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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Oui ! oui ! ça va bien ! disait un des matelots. On sait ce qu’on sait et on ne sait pas ce qu’on ne sait pas. Ça, c’est des affaires que vous verrez plus tard, quand vous serez tout à fait bien, avec notre capitaine !…

– Mais, je suis bien, murmura la jeune femme…

Elle voulait se lever, en effet, elle se fût levée peut-être par un prodige d’énergie, si des poignes robustes ne l’avaient maintenue et forcée à s’étendre à nouveau.

– Bougez donc pas, murmurait-on.

La rescapée demanda :

– Mais ce bateau… ce bateau sur lequel je suis… où va-t-il ?

Les matelots se consultèrent du regard.

– Bah ! on peut lui dire, hasarda l’un.

L’homme au rhum fut catégorique :

– Eh bien, ma poulette, on va comme qui dirait tout à côté. Deux mois de mer et l’on sera rendu… Et encore, si l’on ne tombe pas dans le calme plat…

– Deux mois de mer !…

La rescapée venait de répondre sur un ton d’indicible effroi. Elle articula faiblement :

– Mais la prochaine escale ?

– Pas d’escale pour nous, ma belle…

– Pas d’escale ? Ce bateau va où, alors ?

L’homme lâcha dans un éclat de rire :

– Où s’en va La Cordillère ? Dame ! où vous irez… et si vous voulez en savoir plus, voilà la chose : tout tranquillement, nous filons vers le Chili, et cela, en doublant la pointe !

Or, l’homme n’avait pas fini de parler que la rescapée subitement changeait de visage. Elle avait tout à l’heure paru atterrée, maintenant elle semblait presque joyeuse.

– Au Chili, répétait-elle, vous allez au Chili ?

Et brusquement elle demanda :

– À vous autres qui m’avez sauvée, je dirai merci plus tard, mais il faut, avant tout, que j’accomplisse une démarche grave. Puis-je parler au capitaine ?

Il y eut encore des éclats de rire ; l’un des hommes demanda :

– Ça dépend… Qui faudrait-il annoncer ?

La rescapée n’hésita pas.

– Dites que je me nomme Hélène Fandor.

Mais comme Hélène – car c’était bien Hélène – annonçait ainsi son nom, un nouvel éclat de rire faisait sursauter les hommes qui composaient le surprenant équipage de La Cordillère.

– M’est avis, murmurait un vieux marin, que c’est surtout Hélène Fantômas qu’il faudrait dire !

Quel était donc l’étrange bâtiment qui avait recueilli, alors qu’elle périssait en mer, la femme de Jérôme Fandor ?




Chapitre III


L’inconnu

Si les menaces de Fantômas avaient laissé la malheureuse Hélène accablée, prostrée, comme morte d’effroi, il était évident que le bandit, en raison même de l’amour qu’il portait à la jeune fille qu’il continuait à regarder comme sa fille, devait, lui aussi, effroyablement souffrir des paroles de colère que celle-ci lui avait adressées, de la rébellion dont elle avait fait preuve à son égard.

Fantômas aussi bien quittait la cabine où il venait d’entretenir sa fille, cette cabine d’où, quelques heures plus tard, Hélène devait si audacieusement s’évader, en proie au plus grand trouble.

Le bandit avait fait bonne figure tant qu’il s’était trouvé devant la jeune femme, donnant en cela une preuve de son extraordinaire énergie morale, mais, dès qu’il se trouvait hors de sa présence, dès qu’il était seul avec lui-même, il perdait tout de son impassibilité habituelle.

– Hélène, murmurait Fantômas… aime Fandor ! Elle aime mon ennemi mortel, et moi, elle me hait…

Ah ! certes, Fantômas à ce moment concevait une nouvelle colère à l’égard de Fandor. Certes, le journaliste incarnait toujours à ses yeux l’ami dévoué de Juve, l’intrépide jeune homme qu’il combattait depuis dix ans, mais soudain il lui trouvait une autre qualité, une qualité qui motivait plus encore sa rancune, il était l’homme qu’aimait Hélène !

