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Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)
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Текст книги "Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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Jérôme Fandor, anxieusement, attendit.

Brusquement, il se prit à tressaillir :

Un homme, dont il voyait tout juste, en-dessous des wagons, l’extrémité des jambes, un homme qui avait un pantalon bleu, souillé de graisse, un homme qui devait être le chauffeur ou le mécanicien, accourait :

Jérôme Fandor entendit crier :

– Faut chercher sur la voie. Bon Dieu de malheur ! dans la courbe, j’ai vu un type qui faisait des signaux, sûrement qu’il y avait quelque chose… Ah ! sapristi, j’ai pas pu bloquer à temps, on a dû lui passer dessus !

Jérôme Fandor entendit cela et sourit.

Il était de plus en plus maître de lui. Tranquillement, le journaliste murmurait :

– Parfaitement, le mécanicien m’a aperçu !… Eh bien, c’est tout ce que je voulais ! Il s’agit maintenant qu’on ne me revoie pas à nouveau, et, puisque le train est arrêté, que je réussisse à y prendre place.

À contre-voie, rampant, souffrant horriblement, Jérôme Fandor sortit d’en dessous du train.




Chapitre XI


Erreur policière

Sortir de dessous le train était évidemment facile, et du moment que Jérôme Fandor avait le courage voulu pour vaincre la terrible douleur que lui occasionnait son entorse, rien ne pouvait l’empêcher de quitter la périlleuse cachette où il se trouvait sans d’ailleurs l’avoir voulu.

Toutefois, si Fandor arrivait, au prix d’une horrible souffrance, à quitter le dessous du train, il n’était pas alors au bout de ses peines. Il fallait maintenant qu’il prit place dans le convoi, il fallait encore qu’il put y passer inaperçu, et cela dans l’intérêt de l’enquête qu’il menait, afin de ne point donner l’éveil à Fantômas qui, très certainement, devait se trouver dans l’un des compartiments du rapide.

Fandor se rendait fort bien compte de ces difficultés, et ne se les dissimulait pas.

– Jouons serré ! se dit-il. La partie est d’importance, et ma peau pourrait bien en être l’enjeu !…

Fandor ne pouvait pas en effet garder la moindre illusion à ce sujet. La lutte qu’il menait contre Fantômas depuis l’instant où il s’était jeté à sa poursuite dans la gare d’Anvers, était une lutte sans trêve, sans merci.

Fantômas, très certainement, avait voulu le séparer de Juve. Fantômas y avait réussi, mais le bandit devait être exaspéré par les dangers qu’il avait courus, par la chasse que lui avait donnée Fandor, chasse au cours de laquelle il avait été victorieux sans doute, mais qui cependant lui avait fait courir de redoutables dangers.

– Si Fantômas m’aperçoit, se dit Fandor, mon tailleur est un homme fichu… Jamais je ne lui paierai ma note, car je serai mort avant !

Fandor, éclopé comme il l’était, ne pouvant bouger qu’au prix d’intolérables souffrances, n’était guère en état d’affronter le Maître de l’épouvante, de lutter contre lui, et surtout d’en triompher. Si les deux hommes devaient en venir aux prises, Fandor, à moins d’un prodige, était vaincu d’avance, et devait payer de sa vie sa téméraire audace.


Le journaliste, toutefois, ne raisonnait pas. Il n’avait point l’habitude de discuter son devoir, ou de calculer avec le danger… et du moment qu’il estimait devoir poursuivre Fantômas, il le poursuivrait n’importe comment, n’importe quand, loyalement, en ennemi déclaré et qui fait une guerre sans pitié.

– Risquons le coup, se dit Fandor, avisons…

La nuit était tombée cependant. Au lointain, Jérôme Fandor apercevait, fort indistinctement, les employés de chemin de fer qui cherchaient les restes de son corps mutilé. Cela le fit sourire.

– Diable ! pensait Fandor… Je fais mentir l’Évangile. Il est écrit quelque part : « Cherchez et vous trouverez. » Je vois bien qu’ils cherchent et j’espère bigrement qu’ils ne trouveront pas !

