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De bons présages
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 11:18

Текст книги "De bons présages"


Автор книги: Terence David John Pratchett


Соавторы: Neil Gaiman
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– Nous sommes chambre 3. » M r Young tapota ses poches et trouva le paquet maltraité qu’il avait emporté avec lui, en accord avec la tradition. « Ça vous dit de partager avec moi l’heureuse expérience d’un cigare ? »

Mais l’homme avait disparu.

M r Young rangea soigneusement le paquet et considéra pensivement sa pipe. Toujours pressés, ces docteurs. Au travail toute la sainte journée.

Il existe un tour de prestidigitation, d’un déroulement extrêmement délicat à suivre, qu’on exécute avec un haricot et trois tasses. Il va se passer quelque chose de fort semblable, pour des enjeux plus conséquents qu’une poignée de petite monnaie.

Nous allons ralentir le texte pour que vous puissiez bien suivre les phases successives de la manipulation.

Dans la Salle d’Accouchement n‹ 3, M rs Deirdre Young est en train d’accoucher d’un petit bébé blond de sexe mâle, que nous appellerons le bébé A.

Dans la Salle d’Accouchement n‹ 4, M rs Harriet Dowling, épouse de l’attaché culturel américain, est en train d’accoucher d’un petit bébé blond de sexe mâle, que nous appellerons le bébé B.

La sœur Mary Loquace est sataniste pratiquante depuis sa naissance. Enfant, elle a suivi l’enseignement irréligieux et a remporté de mauvais points en écriture et en lecture d’entrailles. Quand on lui a demandé de rejoindre l’Ordre Babillard, elle a obéi. Ses dons naturels la prédisposaient à suivre une telle voie et, de toute façon, elle savait qu’elle y retrouverait des copines. Elle manifesterait une intelligence certaine si l’occasion s’en présentait, mais elle a depuis longtemps la conviction qu’une cervelle d’oiseau vous aplanit le cours d’une existence, pour utiliser ses propres termes. Pour l’heure, on lui remet un petit bébé blond de sexe mâle, que nous appellerons l’Adversaire, le Destructeur de Rois, l’Ange de l’Abîme sans Fond, la Grande Bête nommée Dragon, le Prince de ce Monde, le Père du Mensonge, l’Engeance de Satan et le Seigneur des Ténèbres.

Observez attentivement. Nous mélangeonsc

« C’est lui ? demanda la sœur Mary en considérant le bébé. Je m’attendais à ce qu’il ait des yeux bizarres. Rouges, ou verts. Ou de tout petits petons fourchus. Ou une meugnonne petite queue. » Tout en parlant, elle le retourna. Pas de cornes, non plus. Le fils du Malin paraissait tellement normal que c’en était inquiétant.

« C’est bien lui, répondit Rampa.

– Imaginez-vous un peu. Je tiens l’Antéchrist entre mes mains. Et je suis en train de lui faire prendre son bain. Et je compte les zoulis doigts de ses petits petonsc »

Perdue dans un songe personnel, elle s’adressait maintenant directement à l’enfant. Rampa agita la main en face de sa cornette. « Hé ! Hou hou, sœur Mary ?

– Excusez-moi, monsieur. Mais c’est un véritable amour. Est-ce qu’il ressemble à son père ? Mais bien sûr qu’on lui ressemble, à son papa ! Hein, qu’on ressemble à son papounet ?

– Non, affirma catégoriquement Rampa. Et maintenant, à votre place, j’irais en salle de délivrance.

– Vous croyez qu’il se souviendra de moi quand il sera grand ? » demanda la sœur Mary, rêveuse, en se coulant dans le couloir.

« Priez que non », dit Rampa avant de s’enfuir.

La sœur Mary traversa l’hôpital nocturne avec l’Adversaire, le Destructeur de Rois, l’Ange de l’Abîme sans Fond, la Grande Bête nommée Dragon, le Prince de ce Monde, le Père du Mensonge, l’Engeance de Satan et le Seigneur des Ténèbres dans les bras. Elle trouva un moïse dans lequel elle le coucha.

Il gloussa. Elle lui fit une chatouille.