C’était alors un étrange sentiment qui s’emparait de Fantômas. Le misérable qui n’avait jusqu’alors jamais connu de souffrance morale, qui avait toujours su se faire profondément indifférent, complètement impassible, goûtait l’âpre tourment de la jalousie. Il souffrait terriblement à la pensée que sa fille Hélène, qu’il chérissait si tendrement, qui était même la seule personne au monde qu’il aimait depuis la mort de lady Beltham, non seulement n’avait pour lui aucune affection, mais encore adorait son plus mortel ennemi.

Fantômas, en quittant le salon où il venait d’enfermer Hélène, marchait tête basse, l’air accablé.

La péniche qui lui servait de prison était, tout comme l’avait deviné la jeune femme, truquée dans son entier. Les tas de charbon qui se trouvaient sur le pont n’étaient là que pour cacher les aménagements intérieurs, et il s’agissait d’un chargement factice, car, en réalité, la barge tout entière était installée en embarcation de plaisance comportant de nombreuses cabines, et même un grand dortoir.

Fantômas suivit l’un des couloirs qui courait le long de ces appartements, voulant se diriger vers les pièces qui lui étaient réservées. Or, comme il avançait ainsi, atterré, accablé, courbant la tête sous le poids de son chagrin, il heurtait à l’improviste un homme, un matelot, semblait-il, qui s’effaçait cependant, s’appuyant à la muraille pour le laisser passer.

Fantômas, arraché à son rêve, tressaillit violemment.

– Imbécile, fit-il, contemplant l’homme qu’il venait de bousculer. Ne peux-tu te ranger ?

L’autre se courbait déjà en des saluts profonds.

– Maître, pardonnez-moi, murmurait-il.

Mais Fantômas n’écoutait pas cette excuse. Brusquement, il avait repris possession de son sang-froid. Brusquement, il retrouvait sa maîtrise ordinaire, réussissant, par un effort d’énergie, à chasser de son esprit toute préoccupation grave.

– Viens, ordonnait Fantômas. J’ai à te parler.

L’homme et lui entrèrent dans un somptueux cabinet de travail, la porte se referma sur eux. Longtemps le bandit et son complice complotèrent ensemble.

Que décidait alors Fantômas, qu’étudiait-il avec ce compagnon qui était évidemment l’un des hôtes mystérieux de la fantastique péniche ? Il eût fallu, pour le deviner, connaître les intentions secrètes du Génie du crime, savoir quelle revanche Fantômas préparait aux défaites que Fandor et Juve venaient en quelque sorte de lui imposer, en sauvant la reine Wilhemine, en conservant à la gracieuse souveraine le trône que Fantômas n’avait pas craint de convoiter.

Mais qui, par malheur, pouvait jamais se vanter de connaître d’avance les intentions de Fantômas ?

Le bandit, bien évidemment, ne confiait ses secrets à personne. Ses complices, eux-mêmes, le plus souvent, n’en savaient pas les grandes lignes, et n’en connaissaient que certains petits détails à peine suffisants pour alimenter leur curiosité, et bons tout au plus à préciser la part effective qu’ils devaient prendre aux géniales entreprises du bandit.

L’homme, après plus de deux heures d’entretien, quitta le cabinet de travail de Fantômas. Il était blême, il tremblait…

– Maître, murmurait-il simplement, vous serez obéi, je suis certain que je réussirai.

La voix de Fantômas répondit :

– J’y compte bien, Ma Pomme !

Puis, la barge retomba dans le silence. La porte du cabinet de travail de Fantômas s’était à nouveau refermée, l’homme qui répondait au sobriquet de Ma Pomme avait disparu ; le mystérieux bateau où sommeillait encore Hélène, attendant l’heure propice pour son évasion, paraissait en vérité complètement désert, totalement inhabité.

Les heures qu’Hélène avait vécues dans la prison que lui avait assignée son père se traînaient alors pour Fantômas avec une lenteur comparable à celle dont la jeune femme souffrait.

Le bandit n’était pas moins ému que sa fille et tout comme sa fille, souffrait. Il se promenait de long en large dans son cabinet de travail, et par moment ses sourcils se fronçaient, ses poings se serraient, comme si une colère effroyable l’eût brusquement secoué.

Quel était donc le secret de cet homme, de cet homme invisible, dont le nom glaçait d’épouvante le monde entier ?

