jusqu’à présent, tout s’est bien passé, et si Ma Pomme n’a pas fait de gaffes, j’ai tout lieu de croire que je réussirai. Par exemple, jour de Dieu, je risque vraiment gros jeu !…

Chose curieuse, en disant ces mots, la vieille dame changeait de voix !

Pour parler au cocher, elle avait eu le ton criard et suraigu des vieilles femmes, maintenant, au contraire, elle s’exprimait sur un ton grave, avec, semblait-il, un tout autre organe.

Le fiacre, cependant, avançait rapidement. En tournant le coin d’une rue, il heurtait un peu le trottoir, et la secousse était si brusque que le paralytique, tout appuyé qu’il était contre la voiture, était jeté de côté et tombait sur l’épaule de sa mère.

Celle-ci, d’une bourrade, le rejeta dans le coin.

– C’est assommant, murmurait-elle ; la rigidité n’est pas complète, et cet imbécile s’écroule tout le temps !

Un instant plus tard, cette vieille dame, aux allures si débonnaires, faisait encore une bizarre observation :

– Vraiment, je fumerais bien une cigarette, mais ce maudit cocher ne manquerait pas de trouver la chose extraordinaire de la part d’une vieille femme qui part à Lourdes en compagnie de son fils paralytique !

La voiture continuait à avancer : le malheureux jeune homme, maintenant, avait la tête renversée en arrière, et ses yeux grands ouverts semblaient fixer d’un regard terne la campagne que l’on apercevait par la vitre de la portière.

La vieille femme, d’un coup d’œil rapide, examina sa position.

– C’est assommant, murmurait-elle encore, il n’y a pas moyen de le faire dormir !…

Elle s’avançait sur la banquette, se retournait vers son fils, glissait sa main derrière sa tête, et, d’une secousse brusque, la penchait en avant, le forçant à dormir ou du moins à prendre la pose de quelqu’un qui dort, le front baissé, le menton appuyé sur la poitrine, la tête dodelinant.

– Ah, fichtre ! grommelait-elle, je ne tiens pas à ce qu’il bouge !

À l’instant même, la voiture faisait un grand virage, puis venait stopper sur l’esplanade, le long du trottoir qui borde la gare, à l’endroit exact où, quelque temps auparavant, avait eu lieu la fameuse bagarre qui avait eu tant d’influence sur les destinées d’Hélène et de Bobinette.

La vieille dame ouvrit la portière, et sauta sur le sol avec une agilité remarquable.

Mais c’était en vérité une surprenante vieille dame, car, en descendant, elle grommelait sur un ton qui n’avait rien de féminin :

– Nom de Dieu ! jouons serré…

Descendue sur le trottoir, cependant, d’une toute autre voix, elle apostrophait le cocher :

– Eh bien, mon brave homme, passez-moi donc le fauteuil, que j’y porte mon pauvre enfant… Ah ! c’est une chose malheureuse, allez ; justement le cher ange, il souffre le martyre !…

Elle avait tiré de sa poche un énorme mouchoir, elle s’en tamponnait les yeux, rapidement, cependant qu’elle se mordait les lèvres avec rage.

Qui pouvait provoquer l’attitude grognonne que prenait la vieille dame en ce moment ?

Le cocher ne chercha même pas à le deviner. Il passait, comme on le lui demandait, le fauteuil de bois que la vieille femme installait sur le trottoir, tout contre la portière du fiacre.

– Cocher, demandait la vieille, voilà mes billets, passez sur le quai, allez vous renseigner pour trouver le train d’Anvers. Vous reviendrez ensuite m’aider…

Le cocher s’éloignait, la vieille dame rentrait dans la voiture, prenait la main du paralytique, et, d’un seul geste, arrachait le malade de son coin.

– Allez hop ! faisait-elle.

Le malheureux infirme, évidemment plongé dans une torpeur profonde, ne geignait même pas. Il s’abandonnait, et sa mère pouvait le tirer hors du fiacre, plutôt que l’en descendre, le faire tomber presque dans le fauteuil où, supposant qu’on la regardait, elle l’installait bientôt avec un soin extrême.

– Es-tu bien, mon pauvre enfant ? Là… tu n’as pas froid ? Mais il ne m’entend même pas, mon Dieu… Ah ! quelle crise, quelle crise il vient d’avoir !

