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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Mais celle-ci, cependant, s’étonnait de l’attitude de son interlocuteur.

Un peu dédaigneuse, hautaine, M me Verdon désignant un siège à Juve, reprit :

– Veuillez vous asseoir, monsieur, et me faire connaître le but de votre démarche. Je vous reçois dans ma chambre, et vous m’en excuserez, mais je suis un peu souffrante.

Juve alors seulement remarquait qu’il était, en effet, dans une chambre à coucher élégamment décorée.

Au fond, une porte entrebâillée laissait entrevoir une assez vaste salle de bain, avec une baignoire de métal reluisant.

La cheminée de la chambre était encombrée de bibelots, de souvenirs ; et au-dessus du lit, était un portrait, une petite photographie, que Juve cherchait à voir, bien qu’il en fût très éloigné, mais c’est à peine s’il parvenait à se rendre compte, au bout de quelques secondes d’un examen attentif, qu’il s’agissait là de la photographie d’un très jeune enfant.

Juve n’avait pas cru devoir se nommer à M me Verdon.

Il prit l’attitude hésitante et lourde d’un vague employé d’un commissariat de province.

– Voilà, fit-il, donnant à sa conversation la tournure de l’emploi, je viens comme ça, Madame Verdon, de la part de mon chef le commissaire, vous demander si vous n’avez pas des renseignements à me communiquer sur le nommé Daniel ?

M me Verdon leva les mains au ciel :

– Mon Dieu, monsieur, fit-elle, on a bien tort de m’interroger sans cesse sur le cas de ce malheureux garçon : je ne saurais, en aucune façon, vous renseigner… Assurément, vous le connaissez mieux que moi, puisque M. Daniel s’occupait de choses de police. J’ai dit tout ce que je savais, lors des premières enquêtes. M. Daniel me faisait l’effet d’un gentil garçon, il avait besoin de gagner sa vie. Il m’a demandé de l’aider à faire un voyage en Hollande qu’il méditait et je l’y ai aidé, voilà tout…

Juve écoutait distraitement ce que disait M me Verdon.

En réalité, il écoutait surtout cette voix, cette voix harmonieuse, agréable, qui faisait croire à Juve, lorsqu’il fermait les yeux, que c’était quelqu’un d’autre qui parlait, quelqu’un connu de lui, mais qui ? Juve ne pouvait parvenir à le savoir.

Il y eut cependant un silence, pendant lequel le policier se remémora ce que M me Verdon venait de lui dire.

Puis, posément, la fixant dans les yeux, Juve articula :

– Ce ne sont pas là les renseignements, madame, que vous avez fournis, lorsque, par commission rogatoire, M. Juve, l’inspecteur de police, vous a fait questionner ?

M me Verdon pâlissait légèrement.

Et Juve pâlissait à son tour.

Précédemment, le timbre de la voix de M me Verdon l’avait frappé ; désormais c’était sa physionomie, ses traits, qui, peu à peu, se révélaient à l’inspecteur de police.

Après avoir eu une impression de déjà entendu par la voix de M me Verdon, Juve allait-il avoir une impression de déjà vu en considérant le visage de la vieille dame ?

Non, certes, il était bien certain que le policier ne la connaissait pas, et cependant, il y avait quelque chose d’extraordinaire dans les traits de cette personne. Juve sentait son cœur battre, il était haletant, il ne savait plus que dire, et, cependant que M me Verdon l’interrogeait à son tour, il reprit :

– Vous n’avez pas dit, madame, pour le policier Juve, ce que vous me dites actuellement ?

La mystérieuse personne avec laquelle Juve s’entretenait rétorquait alors nettement :

– Eh bien, monsieur, j’aime autant vous l’avouer. Lorsque M. Juve daignera venir me questionner, je lui dirai bien des choses qui le surprendront et qui lui rendront même service !

M me Verdon s’exprimait sur le ton de la conversation ordinaire, mais son apparence démentait le ton de ses propos.

En réalité, elle avait l’air fort troublée.

