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De bons présages
  • Текст добавлен: 7 октября 2016, 11:18

Текст книги "De bons présages"


Автор книги: Terence David John Pratchett


Соавторы: Neil Gaiman
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– Nous n’avons pas d’anniversaire.

– Je n’ai jamais prétendu le contraire. Je disais simplement que ça fait ce genre d’impression.

(« En fait, reconnut la serveuse, on dirait qu’il ne nous reste plus rien. À part cette portion de pizza.

– Y a des anchois ? » s’enquit Crado, lugubre. Personne dans le groupe n’aimait les anchois. Ni les olives.

« Oui, mon chou. Pizza aux anchois et aux olives. Vous la voulez ? »

Crado secoua tristement la tête. Avec des gargouillements d’estomac, il rebroussa chemin jusqu’au jeu. Le Gros Ted devenait irritable quand il avait faim, et quand le Gros Ted était de mauvaise humeur, tout le monde dégustait.)

Une nouvelle catégorie venait d’apparaître sur l’écran vidéo. On pouvait désormais répondre à des questions sur la Pop Music, l’Actualité, la Famine ou la Guerre. Les motards semblaient légèrement moins bien renseignés sur la Grande Famine de la Pomme de Terre dans l’Irlande de 1846, l’absence de quasiment tout dans l’Angleterre de 1315 et la pénurie de drogue à San Francisco en 1969, qu’ils ne l’avaient été sur la Guerre, mais le joueur continuait de réussir un sans-faute, ponctué çà et là par un vrombissement, un grincement et un bruit métallique chaque fois que la machine crachait des pièces d’une livre dans son réceptacle.

« Le temps s’annonce un peu difficile au sud, on dirait », fit la rouquine.

L’homme en noir regarda en plissant les yeux les nuages qui s’épaississaient. « Non. Tout a l’air impeccable. On va avoir une grosse tempête sous peu. »

La rouquine inspecta ses ongles. « Tant mieux. Il manquerait quelque chose, sans une tempête. On va chevaucher sur quelle distance, tu as une idée ?

– Quelques centaines de kilomètres, dit l’homme en noir avec un haussement d’épaules.

– J’aurais cru que ça durerait davantage, je ne sais pas pourquoi. Avoir attendu si longtemps pour faire quelques centaines de kilomètres, à peine.

– Rien ne sert de courir, répondit l’homme en noir. Il faut arriver à point. »

On entendit un rugissement à l’extérieur. C’était celui d’une moto avec un pot d’échappement défectueux, un moteur incorrectement réglé et un carburateur qui fuyait. Nul besoin de voir la machine pour imaginer les volutes de fumée noire qui l’escortaient, les taches d’huile qui ponctuaient son passage, la piste de petites pièces détachées et d’accessoires qu’elle semait en chemin.

L’homme en noir se rendit au comptoir.

« Quatre thés, s’il vous plaît. Dont un noir. »

La porte du café s’ouvrit. Un jeune homme vêtu de cuir blanc poussiéreux entra, et le vent dépêcha à l’intérieur avec lui un cortège de paquets de chips vides, de journaux et d’emballages d’esquimaux. Ils dansaient autour de ses pieds comme des bambins surexcités, puis retombèrent épuisés sur le sol.

« Vous avez bien dit quatre, c’est ça ? » demanda la serveuse. Elle essayait de trouver des tasses et des cuillères propres – tout semblait brusquement couvert d’une mince pellicule d’huile de vidange et d’œuf séché.

« Ça ne tardera plus », confirma l’homme en noir. Il prit les thés et revint à la table où l’attendaient ses deux camarades.

« Aucun signe de lui ? » s’enquit le jeune homme en blanc.

Ils secouèrent la tête.

Une dispute s’était élevée autour de l’écran vidéo (les catégories actuellement affichées étaient Guerre, Famine, Pollutionet Pop Music 1962-1979).

