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De bons présages
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 11:18

Текст книги "De bons présages"


Автор книги: Terence David John Pratchett


Соавторы: Neil Gaiman
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TERRY PRATCHETT NEIL GAIMAN

DE BONS PRÉSAGES

TRADUIT DE L’AMÉRICAIN PAR PATRICK MARCEL

Dédicace

Les auteurs aimeraient s’associer au démon Rampa

pour dédier ce livre à la mémoire de

G.K. Chesterton

un homme qui était au fait des choses.

Au commencement :

C’était un beau jour, comme tous les précédents. Il s’en était déjà écoulé largement plus de sept, et la pluie n’était pas encore inventée. Mais un amoncellement de nuages à l’est d’Éden laissait entendre que le premier orage était en route et qu’il serait costaud.

L’ange à la Poterne d’Orient leva ses ailes au-dessus de sa tête pour s’abriter des premières gouttes.

« Pardon, fit-il poliment. Tu disais ?

– Je disais : ce n’est pas ce que j’appellerais un franc succès, répéta le serpent.

– Oh, en effet ! » admit l’ange, qui s’appelait Aziraphale.

« Franchement, je trouve Sa réaction disproportionnée. Enfin, quoi : c’est la première fois. D'ailleurs, qu’y a-t-il de si terrible à connaître la différence entre le Bien et le Mal ? Ça m’échappe.

– Il faut que ce soit une très mauvaise chose », pontifia Aziraphale sur le ton légèrement troublé de quelqu’un qui s’inquiète de ne pas voir le problème, lui non plus. « Tu n’aurais pas été mêlé à cette histoire, sinon.

– On m’a simplement dit : Va semer la pagaille, là-bas,expliqua le serpent, qui s’appelait Rampant – ceci dit, il songeait à changer de nom. Rampantcnon, décidément ça ne lui allait pas du tout.

– Oui, mais toi, tu es un démon. Je ne sais pas si tu pourrais bien agir. Ce n’est pasc dans ta nature, tu vois. Sans vouloir t’offenser, bien sûr.

– Reconnais quand même que c’est cousu de fil blanc. Il leur montre bien l’Arbre et II fait les gros yeux en disant “Pas Touche”. Ça manque un peu de subtilité, non ? Franchement, Il aurait pu le planter au sommet d’une haute montagne, ou très loin d’ici. À se demander ce qu’Il mijote vraiment.

– Mieux vaut ne pas trop y réfléchir. Comme je dis toujours, on ne pourra jamais comprendre l’ineffable. Il y a le Bien et il y a le Mal. Et si on fait Mal quand on te dit de Bien faire, on mérite d’être puni. Euh, enfinc »

Ils restèrent assis dans un silence gêné, à regarder les gouttes de pluie froisser les premières fleurs.

Rampant finit par demander : « Tu n’avais pas une épée de feu ?

– Benc » Une expression coupable traversa le visage de l’ange, puis revint sur ses pas pour s’y installer à demeure.

« Je ne me trompe pas ? Avec de sacrées flammes ?

– Euh, enfinc

– Je la trouvais bigrement impressionnante.

– Oui, mais, bonc

– Oh ! tu l’as perdue ?

– Non, non ! Pas perdue, exactement ; en fait, plutôtc

– Oui ? »

Aziraphale prit une expression piteuse. « Si tu tiens à le savoir, poursuivit-il avec un brin de mauvaise humeur, je l’ai donnée. »

Rampant leva les yeux vers lui.

« C’est quec il fallait bien, enchaîna l’ange en se frottant distraitement les mains. Ils avaient l’air d’avoir si froid, les pauvres, et elle attend déjàun heureux événement ; et puis il y a des bêtes vraimentsauvages par là, et l’orage montaitc alors j’ai pensé : après tout, il n’y a pas de mal à ça. Je leur ai dit : Écoutez, si vous cherchez à revenir, ça va faire une histoire de tous lesc Enfin, tenez, prenez cette épée, vous en aurez peut-être l’usage – non, non, me remerciez pas, mais rendez donc service à tout le monde, essayez de ne plus être dans les parages au coucher du soleil. »

Il lança un sourire inquiet à Rampant.

« C’était le mieux à faire, non ?

– Je ne sais pas si tu pourrais mal agir », répliqua Rampant, sarcastique.