Ne regardant plus ceux qui inspectaient la voie, Fandor s’occupa à trouver un moyen immédiat et pratique de prendre place dans les compartiments. Par malheur, il n’apparaissait pas que c’était chose possible, tout au contraire.

Tout d’abord, les voyageurs étaient en grand nombre descendus sur le ballast, d’autres demeuraient penchés aux portières ou grimpés sur les marchepieds des longs wagons à couloir ; il ne fallait pas songer à se mêler à eux et à passer inaperçu.

Fandor, réfléchissant, fit la grimace :

– Avec ça que c’est commode, ce que j’ai à faire, estimait-il. Je suis maintenant noir de charbon, brûlé en cinquante endroits, déchiré comme il n’est pas possible. De plus, je boite, plus bas encore que la justice. Si d’aventure j’essaye de me mêler aux voyageurs, personne d’entre eux ne me reconnaîtra. Sûrement je serai signalé, d’autant plus que ce train comporte tout juste des wagons de première et de seconde classe et que mon costume ne pourrait être acceptable que pour un voyageur de troisième…

Il y avait une autre remarque d’ailleurs qui devait décider Fandor à ne point se mêler aux voyageurs.

Parmi ceux-ci en effet, le journaliste le savait bien, devait se trouver Fantômas.

Où était exactement le Maître de l’effroi ? Où se trouvait le Génie du crime, le Tortionnaire ? En quel endroit précis se tenait-il ?

Cela, Jérôme Fandor l’ignorait, et cette ignorance devait le conduire à une très prudente méfiance.

– Ce serait du joli, pensait Jérôme Fandor, si je me flanquais dans ses pattes et si je prenais place dans son compartiment !… D’ailleurs je n’ai pas de billet…

La situation était vraiment embarrassante, et Jérôme Fandor, que la chance venait de sauver d’une mort horrible, eût peut-être pesté contre le hasard qui accumulait sur sa route les pires difficultés, s’il n’avait eu mieux à faire qu’à se répandre en des lamentations sans aucune utilité pratique.

– Allez donc ! songea-t-il. Tâchons tout bonnement de trouver moyen de brûler le dur !

Brûler le dur, c’est-à-dire voyager inaperçu, voyager sans billet, tel était en effet, le but suprême que devait viser Fandor.

Le journaliste, sorti de dessous le train, et profitant de ce que l’ombre de la nuit pouvait à la rigueur dissimuler les étrangetés de sa mise, continua à longer les wagons, marchant toujours à contre-voie, c’est-à-dire du côté où les voyageurs, par prudence, n’étaient pas descendus.

Or, Jérôme Fandor, brusquement, passait de la plus grande perplexité à la joie la plus parfaite.

– Ça, murmurait-il, ça m’était bien dû ! Mais enfin, tout de même, c’est une bonne veine !

Que venait-il donc de découvrir ?

Fandor, tout simplement, s’apercevait qu’entre deux wagons probablement chargés de bagages, se trouvait un wagon de marchandises, un truc recouvert d’une bâche sous laquelle se devinait la forme imprécise d’une automobile.

Jérôme Fandor n’avait pas besoin de réfléchir plus longuement pour deviner l’explication de la présence insolite d’un semblable véhicule ou plutôt d’un semblable chargement attelé à un train de voyageur.

Fandor était en effet trop sportif pour ignorer que l’on était à quelques jours seulement d’une grande épreuve internationale automobile qui devait se disputer aux environs de Paris. Il savait que des marques belges étaient engagées, il devinait sans peine que la voiture qu’il apercevait devait être une voiture de course qui, terminée trop tard, était expédiée de la sorte en grande vitesse accélérée moyennant, sans aucun doute, un supplément de prix formidable.

Mais tout cela importait peu à Fandor. Ce qui l’intéressait, ce qui le passionnait immédiatement, c’est que ce wagon de marchandises, bâché, contenant une voiture, allait le plus aisément du monde lui permettre de réussir ses projets.