Si troublée même, qu’à un moment donné, Juve, qui était fort étonné par ces paroles eut l’idée de lui déclarer :

– Madame, inutile d’attendre plus longtemps la visite de M. Juve, c’est lui qui se trouve devant vous.

Le policier savait par expérience que parfois, en brusquant les choses, on réussit un peu mieux à avoir des renseignements, voire même des aveux, qui ne se produiraient pas dans d’autres circonstances, notamment si la personne interrogée avait le temps de se ressaisir.

Juve, pourtant, avait bien l’impression que si cette femme en face de laquelle il se trouvait avait quelque chose de mystérieux dans son existence, ce n’était certainement pas une criminelle coupable.

D’instinct, Juve devinait qu’il s’agissait plutôt là d’une malheureuse et d’une misérable.

Pourquoi tous ces raisonnements lui venaient-ils à l’esprit ?

Pourquoi Juve se demandait-il si M me Verdon était une coupable ou une victime ?

Et pourquoi n’admettait-il pas tout simplement qu’elle n’était ni l’une ni l’autre, se contentant de vivre sa vie de vieille dame, bourgeoise et célibataire, retirée dans sa petite propriété à la campagne ?

Juve, cependant, ne pouvait admettre que tel fut le cas de M me Verdon.

– Madame, commença-t-il, puisque vous désirez voir l’inspecteur Juve, je vais immédiatement…

Mais il était soudain interrompu par son interlocutrice elle-même.

M me Verdon qui, jusqu’alors était restée à demi étendue sur sa chaise longue, se souleva, dans un geste brusque et spontané.

Elle venait de prêter l’oreille ; Juve fit comme elle. On entendit au lointain le roulement sourd d’une voiture et le trot sec des chevaux dont les colliers portaient des grelots.

M me Verdon devint toute pâle.

– Je vous en prie, monsieur, fit-elle, cessons pour le moment notre entretien. Quelqu’un que j’attends arrive, il sera ici dans ma chambre avant cinq minutes. Je suis toute prête à dire ce qu’il vous plaira à M. Juve, mais pas en ce moment, pas en présence de la personne qui vient. Voulez-vous me promettre que vous allez vous retirer immédiatement ? Je vous en serai infiniment reconnaissante !

Juve fronça le sourcil.

Ces atermoiements, ces hésitations, tous ces mystères, commençaient à l’agacer singulièrement et, pour un peu, le policier se serait fait connaître en deux mots, aurait attendu l’arrivée, de la personne annoncée par M me Verdon et il l’aurait brusquement interrogée aussi. Mais Juve savait par expérience que, si dans certains cas la brusquerie peut être utile, dans d’autres il est préférable de procéder avec lenteur et délicatesse.

Au surplus, Juve se sentait sur un terrain dangereux, et ne voulait s’avancer qu’avec précautions.

– Soit, madame, déclara-t-il, je me retire !

M me Verdon le conduisait jusqu’à un petit escalier de service, dont l’accès était dissimulé dans un couloir à côté de la salle de bain.

Juve commença à descendre, lorsqu’il s’arrêta :

– Un mot, madame, un mot seulement.

– Parlez, monsieur ? fit M me Verdon, qui dissimulait à grand’peine son impatience anxieuse.

– Le nom de la personne que vous attendez ? demanda Juve.

La mystérieuse vieille dame se prit à sourire.

– Le professeur Marcus, monsieur, dit-elle, mon nouveau locataire. C’est un savant, un géologue, vous comprendrez aisément que je ne veux point qu’il soupçonne les affreuses histoires auxquelles je suis involontairement mêlée pour le moment.

Juve n’insistait pas ; il descendit le petit escalier qui le conduisait au rez-de-chaussée de la maison, et cela au moment précis où, devant la porte principale, à la grille du jardin, s’arrêtait la voiture à deux chevaux dont on avait entendu le roulement quelques instants auparavant.

Un homme en descendait, sautant à terre avec une légèreté qui aurait pu paraître extraordinaire à quiconque l’aurait observé, à quiconque surtout se serait rendu compte de son âge.