Une tête d’infirmière-chef émergea par l’encadrement d’une porte : « Sœur Mary, qu’est-ce que vous fichez ici ? Vous n’êtes pas de service dans la chambre n‹ 4 ?

– Maître Rampa m’a ditc

– Allez, filez comme une bonne petite sœur. Vous avez vu le mari quelque part ? Il n’est plus en salle d’attente.

– Je n’ai vu que Maître Rampa, qui m’a ditc

– Je n’en doute pas, trancha la sœur Grâce Volubile. Je suppose qu’il vaut mieux que j’aille moi-même chercher ce pauvre homme. Entrez et tenez-la à l’œil. Elle est encore dans le coton, mais le bébé est en pleine forme. » La sœur Grâce s’interrompit « Pourquoi clignez-vous de l’œil ? Vous avez mal ?

– Vous savez bien ! siffla sœur Mary de façon théâtrale. Les bébés. L’échangec

– Oui, oui. Bien sûr. Chaque chose en son temps. On ne peut pas laisser le père errer au petit bonheur, n’est-ce pas ? On ne sait jamais ce qu’il pourrait découvrir. Alors attendez ici et surveillez le bébé, vous serez bien aimable. »

Elle descendit le couloir encaustiqué, tous voiles dehors. La sœur Mary, poussant le berceau, entra en salle de délivrance.

M rs Young n’était plus dans le coton. Elle dormait à poings fermés, avec cette expression de solide contentement de ceux qui savent que, pour une fois, toutes les responsabilités reposent sur les épaules d’autrui. Le bébé A dormait à ses côtés, pesé et étiqueté. La sœur Mary, à qui on avait appris à être serviable, retira l’étiquette portant le nom du bébé, la copia et attacha le double sur le bébé dont elle avait la garde.

Les deux bébés se ressemblaient : petits, boursouflés, avec un faux air de Winston Churchill.

Bon, se dit la sœur Mary, je prendrais bien une tasse de thé, moi.

La plupart des pensionnaires du couvent étaient des satanistes traditionalistes, comme leurs parents et leurs grands-parents. On les avait élevés ainsi et, à y regarder de près, ils n’étaient pas vraiment mauvais. En règle générale, les humains ne sont pas vraiment mauvais. Ils se laissent séduire par les idées nouvelles, c’est tout : on enfile de grandes bottes et on se met à fusiller les gens, on s’habille en blanc et on se met à lyncher les gens, on s’affuble de jeans à fleurs et on se met à jouer de la guitare aux gens. Offrez à un humain de nouvelles idées et un costume : il ne tardera pas à vous suivre, cœur et âme. De toute façon, recevoir une éducationsataniste tend à dépoétiser la chose. C’est quelque chose qu’on fait le samedi soir. Le reste du temps, on vit sa vie de son mieux, comme tout le monde. De plus, la sœur Mary était infirmière, et les infirmières de toutes confessions sont avant tout infirmières, un métier où, en priorité, on porte sa montre à l’envers, on garde son calme dans les moments d’urgence et on meurt d’envie de boire une bonne tasse de thé. Elle espérait que quelqu’un viendrait vite ; elle avait fait le plus important, maintenant, et elle voulait son thé.

On comprendra peut-être mieux les affaires humaines s’il est clairement dit que ce ne sont pas des gens fondamentalement bons ou fondamentalement mauvais qui sont à l’origine des plus grands triomphes ou des plus grandes tragédies de l’Histoire, mais des gens fondamentalement humains.

On frappa à la porte. La sœur Mary ouvrit.

« Ça y est ? C’est fait ? s’enquit M r Young. Je suis le père. Le mari. Enfin, l’un ou l’autre. Les deux. »

La sœur Mary attendait d’un attaché culturel américain qu’il ait la prestance de Blake Carrington ou de J.R. Ewing. M r Young ne ressemblait pas aux Américains qu’on voit à la télévision, sauf peut-être aux shérifs condescendants des séries policières les plus réussies 4 . Elle était assez déçue. Par son gilet en laine aussi, d’ailleurs.

Elle ravala sa déconvenue. « Oooh, oui, dit-elle. Félicitations. Madame votre épouse dort, le pauvre chou. ».