Aziraphale ne remarqua pas le ton de sa voix : « Oh, j’espère bien. Sincèrement. Ça m’a travaillé tout l’après-midi. »

Ils regardèrent un moment tomber la pluie.

« Le plus drôle, fit Rampant, c’est que je me demande, moi aussi, si cette histoire de pomme n’était pas le mieux à faire. On peut s’attirer de gros ennuis en agissant bien, quand on est démon. » Il donna une petite bourrade à l’ange. « Ce serait marrant qu’on se soit trompé tous les deux, hein ? Que j’aie bien agi et toi, mal.

– Pas tellement. »

Rampant contempla l’averse.

« Non, admit-il en redevenant grave. Sans doute pas. »

Des rideaux gris ardoise cascadaient sur le jardin d’Éden. Le tonnerre grondait sur les collines. Les animaux, baptisés de frais, s’abritaient de l’orage en frissonnant.

Au loin dans les forêts mouillées, une flamme vive clignota entre les arbres.

On sentait monter l’horreur d’une profonde nuit.

DE BONS PRÉSAGES

Où sont relatés certains événements qui ont eu lieu au cours des onze dernières années de l’histoire humaine, en accord parfait, comme on le montrera plus loin, avec :

Les belles et bonnes prophéties d’Agnès Barge

Compilés et présentés, avec des Annotations d’ordre éducatif et des Préceptes pour les Sages, par

Terry Pratchett & Neil Gaiman

Personnages du drame

Êtres Surnaturels

Dieu (Dieu)

Métatron (La voix de Dieu)

Aziraphale (Ange et libraire bibliophile à mi-temps)

Satan (un Ange Déchu ; l’Adversaire)

Belzébuth (Ange, Déchu lui aussi, et Prince des Enfers)

Hastur (Ange Déchu, Duc des Enfers)

Ligur (également Ange Déchu et Duc des Enfers)

Rampa (Ange qui n’a pas franchement Déchu ; Trébuché serait un mot plus juste)

Cavaliers apocalyptiques

MORT (La Mort)

Guerre (La Guerre)

Famine (La Famine)

Pollution (La Pollution)

Humains

Vous-Ne-Commettrez-Point-L’Adultère Pulsifer (Inquisiteur général)

Agnès Barge (Prophétesse)

Newton Pulsifer (Comptable et Inquisiteur deuxième classe)

Anathème Bidule (Occultiste Pratiquante et Descendante Professionnelle)

Shadwell (Inquisiteur sergent)

Madame Tracy (Jézabel fardée [en matinée seulement ; le jeudi sur rendez-vous] et médium)

Sœur Mary Loquace (Religieuse sataniste de l’Ordre Babillard de Ste-Béryl)

M r Young (un Père)

M r Tyler (Président d’une association de propriétaires)

Un Commissionnaire

Les Eux

Adam (un Antéchrist)

Pepper (une Petite Fille)

Wensleydale (un Petit Garçon)

Brian (un autre Petit Garçon)

Foules de Tibétains, d’extraterrestres, d’Américains, d’Atlantes et autres créatures rares et merveilleuses des Derniers Jours

Et :

Toutou ( Molosse des Enfers et Grand Chasseur de chats)

Il y a onze ans :

Si l’on admet que l’univers a été créé et n’a pas commencé officieusement, pour ainsi dire, les théories actuelles sur sa Création lui attribuent entre dix et vingt milliards d’années. Selon un calcul identique, on juge d’ordinaire que la Terre a quatre milliards et demi d’années.

Ces estimations sont fausses.

Les Cabalistes du Moyen Âge ont évalué la date de la Création à 3760 avant J. -C. Les théologiens orthodoxes grecs remontaient jusqu’en 5508 avant J. -C.

Erreur, là aussi.

L’archevêque James Usher (1581-1656) publia en 1654 ses Annales Veteris et Novi Testamenti,qui suggéraient que le Ciel et la Terre ont été créés en 4004 avant J. -C. Un de ses collaborateurs poussa les calculs plus loin et put annoncer triomphalement que la Terre avait vu le jour le dimanche 21 octobre 4004 avant J. -C., à neuf heures du matin précises, parce que Dieu aimait travailler tôt, pendant qu’Il se sentait frais et dispos.