Le personnage, en effet, le professeur Marcus, pouvait avoir dépassé soixante ou soixante-dix ans, tant était longue et blanche sa barbe, tant était voûté son dos.

Il semblait que le professeur Marcus quittait cette attitude de jeune homme leste et robuste sitôt descendu de voiture.

Dès lors, marchant à petits pas, il gagnait le vestibule en familier de la maison, sans se faire annoncer par les domestiques, il montait au premier étage, traversait le salon.

Puis, lentement, il gagnait la chambre où, quelques instants auparavant, Juve s’était trouvé en tête à tête avec M me Verdon.

Celle-ci, précisément, venait de rentrer dans la pièce, elle avait tiré derrière elle le verrou qui permettait de communiquer avec le petit escalier par lequel elle avait fait disparaître Juve, sans se douter de l’identité du personnage qu’elle conduisait.

Et, dès lors, s’avançant avec un sourire aimable, elle tendit la main au professeur Marcus, celui-ci y déposa un tendre et respectueux baiser.


– Ça, par exemple, c’est extraordinaire ! Mais c’est excellent aussi !

Dans une petite baraque sur les bords de l’Isère, à cent mètres environ de la propriété de M me Verdon, un homme venait de s’introduire par le plus grand des hasards.

Cet homme, c’était Juve.

Le policier, au sortir de la demeure, avait été appréhendé par un domestique qui le menait poliment, mais rapidement jusqu’à la grille du jardin.

Celui-ci était entouré de haies épaisses et fournies, derrière lesquelles on pouvait se dissimuler aisément.

Juve s’était dit :

– En somme, cette excellente dame me fourre à la porte, et, sous prétexte de ne rien vouloir dire qu’à Juve, elle en profite pour refuser de renseigner la police. Oh ! oh ! tout ceci est assez mystérieux. Puisque j’ai commencé à employer la manière douce, continuons à procéder de même ; ne nous faisons connaître que le plus tard possible !

» Tout d’abord, étudions les dispositions de la place qu’il s’agit d’assiéger.

Juve, alors longeant l’épaisse haie qui bordait le jardin, parvenait par un étroit sentier jusqu’au bord de l’Isère.

Il apercevait, émergeant de la berge, la toiture noire et pointue d’une petite cabane, haute d’un mètre cinquante environ, qui devait recouvrir évidemment quelque vanne ou quelque prise d’eau.

Assurément, c’était là une disposition bien ordinaire, comme il s’en trouve souvent sur le bord des rivières, et le policier n’y aurait pas prêté la moindre attention, si un incident fortuit n’était venu l’y obliger.

Juve, en effet, qui s’avançait à une assez vive allure sur la rive toute gazonnée, était victime d’un accident absolument ridicule.

Alors qu’il était à proximité de cette petite cabane, son pied glissait sur une planche vermoulue, et celle-ci, placée en équilibre, basculait soudain.

Juve alors était projeté en avant, et précipité précisément sur la toiture de la petite baraque noire qu’il venait d’apercevoir.

Or, le policier passait au travers. Au lieu d’être fait de planches, ce toit était en carton bitumé ; le policier tomba dans un trou, et, quelques instants, demeura privé de sentiment, suffoqué, haletant.

Puis il revenait à lui, et instinctivement, mettait la main à la crosse de son revolver.

Juve avait quelque courbature ; il aurait pu se briser le crâne sur les pierres plates qui constituaient le fond de la petite baraque, mais il avait évité une mort stupide, grâce à la toiture à travers laquelle il avait passé, et qui, en le retenant, avait singulièrement atténué la brusquerie de sa chute.

Juve, désormais, se rendait compte qu’il était à l’intérieur d’une sorte de petite prise d’eau couverte par un toit.

Il était dans un bassin de pierre, complètement asséché, auquel venait aboutir un gros tuyau, probablement le tuyau d’un égout destiné à évacuer les eaux sales.

Juve regardait la disposition de ce tuyau, par rapport à la maison de M me Verdon, et se rendit compte qu’il devait en provenir.