« Elvis Presley ? Ça doit être “C” – c’est en 1977 qu’il a passé l’arme à gauche, non ?

– Naaan. “D”. 1976. Catégorique.

– Ouais. La même année que Bing Crosby.

– Et Marc Bolan. Ça, c’était un mec. Allez, appuie sur “D”. Vas-y. »

Le grand joueur ne fit pas mine de presser le moindre bouton.

« Quesstu fais, mec ? demanda le Gros Ted, agacé. Vas-y. Appuie sur ”D”. Elvis est mort en 76. »

Je me fiche de savoir ce qui est inscrit, répondit le grand motard qui avait gardé son casque. Je n’ai jamais posé la main sur lui.

Les trois personnes à la table se retournèrent d’un seul mouvement. C’est la rouquine qui parla. « Depuis quand êtes-vous là ? »

Le motard de haute taille alla vers la table, abandonnant son assistance stupéfaite et ses gains. J’ai toujours été là, dit-il. Et sa voix était l’écho obscur de lieux nocturnes, une froide dalle de son, gris et mort. Si cette voix avait été une pierre, elle aurait depuis longtemps porté des mots gravés : un nom, deux dates.

« Votre thé refroidit, monseigneur, dit Famine.

– Beaucoup de temps a passé », déclara Guerre.

La foudre tomba, presque immédiatement suivie par un sourd grondement de tonnerre.

« Le temps est idéal », déclara Pollution.

Oui.

Cette conversation mystifiait de plus en plus les motards regroupés autour de la machine à sous. Sous la conduite du Gros Ted, ils s’approchèrent de la table et considérèrent les quatre étrangers.

Il n’échappa pas à leur attention que ces derniers portaient tousl’inscription Anges de l’Enfer sur leurs vestes. Les motards ne les trouvaient vraiment pas nets : trop propres, pour commencer ; et aucun d’entre eux ne donnait l’impression d’avoir jamais cassé le bras de quelqu’un parce que c’était un dimanche après-midi et qu’il n’y avait rien d’intéressant à la télé. En plus, l’un d’eux était une femme ; non seulement elle ne chevauchait pas en croupe, derrière quelqu’un d’autre, mais elle avait sa propre bécane, comme si elle en avait le droit.

« Alors comme. ça, vous êtes des Anges de l’Enfer ? » demanda le Gros Ted, sarcastique. S’il y a une chose que les vrais Hell’s Angels ne supportent pas, ce sont bien les motards du dimanche 39 .

Les quatre étrangers opinèrent de la tête.

« Vous êtes membres de quel chapitre, alors ? »

Le grand étranger regarda le Gros Ted. Puis il se leva. C’était un mouvement complexe : s’il existait des chaises longues sur la plage des océans de la nuit, elles se dépliaient sans doute de la même manière.

Il sembla y passer un temps infini.

Il portait un casque noir, qui dissimulait complètement ses traits. Le matériau était un plastique bizarre, ‘ constata le Gros Ted. Quand on le regardait, ben, on voyait son propre reflet.

L’Apocalypse, répondit-il. Chapitre 6.

« Versets 2 à 6 », précisa le jeune homme en blanc, serviable.

Le Gros Ted les regarda tous deux avec des yeux furibonds. Sa mâchoire inférieure commença à avancer, et une petite veine bleue se mit à palpiter sur son front.

« Ça veut dire quoi, ça ? » demanda-t-il.

Il sentit qu’on lui tirait la manche. C’était Purin, dont le visage avait adopté une nuance de gris assez inhabituelle, sous sa crasse.

« Ça veut dire qu’on a des problèmes », dit-il.

C’est alors que l’étranger grand leva un pâle gant de motard et souleva la visière de son casque ; et le Gros Ted, pour la première fois de sa vie, regretta de ne pas avoir mené une existence plus admirable.

« Doux Jésus ! gémit-il.