– C’est merveilleux ! estima le journaliste… Je me glisse dans le wagon, je me hisse sous la bâche, je grimpe dans la bagnole, et ma foi je suis le mieux du monde… À coup sûr, le train fait arrêt à Bruxelles, j’aviserai en gare de Bruxelles à descendre inaperçu, à me faufiler jusqu’au guichet des billets, et ma foi, ce sera bien le diable si je ne trouve pas alors moyen d’envoyer une dépêche à Paris pour prévenir de l’arrivée de Fantômas et de me procurer un costume pour pouvoir, à ce moment, prendre place dans un compartiment de voyageurs !

Tout cela était fort bien raisonné, paraissait s’arranger à merveille, et Jérôme Fandor s’occupait à réaliser ses projets immédiatement.

Il éprouvait, il est vrai, une peine atroce, à se hisser sur la plate-forme du wagon de marchandises, mais il n’en était plus à une souffrance près.

Se glisser sous la bâche, en revanche, s’installer dans la voiture, était un jeu…

– C’est épatant, se dit Fandor, une fois étendu à la place du conducteur, et tranquillement accoudé sur le volant… C’est épatant ce que j’fais de l’automobile en ce moment… Tout de même, aujourd’hui, j’espère que ça finira pas par une autre culbute, je suis du bon côté du passage à niveau !

Le jeune homme s’installait au mieux, attendait quelques instants, puis soudain se prenait à sourire.

À travers la bâche qui le cachait parfaitement, il entendait en effet les cris des employés qui, maintenant, longeaient le train express.

– En voiture ! criaient-ils, en voiture !

Et de fait, c’était tout au long de l’express le remue-ménage affolé des voyageurs qui s’empressaient à regagner leurs places.

– Très bien ! pensa Fandor. Les pauvres bougres n’ont rien retrouvé du tout, le mécanicien doit être convaincu qu’il s’est trompé, qu’il n’y avait personne sur la voie… Sûrement il va faire un rapport, sa vigilance lui vaudra des félicitations, et le pire dommage de mes aventures sera que le train aura du retard.

À ce propos, le convoi démarrait, Fandor subitement éclatait de rire.

– Et Bouzille ! pensait-il. Que diable est devenu ce pauvre Bouzille ? Je crois bien que je le plaque… Bah, il se débrouillera. D’abord, pourquoi n’avait-il pas fermé le disque ?

Jérôme Fandor était évidemment injuste, mais il l’était sans s’en douter. Bouzille, comme il l’estimait, n’était d’ailleurs pas homme à ne point savoir s’arranger. Le vieux chemineau trouverait sûrement dans son esprit inventif, une ruse quelconque qui lui permettrait aisément de regagner Paris.

Le train quelques instants plus tard démarrait, il reprenait sa vitesse, fonçait à nouveau dans la nuit noire. Certes, les voyageurs, le mécanicien, Jérôme Fandor lui-même eussent été fort étonnés s’ils avaient su que, sans cet arrêt de quelques instants, un tamponnement effroyable se serait produit avec le train de marchandises.

Tout le monde l’ignorait, seul le mécanicien devait l’apprendre à la gare prochaine, mais l’enquête ne devait jamais faire savoir ni établir la succession des événements dramatiques qui s’étaient cette nuit-là écoulés sur le réseau.

Jérôme Fandor, cependant, installé dans la voiture de course, protégé par la bâche, se déclarait enchanté de la marche de son enquête.

Certes, il n’avait point encore vu Fantômas, mais il ne doutait point qu’il ne put le rejoindre bientôt, et il tenait pour assuré que le Maître de l’épouvante se trouvait dans le train.

Dès lors la difficulté de l’entreprise se simplifiait rapidement, Jérôme Fandor comptait sur une victoire, il y comptait fermement, ne la subordonnant qu’à une seule condition, pouvoir changer de vêtements et monter à Bruxelles au plus tard dans les wagons de voyageurs.

Ses espoirs ne devaient pas être déçus, ils devaient tout au contraire être réalisés beaucoup plus vite qu’il ne s’y attendait.