– C’est égal, grognait le policier en se frottant l’échine, j’aurais tout de même pu me casser quelque chose ; ce ne serait guère heureux en ce moment !…

Mais, alors qu’il grondait, Juve entendit parler.

– On m’a vu tomber là-dedans, et on arrive pour m’en retirer…

Et il passa la tête à travers le carton bitumé de la toiture qu’il avait crevée.

Juve eut beau regarder autour de lui, il n’y avait personne. Au surplus, il n’entendait plus rien.

Juve rentrait à l’intérieur de la cabane, lorsqu’à nouveau, il perçut distinctement une voix de femme.

Or, Juve la reconnaissait aussitôt. Il n’y avait pas de doute : c’était la voix de M me Verdon.

Si les paroles qu’elle prononçait parvenaient indistinctes à Juve, le timbre de la voix cependant était facilement reconnaissable. À M me Verdon quelqu’un répondait.

Et, dès lors, c’était une voix plus grave, plus mâle, une voix d’homme, que Juve percevait.

– Le professeur Marcus, pensa le policier.

Mais en même temps il se disait :

– D’où diable peuvent provenir ces voix ?…

Soudain, Juve avait une inspiration.

– Le tuyau !… s’écria-t-il.

Et alors il se mettait à genoux, collait son oreille à l’orifice du gros tube de métal qui venait aboutir dans cette petite cabane.

Sur le visage du policier, une expression joyeuse s’imprimait.

Il avait compris.

Il se rendait compte que la chute inopportune était pour lui l’occasion d’une découverte inespérée.

Le fait qu’il était tombé dans cette cabane lui faisait découvrir l’existence d’un tuyau qui, assurément, devait servir à évacuer les eaux sales de la maison, mais qui, pour le moment, allait constituer pour Juve le meilleur des cornets acoustiques que pouvait rêver le policier.

En une seconde, sa pensée imaginait le trajet du tuyau, depuis son embouchure, dans la petite cabane où Juve se trouvait, jusqu’à son origine dans la maison.

Assurément, le tuyau passait sous les plates-bandes du jardin, montait dans l’immeuble jusqu’au premier étage et y prenait naissance précisément au fond de la baignoire qu’il avait entrevue dans la pièce voisine de la chambre occupée par M me Verdon.

C’était à cette baignoire, baignoire métallique, que Juve devait de si bien entendre, car ses parois servaient en réalité de pavillon résonateur.

Juve ne perdait pas une parole de la conversation échangée entre M me Verdon et le professeur Marcus.

Mais, au fur et à mesure qu’il l’entendait le visage du policier prenait une expression singulière : ses mains se crispaient, tout son corps tressautait ; puis, il demeurait immobile, écoutait encore, ses yeux par moments s’écarquillaient, par moments se fermaient, comme si Juve, faisant un violent effort de pensée, voulait réfléchir sur ce qu’il entendait.

Enfin Juve proféra :

– Ce n’est pas possible, et pourtant si… c’est la vérité.

Qu’entendait donc le policier ?

Quelles étaient les paroles extraordinaires qu’échangeaient M me Verdon et le professeur Marcus ?




Chapitre XXI


Révélation surprenante

Juve écouta.

De cette voix harmonieuse, de cette voix qui troublait Juve, parce qu’il croyait déjà l’avoir entendue, sans pouvoir déterminer où ni quand, M me Verdon interrogeait son interlocuteur :

– Et alors, disait-elle, cher monsieur Marcus, êtes-vous satisfait de votre excursion dans la montagne ? Y avez-vous fait des découvertes de nature à faire progresser la science de la géologie ?

Une voix masculine rétorquait :

– En effet, madame, et mon absence, à part le regret que j’ai éprouvé de vous quitter, m’a permis d’effectuer un voyage qui fut, j’ose le dire, couronné de succès. J’ai rapporté des granits bleutés de la région qui avoisine le Lautaret, dont je fais le plus grand cas, car ils sont très rares.

– Maintenant, demanda M me Verdon, allez-vous prendre quelque repos ?