À ce moment, et comme des facteurs s’approchaient, prêts à proposer leur aide, le cocher revenait :

– Le train est rangé, madame.

– Bon, parfait, aidez-moi, alors…

L’un et l’autre prirent les brancards et se dirigèrent vers l’intérieur de la gare.

Or, comme ils allaient franchir une porte, un jeune homme, qui marchait vite et semblait nerveux, se heurta aux brancards.

– Fais donc attention, Fandor, cria une voix bien timbrée.

Le jeune homme, qui n’était autre que Fandor, se jeta de côté, saluant.

– Oh ! pardon, faisait-il aimablement, je n’avais pas vu…

Et, tout contrit de sa maladresse, Jérôme Fandor offrait ses services :

– Excusez-moi, madame. Ne puis-je vous être utile à quelque chose ? Voulez-vous que je porte à votre place ?

La vieille d’un signe de tête rapide, refusa :

– Je ne veux pas que personne touche à mon fils !

Et ce devait être en effet la vérité, car, quelques minutes plus tard, la vieille dame hissait encore elle-même, aidée seulement du cocher, le malheureux paralytique qu’elle installait dans un compartiment de première classe, et dont elle enroulait les membres dans une épaisse couverture.

– Dodo, fais dodo ! murmurait-elle.

Et comme le cocher payé, et largement payé, s’éloignait en multipliant les saluts, la vieille claquait la portière, marchant sur les pieds de son fils, sans la moindre vergogne. En se retournant, elle heurtait même la jambe du malade, ce qui lui tirait un nouveau juron :

– Nom de Dieu ! faisait-elle. L’abominable charogne me gênera donc toujours ?

À cet instant, elle se penchait à la portière, contemplait fixement l’arrière du train.

– Et ils montent dans le même wagon que moi, faisait-elle. Nous ne sommes séparés que par quatre ou cinq compartiments… Décidément, tout est pour le mieux ! Juve et Fandor, tenez-vous bien !

Quelle était donc cette extraordinaire bonne femme ? Que signifiaient et son attitude, et ses paroles ? Quelle était la raison de la menace qu’elle semblait implicitement formuler à l’égard de Juve et de Fandor ?

Le train, dix minutes plus tard, démarrait péniblement, puis prenait de la vitesse, filait enfin au long de la voie à toute allure. La vieille s’était assise en face de son fils, elle avait déployé un grand journal, elle lisait attentivement les nouvelles de la dernière heure, cependant qu’un autre voyageur, un gros prêtre à la face joufflue, montait dans le même compartiment, ouvrait et refermait son bréviaire, se démenait sur la banquette, jetait des regards sympathiques au malade, faisait le plus de bruit possible enfin, dans l’espoir évident d’engager la conversation et de tromper ainsi la monotonie du trajet.

Il était certain toutefois que la vieille dame ne tenait nullement à bavarder. De temps à autre, d’un furtif regard, elle examinait son fils, s’assurait qu’il dormait toujours, puis se replongeait dans son journal.

Des heures passèrent ainsi. L’express stoppa à des petites gares. Haletant, époumoné, un autre voyageur, à quelque distance d’Anvers, prit place dans le compartiment.

Lui aussi avait un regard apitoyé pour le malheureux malade qui semblait de plus en plus pâle, mais fort correctement, il ne cherchait nullement à engager la conversation. Passant devant la vieille dame, d’ailleurs, il avait été s’asseoir dans le coin opposé, juste en face du gros prêtre qui avait fini par se décider à tirer lui aussi, un journal de sa poche, et qui lisait les faits divers.

Quel était ce nouveau voyageur ?

Si Job Tylor, le détective bruxellois, avait été mis en sa présence, il n’aurait certainement pas hésité à l’identifier, car ce n’était autre que le courtier en parfumerie, M. Jussieu, lequel avait été victime d’un vol abominablement audacieux, dans son propre domicile.

M. Jussieu revenait vers Paris, ce qui n’était guère extraordinaire, mais évidemment il n’y revenait pas par la voie la plus directe, puisque, au lieu d’avoir pris à Bruxelles le train de la capitale, il avait commencé par s’éloigner de Paris, allant s’embarquer bien au-delà d’Anvers, à quelques pas de la frontière hollandaise.

M. Jussieu, tranquille dans son coin, continuait à lire le journal qu’il avait tiré, lui aussi, lorsqu’à une nouvelle station, le prêtre qui se trouvait dans le compartiment descendait.