Jérôme Fandor, en effet, une fois le train parti, commençait à s’ennuyer ferme sous sa bâche. Il ne voyait rien, et pour cause, du paysage ; il grelottait de froid, et de plus, il était fort incommodément installé, car la vitesse du train lui plaquait maintenant à la figure l’étoffe grossière qu’il était obligé de tenir écartée avec ses mains.

– Ça ne peut pas durer, pensa Fandor, c’est abominable ! Si seulement j’avais un illustré !

À tâtons, Jérôme Fandor examinait la voiture à bord de laquelle il voyageait. Il lui vint tout à coup à l’idée qu’il avait encore dans sa poche la petite lampe électrique dont il ne ne séparait jamais.

– Oh ! eh ! fit-il, c’est épatant, cela.

Et Jérôme Fandor alluma la lampe tout en se disant qu’il ne fallait pas abuser de l’éclairage, car si d’aventure la lumière rendait la bâche transparente, il avait toutes les chances du monde d’être rapidement signalé.

À la lueur de sa petite lampe électrique, cependant, Jérôme Fandor continuait à examiner la voiture de course qui, très certainement, avait été embarquée à bord du chemin de fer le jour même ou elle avait fini ses essais, car elle était encore pleine de boue peu sèche.

– Une jolie voiture ! se dit Fandor.

Un grand coffre d’acajou destiné à l’outillage était posé sur le marchepied, Jérôme Fandor l’ouvrit :

– Je pense qu’il est vide, murmurait-il.

Mais le coffre ouvert, une exclamation lui échappait :

– Ah ! par exemple… Ça c’est trop de veine !

Dans le coffre, Jérôme Fandor découvrait un de ces vêtements de toile bleue comme en portent les mécaniciens, et qui s’appellent, en raison peut-être de leur destination, des salopettes.

Le costume n’était pas neuf, il comportait, évidemment quelques taches de graisse, toutefois il était relativement propre.

De plus, une casquette était roulée au milieu, casquette que Fandor essaya immédiatement.

– De plus en plus fort, gouailla le journaliste. Comment diable tout cela va-t-il finir ? Tout me réussit trop bien en ce moment !

Et en même temps qu’il se félicitait de sa chance, Jérôme Fandor se hâtait d’en profiter. Il commençait par se déshabiller, retirait son gilet, son veston, son pantalon, pliait le tout fort proprement, épinglant par surcroît sur ses habits un billet de cinquante francs qui certainement valait dix fois le coût de la salopette qu’il s’apprêtait à voler.

Car Jérôme volait la salopette…

– Jamais je ne trouverai, pensait-il, un déguisement meilleur. D’autant plus qu’une fois en bleu, personne à Bruxelles ne pourra s’étonner si l’on me voyait sortir de dessous cette bâche. Je n’aurais qu’à dire que je suis le mécanicien de la maison, et avec quelques boniments autour de cette déclaration, j’éviterai qui je voudrais…

Jérôme Fandor était à peine habillé de la salopette que le train visiblement ralentissait.

– Tiens, se demanda le jeune homme, comment se fait-il ? Serions-nous déjà à Bruxelles ?

Il ne se trompait pas. Sous sa bâche, il n’avait guère eu le loisir de s’orienter, et c’est pourquoi il s’avouait surpris.

Quelques instants plus tard, en effet, le train stoppait en gare de Bruxelles, et la chance servait encore Jérôme, car son wagon attelé en queue demeurait hors du hall dans un coin d’ombre, en un endroit où il lui était évidemment facile de s’enfuir inaperçu.

Jérôme Fandor se glissa hors de la bâche, se laissa tomber sur le quai ; il souffrait encore terriblement de sa foulure, mais le repos lui avait fait du bien.

Avec satisfaction, le journaliste le constata. Puis, sa physionomie se rembrunit, ses sourcils se froncèrent :

– À nous deux, Fantômas, à nous deux ! murmurait-il, les enjeux sont faits, la partie commence… à qui la banque ?


Jérôme Fandor, un quart d’heure plus tard, s’applaudissait de son stratagème et du déguisement qu’il avait ainsi adopté, sans pourtant avoir eu le temps de beaucoup réfléchir.