Le professeur Marcus répondait :

– Il se peut que je reste, comme il se peut que je m’en aille… mes projets n’excèdent guère l’heure qui va venir, et il ne faudra pas vous étonner si, après m’avoir entendu promettre de rester, vous me voyez disparaître.

» Un télégramme… une lettre, une certaine rencontre effectuée dans la rue, me déterminent souvent à entreprendre de longs et périlleux voyages, dont je connais peut-être le commencement, mais rarement la fin…

Vraisemblablement, cette réponse devait attrister M me Verdon, car, après un court silence, Juve entendit encore le professeur Marcus qui proférait :

– Il va sans dire, madame, que les conditions que nous avons décidées l’autre jour ne changent en aucune façon, et que je me considère, présent ou absent, comme notre locataire.

Mais une protestation véhémente interrompait le professeur dont la voix, elle aussi, surprenait Juve.

M me Verdon disait :

– Là n’est pas la question, cher monsieur, croyez-le bien, et si je déplore vos absences, c’est parce que… Parce que…

Juve, alors, n’entendait plus ce que disait la vieille dame, il lui semblait qu’elle balbutiait des paroles inintelligibles.

– Ah ça ! se demandait le policier, est-ce que par hasard elle éprouverait une sympathie si grande pour ce professeur géologue, qu’elle est toute troublée à l’idée que celui-ci s’absente ?… Je regrette bien de ne pas avoir vu la tête de ce noble vieillard qui passe son temps dans les montagnes.

Juve, instinctivement, tressaillait à cette idée.

Décidément, il entendait bien parler autour de lui de gens s’intéressant aux montagnes depuis quelque temps.

La pensée du cadavre de Daniel découvert au sommet du Casque-de-Néron lui revenait spontanément à l’esprit.

Et Juve, toujours aux écoutes dans la petite cabane où aboutissait le tuyau qui lui servait d’acoustique haussa les épaules.

– À vouloir trop prouver, on ne prouve rien, songeait-il et il ne faut pas vouloir à toute force faire des rapprochements entre des gens et des choses qui n’ont aucun lien.

Juve, s’il repassait dans son esprit les propos qu’il venait d’entendre, était, en somme, obligé de reconnaître qu’ils n’avaient rien que de très naturel ; et le policier se demandait s’il allait rester plus longtemps à écouter la conversation que cette vieille dame avait avec un savant géologue, lorsque, par l’intermédiaire du conduit métallique, il perçut le bruit d’une troisième voix.

À la façon dont le nouvel arrivant parlait, Juve comprit qu’il s’agissait d’un domestique.

Celui-ci, en effet, venait évidemment d’entrer dans la pièce, et il posait cette question au professeur Marcus :

– L’homme du chemin de fer, monsieur, vient de dire qu’il a trouvé dans le compartiment dans lequel était monsieur, le petit sac que monsieur se plaignait tout à l’heure d’avoir perdu.

À ce moment, d’un ton embarrassé, Marcus répliqua :

– C’est bien, donnez-lui quelque chose pour le remercier.

Alors Juve avait l’impression que le serviteur se retirait, puis revenait sur ses pas.

Il disait encore, en effet, après un court silence :

– L’homme a retrouvé également le billet de monsieur, le billet que monsieur a pris à Paris, et qu’il avait perdu en arrivant à Grenoble, ce qui l’a obligé à payer deux fois sa place…

– Oh ! oh ! pensa Juve, qu’est-ce que cela signifie ? Voilà un géologue qui nous raconte qu’il vient de passer quarante-huit heures dans la montagne, et un domestique surgit qui, maladroitement, dit que ce professeur est allé à Paris puisqu’il apparaît nettement, désormais, qu’il vient d’en revenir…

Assurément, M me Verdon se faisait, à ce moment précis, le même raisonnement que le policier, car Juve l’entendit demander aussitôt après le départ du serviteur, d’une voix étrangement angoissée :

– Monsieur Marcus, que m’avez-vous donc raconté ? Vous prétendiez être dans la montagne, or voici que vous revenez de Paris ?

– Hélas, c’est vrai, j’ai menti !… rétorqua la voix de Marcus.