– Si ça se trouve, Il tardera plus, glissa Purin sur un ton pressant. Il cherche probablement un endroit où garer sa moto. Tirons-nous etc et allons nous inscrire dans une patrouille de scouts, ou quéq’chose comme çac »

Mais l’ignorance invincible du Gros Ted lui servait de bouclier et d’armure. Il ne bougea pas d’un pouce.

« Bon Dieu, dit-il. Les Anges de l’Enfer. »

Guerre lui adressa un petit signe de salut, négligemment.

« C’est bien nous, Gros Ted, dit-elle. La marque d’origine.

Famine hocha la tête. « La maison mère. »

Pollution retira son casque et secoua ses longs cheveux blancs. Il avait assuré la relève quand Pestilence, bougonnant on ne sait quoi à propos de pénicilline, avait pris sa retraite en 1936. Si seulement le pauvre avait connu les opportunités que recelait le futurc

« Certains font des promesses, dit-il. Nous les tenonsc »

Le Gros Ted regarda le quatrième Cavalier. « Dites, j’vous ai déjà vu. Zétiez sur la pochette d’un album de Blue Oÿster Cult. Et j’ai une bague avec votrec votrec votre tête dessus. »

Je vais partout.

« Mince. » Le visage du Gros Ted se noua sous l’effort de la réflexion.

« Et vous avez quoi, comme moto ? » s’enquit-il.

Autour de la carrière, la tempête faisait rage. La corde à laquelle était suspendu le vieux pneu dansait dans la bourrasque. Parfois, une plaque de tôle, relique d’une ébauche de cabane dans un arbre, s’arrachait à ses piètres amarres et s’envolait.

Les Eux, pelotonnés les uns contre les autres, regardaient Adam. Il paraissait plus grand, d’une certaine façon. Toutou, assis, grondait. Il pensait à toutes les odeurs qu’il allait perdre. L’Enfer ne sent rien, sauf le soufre. Et certaines odeurs étaient, étaient, étaientc bon, il fallait bien se dire qu’il n’y a pas non plus de chiennes en Enfer.

Adam allait et venait avec exaltation, agitant et levant les mains.

« On arrêtera pas de s’amuser, disait-il. On fera des explorations et tout. Je crois que je serai bientôt capable de faire repousser les vieilles jungles.

– Maisc mais quic qui fera, tu sais, la cuisine et la lessive et tout ça ? chevrota Brian.

– Personne aura plus à faire tout ça. Tu pourras manger tout ce que tu voudras, des tonnes de chips, des oignons frits, tout ce que tu veux. Et tu seras jamais forcé de porter des affaires neuves ou de prendre un bain si t’en as pas envie, tout ça. Ou d’aller à l’école, rien. Ou de faire quelque chose que t’as pas envie de faire, jamais plus. Ça sera méchammentbien ! »

La lune se leva sur les monts Kookamundi. Elle brillait beaucoup, ce soir.

Johnny Deux Os était assis dans la cuvette rouge du désert. C’était un lieu sacré, où deux rochers ancestraux, formés dans le Temps du Rêve, reposaient comme aux origines. La randonnée initiatique de Johnny Deux Os touchait à son terme. Ses joues et sa poitrine étaient peintes d’ocre rouge, et il entonna un vieux chant, une sorte de carte musicale des collines, tout en traçant des signes dans la poussière, de la pointe de son épieu.

Il touchait au but.

Tout prèsc

Il cligna des yeux. Regarda autour de lui, stupéfait.

«  Excusez-moi, cher enfant, se dit-il à voix haute, d’une voix aux intonations précises et clairement articulées. Mais avez-vous la moindre idée de l’endroit où je me trouve ?

– Qui a dit ça ? » demanda Johnny Deux Os.

Sa bouche s’ouvrit. «  C'est moi  »

Johnny se gratta, pensif. « Vous êtes un de mes ancêtres, mec, c’est bien ça ?

–  Oh. Indubitablement. Tout à fait. C'est une façon de parler. Maintenant, revenons à ma question de départ. Où suis-je ?