Il circulait, en effet, dans la gare de Bruxelles, sans que personne parût faire attention à lui, et il profitait de cet incognito parfait pour se livrer aux besognes qu’il jugeait indispensables s’il voulait mener à bien, ainsi qu’il en avait l’intention, sa poursuite contre Fantômas.

Fandor commençait à longer le convoi qui venait de l’amener incognito. Il s’assurait qu’il y avait un grand quart d’heure d’arrêt, puis, tranquille sur ce point, traversait les voies, allait s’embusquer à la sortie de la gare, se dissimulant derrière un amoncellement de bagages, et guettant ceux qui quittaient les quais, afin d’être bien certain que Fantômas n’était pas parmi eux.

Fandor se rassurait vite ; le bandit, très certainement, n’avait point quitté le train, et cela ne surprenait pas le journaliste, car il estimait que, logiquement, Fantômas devait avoir l’intention de se diriger sur Paris, où, sans le moindre doute, des affaires urgentes l’appelaient, qui devaient se rattacher à la mystérieuse disparition de Vladimir.

Tranquillisé sur les intentions de Fantômas, Fandor décidait d’aviser au plus vite, à parachever, par un succès définitif, l’enquête qu’il menait depuis plusieurs jours.

– Maintenant, se disait Fandor, la lutte se précise ; je sais où est Fantômas, lui ne sait pas où je suis, décidément, j’ai tous les atouts dans mon jeu…

Fandor savait-il cependant bien exactement où était Fantômas ?

À l’instant même où il formulait sa pensée, Fandor devait s’avouer qu’il exagérait quelque peu. Il soupçonnait bien, à vrai dire, que Fantômas se trouvait dans le train, mais il ignorait quelle place exacte il y occupait, et il eût été bien empêché de préciser ce que le bandit faisait à l’heure actuelle.

Fandor se rendit si bien compte de la difficulté qu’avant toute autre chose il décidait de rechercher Fantômas.

– Quand je l’aurai vu, je verrai comment l’attaquer…

C’était logique, raisonnable, Fandor commença immédiatement ses recherches…

Or, à l’instant où le journaliste se rapprochait des quais et revenait vers le rapide dont les voyageurs étaient descendus pour se précipiter au buffet, ou encore s’approvisionner, suivant les besoins de livres, de journaux, d’oreillers ou de couvertures, il sursautait, stupéfait, en reconnaissant à moins de dix mètres de lui, une vilaine pipe, un véritable brûle-gueule aux lèvres, habillé de vêtements en haillons, fait comme un apache, en un mot Fantômas lui-même, le terrible Maître de l’épouvante…

– Ça par exemple, se dit Fandor, qui d’émotion était devenu blême, c’est plus fort que de jouer au bouchon avec des pains à cacheter par un jour de grand vent… Comment diable Fantômas est-il ainsi vêtu ? Comment se fait-il qu’il s’est grimé en voyou ?…

Force était bien à Fandor de laisser sans réponse l’interrogation qu’il se posait à lui-même, interrogation qui était d’ailleurs suivie de beaucoup d’autres.

La tenue de Fantômas, en effet, n’étonnait pas seulement Fandor par son laisser-aller. Ce qui le surprenait encore au plus haut point, c’était de voir Fantômas ainsi, tranquille, se promenant devant le rapide, où il n’y avait, croyait le jeune homme, que des wagons de première ou de seconde.

– Sûrement, se disait Fandor, Fantômas n’a pas pu, ainsi accoutré, prendre place dans un wagon de première classe. Alors ?…

Et comparant sa propre tenue à celle du bandit, Fandor était admis à conclure plaisamment :

– Faits comme nous le sommes tous les deux, nous pourrions vraiment nous serrer la main !

Jérôme Fandor, toutefois, n’allait pas avoir longtemps à épiloguer sur une pareille matière.

Des manœuvres s’effectuaient, en effet, et le journaliste bientôt croyait avoir la clef du mystère qui l’intriguait depuis quelques instants.

Des hommes d’équipe, en effet, attelaient en queue du train toute une série de wagons qui étaient précisément des wagons de troisième classe.