Et, dès lors, il y eut un long silence.

Juve, à l’intérieur de sa cabane, était furieux de se voir mal renseigné.

– Si je pouvais les voir, pensait-il, si je pouvais comprendre, à leurs gestes, à leurs physionomies, leurs intentions et leurs attitudes, je suis sûr que je comprendrais ce qui se passe, alors que pour le moment je ne devine rien.

Mais Juve pressentait qu’il allait se passer quelque chose et, désormais, s’applaudissait d’avoir eu la patience de rester à écouter les propos échangés au début de la conversation, et qu’il considérait comme étant sans importance.

Soudain, la curiosité de Juve se transforma en une profonde stupéfaction.

Nettement, distinctement, le tuyau acoustique, si précieux dans la circonstance, lui apportait jusqu’à l’oreille un mot, un nom que venait d’articuler le professeur Marcus.

Celui-ci, lentement, avait dit ce simple nom :

– Alice !…

Or, il semblait que ce gracieux prénom devait avoir une extrême importance, une extraordinaire signification.

En effet, à peine Marcus avait-il dit : « Alice », que M me Verdon rétorquait d’une voix étranglée :

– Mon Dieu ! mon Dieu ! Que venez-vous de dire ? Pourquoi prononcez-vous ce mot ? Que signifie, monsieur ?…

Mais le professeur Marcus, d’une voix insinuante et douce, continuait, pour la plus grande satisfaction de Juve, qui ne perdait pas un mot de ces paroles :

– Madame, disait-il, je vous ai peut-être trompé tout à l’heure, en vous disant que j’étais allé dans la montagne, tandis qu’en réalité je me trouvais à Paris. J’ai dû faire ce voyage uniquement pour des motifs graves que vous connaîtrez bientôt. Je tenais à vous le cacher, pour des motifs graves également, car il est des émotions que je dois vous épargner !

– Monsieur !… Monsieur ! interrompait la vieille dame, au nom du ciel, dites-le moi ! Pourquoi donc avez-vous dit ce nom : « Alice » ?

Mais, dès lors, d’une voix vibrante, le professeur Marcus rétorquait :

– Parce que c’est votre nom, madame ! Parce que vous êtes Alice, parce c’est toi, que je te reconnais ! Parce que quinze années passées dans la séparation la plus cruelle et dans l’ignorance l’un de l’autre n’ont pas suffi à me faire oublier ta personne adorée et chérie, la femme que j’aimais le plus au monde !

Et c’était alors madame Verdon qui poussait ce cri :

– Étienne Rambert !

Dès lors, les propos échangés par les deux êtres qui s’entretenaient, se croyant sans témoin, au premier étage de la maison mystérieuse, parvenaient entrecoupés, hachés, aux oreilles de Juve.

En dépit de l’incommodité de la position dans laquelle il se trouvait, Juve demeurait immobile, l’oreille collée au tuyau acoustique.

Il apprenait des choses phénoménales ; le hasard venait de le mettre sur une piste véritablement insoupçonnée !

– Il y a quinze ans !… Oui, quinze ans déjà !… Dieu que le temps passe vite, et que pourtant les heures sont longues à qui veut les compter !

C’était M me Verdon qui s’exprimait ainsi. Elle continuait d’une voix lente et douce, scandant les mots, cherchant ses phrases qui semblaient se forger avec peine dans son cerveau :

– Il y a quinze ans !… Oui… faisait-elle, j’étais encore jeune alors, j’étais la femme la plus heureuse du monde, et aimée d’Étienne Rambert mon mari, mère d’un petit garçon qui déjà devenait un jeune homme, de Charles Rambert…

» Puis, au cours d’un voyage que faisait mon époux dans les colonies, où il avait de gros intérêts, j’apprenais tout d’un coup que les malheurs les plus effrayants s’étaient abattus sur ma tête.

» Mon mari ne donnait plus signe de vie, il ne répondait plus à mes lettres, à mes dépêches ; puis un jour, oh ! ce jour fatal que je n’oublierai jamais, quelqu’un, un imposteur, se présentait devant moi et me disait :

» – Madame, à dater de ce jour, Étienne Rambert c’est moi !