Il se trompait également. De presque un quart d’heure.

Ces histoires de fossiles de dinosaures sont un canular, mais les paléontologues ne l’ont pas encore compris.

Ce qui prouve deux choses :

D'abord, que les voies du Seigneur sont vraiment impénétrables : elles fonctionnent peut-être même en circuit fermé. Dieu ne joue pas aux dés avec l’univers, mais à un jeu ineffable de Son invention, qu’on pourrait comparer, du point de vue des autres joueurs 1 , à une version obscure et complexe du poker, en chambre noire, avec des cartes blanches, pour des enjeux infinis, face à une Banque qui refuse d’expliquer les règles et qui n’arrête pas de sourire.

Ensuite, que la Terre est Balance.

Le jour où commence cette histoire, l’horoscope des Balances, dans la rubrique « Les Étoiles et Vous » de L’Écho de Tadfield, annonçait :

Balance, 24 septembre– 23 octobre.

Vous avez l’impression d’être au bout du rouleau et de tourner sans cesse en rond. Dans votre foyer et votre famille, d’importantes rivalités s’éternisent. Évitez les risques inutiles. Un ami jouera un rôle capital. Remettez les grandes décisions en attendant une embellie. Possibilités d’embarras gastriques, aujourd’hui : évitez les salades. Vous pourriez recevoir de l’aide d’une source inattendue.

Tout était rigoureusement exact, sauf l’histoire des salades.

Ce n’était pas pendant l’horreur d’une profonde nuit. L’ambiance aurait été plus appropriée, mais que voulez-vous ? On ne peut jamais compter sur le temps. Pour chaque savant fou qui bénéficie d’un orage providentiel la nuit où son Grand Œuvre, étalé sur la table du laboratoire, est enfin achevé, des dizaines d’autres restent assis à se tourner les pouces, pendant qu’Igor encaisse les heures supplémentaires.

Mais que le brouillard (avec risques de pluie, et des températures descendant jusqu’à huit degrés) n’abuse personne, en donnant l’impression que tout va bien. La nuit est douce, mais ça ne signifie pas que les forces des ténèbres ne sont pas à l’œuvre. Elles sont partout.

En permanence. Elles existent dans ce seul but.

Deux d’entre elles rôdaient dans le cimetière en ruine. Deux ombres, l’une bossue, trapue, l’autre mince et menaçante : deux rôdeurs de niveau olympique. Si Bruce Springsteen avait enregistré Born to rôde,tous deux auraient figuré sur la pochette de l’album. Ils rôdaient dans le brouillard depuis déjà une heure, mais ils géraient leurs efforts et auraient été capables au besoin de rôder le reste de la nuit, avec des réserves de lugubre menace suffisantes pour une dernière pointe de rodage à l’aube.

Finalement, après vingt minutes supplémentaires, l’un des deux s’exclama : « Ça commence à bien faire. Il devrait être là depuis des heures. »

Il s’appelait Hastur et était Duc des Enfers.

On a mis en avant de nombreux phénomènes – guerres, épidémies, visites surprises du fisc – pour démontrer l’intervention secrète de Satan dans les affaires humaines. Mais à chaque réunion d’experts en démonologie, on décerne par consensus à l’autoroute périphérique M25 de Londres une place dans le peloton de tête des pièces à conviction.

Leur erreur, bien entendu, est de croire cette malheureuse route maléfique simplement à cause de l’incroyable carnage et des frustrations qu’elle engendre chaque jour.

En fait (peu de gens le savent, ici-bas), la M25 dessine le glyphe odégra,qui signifie dans la langue des Prêtres Noirs de l’Ancienne Mu : Salut à toi, Bête immense, dévoreuse de mondes.Les milliers d’automobilistes qui enfument quotidiennement ses replis jouent le rôle de l’eau sur un moulin à prières et meulent une brume perpétuelle à légère teneur en Mal, qui pollue l’atmosphère à des lieues à la ronde.

C’était une des grandes réussites de Rampa. Elle avait demandé des années. Il y avait employé trois pirates informatiques, deux cambriolages, un pot-de-vin d’un montant raisonnable et, par une nuit de bruine où tout le reste avait échoué, deux heures dans un champ boueux, à déplacer les piquets de quelques petits mètres, cruciaux d’un point de vue occulte. En contemplant le premier bouchon de cinquante kilomètres, Rampa avait ressenti la chaude et délicieuse satisfaction d’une mauvaise action bien faite.