– Seulement, si vous êtes un de mes ancêtres, pourquoi que vous parlez comme une chochotte ?

–  Ah. L’Australie, dit la bouche de Johnny Deux Os. Elle articula ce nom comme si une désinfection méticuleuse devrait précéder tout nouvel emploi du mot. Quelle misère. Enfin, merci quand même.

– Hé ? Ohé ? » demanda Johnny Deux Os.

Il resta assis dans le sable et attendit, attendit, mais il ne répondit pas.

Aziraphale était parti ailleurs.

Citron Deux-Chevaux était un tonton macoute, un houngan 40 itinérant : il portait une besace sur l’épaule, contenant des plantes magiques et médicinales, des morceaux de chat sauvage, des chandelles noires, une poudre dont l’ingrédient principal était la peau séchée d’un poisson bien particulier, une scolopendre morte, une demi-bouteille de Chivas Regal, dix cigarettes Rothman, et un exemplaire du Guide des Spectacles d’Haïti.

Il souleva le couteau et, avec un mouvement de découpe qui trahissait le spécialiste, trancha la tête du coq noir. Un flot de sang lui couvrit la main droite.

« Loa, prends-moi, entonna-t-il. Gros bon ange, viens à moi.

–  Où suis-je ? s’enquit-il.

– C’est mon Gros Bon Ange ? se demanda-t-il.

–  Je trouve cette question un peu personnelle, répondit-il. Je veux dire, en tout état de cause. Mais disons qu’on fait son possible. On fait son possible. »

Citron sentit une de ses mains se porter vers le coq.

«  L’endroit est plutôt insalubre, pour faire de la cuisine, non ? Le milieu de la jungle. On se mitonne un petit barbecue ? Mais dans quel genre d’endroit sommes-nous ?

– Dans un endroit haïtien.

–  Merde ! Très loin du but. Enfin, ce pourrait être pire. Bien, je dois m’en aller. Soyez sage. »

Et Citron Deux-Chevaux se retrouva seul dans sa tête.

« Que les loasaillent se faire voir », marmonna-t-il pour lui-même. Il resta quelques instants le regard perdu dans le vide, puis il tendit la main vers sa besace et sa bouteille de Chivas Regal. Il existe au moins deux façons de changer quelqu’un en zombi. Il allait opter pour la plus facile.

Les vagues se brisaient avec fracas sur les plages. Les palmiers frémissaient.

Une tempête montait.

Les projecteurs s’allumèrent. Le Chœur Évangélique de Kilowatt (Nebraska) se lança dans « Jésus est le réparateur téléphonique au standard de ma vie » et réussit presque à couvrir le bruit du vent qui se levait.

Marvin O. Bagman ajusta sa cravate, vérifia son sourire dans le miroir, donna une petite tape sur les fesses de sa secrétaire particulière (Miss Cindi Kellerhals, Poster central de Penthouse, il y avait trois ans depuis juillet dernier – mais elle avait abandonné tout cela en entrant dans la Carrière), et il s’avança sur la scène du studio.

Jésus ne coupera pas avant que tu aies terminé

Avec lui, jamais tu n’obtiendras un faux numéro,

Et quand tombera la facture, elle sera détaillée

C’est le réparateur téléphonique au standard de ma vie

chanta le chœur. Marvin aimait beaucoup cette chanson. Il l’avait écrite lui-même.

Parmi les autres titres de sa composition, on dénombrait : M r Jésus, le Bienheureux, Jésus, je peux passer te voir chez toi ?, Cette bonne vieille croix de flammes, Jésus est un autocollant sur le pare-chocs de ma vie et Quand l’extase me saisira, prends le volant de ma camionnette. On les trouvait tous dans Jésus est mon Pote(en cassette, CD et disque vinyle) dont la publicité passait toutes les quatre minutes sur le réseau de télévision évangélique de Bagman 41 .