» – C’est vous ? m’écriai-je, vous êtes fou, vous êtes un misérable !

» L’homme restait, s’imposait, l’homme était un monstre, qui, après s’être emparé de mon mari, l’avoir fait disparaître, prenait sa personnalité, sa place, jusque dans le coin le plus intime de son foyer. Oui, cet homme voulait me persuader, à moi, à moi-même, qu’il était mon époux, que j’étais sa femme, qu’il était le père de mon enfant !

» J’ai protesté, je me suis plainte ; puis, peu à peu terrorisée par la menace perpétuelle de cet homme, j’ai voulu, au lieu de me révolter, essayer de ruser avec lui.

» J’ai feint d’admettre la fable ridicule qu’il avait imaginée, et j’ai joué la plus atroce comédie qu’il soit possible à une honnête femme de jouer…

» Tout cela, c’était pour mon enfant, pour Charles Rambert, et je me disais qu’un jour on parviendrait à démasquer cet imposteur, à le confondre aux yeux de tous !

» J’avais toutefois, par moments, des révoltes terribles, et dès lors, exaspérée, je lui criais ma haine, en même temps que je clamais mon désespoir.

» Alors, monsieur, alors mon ami, il s’est passé quelque chose de plus affreux que tout ! Ce misérable, voyant qu’il ne parviendrait jamais à faire de moi la complice de son épouvantable subterfuge, et redoutant que la vérité ne parvînt à se faire jour, me faisait enfermer dans une maison de santé, déclarant que j’étais folle, et prétendant que ma folie consistait à ne pas vouloir reconnaître mon mari !

» Et je suis restée dix ans… oui, dix ans au cabanon ! et cent fois pour une, ma raison a failli sombrer, dans la promiscuité des fous !

De grosses gouttes de sueur perlaient au front de Juve, cependant qu’il entendait ce récit.

Ce que disait cette mystérieuse M me Verdon, qui venait de reconnaître qu’elle s’appelait en réalité Alice Rambert, n’était pas inconnu du policier.

Il y avait longtemps, quinze ans, que Juve avait été mis au courant d’une semblable histoire ?

Certes, il n’avait jamais entendu parler de cette M me Rambert, mais il avait connu, fort bien connu, l’enfant dont elle déplorait la perte.

Or, cet enfant, Charles Rambert, il vivait, il vivait toujours.

Juve le savait mieux que personne, Juve l’avait adopté, fait sien, il était devenu le compagnon de lutte de l’inspecteur, il avait avec lui vécu son existence aventureuse ; cet enfant, ce Charles Rambert, c’était Jérôme Fandor !…

Ainsi donc, M me Verdon se trouvait être la mère de Fandor, mais Juve était si abasourdi, si stupéfait de ce qu’il apprenait qu’à deux ou trois reprises, haletant d’émotion, il poussait des cris inarticulés !

Juve comprenait aussi ce que venait de dire la malheureuse femme à propos de l’imposteur.

Et le policier blêmissait de rage, car il savait, il comprenait : l’homme qui avait dupé la malheureuse M me Rambert, l’homme qui était venu la retrouver chez elle à brûle-pourpoint, pour lui dire : « Je suis votre mari », et qui, voyant qu’elle ne voulait pas admettre cette fable, l’avait fait enfermer comme folle, cet homme-là, ce monstre, cet imposteur, c’était encore, comme toujours, le Génie du crime, le Maître de l’effroi :

Fantômas !… Fantômas !… Fantômas !…

Juve, sans s’en rendre compte, avait quitté l’embouchure du tuyau à laquelle jusqu’alors son oreille était restée collée.

Il s’accroupissait au fond de la cabane de planches, se comprimait la tête dans ses mains.

– Mais alors, se disait-il, le professeur Marcus se trouve en présence actuellement de M me Verdon, du moins de M me Rambert ? L’homme qui l’appelle Alice et lui prodigue les plus tendres paroles, serait donc son véritable mari, Étienne Rambert, le père de Jérôme Fandor ?