Le résultat lui avait valu des félicitations.

Rampa faisait actuellement du deux cents à l’heure, un peu à l’est de Slough. En apparence, il n’avait rien du démon classique. Pas de cornes ni d’ailes. Certes, il écoutait une cassette du Best of Queen,mais il ne faut rien en conclure : toutes les cassettes qu’on laisse traîner plus de quinze jours dans une voiture se métamorphosent en Best of Queen. Ilne songeait à rien de très démoniaque. En fait, il se demandait distraitement qui pouvaient bien être Mouette et Chandon.

Rampa avait les cheveux noirs, de hautes pommettes et des boots en peau de serpent. Enfin, on peut supposer que c’étaient des boots. Il savait faire des choses très bizarres avec la langue. Et quand il s’oubliait, sa voix avait tendance à se faire sifflante.

Et il ne clignait pas souvent des yeux.

La Bentley noire de 1925 qu’il conduisait n’avait eu qu’un seul propriétaire : Rampa. Il en avait pris soin.

Son retard s’expliquait par une profonde adoration pour le XX e siècle, qu’il trouvait bien supérieur au XVII e, et infiniment préférable au XIV e. Pour Rampa, le Temps avait un avantage immense : l’éloigner sans cesse davantage du XIV e siècle, les cent ans les plus barbants sur cette Terre que Dieu – passez-lui le mot – a faite. Le XX e siècle n’avait rien de barbant. D'ailleurs, un gyrophare bleu dans son rétroviseur annonçait depuis cinquante secondes à Rampa que deux hommes à ses trousses insistaient pour pimenter encore le siècle à son intention.

Il jeta un coup d’œil à sa montre, conçue pour les riches plongeurs qui éprouvent le besoin de savoir l’heure qu’il est dans vingt et une capitales, lorsqu’ils sont au fond de la mer 2 .

La Bentley remonta la bretelle de sortie en rugissant, négocia un virage sur deux roues et s’engouffra sur une route boisée. La lumière bleue la suivit.

Rampa poussa un soupir, lâcha le volant d’une main et, se tournant à demi, exécuta un geste compliqué par-dessus son épaule.

La distance avala le gyrophare, tandis que la voiture de police achevait sa course, à la grande surprise de ses occupants. Mais ce ne serait rien, comparé à leur stupeur quand ils lèveraient le capot et découvriraient en quoi le moteur s’était changé.

Dans le cimetière, Hastur, le grand démon, rendit le mégot à Ligur, le plus petit, le plus doué pour rôder.

« J’aperçois une lumière, dit-il. Il arrive enfin, ce m’as-tu-vu.

– Qu’est-ce qu’il conduit ?

– Une automobile, une voiture sans chevaux. Il ne devait pas y en avoir, la dernière fois que tu es venu. Pas de façon si courante.

– Elles étaient précédées par un homme qui agitait un drapeau rouge, reconnut Ligur.

– Apparemment, ils ont fait des progrès depuis.

– Il ressemble à quoi, ce Rampa ? »

Hastur cracha par terre. « Il est ici depuis trop longtemps. Depuis le Tout Début. Il est assimilé, si tu veux mon avis. Il conduit une voiture qui a le téléphone à bord. »

Ligur y réfléchit. Comme à peu près tous les démons, il avait des notions très sommaires de technologie et se préparait à dire quelque chose comme : « Il doit avoir besoin d’une fichue longueur de fil », quand la Bentley s’arrêta devant la grille du cimetière.

« Et il porte des lunettes noires, ricana Hastur, même quand c’est inutile. » Il éleva la voix : « Gloire à Satan !

– Gloire à Satan, reprit Ligur en écho.

– Salut, tout le monde ! lança Rampa en faisant un petit signe de la main. Désolé, je suis en retard, mais vous connaissez la A40, au niveau de Denham. J’ai essayé de couper par Chorley Wood et puis dec

– Puisque nous sommes enfin assemblés, coupa Hastur sur un ton lourd de sous-entendus, récapitulons les Actions de la Journée.

– Ah, oui. Les Actions », répéta Rampa, avec l’expression légèrement contrite de quelqu’un qui revient à l’église pour la première fois depuis des années et qui a oublié à quel moment on doit se lever.