Les paroles ne rimaient pas, elles étaient généralement incohérentes, et Marvin, qui n’avait aucun don perceptible pour la musique, avait plagié la mélodie de vieilles chansons de country .Aucune de ces considérations n’avait empêché Jésus est mon Potede se vendre à quatre millions d’exemplaires.

Marvin avait débuté comme chanteur de country, en interprétant de vieux standards de Conway Twitty et de Johnny Cash.

Il avait donné des concerts réguliers en personne au pénitencier de San Quentin, jusqu’à ce que la Commission pour le Respect des Droits de l’Homme l’attaque, en invoquant la clause traitant des Châtiments d’une cruauté hors du commun.

C'est alors que Marvin avait découvert la religion. Pas le genre discret et personnel, pour lequel il faut accomplir de bonnes actions et amender sa façon de vivre ; même pas celui pour lequel il faut porter un costume et sonner aux portes des gens. Non : le genre pour lequel il faut posséder son propre réseau de télévision et inciter les gens à envoyer de l’argent.

Avec Le show Marvin Bagman : la puissance en action (« l’émission du fondamentalisme dans la joie ! »), il avait trouvé la combinaison idéale pour le petit écran. Quatre chansons de trois minutes tirées du disque, vingt minutes de sermon musclé et cinq minutes pour guérir les gens. (Les vingt-trois minutes restantes étaient employées à appeler les téléspectateurs à donner de l’argent. Tour à tour, il enjôlait, suppliait, menaçait, mendiait. Parfois même, il se contentait d’en demander simplement.) À ses débuts, il avait effectivement fait venir des gens sur le plateau pour les guérir, mais il avait trouvé la procédure trop compliquée ; désormais, proclamait-il, des visions lui montraient des téléspectateurs aux quatre coins de l’Amérique, miraculeusement guéris pendant qu’ils regardaient l’émission. C’était beaucoup plus simple – plus besoin d’engager des acteurs, et de cette façon, personne ne pouvait aller fourrer le nez dans ses pourcentages de réussite 42 .

Le monde est beaucoup plus compliqué qu’on ne le croit d’ordinaire. Beaucoup de gens pensaient, par exemple, que Marvin n’était pas un authentique croyant, parce qu’il tirait de sa foi de si gros revenus. Ils avaient tort. Il croyait de tout son cœur. Il croyait absolument et employait une grosse part des flots d’argent qu’il recevait à accomplir ce qu’il pensait être l’œuvre du Seigneur.

La ligne téléphonique vers le Sauveur n’a jamais de parasites,

Il répond toujours présent, de jour comme de nuit

Et quand on compose J-É-S-U-S, c’est toujours un numéro vert

C'est le réparateur téléphonique au standard de ma vie

La première chanson s’acheva et Marvin s’avança devant les caméras en levant les bras, modeste, pour réclamer le silence. Dans la cabine de contrôle, l’ingénieur du son baissa le volume des applaudissements préenregistrés.

« Mes frères, mes sœurs, merci, merci. Magnifique, n’est-ce pas ? Et souvenez-vous : vous pouvez trouver cette chanson, ainsi que d’autres, tout aussi édifiantes, sur Jésus est mon pote. Il suffit de téléphoner au 05-05-CASH et de déposer dès aujourd’hui votre promesse de don. »

Il devint plus grave.

« Mes frères, mes sœurs, je vous apporte à tous un message, un message urgent de Notre Seigneur pour vous tous, hommes, femmes et petits enfants. Mes amis, laissez-moi vous parler de l’Apocalypse. Tout est là, dans votre Bible, dans les Révélations que Notre Seigneur a faites à saint Jean sur Patmos, et dans le Livre de Daniel. Le Seigneur dit les choses comme elles sont, mes amisc votre futur. Alors, que va-t-il se passer ?

« La Guerre. La Peste. La Famine. La Mort. Des fleuves de sang. D'énormes tremblements de terre. Des missiles nucléaires. Des temps terribles se rapprochent, mes frères et mes sœurs. Et il n’y a qu’une seule façon d’y échapper.