Juve s’interrompait, serrait les poings, fronçait les sourcils.

– Brute que je suis ! grommela-t-il. Hélas, hélas !… le père de Fandor n’est plus de ce monde ; c’est lui qui vivait à Haarlem, c’était le noble et beau vieillard qui mourait au palais de la reine, étreignant dans ses bras son enfant éploré.

» Mais alors, poursuivait le policier, l’imposteur d’il y a dix ans n’a pas désarmé, et il manigance encore quelque effroyable machination. Parbleu, c’est évident, c’est certain, l’homme qui vient de se présenter à M me Rambert sous le nom d’Étienne Rambert, est le même malfaiteur qui, voici dix ans, avait voulu s’imposer par la force et se faire passer pour le mari de la malheureuse femme !

» Et, poursuivait Juve en serrant les poings, si elle était saine d’esprit en le repoussant jadis, et qu’elle l’accepte aujourd’hui, qu’elle le reconnaisse, c’est qu’elle est folle, folle à lier…

» Fantômas !… Fantômas !… hurlait Juve, Fantômas qui se donne pour Étienne Rambert, Fantômas qui se cache sous le déguisement du professeur Marcus, j’en ai la preuve désormais, oh ! tu vas expier tes crimes !

Juve ne bondissait pas, Juve ne se précipitait point hors de la cabane de planches pour courir jusqu’à la maison et se précipiter revolver au poing sur le terrible bandit.

Ce n’est point qu’il avait peur, mais il savait par expérience que Fantômas était sans cesse sur ses gardes, et le policier avait la conviction que les nouveaux domestiques de M me Rambert, dite M me Verdon, devaient être des gens à la dévotion du bandit.

Si Juve surgissait, il serait démasqué, obligé de lutter avec des adversaires avant d’atteindre celui qu’il visait, Fantômas aurait encore le temps de s’enfuir. Juve décidait de ne point bouger, et d’écouter encore, d’écouter toujours, d’en apprendre le plus possible.

Lorsqu’il accola son oreille au tuyau qui lui transmettait si merveilleusement l’entretien sensationnel des deux interlocuteurs, Juve entendait la voix du professeur Marcus, que désormais il reconnaissait pour être celle de Fantômas.

Et, en même temps, par analogie, le policier se disait :

– Voilà pourquoi il me semblait déjà avoir entendu M me Rambert, bien que je ne l’aie jamais rencontrée ! Sa voix à elle m’est familière, car c’est à peu de chose près, la voix de mon cher Fandor !

Juve pouvait à peine contenir sa rage en entendant les propos de Fantômas.

– Alice, articulait le bandit, je vous expliquerai plus tard par suite de quelles effroyables circonstances, je n’ai pas pu plus tôt me manifester à vous. Mais maintenant nous sommes près du bonheur, et comme une joie ne vient jamais seule, je puis vous annoncer qu’après avoir retrouvé votre mari, vous allez pouvoir embrasser votre enfant !

– Mon enfant, reprenait M me Rambert, mon petit Charles !… Est-ce possible ! Est-ce vrai, dites-moi, mon cher Étienne ?… J’ai cru comprendre, depuis que je m’occupe de bien des choses ayant trait à mon passé, puisque avec la liberté j’ai recouvré le calme d’esprit, que mon enfant avait changé de nom, qu’il s’appelait Jérôme Fandor, et qu’il était l’ami intime de ce grand policier devenu célèbre par ses poursuites acharnées contre Fantômas, du policier Juve…

Malgré l’émotion que Juve éprouvait, il ne pouvait s’empêcher de sourire en entendant ces propos.

– Voilà, pensait-il, qui ne doit pas faire plaisir à Fantômas !…

Et il s’attendait à ce que le bandit fulminât contre lui.

Il n’en fut rien ; de sa voix doucereuse et calme, Fantômas articula :

– Jérôme Fandor, oui, c’est en effet le nom qu’a pris votre fils, Alice, je puis dire notre enfant…


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