Hastur s’éclaircit la gorge.

« J’ai induit un prêtre en tentation, fit-il. Il marchait dans la rue et quand il a vu les belles filles au soleil, j’ai semé le Doute dans son esprit. Il serait devenu un saint, mais dans moins de dix ans, il nous appartiendra.

– Joli coup, fit Rampa, encourageant.

– J’ai corrompu un politicien, expliqua Ligur. Je lui ai fait croire qu’un petit pot-de-vin ne portait pas à conséquence. Il sera à nous avant que l’année soit révolue. »

Tous deux tournèrent le regard vers Rampa, qui leur adressa un grand sourire.

« Ça va vous plaire », annonça-t-il.

Son sourire s’élargit encore, sur le mode de la conspiration.

« J’ai occupé toutes les lignes de téléphone portable du centre de Londres pendant quarante-cinq minutes, au moment de la pause-repas. »

Il y eut un silence, exception faite du chuintement lointain des pneus sur l’asphalte mouillé.

« Oui ? dit Hastur. Et après ?

– N’allez pas vous imaginer que c’était facile, répondit Rampa.

– C’est tout ? s’inquiéta Ligur.

– Écoutezc

– Et en quoi cela va-t-il ajouter des âmes au cheptel de notre maître, exactement ? » s’enquit Hastur.

Rampa se reprit.

Que pouvait-il leur dire ? Que l’humeur de vingt mille personnes était devenue massacrante ? Qu’on pouvait entendre jusqu’à l’autre bout de la ville le bruit des artères qui se sclérosaient ? Et qu’en rentrant, ces personnes allaient se défouler sur leur secrétaire, sur les contractuelles, sur tout le monde, sur des gens qui à leur tourallaient se défouler sur d’autres individus ? Par une avalanche de mesquineries qu’ils allaient – et tout l’intérêt de la manœuvre reposait là – qu’ils allaient inventer tout seuls ? Pendant le reste de la journée. Les répercussions étaient incalculables. Des milliers et des milliers d’âmes se ternissaient un peu, sans que Rampa ait besoin de lever le petit doigt.

Mais impossible d’expliquer ça à des démons comme Hastur et Ligur : c’étaient des mentalités typiquement XIV e.

Ils pouvaient consacrer des siècles à harceler une seule âme. D'accord, c’était de l’artisanat d’art,mais de nos jours, on devait envisager le problème sous un angle différent. Ne pas voir plus grand, mais voir plus large. Avec cinq milliards d’habitants sur le globe, plus question de s’en prendre à ces pauvres types un par un, il fallait viser l’ergonomie. Mais ces considérations dépassaient des démons comme Ligur et Hastur. Ce n’est pas eux qui auraient imaginé les émissions en dialecte régional à la télé, par exemple. Ou la TVA. Ou Manchester.

Manchester : voilà une idée dont il était particulièrement fier.

« Apparemment, les Puissances Régnantes ont été satisfaites, dit-il. Les temps changent. Alors, quoi de neuf ? »

Hastur plongea la main derrière une pierre tombale.

« Ceci. »

Rampa contempla le panier.

« Oh. Oh non.

– Si, dit Hastur avec un sourire.

–  Déjà ?

– Hé oui.

– Et, euhc c’est à moi dec ?

– Oui. »

Hastur savourait cet instant.

« Pourquoi moi ? plaida Rampa en désespoir de cause. Tu me connais, Hastur, ce n’est pas vraiment, comment dire ? mon emploic

– Oh, mais si, mais si. C’est ton emploi. C’est même un premier rôle. Vas-y. Les temps changent.

– Oui, ricana Ligur. Et pour commencer, ils se terminent.

– Pourquoi moi ?

– Visiblement, tu es très en faveur, persifla fielleusement Hastur. Ligur ici présent donnerait son bras droit pour un tel rôle, j’en suis persuadé.

– Exact », confirma Ligur. Enfin, le bras droit de quelqu’un, songea-t-il. Les bras droits ne manquent pas, inutile d’en gaspiller bêtement un bon.

Hastur tira une écritoire des profondeurs crasseuses de son duffel-coat.

« Signe. Ici », dit-il en observant un silence terrible entre les deux mots.