M r Young jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de la sœur. « Des jumeaux ? » Il tendit la main vers sa pipe.

Interrompit son geste. Le reprit. « Des jumeaux ?Il n’a jamais été question de jumeaux.

– Oh, non, se hâta d’expliquer la sœur Mary. Voici le vôtre. L’autrec euhc c’est celui de quelqu’un d’autre. Je le surveille juste en attendant le retour de la sœur Grâce. Non », insista-t-elle en indiquant du doigt l’Adversaire, le Destructeur de Rois, l’Ange de l’Abîme sans Fond, la Grande Bête nommée Dragon, le Prince de ce Monde, le Père du Mensonge, l’Engeance de Satan et le Seigneur des Ténèbres, « c’est celui-ci qui est à vous. Du sommet de son crâne jusqu’au bout de ses petits petons fourchus – ce qu’ils ne sont pas », s’empressa-t-elle d’ajouter.

M r Young baissa les yeux pour un examen.

« Ah, certes, fit-il sur un ton dubitatif. Tout le portrait de mon côté de la famille. Ilc euh, il a tout ce qu’il faut aux endroits où il faut, je pense ?

– Oh, oui. C’est un enfant très normal. Très, très normal. »

Un silence. Ils contemplèrent le bébé endormi.

« Vous n’avez pas beaucoup d’accent, constata la sœur Mary. Vous êtes ici depuis longtemps ?

– Dix ans environ, répondit M r Young, vaguement surpris de la question. Mon travail s’est relocalisé, voyez-vous, et j’ai dû suivre.

– J’ai toujours pensé que ce devait être un métier passionnant », confia la sœur Mary. M r Young parut ravi. Tout le monde n’était pas aussi sensible aux aspects les plus palpitants de la comptabilité.

« Je suppose que c’était très différent dans votre ancien poste, poursuivit la sœur Mary.

– Probablement, en effet. » M r Young n’y avait jamais vraiment réfléchi. Luton, dans son souvenir, ressemblait beaucoup à Tadfield. Les mêmes haies entre votre jardin et la gare. Les mêmes gens.

« Des bâtiments plus hauts, par exemple », ajouta la sœur Mary à bout d’arguments.

M r Young la regarda. Un seul bâtiment lui venait à l’esprit : le siège de la compagnie d’assurances Alliance & Leicester.

« Et on doit souvent vous inviter à des garden-parties », poursuivit la sœur.

Ah ! Là, M r Young se retrouvait en territoire connu. Deirdre raffolait de ce genre de choses et le mettait à contribution pour tenir le stand de brocante, dans les grandes occasions.

« Des tas, répondit-il avec chaleur. Deirdre prépare elle-même des confitures, vous savez. Et en général, je donne un coup de main, pour les antiquités. »

La sœur Mary n’avait jamais imaginé sous cet angle les réceptions à Buckingham, mais il est vrai que le terme décrivait parfaitement nombre de gens qu’elle avait vus en photo.

« C’est une grande responsabilité, je suppose, dit-elle. J’ai entendu dire que Sa Majesté recevait souvent des hôtes étrangers assez âgés.

– Je vous demande pardon ?

– Je voue une grande admiration à la famille royale, vous savez.

– Oh, moi aussi », assura M r Young, ravi de se raccrocher à cet îlot de terre ferme au milieu d’un flot d’incohérences. Oui, avec la famille royale, on savait toujours où on en était. Enfin, avec les membres convenables de la famille, ceux qui ne ménageaient pas leurs efforts chaque fois qu’il s’agissait de saluer la foule ou d’inaugurer des ponts. Pas ceux qui traînaient en boîte de nuit jusqu’à des heures indues et qui vomissaient sur les paparazzi. 5

« Oh, c’est bien. Je croyais que la royauté n’était pas très bien vue chez vous, avec tous ces révolutionnements et vos histoires de services à thé jetés à la mer. »

Elle continua de jacasser, soutenue par les préceptes de son Ordre : toujours dire ce qui vous passait par la tête. M r Young était complètement perdu, et trop las pour s’en soucier vraiment La vie monacale rendait sans doute les gens un peu bizarres. Il aurait aimé voir M rs Young se réveiller. Et soudain, un élément du papotage de la sœur Mary fit naître en lui une lueur d’espoir.