– Bon, très bien ! se dit alors Fandor. Voilà que tout s’éclaire, je n’ai plus d’illusions à me faire, Fantômas était chic tout à l’heure et installé dans un sleeping, maintenant, il s’habille pauvrement, il va prendre place dans un wagon de troisième classe… C’est tout simplement dans le but de dépister les recherches…

La chose était plausible, Jérôme Fandor la tint pour vraie. Au surplus, elle avait peu d’importance, l’essentiel était que désormais Fandor avait retrouvé Fantômas, qu’il était libre de s’attacher à lui, que son triomphe était certain, que sa victoire était proche.

Ricaneur, Fandor montra le poing au bandit qui, sans doute, ne soupçonnait point sa présence.

– À nous deux ! faisait-il sur un ton de plaisanterie, où pourtant passait une sombre menace. À nous deux, cher maître, nous nous retrouverons…

Fandor fit demi-tour, abandonna le quai, courut au bureau du télégraphe.

– Vite, mademoiselle, disait-il à remployée. Une formule pour télégramme. Là ! Voici !

Et en toute hâte Fandor rédigeait une dépêche :

Prière d’envoyer à la gare du Nord six agents de la Sûreté et de mobiliser les forces policières du commissariat spécial. Prévenir Juve, si Juve est à Paris. Fantômas arrive par train de Bruxelles de minuit vingt, je suis dans le même train. Il est habillé en apache, lui sauter dessus quand je donnerai le signal.

Fandor signait en toutes lettres : Jérôme Fandor,sachant bien qu’à la Sûreté il était assez connu pour qu’en dépit de son manque de fonctions officielles on s’empressât d’obéir à ses ordres.

– Combien ? demandait Fandor à la jeune buraliste. Mais celle-ci, lisant le câble, avait pâli, blêmi, elle tremblait de tous ses membres :

– Fantômas est là ! disait-elle, Fantômas est dans la gare, alors ? Ah ! monsieur, monsieur ! j’ai peur !

Une fois encore, le nom tragique, le nom d’horreur, le nom de sang produisait son terrifiant effet. La jeune fille qui, très certainement, avait maintes fois lu dans les journaux le récit des fantastiques aventures du Maître de l’épouvante, ne pouvait garder son sang-froid en apprenant qu’il se trouvait si près d’elle.

Fandor toutefois n’était pas disposé à bavarder. Au hasard, il inventait une explication :

– Mais non, faisait-il bourru. Vous vous trompez. Ce n’est pas du grand Fantômas qu’il s’agit, c’est d’un… c’est de…

Il allait s’embrouiller dans cette phrase, il demanda :

– Combien ?

À cet instant, cependant, une cloche retentissait.

– Mon train, bon Dieu ! rugit Fandor.

Et devant la buraliste stupéfaite, le jeune homme lançait à la volée un louis.

– Payez-vous, criait-il, et surtout câblez immédiatement…

Puis il sortait précipitamment du bureau de poste, traversait les voies en courant, rejoignait tout juste le rapide à l’instant où le convoi démarrait.

– Sapristi, pensa le journaliste, il était moins cinq… Un peu plus, je ratais le train ! Décidément, il est dans ma vocation de toujours monter en voltige dans les wagons.

Fandor plaisantait, mais cependant bougonnait.

Pour courir, en effet, il avait dû faire un effort surhumain, car sa cheville, quoique allant mieux, lui causait toujours d’intolérables douleurs. Il avait pu toutefois délacer son soulier, et cela lui facilitait la marche.

Un quart d’heure plus tard, Jérôme Fandor était installé dans un compartiment de troisième classe et faisait piteuse mine.

Le jeune homme, en effet, venait de parcourir par le couloir la succession de tous les wagons, cherchant à apercevoir Fantômas.

Il n’avait vu personne… Pas plus dans les wagons de troisième classe que dans les wagons de seconde ou de première, il ne lui avait pas été loisible de reconnaître l’apache qui, un instant avant, se promenait sur les quais d’embarquement.

Fantômas avait-il donc disparu ? Fantômas, l’ayant dépisté, avait-il donc renoncé à prendre le train ?