Quelle était donc l’âme véritable de Fantômas, de ce Roi des tortionnaires, qui n’avait jamais reculé devant les plus horribles atrocités et qui souffrait ainsi si cruellement à la pensée que sa fille aimait un autre homme que celui auquel il l’avait destinée ?

Toute la nuit, sans songer à prendre le moindre repos, Fantômas se promenait de la sorte dans ses appartements. À cinq heures du matin seulement, il semblait sortir de l’hésitation, de l’énervement anxieux dans lequel il se débattait péniblement.

– Oui, murmurait Fantômas. Il faudra que tout cela s’accomplisse. Je l’ai décidé ainsi tout d’abord, et mes décisions sont irrévocables.

Brusquement, le bandit quitta son cabinet, longea les couloirs de la barge, se dirigeant vers le salon que devait occuper Hélène.

– Ce n’est pas une femme, murmurait-il, ce n’est pas ma fille qui fera plier mon caprice… Morbleu ! coûte que coûte, j’entends arriver à mes fins !

Fantômas, à cet instant, incarnait parfaitement le Maître de l’effroi, le Génie du crime, le Démon du mal. On le sentait tendu dans un désir suprême ; il était évident que, s’il retournait vers Hélène, c’était pour lui imposer de force quelque terrible volonté.

Fantômas prit à sa ceinture une petite clef dont il se servait pour ouvrir les serrures compliquées qui gardaient, pensait-il, la jeune femme. Il ouvrit la porte grande en appelant :

– Hélène, il faut m’entendre…

Mais à ce moment, la parole expirait sur ses lèvres… Fantômas, muet de surprise, s’immobilisait sur le seuil de la pièce.

Il venait d’apercevoir la muraille sabordée, il venait de se rendre compte qu’Hélène n’était plus là, qu’elle s’était évadée, il distinguait enfin sur la table le court billet qu’elle lui avait laissé.

La surprise était si forte à cet instant que Fantômas chancelait. C’était à la façon d’un homme pris de vertige et qui ne reste debout qu’au prix d’un suprême effort que Fantômas pouvait avancer jusqu’à cette table pour prendre la lettre d’Hélène.

Il la lut d’un regard, puis il la déchira avec une rage abominable.

– La malheureuse, murmurait-il… la malheureuse… elle ose me défier… Hélène oublie-t-elle donc que l’amour peut faire place à la haine, que l’affection peut se changer en exécration… Hélène m’a bravé, je me vengerai !

Fantômas, frémissant, s’approchait du sabord. Il pencha sa tête par le trou qu’Hélène avait réussi à ménager et qui lui avait servi à s’enfuir.

Puis Fantômas pâlit plus encore.

– Elle s’est jetée à l’eau, pensa-t-il… elle est tombée aux flots.

Et se tordant les mains, le bandit ajoutait :

– C’était l’heure du reflux… Mon Dieu, mon Dieu, peut-être a-t-elle été entraînée au large… peut-être est-elle morte…

La fuite d’Hélène portait évidemment à Fantômas un terrible coup. Le bandit paraissait quelques instants à bout d’énergie. Mais il n’était pas évidemment de ces natures qui peuvent se laisser abattre. Quel que fût le coup qui le frappât, il voulait en appeler ; quelles que fussent les difficultés que le destin accumulait sur sa route, il les acceptait, les affrontait d’un cœur vaillant, et prétendait en triompher.

Bientôt, un sourire passait sur ses lèvres :

– Soit, murmurait-il. Avant tout, il faut savoir ce qu’est devenue Hélène, je le saurai… Malheur à elle si elle s’est enfuie… mais malheur au monde si elle est morte !

Fantômas quitta le salon. Il refermait soigneusement la porte, voulant probablement cacher à ceux qui devaient être ses complices en Hollande la disparition de la jeune femme. Il revenait dans ses appartements particuliers, il prenait un timbre, sonnait quatre coups…

– Vladimir va m’aider, pensa le bandit.

C’était en effet Vladimir, le faux comte d’Oberkhampf, qu’il appelait au moyen de ces quatre coups de sonnette.

Fantômas attendit quelques instants, puis il tapa du pied, pris à nouveau d’impatience.

– Eh bien ! grondait-il.