« Serait-il éventuellement possible d’avoir une tasse de thé ? glissa-t-il.

– Oh, pardon, s’exclama la sœur Mary en plaquant sa main sur sa bouche. Mais où avais-je donc la tête ? »

M r Young ne se risqua à aucun commentaire.

« Je m’en occupe immédiatement, dit-elle. Mais vous ne préféreriez pas du café, plutôt ? Il y a un distributeur automatique à l’étage.

– Du thé, s’il vous plaît.

– Ma parole, vous vous êtes réellementacclimaté, hein ? » pépia gaiement la sœur Mary en quittant la pièce dans un tumulte de voiles.

M r Young, abandonné avec une épouse et deux bébés endormis, se laissa choir sur une chaise. Oui, ça devait être le résultat de trop de réveils aux aurores, de génuflexions et tout le tintouin. De braves femmes, bien entendu, mais pas entièrement mens sana.Il avait vu un film de Ken Russell, un jour. Une histoire de bonnes sœurs. Bon, apparemment, il ne se passait ici rien dans ce goût-là, mais il n’y a pas de fumée sans feu, comme on ditc

Il poussa un soupir.

C’est à cet instant que le bébé A se réveilla et commença à pleurer avec vaillance.

M r Young n’avait pas eu à calmer un bébé depuis des années. Il n’avait jamais été doué pour cette tâche. Il respectait trop Sir Winston Churchill pour ne pas être gêné en tapotant les fesses de sa réplique en miniature.

« Bienvenue dans le monde, marmonna-t-il. Tu verras, on finit par s’habituer. »

Le bébé referma la bouche et dévisagea M r Young avec une moue de général récalcitrant.

C’est l’instant que choisit la sœur Maiy pour revenir avec le thé. Toute sataniste qu’elle était, elle avait également déniché une assiette où elle avait disposé de petits gâteaux couverts de sucre glace. Le genre qu’on trouve toujours au fond des boîtes d’assortiment pour le thé. Ceux de M r Young avaient le rose des équipements chirurgicaux et arboraient le dessin d’un bonhomme de neige.

« Vous ne connaissez sûrement pas. Pour vous, ce sont des cookies. Nous, nous les appelons bis-cuits. »

M r Young ouvrait la bouche pour expliquer que, oui, en effet, lui aussi, comme tout le monde à Luton, quand une nouvelle bonne sœur entra précipitamment, hors d’haleine.

Elle jeta un coup d’œil à la sœur Mary, se souvint que M r Young ne connaissait les pentacles ni d’Ève ni d’Adam et se borna à indiquer du doigt le bébé A, en clignant de l’œil.

Sœur Mary opina et lui rendit son clin d’œil.

La religieuse sortit en poussant le chariot avec l’enfant. Dans le registre des communications humaines, un clin d’œil est riche de sens. Un seul clin d’œil peut signifier beaucoup de choses. Par exemple, celui de la nouvelle arrivante avait dit :

Où Diable étais-tu ? Le bébé B est là, nous sommes prêtes à faire l’échange, et tu es en train de boire ton thé dans la mauvaise chambre, avec l’Adversaire, le Destructeur de Rois, l’Ange de l’Abîme sans Fond, la Grande Bête nommée Dragon, le Prince de ce Monde, le Père du Mensonge, l’Engeance de Satan et le Seigneur des Ténèbres. Tu te rends compte que j’ai failli me faire tirer dessus ?

Pour elle, le clin d’œil que lui adressa la sœur Mary en réponse signifiait : Voici l’Adversaire, le Destructeur de Rois, l’Ange de l’Abîme sans Fond, la Grande Bête nommée Dragon, le Prince de ce Monde, le Père du Mensonge, l’Engeance de Satan et le Seigneur des Ténèbres, et je ne peux pas parler pour l’instant, à cause du non-initié ici présent.

Tandis que, pour la sœur Mary, le clin d’œil de sa collègue signifiait plutôt :

Bien joué, sœur Mary– tu as interverti les bébés toute seule. Maintenant, indique-moi le bébé surnuméraire, que je t’en débarrasse pour te laisser savourer ta tasse de thé en compagnie de son Éminence Royale, le Culturel Américain.