M. Jussieu, aimablement, l’avait aidé à sortir sa valise, il regagnait son coin, prêt à reprendre sa lecture, lorsque la vieille dame abandonnait enfin son obstiné silence.

La voix brusque, impérieuse, une voix grave, en vérité, la vieille dame appelait :

– Ma Pomme ?…

Or, à cette interjection, M. Jussieu sursautait. Il sursautait comme très surpris, comme frappé de stupeur même ; il regardait en même temps dans le couloir du wagon, cherchant évidemment qui avait parlé, et ne croyant pas que ce fût sa compagne de route.

Celle-ci, toutefois, ne lui permettait pas d’hésiter longuement. Elle reprenait en effet :

– Ma Pomme ?…

Cette fois, M. Jussieu la considéra fixement.

– Pardon, commença-t-il, mais…

Un éclat de rire lui coupa la parole, la vieille dame semblait au comble de la bonne humeur.

– Imbécile, articulait-elle. Tu ne me reconnais donc pas, Ma Pomme ?

Ces paroles s’adressaient visiblement à M. Jussieu, et celui-ci, d’ailleurs, ne semblait pas autrement étonné du bizarre sobriquet que la mère du paralytique paraissait lui attribuer. Il se tournait vers la vieille, il la regardait avec un soin extrême, puis, d’un coup d’œil, indiquait à la bonne femme la présence du paralytique.

Or, ce coup d’œil paraissait en vérité mettre le comble à la gaîté de la vieille femme.

Elle riait encore quelques instants, elle riait tout son saoûl, puis elle affirmait :

– Ne t’occupe pas de lui, Ma Pomme… C’est un garçon discret !

Et soudain seulement, la vieille ajoutait :

– Fichtre ! qu’il fait chaud là-dessous… Cette perruque me cause un effroyable mal de tête !

Et, prononçant ces paroles, la vieille prenait son chignon à pleine main, le tirait de dessus sa tête, ce qui avait l’étrange effet de la débarrasser en même temps de son volumineux chapeau.

Oh ! c’était évidemment une extraordinaire vieille que la mère du paralytique !

Et si Juve ou Fandor, qui se trouvaient dans le même train, à quelques compartiments de distance, avaient pu l’apercevoir, ils n’auraient point manqué d’en éprouver la plus forte émotion.

La vieille dame, en effet, débarrassée de sa perruque et de son chapeau, changeait brusquement de visage.

Une vieille dame ? Allons donc !… Il n’y avait pas à s’y tromper. Cette vieille dame, c’était un homme, un homme jeune, aux traits énergiques, au visage volontaire, aux yeux brillants, un homme dont les traits étaient légendaires, un homme que M. Jussieu reconnaissait à l’instant, qu’il nommait en joignant les mains :

– Ah ! par exemple ! disait le courtier en parfumerie, vous !… vous ici !… je ne vous avais pas reconnu, vous, maître !… vous, Fantômas !

À quoi Fantômas, car la vieille n’était autre, en effet, que le terrible Génie du crime, ripostait en riant :

– Eh oui, imbécile, c’est bien moi !… La vieille dame, c’est bien Fantômas, comme M. Jussieu est bien… Ma Pomme !

Vingt minutes plus tard Fantômas, qui d’ailleurs avait remis sa perruque et son chapeau de vieille femme, causait ardemment avec l’extraordinaire M. Jussieu, qu’il s’obstinait à appeler Ma Pomme, ainsi qu’il était naturel, puisque M. Jussieu était en réalité l’apache de ce nom.

Fantômas interrogeait :

– Alors, faisait-il la voix brève… continue, poursuis… tu en étais au moment où, devant cet imbécile de détective, tu faisais semblant de t’évanouir à nouveau… Qu’arriva-t-il ensuite ?

Ma Pomme, à ce moment, avait la face la plus joyeuse du monde et riait de tout son cœur. Il s’octroyait de grandes claques sur les cuisses, et paraissait au comble du contentement.