Fantômas sonna quatre coups encore…

Mais ce second appel demeurait toujours aussi vain que le premier… Nul ne lui répondit.

Alors une colère folle s’emparait du Maître de l’effroi.

– Ah ça, murmurait-il, il est donc dit que chacun me désobéira désormais ! Vladimir apprendra, par ma parole, que je n’aime pas attendre ce que je demande !

Fantômas sonna cinq coups…

À ce nouveau signal, un extraordinaire personnage, une sorte de nain difforme qui remplissait précisément à bord du bateau les fonctions de groom, accourait en hâte.

– Tu m’appelles, maître ?

– Où est le comte d’Oberkhampf ?

Le nain prit une figure étonnée.

– Maître, murmurait-il, j’ai entendu que tu le demandais. J’ai voulu le prévenir, je l’ai cherché partout… et je n’ai pu réussir à le trouver. Il n’est pas à bord de la barge.

Le nain parlait en tremblant ; il n’osait pas lever les yeux pour contempler Fantômas. S’il avait vu le visage du bandit, cependant, il se serait aperçu de la profonde émotion qui bouleversait encore une fois au cours de cette nuit tragique celui qui ne craignait point de se prétendre le Maître de tous et de tout…


Ce même jour, à cinq heures du soir, un homme vêtu d’un grand manteau de couleur sombre, et porteur d’un volumineux parapluie, pénétrait en faisant claquer ses sabots, dans la salle basse d’un cabaret du port d’Amsterdam, où se trouvaient déjà de nombreux matelots.

L’homme au manteau se dirigeait vers une table écartée, se jetait plutôt qu’il s’asseyait sur l’un des tabourets réservés aux consommateurs.

– De l’alcool, commanda-t-il d’une voix brève. Servez-moi vite, et servez-moi bien.

Il avait appuyé sa commande d’un argument toujours impérieux, jetant sur la table un louis d’or dont le tintement ne devait pas être familier dans un pareil endroit.

L’homme au manteau brun prenait son front à deux mains et semblait réfléchir avec une extrême attention.

– C’est invraisemblable, murmurait-il. Il est inouï que les choses se passent ainsi et que je n’arrive point à rien deviner de leurs vérités… Suis-je victime d’une erreur ? Suis-je, au contraire…

Mais l’homme n’achevait pas sa phrase. Une grosse servante, à la face débonnaire, venait d’apporter un verre d’alcool, de cet alcool pur qui est la boisson préférée des matelots hollandais, à la table de l’homme.

L’inconnu but, prenant une large rasade, d’un geste las, énervé, fatigué.

– Je ne sais plus que croire, faisait-il encore… Et pourtant, il faut que, coûte que coûte, j’arrive à découvrir la vérité ! Il est impossible que je reste ainsi dans l’indécision. Morbleu ! donnant, donnant… Mais voudront-ils me répondre ?

L’homme au manteau marron devait évidemment agiter quelque terrible problème. Il devait avoir à vaincre de rudes difficultés pour parvenir à quelque but mystérieux, et il semblait aussi hésitant qu’anxieux, aussi accablé que fou de colère…

Immobile, les coudes sur la table, et soutenant sa tête entre ses mains, il pensait, pensait sans relâche, le regard vague, ne voyant rien des allées et venues qui l’entouraient.

Le cabaret où cet homme venait d’entrer était cependant exceptionnellement bruyant ; c’était la classique tabagie hollandaise, encombrée de lourds matelots au teint hâlé, buvant fort, parlant bas, chantant par moments de lentes mélopées et fumant toujours d’énormes pipes dont la fumée bleuâtre rendait vite l’atmosphère opaque, embrumée, âcre et piquante.

L’homme ne bougeait point. Il restait ainsi immobile et réfléchissant pendant près d’une heure. La servante, maintes fois, était venue lui demander s’il ne voulait point boire encore ; mais il n’avait même pas répondu, paraissant ne point entendre ses offres, paraissant même, ce qui était plus extraordinaire encore, ne rien voir autour de lui, ne plus pouvoir fixer son attention sur autre chose que sur sa propre pensée.

Et c’était après cette sorte d’égarement si longtemps prolongé que l’individu, brusquement, se redressait.