Par conséquent, son propre clin d’œil avait valeur de : Tiens, ma chère, le voilà : c’est le bébé B, emporte-le et laisse-moi bavarder avec son Excellence. J’ai toujours voulu savoir pourquoi ils avaient ces grands bâtiments tout couverts de miroirs.

Les subtilités de l’échange échappèrent complètement à M r Young, que toutes ces marques discrètes d’affection embarrassaient au plus haut point et qui songeait : Sacré Ken Russell ! Pas de doute, il sait de quoi il parle.

L’erreur commise par la sœur Mary aurait pu être découverte par la seconde bonne sœur si celle-ci n’avait pas été sévèrement perturbée par les agents des Services Secrets qui occupaient la chambre de M rs Dowling et considéraient la religieuse avec un malaise croissant. En effet, on leur avait appris à réagir d’une certaine façon face à des gens vêtus de longues robes et de longues coiffes, et ils se trouvaient confrontés pour l’heure à des signaux contradictoires. Les gens troublés ne sont pas les plus qualifiés pour manipuler des armes, particulièrement quand ils viennent d’assister à un accouchement par la méthode naturelle, une façon absolument antiaméricaine de mettre de nouveaux citoyens au monde. Pour tout aggraver, ils avaient entendu dire que le couvent possédait une réserve de missels.

M rs Young remua.

« Vous avez choisi un prénom ? susurra la sœur Mary.

– Hmm ? demanda M r Young. Oh, non, pas vraiment. Si ça avait été une fille, nous l’aurions baptisée Lucinda, comme ma mère. Ou Germaine. Ça, c’était l’idée de Deirdre.

– Absinthe, c’est très joli », suggéra la bonne sœur, qui connaissait ses classiques. « Ou Damien. C’est très en vogue, Damien. »

Anathème Bidule – sa mère, qui n’avait guère étudié là théologie, avait lu le mot un jour, et jugé que ce serait un prénom ravissant pour une fille – Anathème, donc, avait huit ans et demi, et elle lisait le Livre sous les draps, à la lueur d’une lampe de poche.

Les autres enfants apprennent à lire sur des abécédaires ornés d’images bigarrées représentant des arbres, des balles, des chiens et tutti quanti.Pas la famille Bidule. Anathème avait appris à lire dans le Livre.

On n’y trouvait ni arbres, ni balles. Il y figurait une assez jolie gravure sur bois, représentant Agnès Barge sur le bûcher, avec une expression plutôt guillerette.

Le premier mot qu’Anathème avait su reconnaître, c’était belles.À huit ans et demi, rares sont ceux qui savent que beaua parfois le sens de « scrupuleusement exact », mais Anathème était du nombre.

Le deuxième mot fut bonne.

La première phrase qu’elle ait jamais lue à voix haute fut :

« Je te le dicz, entends bien mes paroles. Quatre chevaulcheront, et quatre mefmement, et troys parcourront les Cieulx comme deux, et un Seul voyagera dans les Flammes ; et rien ne sçaura les arrefter : poiffons ni pluie ni route, Ange ni Démon. Et tu seras là toi aussi, Anathème. »

Anathème adorait lire des choses qui parlaient d’elle.

(Des parents aimants, abonnés aux suppléments du dimanche convenables, pouvaient acheter certains livres, où le nom de leur progéniture apparaissait en lieu et place de celui du héros ou de l’héroïne. Cette initiative avait pour but d’intéresser l’enfant au livre. Dans le cas d’Anathème, elle n’était pas seule à figurer dans le Livre – et avec une exactitude absolue, jusqu’ici. On y parlait aussi de ses parents, de ses grands-parents et de tout le monde, en remontant jusqu’au XVII e siècle. Elle était encore trop jeune et trop égocentrique pour attacher de l’importance au fait qu’on n’évoquait nulle part ses enfants ni, d’ailleurs, aucun événement futur au-delà d’un délai de onze ans. Mais quand on a huit ans et demi, onze ans représentent toute une existence, ce qui allait être le cas, s’il fallait en croire le Livre.)