– Ah ! bon Dieu de malheur ! se jurait Fandor, si jamais il s’était débiné pendant que je me trouvais au bureau du télégraphe, Juve ne me le pardonnerait pas !

Un espoir restait cependant au journaliste. Il se disait que, très évidemment, Fantômas ne devait pas tenir à attirer l’attention sur lui. Il était donc assez logique d’imaginer que le bandit, profitant des circonstances, avait dû imaginer un moyen de passer inaperçu.

Peut-être s’était-il réfugié dans l’un des cabinets de toilette. Peut-être s’était-il glissé sous un amas de couvertures, dans les wagons à demi sombres où des voyageurs dormaient.

En tout cas, Fandor eût risqué trop gros jeu à poursuivre son enquête dans le train.

– Tout ce que je peux faire, pensait-il, c’est d’attendre. À Paris, par exemple, cela changera, je ferai en sorte de sauter de wagon l’un des premiers, tant pis pour ma foulure… et je me mettrai à côté de la sortie. Quand Fantômas passera, et il faudra bien qu’il passe, crac… je le ferai empoigner.

Fandor parlait en vérité avec une belle audace, car, mieux que personne peut-être, il était payé pour savoir qu’il était téméraire de vouloir prédire l’arrestation du Maître de l’effroi.

Les événements, toutefois, pouvaient l’autoriser à manifester quelque confiance. Il était évidemment certain que Fantômas devait être dans le train. Il était probable qu’il était sans défiance, et, d’autre part, il était assuré qu’à la gare du Nord les forces policières seraient en nombre, prêtes à intervenir.

Comment, dès lors, se défendre d’un peu d’espoir ? Comment, dès lors, ne pas croire que Fantômas allait enfin tomber aux mains de la police ?

Rongeant son frein, trouvant les heures effroyablement longues, Fandor attendait l’arrivée avec une anxiété folle. Quand le train commençait à franchir les fortifications, quand il franchissait en ralentissant les voies de dégagement de la gare du Nord, quand il se faufilait, tel un souple serpent d’acier, le long des hangars et des remises des dépôts de machines, Fandor croyait, tant son énervement était extrême, qu’il allait crier d’émotion.

Et c’était enfin avec toute la lente solennité de l’arrivée des grands express que le train pénétrait sous le hall et, tout secoué encore de son élan et de sa vitesse, venait, en crachant la vapeur, s’immobiliser à quelques mètres du buttoir.

Fandor, depuis longtemps déjà, était descendu sur les marchepieds du premier wagon attelé à la locomotive. Il sautait sur le quai, ne sentant même pas le mal que lui causait sa cheville endolorie, et courait en avant se poster près de l’employé chargé de recevoir les billets.

D’un coup d’œil, d’ailleurs, Jérôme Fandor avait pu s’assurer qu’à Paris on avait tenu compte de sa dépêche envoyée de Bruxelles.

Sur le quai de la station, en effet, Fandor venait d’apercevoir Léon et Michel, les deux dévoués inspecteurs qui se promenaient, faisant les cent pas, ayant l’air de ne point se connaître, et feignant d’être là, pour attendre l’arrivée de parents ou d’amis.

Plus loin, quatre gros hommes causaient ensemble, parlant très haut des cours de la Bourse.

– Encore des inspecteurs ! murmura Fandor.

Et les yeux du jeune homme fouillaient les rangs pressés de la foule, cherchant à discerner si Juve n’était pas là, caché parmi les badauds.

Fandor n’aperçut pas le policier.

Mais ce n’était pas le moment de chercher Juve. Il était quelqu’un qu’il fallait reconnaître, qu’il importait de dépister, et qui était bien autrement important. C’était Fantômas…

– Va-t-il venir ? se demanda Fandor, considérant le flot des voyageurs qui descendaient des wagons, se bousculaient pour arriver à passer plus vite le portillon de la sortie.