– Soit, faisait-il, monologuant à la façon d’un homme qui précise sa pensée pour ne plus pouvoir en douter. Il me faut, coûte que coûte, sortir de cette indécision… J’imagine qu’ils le comprendront. Ce sera de leur part, d’ailleurs, une question d’honnêteté. J’aurai une réponse… oui, j’aurai une réponse !…

Il ajoutait, un instant plus tard :

– Et la guerre reprendra sans doute, la guerre sans trêve ni merci ; la guerre qui se terminera maintenant, je le décide et je le veux, par leur mort et par mon triomphe !…

L’homme avait tiré de sa poche un portefeuille dans lequel il tirait une feuille de papier blanc, puis un crayon. D’une grande écriture alors, mais d’une écriture zigzaguante, invraisemblable, il écrivait hâtivement quelques lignes qu’il relisait avec un grand soin.

– Cela suffira, pensa-t-il.

Une enveloppe qu’il prenait dans la poche de son vêtement était bientôt munie d’une adresse, et bientôt encore l’inconnu y enfermait la feuille de papier qu’il avait rédigée quelques instants avant, soupirant profondément en même temps, et cependant paraissant quelque peu soulagé par sa décision.

À ce moment, l’inconnu, heurtant sa monnaie, appelait à nouveau la servante.

– De l’alcool, appela-t-il…

Son verre fut comble encore, la servante demandait :

– Vous ne voulez pas manger un morceau ?

Mais l’homme au manteau sombre haussait les épaules :

– La paix, disait-il.

Et, son verre en main, l’inconnu recommençait à boire.

Or, comme l’homme au manteau sombre dégustait ainsi, lentement cette fois, la brûlante liqueur qu’il avait commandée ; tandis qu’il promenait des yeux intéressés sur les détails pittoresques de la tabagie hollandaise dans laquelle il se trouvait, brusquement il paraissait tressaillir.

– Ah ! par exemple, murmurait-il.

L’homme au manteau brun, qui avait pris une pose nonchalante se redressait instinctivement. Il semblait désormais, en effet, scrupuleusement attentif et fortement étonné.

– Cela fait trois fois que je le rencontre… murmurait-il. Trois fois que j’ai la nette impression que je suis épié, espionné, filé, suivi. Décidément, il faudra que j’en aie le cœur net.

L’homme au manteau sombre fixait en ce moment un consommateur qui se trouvait à l’autre bout de la tabagie, et qui, plusieurs fois, en effet, avait paru le fixer lui aussi avec une certaine attention.

C’était un tout jeune homme de vingt-cinq ans environ, aux traits énergiques et intelligents, à l’allure décidée, au regard vif, et qui, vêtu avec une certaine recherche, bien que sans élégance, détonnait quelque peu parmi la clientèle famélique de la tabagie.

L’homme au manteau brun le fixait toujours ardemment.

– Voici trois fois, répétait-il encore, que cet inconnu se trouve sur ma route… trois fois qu’il me regarde comme quelqu’un qui vérifie un signalement, et je ne sais, moi, que son prénom à peine… Daniel, ai-je cru entendre dire qu’il se nommait. En vérité, c’est une imprudence que j’ai faite ; cet individu, j’aurai dû depuis longtemps m’en méfier !

L’homme au manteau brun, impassible toujours en apparence, continuait en réalité à dévisager l’inconnu qu’il croyait s’appeler Daniel.

– Un Français, remarquait-il. Sûrement, c’est un Français…

Et soudain, comme il se levait, ramassant sa monnaie, dissimulant la lettre qu’il venait d’écrire dans l’une des grandes poches de sa cape, l’homme au manteau brun ajoutait :

– Je ne sais qui est ce Daniel, mais si par malheur il s’agit d’un policier appelé par Juve ou Fandor pour me combattre, je montrerai à Juve et à Fandor qu’il n’est point homme qui vive qui puisse me faire peur, et que Fantômas, tout meurtri qu’il est en ce moment par ses tragiques aventures, est encore capable de vaincre, est encore capable de tuer…

L’homme au manteau brun, Fantômas peut-être, Fantômas assurément, jetait encore un dernier regard de haine à l’adresse du personnage qu’il disait s’appeler Daniel.