– Attendez, faisait-il, attendez, maître… vous allez voir que je ne suis pas la moitié d’une gourde…

Et, faisant une pause pour rire, il reprenait bientôt :

– Donc, maître, j’avais à ce moment à peu près rempli la mission dont vous m’aviez chargé. J’avais, en effet, prévenu la police que Fantômas, que vous, par conséquent, vous menaciez quelqu’un, quelqu’un qui n’était autre que moi, et qu’en conséquence, vous deviez être à Bruxelles. La police m’avait envoyé promener, et j’avais été voir un détective privé. Chez ce détective privé, enfin, je simulais un vol, jetant au feu les faux billets de banque qui garnissaient ma serviette, hurlant comme un putois, et m’évanouissant comme une jeune mariée. Dans ces conditions, Job Tylor était évidemment prêt à certifier que le vol avait bien été commis par Fantômas et qu’en conséquence vous étiez bien à Bruxelles. C’était ce que vous vouliez, n’est-ce pas, maître ?

– Exactement, approuva Fantômas. Continue !

Ma Pomme prit un air avantageux.

– Dans ces conditions, maître, j’aurais pu tout tranquillement ne pas poursuivre les choses, mais j’ai voulu avoir la victoire jusqu’au bout.

– Et alors ?

– Et alors, maître, pendant que cet excellent Job Tylor, victime de mon stratagème, se démenait pour me tirer d’un évanouissement qui n’avait jamais existé, je faisais preuve de véritables qualités que vous apprécierez, j’en suis sûr.

Fantômas, en entendant cela, ne put s’empêcher de sourire.

– Ne te félicite pas toi-même, murmura-t-il. Raconte simplement ce que tu as fait, je saurai fort bien l’apprécier.

Mais cette réprimande ne troublait nullement Ma Pomme qui continuait, faisant preuve d’un certain orgueil :

– Il n’était pas difficile de me tirer de mon évanouissement, puisque je n’étais pas évanoui. Bientôt donc, n’ayant aucun goût pour les seaux d’eau que Job Tylor me versait sur la tête, je daignais me réveiller. À cet instant, le détective m’interroge avec angoisse. Je lui contai une surprenante histoire que Fantômas était entré par la fenêtre… qu’il m’avait aux trois quarts assommé, et qu’il m’avait dépouillé de mes billets de banque. Puis, j’ajoutai que je voulais porter plainte, qu’il était abominable que la police officielle ait refusé de me protéger… bref, je menaçai de faire un scandale à tout casser.

Fantômas écoutait les discours de son complice, souriant toujours. Il interrogea encore :

– Et que fis-tu alors ?

Mais Ma Pomme était secoué d’un nouvel éclat de rire. Il dut vaincre son hilarité pour achever son récit :

– Eh bien, Fantômas, disait-il, c’est là où l’histoire devient amusante… Très ému, Job Tylor m’écouta : il croyait sincèrement à votre venue, et il voulait, disait-il, mener les choses rondement. Bref, un quart d’heure après, j’étais dans le cabinet du procureur général en compagnie de mon détective, criant, hurlant, menaçant de dire à la presse comment la police officielle m’avait envoyé promener, faisant, enfin, tant de potin, que le procureur général commençait à trembler pour sa charge !

À cet instant, Ma Pomme éclatait de rire encore. Fantômas, qui était de bonne humeur évidemment, le pressa :

– Tu riras tout à l’heure, imbécile, grommelait-il. Parle donc… Que fit le procureur général ?

– Il fit quelque chose à quoi je ne m’attendais pas, déclarait-il. Il acheta mon silence !

Et, mettant la main dans sa poche, le faux M. de Jussieu sortait une liasse de billets de banque qu’il brandissait joyeusement :

– Le procureur général marcha comme un tambour-major. Tenez, patron, voilà ce qu’il a raqué : vingt-cinq billets. Et j’aurai la suite dans deux jours à Paris. Ah ! le pauvre homme… il avait une frousse, voyez-vous… C’est ma faute, disait-il. On vous a volé parce que je ne vous ai pas fait protéger : je ne veux pas que la presse s’empare de l’histoire, je vous rembourserai… Et il m’a remboursé !…

Ma Pomme se roulait sur les coussins du wagon… En fait, l’histoire était drôle et Ma Pomme la racontait avec sincérité. Il était exact que Job Tylor avait été victime de la comédie jouée par le faux M. Jussieu. Le détective n’avait pas supposé un instant que son soi-disant client abusait de sa crédulité, il avait cru que Fantômas l’avait dépouillé, et, naturellement, il lui avait dit de protester contre l’indifférence dont avait fait preuve à son endroit, la police belge officielle.