Rampa fouilla distraitement dans une poche intérieure pour y prendre un stylo aérodynamique d’un noir mat. Tous les attributs d’un stylo capable de pulvériser les limitations de vitesse.

« Joli stylo, constata Ligur.

– On peut écrire sous l’eau avec, marmonna Rampa.

– Mais jusqu’où iront-ils, avec leurs inventions ? s’ébahit Ligur.

– Je ne sais pas, mais ils ont intérêt à se dépêcher », rétorqua Hastur. Et : « Non, pasT.L. Rampa. Ton vrainom. »

Rampa obéit avec un air lugubre et traça un glyphe complexe et sinueux sur le papier. Le paraphe alluma dans les ténèbres une brève flamme écarlate, avant de s’éteindre.

« Et qu’est-ce que je suis censé en faire ? demanda-t-il.

– Tu recevras des instructions, grimaça Hastur. Pourquoi fais-tu grise mine, Rampa ? Le moment pour lequel nous avons travaillé des siècles est enfin à portée de main !

– Oui. Bien sûr », fit Rampa. Ce n’était plus le dandy souple qui avait jailli de sa Bentley avec tant d’allant, quelques minutes plus tôt. Il portait le masque d’un être traqué.

« Notre triomphe éternel est en vue !

– Éternel. Bien sûr, bien sûr.

– Et tu seras un des instruments de cette glorieuse destinée !

– Un instrument. Oui, oui. » Rampa souleva le panier comme s’il craignait de le voir exploser. Ce qui ne tarderait pas, d’une certaine façon.

« Euh, bonc Eh bien, je vais y aller, hein ? En finir. C’est pas que je tienne à en finir », corrigea-t-il en hâte – il connaissait les conséquences possibles d’un rapport défavorable d’Hastur. « Mais, bon, tu me connais : sérieux. »

Les démons majeurs ne répondirent rien.

« Bon, ben alors, j’y vais, babilla Rampa. Au revoir, à la prc au revoir, quoi. Euh. Bon. Parfait. Bye. »

Pendant que la Bentley se noyait dans les ténèbres avec un hurlement de pneus, Ligur se demanda : « Il a dit quoi ?

– C’est de l’américain, expliqua Hastur. Ça veut dire : achetez,

– Pourquoi nous dit-il ça ? C’est curieux, non ? » Ligur regarda disparaître les feux de position. « Tu as confiance en lui ?

– Non.

– Ah, tant mieux », conclut Ligur. Dans quel monde vivrait-on si les démons commençaient à se faire mutuellement confiance ?

Un peu à l’ouest d’Amersham, Rampa fonçait dans la nuit. II prit une cassette au hasard et tenta de l’extirper de son fragile étui en plastique. Le reflet des phares révéla qu’il s’agissait des Quatre Saisonsde Vivaldi. De la musique douce pour se détendre, voilà ce qu’il lui fallait.

Il l’enfonça dans le lecteur Blaupunkt

« Ohmerdemerde merde. Pas maintenant. Pourquoi moi ? » grommela-t-il tandis que déferlaient les harmonies familières de Queen.

Et soudain, Freddie Mercury s’adressa à lui : PARCE QUE TU LE MÉRITES, RAMPA.

Rampa bénit en silence. L’idée de communiquer grâce à l’électronique venait de lui, et les Profondeurs, pour une fois, avaient suivi sa suggestion, mais à contresens, comme d’habitude. Il avait espéré les convaincre de s’abonner à un réseau informatique. Au lieu de quoi, ils intervenaient directement sur tout ce qu’il était en train d’écouter et le déformaient à leurs propres fins.

Rampa déglutit.

« Je vous remercie, monseigneur », dit-il.

NOUS AVONS GRANDE CONFIANCE EN TOI, RAMPA.

« Merci, monseigneur. »

CETTE AFFAIRE EST TRÈS IMPORTANTE, RAMPA.

« Je sais bien, je sais bien. »

C’EST LE GRAND MOMENT, RAMPA.

« Laissez-moi faire, monseigneur. »

C’EST BIEN NOTRE INTENTION, RAMPA. ET SI QUELQUE CHOSE NE SE PASSAIT PAS COMME PRÉVU, TOUS LES RESPONSABLES EN PÂTIRAIENT ÉNORMÉMENT, MÊME TOI, RAMPA. SURTOUT TOI.