– Nous nous reverrons, murmurait-il tout bas… nous nous reverrons quand il me plaira, et je saurai si le hasard seul a voulu ces trois rencontres…

Il sortait du cabaret, il se perdait dans la nuit embrouillardée d’Amsterdam… l’homme au manteau brun ricanait, et répétait par moments :

– Nous allons voir si Juve et Fandor sont véritablement honnêtes, nous verrons si Juve et Fandor me répondront…

Et il agitait toujours, d’une main qui tremblait, la lettre qu’il avait écrite dans la tabagie hollandaise.


– C’est toi, Fandor ?

– C’est moi, Juve. Rien de nouveau ?

– Si, Fandor.

– Quoi ? mon Dieu…

– Elle est sauvée…

– Sauvée ?…

Et Fandor, qui rentrait dans la chambre d’hôtel où Juve et lui demeuraient toujours depuis les aventures qui avaient terminé les intrigues du palais royal et depuis la disparition d’Hélène, Fandor bondissait comme un fou au-devant de Juve, la figure illuminée d’une joie intense, d’une joie considérable.

– Sauvée… répétait-il. Hélène est sauvée… Ah ! Juve, soyez béni pour la nouvelle que vous me donnez. Je devenais fou, moi, voyez-vous. Mais parlez, bon Dieu… Où est-elle ?… Comment savez-vous qu’elle est sauvée ?… Parlez donc… parlez donc…

Fandor s’était précipité sur Juve, il avait pris le policier par le bras, il le secouait sans ménagements, l’ahurissant de demandes, et ne lui laissait pas le temps de répondre.

– Bon Dieu ! parlez donc, répétait-il… Vous voyez bien que vous me faites mourir…

Il y avait vingt-quatre heures qu’Hélène avait disparu, vingt-quatre heures tout juste s’étaient écoulées depuis l’instant tragique où Fandor, rentrant dans le salon orange du palais royal, avait dû constater le rapt de la jeune femme, sans pouvoir, hélas ! se douter que Fantômas et Hélène se trouvaient encore à quelques mètres de lui, cachés derrière la tenture, et courant le danger d’être immédiatement découverts.

Ces vingt-quatre heures, Juve et Fandor les avaient naturellement employées à parcourir Amsterdam, à enquêter, à perquisitionner, à rechercher Hélène.

Hélas ! ces recherches, jusqu’à cette heure étaient demeurées vaines ! Nul au palais royal n’avait pu les renseigner et la police elle-même, mobilisée par la reine Wilhemine, avait dû se déclarer impuissante à retrouver les traces de la femme de Fandor et de son sinistre ravisseur.

Les deux hommes s’étaient séparés pour éviter toute perte de temps. Toute la journée, Juve avait enquêté dans les bouges d’Amsterdam, cependant que Fandor perquisitionnait dans les cabarets interlopes des faubourgs et de la banlieue, s’informait des moindres indices aux docks d’embarquement du port, comme aux guichets des grandes gares. Et c’était précisément à l’instant où Fandor rentrait désespéré à l’hôtel que Juve lui criait d’une voix d’indicible bonheur :

– Elle est sauvée…

Fandor, à cette nouvelle, perdait la tête. Pendant quelques minutes, il était incapable de retrouver son sang-froid. Mais quand il parvenait enfin à se maîtriser, il écoutait Juve, haletant, croyant vivre un extraordinaire cauchemar aux péripéties fantastiques.

– Parlez, venait-il de dire, parlez donc… vous voyez bien, Juve, que vous me faites mourir ?…

Et Juve, le bon Juve, pouvait s’expliquer enfin. Le policier, d’ailleurs, ne pouvait fournir de bien nombreux détails à Fandor. Ce qu’il savait était en somme, peu de chose ; il le disait rapidement :

– Écoute, Fandor, commençait Juve. C’est une aventure extraordinaire. Figure-toi que je rentrais ici, n’ayant rien appris, n’ayant rien trouvé, ne pouvant même rien soupçonner, la mort dans l’âme enfin, et me demandant si Fantômas n’avait pas à jamais disparu, lorsque la patronne de l’hôtel me remettait au passage une lettre qui, à ce qu’elle me disait, venait de lui être apportée par un homme inconnu, vêtu d’un grand manteau brun.