Tout naturellement alors, le procureur général avait eu peur d’avoir des ennuis ; il avait donc préféré de beaucoup rembourser à Ma Pomme, dont il était loin de soupçonner la véritable identité, les sommes soi-disant dérobées. Ma Pomme tendait les billets de banque à Fantômas.

– Voilà, patron, disait-il, voilà comment je m’acquitte des commissions que l’on me donne ! Qu’est-ce que vous en dites ?

Or, Fantômas, à son tour, riait franchement.

– Je dis, déclarait-il, que tu commences à être bon à quelque chose, Ma Pomme. Tout cela n’a pas été mal. Garde donc ces billets, ils sont à toi…

Ma Pomme allait remercier, mais Fantômas continuait à parler :

– D’ailleurs, ajoutait-il, je n’aurais aucun droit pour te les enlever, car je ne t’avais pas envoyé à Bruxelles pour opérer un vol, mais tout simplement pour donner le change à Juve et à Fandor, leur faire croire que j’avais quitté Amsterdam et que je rentrais à Paris.

Fantômas souriait bonassement ; il allait peut-être confesser à Ma Pomme que la ruse avait réussi, et qu’en réalité Juve et Fandor se trouvaient dans le même train où ils étaient tous les deux, lorsque à cet instant, brusquement, obéissant sans doute à quelque signal d’un disque, le train s’arrêta.

Il y avait alors de brusques soubresauts, les wagons se heurtant les uns les autres, et cela devait occasionner le réveil du paralytique, car celui-ci bougeait, se penchant en avant, au risque de perdre son équilibre.

À cet instant, Fantômas se levait, se précipitait, et d’une bourrade, redressait le malade. Son geste était si brutal, si tranquille, que Ma Pomme s’étonna :

– Au fait, demandait l’apache, qui est-ce donc, ce gaillard-là ? Et s’il m’est permis de vous interroger, Fantômas, pourquoi êtes-vous déguisé en femme ?

La question était assez naturelle, Fantômas, en l’écoutant, sourit tout en haussant les épaules.

– Heu, fit-il énigmatiquement, ce sont des affaires assez compliquées. Il n’empêche, Ma Pomme, que je veux bien, pour te faire plaisir, te donner quelques renseignements : ce paralytique s’appelle Daniel. Tu ne le connais pas, mais cela n’a aucune importance. Va donc lui serrer la main.

Fantômas parlait sur un ton si bizarre que Ma Pomme, à cet instant, le considéra avec une certaine émotion.

– Qu’est-ce que cela veut dire ? pensait-il. Pourquoi dois-je aller serrer la main à ce Daniel qui ne doit pas faire partie de la bande, car je n’en ai jamais entendu parler ?

Assez intrigué, Ma Pomme interrogea :

– Mais il a l’air de dormir, votre Daniel ?

– Cela ne fait rien, répliqua Fantômas. Serre-lui toujours la main.

Ma Pomme se leva, s’approcha du malade.

Or, comme il arrivait, la main tendue, auprès de celui-ci, l’apache, brusquement, se rejetait en arrière, poussant un sourd juron.

– Ah, nom de Dieu, faisait-il.

Et en même temps, il contemplait le paralytique avec une étrange insistance.

Fantômas, toutefois, éclatait de rire.

– Eh bien, demandait le bandit ? Tu ne lui serres pas la main ?

Mais, Ma Pomme, immobile, contemplait toujours le malade. Il demandait bientôt :

– Mais, Fantômas, je… je… je ne me trompe pas ?

Fantômas eut un éclat de rire encore plus violent.

– Eh non, déclarait-il à l’apache. Tu ne te trompes pas.

Et comme Ma Pomme le regardait avec des yeux d’épouvante, Fantômas brusquement ajoutait :

– Tu l’as bien deviné, Ma Pomme, ce paralytique, ce n’est pas un paralytique, c’est un mort… c’est un cadavre, c’est le cadavre d’un nommé Daniel, c’est un cadavre qui va me servir à la plus terrible des vengeances !…


Fantômas n’avait point menti. Il était profondément exact que le soi-disant paralytique qu’il avait eu l’audace d’emmener dans ce train, le faisant passer pour son fils, après s’être lui-même grimé en vieille femme, était le cadavre de ce fameux Daniel, ce jeune homme, aux allures étranges qui semblait être un policier, dont Juve et Fandor avaient remarqué la présence dans la pègre d’Amsterdam alors qu’ils cherchaient Hélène, que Fantômas avait assassiné d’un coup de poignard dans la propriété de M. Eair, le jour même où Benoît le Farinier et Geoffroy la Barrique, fort émus des bruits qu’ils entendaient dans le jardin, interrompaient leur beuverie pour s’enfuir en toute hâte et tenter, dans leur candeur, de regagner Paris à pied, supposant qu’ils n’en étaient guère éloignés.