C’était une enfant intelligente, au visage pâle, aux yeux et aux cheveux noirs. La plupart des gens étaient mal à l’aise en sa présence, une caractéristique familiale qu’elle avait héritée de son arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mère, en même temps que de dons paranormaux, en quantité supérieure à la dose idéale.

Elle était précoce et assurée. Le seul reproche que ses maîtres osaient adresser à Anathème concernait son orthographe ; non qu’elle soit mauvaise, mais elle avait trois siècles de retard.

Les bonnes sœurs prirent le bébé A et l’échangèrent contre le bébé B sous le nez de la femme de l’attaché culturel et des agents de sécurité, en usant d’un habile expédient : elles emmenèrent le bébé sur un chariot (« Il faut le peser, ma petite dame, c’est obligatoire, c’est la loi. ») pour en ramener un autre, un peu plus tard.

L’attaché culturel lui-même, Thaddeus J. Dowling, avait été rappelé en catastrophe à Washington quelques jours plus tôt, mais il était resté en contact avec M rs Dowling à travers toute l’expérience de l’accouchement, pour l’aider à respirer.

La présence de son conseiller financier sur une autre ligne n’avait pas facilité l’opération. À un moment donné, il avait été obligé de la faire patienter vingt minutes au bout du fil.

Mais ça ne comptait pas.

La naissance d’un enfant est l’expérience la plus heureuse que deux êtres humains peuvent partager, et il ne voulait pas en rater une seconde.

Il avait demandé à un agent des Services Secrets de tout filmer au Caméscope.

En règle générale, le Mal ne se repose jamais, et il ne voit donc pas pourquoi tout le monde ne ferait pas de même. Mais Rampa aimait dormir, c’était un des plaisirs de ce monde. Particulièrement au terme d’un bon repas. Il avait dormi pendant presque tout le XIX e siècle, par exemple. Non qu’il en ait besoin, mais il aimait ça 6 .

Un des plaisirs de ce monde. Il avait intérêt à les goûter au maximum, maintenant, tant que c’était encore possiblec

La Bentley rugissait dans la nuit, en direction de l’est.

Bien entendu, il était en faveur de l’Apocalypse, par principe. Si on lui avait demandé pour quelle raison il avait passé des siècles à manipuler les affaires de l’humanité, il aurait répondu : « Oh, pour qu’arrive l’Apocalypse et que triomphent les forces du Mal. » Mais il y a une différence entre travailler dans ce but, et le voir se concrétiser.

Rampa avait toujours su qu’il verrait la fin du monde : il était immortel, il n’avait donc pas le choix. Mais il avait espéré que ça n’arriverait pas avant très longtemps.

Parce qu’il aimait bien les gens. C’est un grave défaut, chez un démon.

Oh, certes, il faisait de son mieux pour empoisonner leur courte existence ; c’était son travail. Mais il n’aurait jamais pu imaginer les horreurs dont le genre humain était capable. Les mortels semblaient particulièrement doués pour ça. C’était dans leur nature, apparemment. Le monde dans lequel ils naissaient démontrait son hostilité par mille petits détails, et ils s’ingéniaient à encore envenimer la situation. Au fil des ans, Rampa avait eu de plus en plus de mal à accomplir des actes assez démoniaques pour trancher sur le fond perpétuel de méchanceté ambiante. À plusieurs reprises, au cours du dernier millénaire, il avait eu envie d’envoyer un message aux Tréfonds pour dire : Écoutez, autant laisser tomber tout de suite, fermez Dis, le Pandémonium et tout le tremblement, on va s’installer en surface. On n’inventera rien qu’ils n’aient déjà mis en pratique, et ils sont capables de trucs qui ne nous seraient jamais venus à l’idée, souvent avec des électrodes. Ils ont une chose dont nous manquons totalement : l’imagination. Et l’électricité, bien sûr.

N’est-ce pas un mortel qui avait écrit : « L’enfer est désert et tous les démons sont ici. »

On avait félicité Rampa pour l’Inquisition espagnole. C’est vrai, il vivait en Espagne à l’époque ; en fait, il traînait dans les cantinasdes régions les plus agréables. Il n’était même pas au courant, avant de recevoir la citation. Il était allé jeter un coup d’œil et était revenu prendre une cuite qui avait duré une semaine.