Fandor, en entendant ces détails, sursautait :

– Un homme vêtu d’un grand manteau brun, faisait-il, mon Dieu ! qui était-ce donc ?

Juve n’hésita pas à lui dire :

– Fantômas…

Et comme Fandor sursautait, Juve affirmait nettement :

– Oui, Fandor, c’était Fantômas… Fantômas a eu l’audace d’apporter ici même, à notre hôtel, une lettre et cette lettre, la voici…

Juve parlait d’un ton calme, et Fandor, pour une fois, ne l’interrompait pas. La stupéfaction que le journaliste éprouvait en cet instant, en apprenant que Fantômas avait correspondu avec Juve, était telle qu’il était après tout logique que Fandor ne trouvât rien à dire.

– Cette lettre, la voici, répétait Juve. Écoute :

Et le policier avait sorti de sa poche une feuille de papier, il la brandissait, il en récitait le texte par cœur.

– Voici ce qu’a écrit Fantômas, déclarait-il. Voici ce qu’il a osé écrire :

Après un instant de silence, d’une voix grave qui soulignait les mots, Juve récita :

–  Donnant !… donnant ! Juve, vous aurez confiance en ma parole, comme j’aurai confiance en la vôtre. Nous sommes ennemis, mais nous ne nous méprisons point. Je sais ce que vaut votre honneur de policier, vous savez ce que vaut mon honneur de bandit. Juve, vous vous affolez en ce moment, vous et Fandor, en vous demandant ce qu’est devenue Hélène. Soit, je n’aurais nulle pitié de votre inquiétude, car je vous hais l’un et l’autre, si je n’avais, moi aussi, une inquiétude pareille au cœur.

Juve, donnant, donnant… Je vous livre un secret, livrez-m’en un autre. Vous voulez savoir ce qu’est devenue Hélène. Apprenez donc qu’elle s’est enfuie de la prison que je lui avais réservée, et que, d’après les témoignages fortuits que j’ai pu recueillir, il résulte que ma fille, à l’instant même où elle allait couler, entraînée au large par le flot, a été heureusement sauvée par un voilier portant le nom d eLa Cordillère, voilier de commerce, se rendant au Chili, et devant arriver là-bas dans deux mois. Juve, donnant, donnant. Je vous dis où est Hélène : sur ce voilier où, bon gré, mal gré, elle est prisonnière pour deux mois.

Juve, à l’instant où j’enlevais Hélène, Vladimir disparaissait mystérieusement. Je ne puis savoir ce qu’il est devenu. Votre habileté échoue pour retrouver ma fille, ma puissance ne me permet pas de retrouver mon fils. Juve, vous avez immédiatement deviné que j’étais le ravisseur d’Hélène, et je viens de vous dire où elle se trouve. Juve, soyez honnête, dites-moi si c’est vous qui avez arrêté Vladimir, dites-moi si vous avez l’intention de le livrer ?

Juve, les renseignements que je vous donne sont sincères, j’aurai confiance en vous. Si comme je le crois, vous savez où est Vladimir, vous laisserez ce soir votre fenêtre ouverte, et j’irai librement me présenter devant vous pour apprendre vos intentions.

Et Juve ajoutait, ayant terminé cette étrange lecture :

– Et tout cela, Fandor, tout cela est signé : Fantômas…


Deux heures plus tard, Juve et Fandor se tenaient encore dans leur chambre d’hôtel, discutant avec ardeur au sujet de l’extraordinaire lettre qu’ils venaient de recevoir de Fantômas.

Assurément, les circonstances étaient extraordinaires, qui avaient amené le bandit à se livrer ainsi à Juve !

Assurément, si Fantômas avait été contraint de dire où était Hélène pour apprendre où était Vladimir, c’est que de graves nécessités l’obligeaient impérieusement à savoir ce qu’était devenu son fils.

Juve et Fandor, d’un commun accord, avaient donc décidé de fermer leur fenêtre, signal convenu qui devait apprendre à Fantômas qu’ils ignoraient complètement les dernières aventures de celui qui s’était fait passer pour le comte d’Oberkhampf.