« Compris, monseigneur. »

Voici tes instructions, Rampa.

Et soudain, il les connut. Il avait horreur de ça. Ils auraient facilement pu les lui donner oralement, pas besoin de lui laisser tomber ce savoir tout froid en plein cerveau. Rampa devait se rendre à un hôpital bien précis.

« J’y serai dans cinq minutes, mon Seigneur. Pas de problèmes. »

PARFAIT... I see a little silhouetto of a man scaramouche scaramouche will you do the fandangoc

Rampa frappa le volant du poing. Tout marchait si bien. Il avait vraiment la situation en main, depuis quelques siècles. Voilà le monde : vous vous croyez au sommet, et on vous envoie l’Apocalypse. La Grande Guerre, le Dernier Combat. Le Ciel contre l’Enfer en trois rounds, un tombé et pas d’abandon. Et ce serait fini. Plus de monde. Voilà ce que signifie la fin du monde : plus de monde. Rien qu’un éternel Paradis ou, en fonction du vainqueur, un éternel Enfer. Rampa ne savait pas ce qui serait pire.

Certes, par définition, le pire, c’était l’Enfer, bien entendu. Mais Rampa se rappelait à quoi ressemblait le Paradis, et les points communs avec l’Enfer ne manquaient pas. Pour commencer, impossible de boire un bon coup ni dans l’un, ni dans l’autre. Et il était aussi malsain de s’ennuyer dans l’un que de ne pas s’ennuyer dans l’autre.

Mais pas moyen d’y échapper. On ne peut pas être démon et jouir de son libre arbitre.

c I will not let you go (let him go)c

Bon, au moins, ce ne serait pas pour cette année. Rampa aurait le temps de prendre ses précautions. Se débarrasser de ses investissements à long terme, pour commencer.

Il se demanda ce qui se passerait s’il arrêtait soudain sa voiture, sur cette route détrempée, sombre et déserte, s’il prenait le panier, pour le faire tournoyer, de plus en plus vite, etc

Quelque chose d’affreux, voilà ce qui se passerait.

Il avait été un ange, jadis. Il n’avait pas cherché à déchoir. Il avait eu de mauvaises fréquentations, c’était tout.

La Bendey filait dans les ténèbres, l’aiguille du réservoir à zéro. Elle était dans le rouge depuis soixante ans, maintenant. L’état de démon n’avait pas que des mauvais côtés. Pas besoin d’acheter de l’essence, par exemple. Rampa avait fait le plein une seule fois, en 1967, pour obtenir un autocollant James Bond, un trou dans le pare-brise en trompe-l’œil qui lui faisait envie, à l’époque.

Sur le siège arrière, la créature dans le panier commença à geindre ; la plainte des nouveau-nés, qui ressemble tant à la sirène annonçant un raid aérien. Perçante. Inarticulée. Et vieille, tellement vieille.

L’hôpital était agréable, se dit M r Young. Et il aurait sûrement été calme, sans les bonnes sœurs.

Il aimait bien les bonnes sœurs. Non qu’il soit de ces, vous savez, de ces gens-là.Non, quand il s’agissait de ne pas aller à l’église, c’est Sainte-Cécile-et-Tous-ses-Anges qu’il choisissait scrupuleusement de négliger : cette bonne vieille Église anglicane, un établissement sérieux. Jamais ne lui serait venue l’idée de n’en pas fréquenter une autre. La concurrence embaumait d’odeurs suspectes – l’encaustique chez le bas clergé, un encens suspect chez le haut. Des profondeurs du fauteuil en cuir de son âme, M r Young savait que ce genre de pratiques embarrasse Dieu au plus haut point.

Mais il aimait voir des bonnes sœurs autour de lui, pour les mêmes raisons qu’il aimait avoir l’Armée du Salut à portée. On en retirait une impression de rectitude, l’idée que, quelque part, des gens gardaient la Terre fermement plantée sur son axe.

Toutefois, ce contact avec l’Ordre Babillard de Sainte-Béryl était son premier 3 . Deirdre les avait rencontrées dans le cadre d’une de ses actions de bienfaisance, peut-être bien celle qui concernait un tas de Sud-Américains infréquentables en lutte contre d’autres Sud-Américains infréquentables, excités par des prêtres qui auraient mieux fait de se mêler de choses plus convenables pour des ecclésiastiques : établir un tour de service pour balayer l’église, par exemple.