Pourquoi Fantômas avait-il tué Daniel ? C’était évidemment son secret. Secrète aussi était l’intention qu’il avait de se servir de ce cadavre pour une terrible vengeance !

Fantômas n’était pas homme, en effet, à agir à la légère, au hasard, sans plan bien net, sans désir bien arrêté.

Il nourrissait évidemment depuis quelque temps d’importantes intrigues, de redoutables projets. S’il avait expédié Ma Pomme à Bruxelles avec mission de simuler un vol et de faire croire à la police officielle que Fantômas se trouvait dans la capitale de la Belgique, s’il avait tué l’inconnu répondant au nom de Daniel, s’il avait poussé l’audace jusqu’à emmener cet inconnu sous les apparences d’un paralytique dans le train de Paris, c’était évidemment qu’il avait de graves motifs pour agir ainsi, c’était très certainement qu’il entreprenait une fois encore quelques-unes de ces sombres intrigues qui tant de fois avaient endeuillé le monde et haussé son personnage de légende, sa réputation de Roi du crime, de Maître de l’effroi.

Fidèle à ses habitudes autoritaires, Fantômas d’ailleurs estimait qu’il avait assez renseigné Ma Pomme et que celui-ci n’avait pas à prétendre approfondir davantage ses intentions.

Fantômas, en effet, se levait.

– Voilà, disait-il, Ma Pomme. Voilà tout ce que j’ai à te dire en ce moment. Tu comprendras le reste peut-être un peu plus tard, et cela, d’ailleurs, importe peu.

Fantômas riait à quelque pensée secrète, puis il interrogeait son complice :

– Dis-moi, Ma Pomme, nous ne devons plus être très loin de la gare d’Anvers ?

– Patron, nous y serons dans une bonne demi-heure.

– Fort bien. Et à Anvers, il y a dix minutes d’arrêt, n’est-ce pas ?

– Oui, patron. Est-ce là que nous descendons ?

Fantômas, avant de répondre, parut réfléchir.

– Un instant, dit-il.

Puis il décida :

– Toi, Ma Pomme, tu ne descendras pas à Anvers. Moi, ce sera différent. Tu vas donc continuer avec ce train jusqu’à Paris ; je ne te donne pas d’autre mission que celle d’observer les incidents de route. Quand j’aurai besoin de te revoir, je te préviendrai.

Ma Pomme écoutait sans mot dire les instructions que lui donnait le bandit ; il hochait la tête, ajoutant :

– Patron, je serai toujours à votre disposition.

Mais Fantômas ne prêtait guère attention à ses paroles.

– Ma Pomme, reprenait-il, si nous devons être dans vingt-cinq minutes à Anvers, il importe de ne plus perdre de temps. Ferme les rideaux bleus pour empêcher les gens qui se promènent dans le couloir de voir ce que nous faisons, et aide-moi.

Un instant plus tard, Fantômas avait quitté son déguisement de vieille femme. Il avait dépouillé sa perruque, enlevé sa robe, et il apparaissait sous son aspect ordinaire, vêtu de vêtements noirs, le visage dégrimé, le geste libre, l’air décidé.

Mais Fantômas allait-il rester dégrimé en réalité ?

Il étalait maintenant sur les coussins de la banquette tout un attirail de fards et de crayons gras analogues à ceux dont se servent les comédiens.

– Ma Pomme, appelait Fantômas, tu vas me tenir sous les yeux cette photographie !

Fantômas avait tiré de sa poche une photographie qu’il remettait à Ma Pomme. Il s’était armé lui-même d’un gros bâton de fard, et il traversa le wagon, se rapprochant du coin occupé par le paralytique.

Quelle sinistre horreur allait donc encore réaliser le Maître de l’épouvante ? À quelle nouvelle ruse abominable allait-il avoir recours ?


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