Or, comme Jérôme Fandor se posait avec une angoisse folle cette question, il éprouvait brusquement une commotion violente au cœur :

Devant lui, à moins de vingt mètres, marchant sans se presser vers la sortie, Fandor venait d’apercevoir un fort élégant gentleman. Il portait un chapeau mou de la meilleure coupe, un grand pardessus fort ample, de fines chaussures ; ses mains gantées tenaient un sac valise du meilleur goût.

Or, cet individu qui s’avançait ainsi, une cigarette aux lèvres, l’allure dégagée, le geste tranquille, Fandor le reconnaissait, à l’instant.

C’était Fantômas.

Le Maître de l’épouvante, une fois encore, avait su duper Fandor.

Une fois encore, il avait dépisté les recherches du journaliste en ayant recours à un habile grimage.

Fantômas était méconnaissable. Fantômas, qui était apache à Bruxelles, incarnait désormais à merveille un très riche gentleman.

Alors, en un instant, Fandor jugea la situation.

Si Fantômas était ainsi grimé, ce n’était évidemment pas pour rien.

S’il avait pris la peine de flâner sur les quais de Bruxelles, vêtu en pauvre voyou, si désormais il portait un complet sorti de chez le bon faiseur, c’était sans doute qu’il méditait l’un quelconque de ces tours dont il était familier.

– Attention ! se jura Fandor. Je flaire une embûche…

Et Fandor fit alors ce qu’il n’aurait point fait si telle n’avait pas été sa pensée.

Le journaliste, en effet, avait eu tout d’abord l’intention de laisser Fantômas tranquillement s’éloigner. Il comptait faire signe aux agents, organiser une filature, et arrêter le misérable à l’instant où il ne serait plus dans la foule, c’est-à-dire où son arrestation ne serait plus susceptible d’occasionner une panique ou une émotion.

Mais, au contraire, Fandor se rendit compte qu’il importait d’agir au plus vite. Toute seconde qui passait était dangereuse, toute minute écoulée pouvait laisser à Fantômas le loisir de disparaître.

Brusquement, Fandor se jeta sur le gentleman, hurlant à pleins poumons :

– À moi, la Sûreté ! hardi ! c’est Fantômas !

Une panique se produisait immédiatement.

Le renom de Fantômas était trop connu, en effet, causait une terreur trop générale pour ne point effarer ceux qui l’entendaient prononcer.

Comme Fandor se jetait sur Fantômas, une bousculade effroyable se produisit.

Le journaliste, qui avait empoigné par le bras le bandit se vit tout à coup au centre d’une mêlée furieuse.

Des coups de poings au même moment lui étaient assénés sur le crâne ; des gens hurlaient :

– Au secours…

D’autres, farouches, criaient eux aussi :

– C’est Fantômas… tuez-le ! Assommez-le !

Le journaliste, qui tenait toujours le bandit, recevait au moins autant de horions que celui-ci. Fantômas d’ailleurs, se débattait peu, ne semblait pas surpris, feignait, au contraire un calme méprisant.

Et soudain, c’était une chose inattendue, terrible, effroyable, qui se produisait :

Jérôme Fandor, qui venait de recevoir stoïquement un formidable coup de canne, évidemment destiné à Fantômas, éprouvait une horrible douleur. Quelqu’un, dans la foule, avait eu l’idée de se baisser. Le crochet de la poignée d’un parapluie l’avait pris par les jambes, une saccade brusque le renversait…

Or, précisément, il se trouvait que Fandor venait d’être agrippé par son pauvre pied malade. La douleur qui en résultait pour lui était telle que le courageux jeune homme perdait connaissance…

Il eut le sentiment qu’il tombait à la renverse, qu’on le piétinait, qu’on lui meurtrissait le visage à coups de talons, puis ses oreilles se ouatèrent, ses yeux se fermèrent, il s’évanouit…


– Mais, bon Dieu vous êtes fou !… Vous ne nous entendiez donc pas ? Vous n’avez pas compris ce qui se passait ? Ah ! c’est à se jeter à la Seine… C’est à se faire sauter la tête d’un coup de revolver… Sacré bon sang de bonsoir !… Qu’est-ce que dira Juve, d’abord ? Dire que nous le tenions !… Non, j’en ferai une maladie.


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