Enfin, bref ; une bonne sœur ne devrait pas faire de bruit. Elle avait une forme idéale pour ça, comme ces machins pointus qu’on utilise dans les laboratoires où on vérifie les chaînes hi-fi, selon les vagues notions que M r Young avait de la chose. Une bonne sœur ne devrait pas, disons clairement les choses, jacasser sans arrêt.

Il enfourna du tabac dans sa pipe – enfin, du tabac, façon de parler, il n’appelait pas ça du tabac ; dans le temps, le tabac, c’était autre chose – et il se demanda distraitement ce qu’il se passait quand on demandait à une bonne sœur l’emplacement des toilettes pour hommes. Peut-être que le Pape vous adressait un petit billet de réprimande, allez savoir. Mal à l’aise, il changea de position et jeta un coup d’œil à sa montre.

Un bon point, cela dit : au moins, les bonnes sœurs n’avaient pas accepté sa présence pendant l’accouchement. Deirdre en était farouche partisan. Elle avait encore dû liredes choses. Pour une simple histoire de gosse, la voilà qui déclarait déjà que ce claquemurage allait être l’expérience la plus heureuse que deux êtres humains peuvent partager. C’est ce qui arrive quand on les laisse s’abonner à leurs propres magazines. M r Young s’était toujours méfié des journaux dont les rubriques s’intitulent Styles de vie ou Options.

Oh, il n’avait rien contre le partage d’expériences heureuses. Il était tout à fait d’accord pour partager des expériences heureuses. Mais il avait été catégorique : cette expérience heureuse-là, Deirdre pourrait se la partager toute seule.

Et les bonnes sœurs l’avaient approuvé. Elles ne voyaient pas de raison de mêler le père à l’opération. Réflexion faite, pour elles, l’intervention du père n’était sans doute souhaitable à aucun moment.

Il finit de tasser avec le pouce le pseudo-tabac dans le fourneau de sa pipe et fusilla du regard la pancarte sur le mur de la salle d’attente qui lui intimait, pour son propre bien-être, l’ordre de ne pas fumer. Pour son propre bien-être, décida-t-il, il allait sortir un instant sous la véranda. S’il trouvait là-bas un buisson discret, ce serait encore mieux pour son propre bien-être.

Il parcourut les couloirs déserts et découvrit une porte qui débouchait sur une cour battue de pluie et encombrée de vertueuses poubelles.

Il frissonna et forma une coupe avec ses mains pour allumer sa pipe.

Les femmes. Ça les prenait, passé un certain âge. Vingt-cinq armées sans nuage, et les voilà soudain parties à gesticuler comme des automates, en chaussettes roses aux pieds coupés, et elles commençaient à vous reprocher toutes ces années qu’elles avaient vécues sans devoir gagner leur vie. Ce devait être un problème d’hormones.

Une grosse voiture noire vint freiner à côté des poubelles dans un couinement de pneus. Un jeune homme affublé de lunettes noires jaillit sous le déluge, une sorte de couffin sous le bras, et se coula vers l’entrée.

M r Young sortit sa pipe de sa bouche. « Vous avez laissé vos phares allumés », signala-t-il, serviable.

L’homme lui jeta le regard inexpressif de celui pour qui les phares sont clairement le cadet de ses soucis et agita vaguement la main en direction de la Bentley. Les phares s’éteignirent.

« Très pratique, constata M r Young. Ça marche par infrarouges, je me trompe ? »

Il fut légèrement surpris de constater que l’homme ne semblait pas mouillé. Et que le couffin paraissait occupé.

« Est-ce que ça a déjà commencé ? » s’enquit l’homme.

M r Young éprouva une trouble fierté de voir que sa qualité de futur père était si évidente.

« Oui, répondit-il. On m’a demandé de sortir, ajouta-t-il, soulagé.

– Déjà ? Vous avez une idée du temps qu’il nous reste ? »

Nous,nota M r Young. Visiblement un docteur qui avait des théories sur la collectivisation de l’enfantement.

« Je crois que nous sommesc euh, en bonne voie, dit-il.

– Dans quelle chambre est-elle ? s’enquit l’homme précipitamment.


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