Et Jérôme Boschc Quel cinglé !

Et quand on les croyait pervers au-delà de tout ce que l’Enfer pouvait concocter, ils manifestaient à l’occasion plus de grâce que le Ciel n’en aurait pu rêver. Souvent, c’était le même type dans les deux cas. Ça venait de cette histoire de libre arbitre, bien entendu. Démoralisant.

Aziraphale avait tenté de lui expliquer tout ça, un jour. Le principe, avait-il dit – c’était vers 1020, ils venaient de conclure leur petit Accord –, le principe, c’est qu’un humain choisit d’être bon ou mauvais. Tandis que le rôle de gens comme Rampa et, bien sûr, lui-même, était défini dès le départ. Les humains ne pouvaient pas atteindre à la béatitude s’ils n’avaient pas la capacité d’être vraiment mauvais.

Rampa y avait réfléchi quelque temps, et avait répondu, aux alentours de 1023 : Hé, minute, ça ne fonctionne, tu vois, que si tout le monde part à égalité, non ? On ne peut pas espérer que quelqu’un qui fait ses débuts dans une masure fangeuse au beau milieu d’une zone de conflits se débrouille aussi bien que celui qui naît dans un château.

– Ah, avait répliqué Aziraphale, c’est là que ça prend tout son sel. Plus on commence bas, plus on a de chances.

– C’est imbécile ! s’était exclamé Rampa.

– Non, c’est ineffable.

Aziraphale. L’Ennemi, bien entendu. Mais un ennemi depuis six millénaires, ce qui faisait de lui un ami, plus ou moins.

Rampa tendit la main vers le téléphone.

Un démon n’a pas son libre arbitre, évidemment. Mais on ne fréquente pas les humains sans apprendre une ou deux petites choses.

Ni Damien ni Absinthe n’avaient franchement emballé M r Young. Pas plus qu’aucune suggestion de la sœur Mary Loquace, qui avait mis à contribution la moitié des Enfers et une bonne partie de l’Âge d’Or de Hollywood.

« Oh », finit-elle par dire, un peu vexée. « Je ne vois pas ce que vous reprochez à Errol. Ouà Cary. Ce sont deux très jolis prénoms américains.

– Je cherchais quelque chose de plusc eh bien, de plus traditionnel, expliqua M r Young. Nous avons toujours préféré les prénoms simples, dans la famille. »

La sœur Mary eut un sourire resplendissant. « Vous avez raison. Rien ne vaut les anciens noms, si vous voulez mon avis.

– Un prénom bien de chez nous, comme on en trouve dans la Bible », fit M r Young. « Matthew, Mark, Luke ou John », supputa-t-il. La sœur Mary fit la grimace. « Seulement, ça ne fait plus très biblique, en fin de compte. Ça fait plutôt penser à des cow-boys ou à des footballeurs, je trouve.

– Saül, c’est joli, suggéra la sœur Mary avec un léger espoir.

– Pas tropancien, quand même.

– Ou Caïn. Ça sonne très moderne, Caïn, je vous assure, risqua la sœur Mary.

– Hmmm. » M r Young ne semblait pas convaincu.

« Il y a toujoursc Il y a toujours Adam », dit la sœur Mary. Voilà qui devrait limiter les dégâts, se dit-elle.

« Adam ? » répéta M r Young.

On aimerait se dire que les sœurs satanistes firent discrètement adopter le bébé en surnombre, le bébé B. Qu’il grandit, devint un enfant normal, heureux, rieur, débordant d’énergie et d’exubérance ; et qu’il grandit encore, fut un adulte normal et raisonnablement heureux.

Et c’est peut-être ce qui s’est passé.

Imaginez son premier prix d’orthographe, à l’école primaire ; son séjour à la fac, sans histoire mais agréable ; son travail de comptable dans le cadre de l’immobilière de Tadfield et Norton ; sa charmante épouse. Vous voulez peut-être ajouter quelques enfants et un violon d’Ingres – la restauration de motos de collection, par exemple, ou l’élevage de poissons tropicaux.

Vous ne tenez pas à savoir ce qui pourraitarriver au bébé B.