« Avant que survienne la Destruction, avant que galopent les quatre Cavaliers de l’Apocalypse, avant que les missiles nucléaires pleuvent sur la tête des incroyants, viendra l’Extase.

Je vous entends me crier : Mais quelle est donc cette Extase ?

Quand viendra l’Extase, mes frères, mes sœurs, tous les vrais croyants seront enlevés dans les airs – peu importe ce que vous serez en train de faire, vous serez peut-être dans votre bain, sur votre lieu de travail, au volant de votre voiture ou chez vous, en train de lire votre Bible. Brusquement, vous vous retrouverez dans les airs, dans des corps parfaits et protégés de toute corruption. Vous flotterez là-haut, et vous regarderez le sol tandis que se déploieront les années de destruction. Seuls les fidèles seront sauvés, seuls les Baptistes parmi vous échapperont à la souffrance, à la mort, à l’horreur et aux flammes. Alors éclatera un grand conflit entre le Ciel et l’Enfer, et le Ciel anéantira les forces du Mal, et Dieu effacera les larmes des dolents, et la mort ne sera plus, ni le chagrin, ni les pleurs, ni la souffrance, et il irradiera dans toute sa gloire pour toujours et à jamaisc »

Il s’interrompit brutalement.

«  Très bel effort, dit-il d’une voix complètement différente. Seulement, ça ne va pas se passer comme ça. Pas tout à fait.

Je veux dire : le feu, la guerrec tout ça, c’est exact. Mais cette histoire d’Extase– si seulement vous pouviez voir les nôtres, au Ciel, en rangs serrés, aussi loin que l’esprit peut porter, et même au-delà, sur des lieues et des lieues, épée de flamme au poingc Bref, voilà ce que je veux dire : vous croyez qu’ils auraient le temps d’aller ramasser les gens et de les envoyer en l’air, pour leur permettre de regarder en ricanant ceux qui se meurent de radiations en bas, sur la terre stérile en fusion ? Enfin, en admettant que vous considériez ça comme une attitude moralement défendable, pourrais-je ajouter.

Quant à cette histoire selon laquelle le Ciel devrait forcément gagnerc Bon, soyons honnêtes : si l’affaire était tellement entendue, à quoi bon une Guerre céleste, réfléchissez ? C’est de la propagande. De la pure et simple propagande. On a seulement 50 % de chances d’arriver en tête. Vous feriez tout aussi bien d’envoyer des dons à un réseau sataniste, rien que pour parer à toute éventualité ; cela dit, pour être franc, quand le feu va s’abattre et les marées de sang monter, vous allez tous vous retrouver dans le camp des pertes civiles, d’un côté ou de l’autre. Entre notre guerre et la vôtre, ils vont tuer tout le monde et ils laisseront à Dieu le soin de faire le tri – on est d’accord ?

Enfin, bref, désolé. Je suis là, je parle, je parle. J’ai juste une petite question à poser : où suis-je ? »

Marvin O. Bagman virait graduellement au mauve.

« C’est le Malin ! Que Notre Seigneur me protège ! Le Malin parle par ma bouche ! » éclata-t-il, puis il s’interrompit : «  Oh, non ! En fait, c’est tout le contraire. Je suis un ange. Bon. Je dois donc être en Amérique, n’est-ce pas ? Désolé, il faut que je filec »

Il y eut un silence. Marvin essaya d’ouvrir la bouche, mais rien ne se passa. L’être qu’il avait dans la tête jeta un coup d’œil circulaire. Il vit l’équipe technique du studio – ceux qui n’étaient pas occupés à appeler la police ou à sangloter dans un coin. Il regarda les cameramen au teint cendreux.

«  Mince,dit-il, je passe à la télé ? »

Rampa descendait Oxford Street à 200 km/h.

Il plongea la main dans la boîte à gants pour y prendre sa paire de lunettes noires de rechange, et ne trouva que des cassettes. Avec mauvaise humeur, il en saisit une au hasard et l’inséra dans la fente.