Aussi bien, à l’instant où Fandor avait clos la fenêtre, il n’avait pu s’empêcher de soupirer :

– Bon Dieu, avait déclaré Fandor, quel dommage que nous ne soyons pas des crapules ! Car, en somme, si nous laissions cette fenêtre ouverte, nous serions à peu près sûrs que Fantômas viendrait ici et que nous pourrions l’arrêter. Toutefois, ce serait une canaillerie. Donnant, donnant, comme Fantômas dit lui-même. Il nous a appris où était Hélène, en échange de certaines conventions, nous devons respecter ces conventions.

C’était naturellement l’opinion de Juve, et c’est pourquoi le journaliste, sans hésiter, avait fermé la fenêtre, avertissant ainsi Fantômas qu’il n’avait pas besoin d’apparaître.

Qu’importaient d’ailleurs à Fandor, en cette minute, les aventures de Vladimir, les aventures de Fantômas lui-même ?…

Fandor, pour être franc, confessait lui-même à Juve que tout lui était désormais bien indifférent, puisqu’il était ainsi certain qu’Hélène était sauvée, qu’elle était hors de danger.

Et, joyeux, rasséréné, Fandor étourdissait Juve de projets.

– Vous comprenez, mon bon ami, disait-il, que maintenant tout me semble clair. Hélène est sur un voilier qui s’en va au Chili, ce voilier mettra deux mois à arriver à destination. Ma foi, je m’en moque bien. Un bon transatlantique me mènera, j’en suis certain, en quinze jours, trois semaines au débarcadère. Donc, Juve, dans un mois et demi au plus tard, je m’embarquerai, et je vous jure bien qu’alors quand j’aurai rattrapé Hélène, Fantômas ne nous la volera pas à nouveau, et cela pour la bonne raison que je ne la quitterai plus une minute…

Fandor se frottait les mains, dansait, jonglait avec une brosse à dents et des pincettes, cependant que Juve, un peu plus calme, mais tout aussi joyeux néanmoins, applaudissait à ces projets.

– Bon, très bien, disait le policier, c’est entendu, Fandor. Tu iras rattraper Hélène à son débarquement au Chili ; je n’y vois, pour ma part, aucun inconvénient. Seulement, si tu veux un conseil, en voici un et un bon…

– Lequel, Juve ?

Juve venait de s’asseoir dans un grand fauteuil, il eut pour répondre un sourire énigmatique :

– Voici, déclarait-il : Mon petit Fandor, dans deux mois tu retrouveras Hélène et tu la ramèneras en France. Votre mariage n’est pas du goût de Fantômas ; donc, dans deux mois, tu auras encore très probablement à lutter contre cet éternel ennemi…

À ce moment, Fandor donnait amicalement un coup de pincettes sur les genoux de Juve.

– Mon bon, vous radotez, faisait-il. J’ai, avant de partir, un mois et demi de disponible. Ce mois et demi, j’ai bien l’intention de le consacrer à la capture de Fantômas. Fantômas doit être arrêté avant qu’Hélène débarque, donc…

– Donc, conclut Juve, je rengaine mon conseil, car j’allais précisément te proposer, maintenant que nous sommes tranquilles sur le sort d’Hélène, de reprendre d’urgence, et cela dans ton propre intérêt, la lutte contre Fantômas.

Les deux amis causaient encore longuement. Ils étaient, comme le disait Juve, désormais libres entièrement de combattre encore Fantômas.

Et Juve, qui toujours se trouvait prêt à diriger le terrible combat, expliquait la situation à Fandor qui, d’ailleurs, demeurait quelque peu distrait :

– Mon petit, assurait Juve, l’essentiel, pour vaincre Fantômas, c’est évidemment de le retrouver. Pour faire un civet, il faut un lièvre. Donc, nous allons courir après Fantômas. Par malheur, Fantômas n’est point commode à découvrir. Ou le chercher ? Rien ne le retient plus très certainement en Hollande, mais rien d’autre part ne nous permet de croire qu’il va rentrer en France, à Paris plutôt que n’importe où. Nous n’avons en somme, Fandor, qu’un seul fil conducteur. Fantômas recherche Vladimir, pourquoi ? comment ? dans quelles conditions ? c’est ce qu’il faut savoir. Si Vladimir a disparu et si Fantômas veut le retrouver, c’est qu’évidemment quelque chose se manigance dans l’ombre, que nous ignorons totalement. Cherchons-le…


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