Nous trouvons votre version bien meilleure, de toute façon.

Si ça se trouve, ses poissons tropicaux lui ont valu de remporter plusieurs trophées.

Dans une petite maison de Dorking, dans le Surrey, une lumière brillait à la fenêtre d’une chambre.

Newton Pulsifer, douze ans, maigre, avec des lunettes, aurait dû être couché depuis des heures.

Mais sa mère, convaincue du génie de son rejeton, lui permettait de rester debout longtemps après l’heure normale, de façon à conduire ses « expériences ».

L’expérience en cours consistait à changer la prise d’une antique radio en bakélite que sa mère lui avait donnée pour qu’il joue avec. Il était assis devant ce qu’il avait baptisé du fier nom d’ « établi », une vieille table en piètre état encombrée de bobinages de fil électrique, de batteries, de petites ampoules et d’un poste à galène qu’il avait fabriqué lui-même et qui n’avait jamais fonctionné. Il n’avait pas réussi non plus à remettre la radio en bakélite en état de marche, mais là aussi, reconnaissons-le, il n’atteignait jamais un stade si avancé.

Trois maquettes d’avions légèrement contrefaites pendaient par des fils de coton au plafond de la chambre.

Même un observateur distrait aurait constaté qu’elles étaient l’œuvre de quelqu’un de très minutieux et de très soigneux, mais pas vraiment doué pour les maquettes d’avions. Il en était lamentablement fier, même du Spitfire, dont il avait plutôt raté les ailes.

Il remonta ses lunettes sur son nez, plissa les yeux pour mieux voir la prise, et posa son tournevis.

Il était très optimiste, cette fois-ci ; il avait suivi à la lettre les instructions sur la façon de changer une prise, page 5 du Je sais tout sur l’Électronique pratique (plus : 101 façons de s’amuser sans risque avec l’électricité). Il avait relié les fils de couleur adéquats aux bornes de couleur correspondantes ; vérifié le fusible, qui était de l’ampérage correct ; tout revissé. Jusqu’ici, pas de problème.

Il brancha la prise. Puis il fit passer l’électricité.

Toutes les lumières de la maison s’éteignirent.

L’orgueil illumina le visage de Newton. Il faisait des progrès. À sa dernière tentative, il avait complètement plongé Dorking dans les ténèbres, et un employé de la Compagnie d’Électricité était venu pour avoir un petit entretien avec sa maman.

Il éprouvait une passion torride et totalement à sens unique pour tout ce qui était électrique. Son école s’enorgueillissait de posséder un ordinateur, et une demi-douzaine d’élèves studieux restaient après les cours pour se livrer à diverses activités avec des cartes perforées. Quand le professeur responsable de l’ordinateur avait enfin accédé aux prières de Newton qui voulait les rejoindre, le jeune garçon n’avait réussi à introduire qu’une seule et minuscule carte dans l’ordinateur. La machine l’avait déchiquetée avant de s’étouffer avec.

Newton en avait la certitude, l’avenir appartenait aux ordinateurs. Quand le futur arriverait, il serait à la pointe de la nouvelle technologie.

Le futur avait ses propres théories sur le sujet. Tout était consigné dans le Livre.

Adam,réfléchit M r Young. Il prononça le mot à voix haute, pour entendre comment cela sonnait. « Adam. » Hmmmc

Il baissa les yeux sur les boucles dorées de l’Adversaire, du Destructeur de Rois, de l’Ange de l’Abîme sans Fond, de la Grande Bête nommée Dragon, du Prince de ce Monde, du Père du Mensonge, de l’Engeance de Satan et du Seigneur des Ténèbres.

« Vous savez, conclut-il au bout d’un moment, je crois bien qu’il a une tête à s’appeler Adam. »

Ça n’avait pas été pendant l’horreur d’une profonde nuit.

L’horreur, ce fut deux jours plus tard, environ quatre heures après le départ de M rs Dowling et de M rs Young, accompagnées de leurs bébés respectifs. La nuit était particulièrement horrible et profonde, et, sitôt après minuit, tandis qu’un orage atteignait son paroxysme, la foudre frappa le couvent de l’Ordre Babillard, allumant un incendie sur le toit de la sacristie.


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