Il avait envie d’entendre du Bach, mais Stone et Charden feraient l’affaire.

All we need is Radio Gaga, chanta Freddie Mercury.

Et moi, tout ce dont j’ai besoin, c’est de me tirer, songea Rampa.

Il prit le sens giratoire de Marble Arch à contresens, à cent soixante. La foudre faisait clignoter le ciel de Londres comme un néon défectueux.

Un ciel livide sur Londres, songea Rampa, Et je sus que la fin était proche. Qui avait écrit ça ? Chesterton, non ? Le seul poète du XX e siècle à avoir vaguement approché la Vérité.

La Bentley prit la route pour sortir de Londres, tandis que Rampa se carrait dans le siège du conducteur et feuilletait son exemplaire roussi des Belles et bonnes prophéties d’Agnès Barge.

En fin de volume, il découvrit une feuille de papier pliée en quatre, écrite de la cursive soignée d’Aziraphale. Il la déplia (pendant que le levier de changement de vitesse de la Bentley passait tout seul en troisième et que la voiture accélérait pour contourner un camion de transport de fruits, sorti d’une rue perpendiculaire en marche arrière et à l’improviste), puis il la lut.

Ensuite, il la relut, avec l’impression qu’un fossé s’ouvrait lentement au fond de son estomac.

La voiture changea brusquement de trajectoire. Elle se dirigeait désormais vers le village de Tadfield, dans l’Oxfordshire. Rampa pourrait y être dans une heure, s’il se hâtait.

De toute façon, il n’avait vraiment nulle part ailleurs où aller.

La cassette se termina, cédant la place à la radio de bord.

« c Forum du jardinier, en direct du Club des Horticulteurs de Tadfield. Notre dernière émission en ce lieu remonte à 1953, un très bel été. Comme l’équipe s’en souviendra, on trouve un riche terreau d’Oxfordshire dans l’est de la commune, qui monte graduellement vers l’ouest en cédant la place à la craie. C’est le genre d’endroit où, comme je dis toujours, on peut planter n’importe quoi. Tout pousse à merveille. N’est-ce pas, Fred ?

–  Oh ! certes,répondit le professeur Fred Windbright, des Jardins Botaniques Royaux, je n’aurais su mieux l’exprimer moi-même.

–  Bien. Une première question pour l’équipe, et elle nous vient de M r R.P. Tyler, président de l’Association Locale des Résidants, si je ne m’abuse.

–  Ahem. C’est cela, oui. Eh bien, je suis grand amateur de roses, mais mes Molly McGuire de compétition ont perdu deux ou trois fleurs hier, à la suite d’une pluie de poissons, semble-t-il. Que me recommande l’équipe pour éviter ce genre d’inconvénient, à part tendre un filet au-dessus du jardin ? Je veux dire, j’ai écrit au conseil municipal, bien entenduc

–  Il ne s’agit pas d’un problème très courant, à première vue. Harry ?

–  M r Tyler, permettez-moi de vous poser une question. S’agissait-il de poissons frais, ou de conserve ?

–  Je crois pouvoir affirmer qu’ils étaient frais.

–  Eh bien, en ce cas, aucun problème, mon ami. J’ai entendu dire que vous aviez également des pluies de sang dans les environs– j’aimerais en dire autant des Dales, où se trouve mon propre jardin. J’économiserais une fortune en engrais. Bien, ce qu’il vous reste à faire, c’est de les enterrer dans votre » Rampa ?

Le démon ne répondit pas.

Rampa. La guerre vient de commencer, Rampa. Nous constatons avec intérêt que tu as échappé AUX FORCES QUE NOUS AVIONS CHARGÉES DE PASSER TE PRENDRE.

« Mmm », acquiesça Rampa.

Rampac Nous allons gagner cette guerre. Mais MÊME SI NOUS DEVIONS PERDRE, POUR TOI AU MOINS, CELA NE FERA PAS LA MOINDRE DIFFÉRENCE. CAR TANT QU’IL RESTERA UN DÉMON AUX ENFERS, RAMPA, TU REGRETTERAS DE NE PAS AVOIR ÉTÉ CRÉÉ MORTEL.

Rampa garda le silence.

Les MORTELS PEUVENT ESPÉRER LE TRÉPAS, OU LA RÉDEMPTION. TU N’AS AUCUN ESPOIR.

Sauf un : la miséricorde des Enfers.

« Vraiment ? »

Je plaisante, bien entendu.

« Ngk », dit Rampa.

« c Seulement, et tous les amateurs de jardinage le savent bien, le Tibétain est un rusé compère. Il creuse son tunnel en plein milieu de vos bégonias aussi facilement que dans du beurre. Une tasse de thé devrait lui faire changer de trajectoire, additionnée d’un peu de beurre de yak rance de préférence– vous devriez pouvoir en trouver dans n’importe quelle bonne boutique de jardc »

Whiiiii. Zzzzz. Crac. Les parasites couvrirent le reste de l’émission.

Rampa coupa sa radio et se mordit la lèvre inférieure. Sous la cendre et la suie qui lui couvraient le visage, il paraissait très las, très pâle, et très effrayé.

Et, soudain, très en colère. Cette façon qu’ils avaient de vous parler. Comme si vous étiez une plante verte qui commence à perdre ses feuilles sur la moquette.

Puis il négocia un tournant qui devait le conduire à la bretelle débouchant sur la M25, qu’il quitterait ensuite pour prendre la M40 jusque dans l’Oxfordshire.

Mais il s’était passé quelque chose sur la M25. Quelque chose qui faisait mal aux yeux quand on le regardait en face.

De ce qui avait été le périphérique M25 de Londres, montait une psalmodie sourde, un bruit composé de multiples lignes mélodiques : klaxons de voitures, moteurs, sirènes, le bip des téléphones portables, et le hurlement des jeunes enfants captifs de leur ceinture de sécurité sur le siège arrière depuis une éternité. « Salut à toi, Bête immense, dévoreuse de mondes », répétait sans cesse le cantique, dans la langue secrète des Prêtres Noirs de l’Ancienne Mu.

Le terrible glyphe odégra,pensa Rampa, rebroussant chemin en direction du périphérique nord. C’est mon œuvre, c’est moi, le coupable. Ça aurait simplement pu être une autoroute comme les autres. Du beau travail, je vous l’accorde, mais est-ce que ça valait vraiment le coup ? Personne ne contrôle plus rien. Le Ciel et les Enfers ne sont plus aux commandes, la Terre ressemble à un pays du Tiers-Monde qui se serait enfin doté de la Bombec

Puis un sourire se dessina sur ses lèvres. Il claqua des doigts. Une paire de lunettes noires se matérialisa à partir de ses yeux. La cendre s’effaça de son costume et de sa peau.

Au diable tout ça. S’il fallait y passer, autant le faire avec classe.

Sifflotant doucement, il poursuivit sa route.

Ils descendaient la voie rapide de l’autoroute comme des anges exterminateurs, ce qui était tout à fait leur droit.

Ils n’allaient pas très vite, à la vérité. Tous les quatre maintenaient un 180 km/h régulier, comme s’ils avaient l’assurance que le spectacle ne commencerait pas sans eux. C’était le cas. Ils avaient tout le temps du monde, le peu qu’il en restait.

Derrière eux venaient les quatre autres cavaliers : le Gros Ted, Cambouis, Purin et Crado.

Ils étaient ravis. Ils étaient de vraisHell’s Angels, de vraisAnges de l’enfer, à présent, et ils chevauchaient le silence.

Autour d’eux, ils le savaient, le grondement de l’orage, le tonnerre de la circulation, la gifle du vent et de la pluie se donnaient libre cours. Mais dans le sillage des Cavaliers, régnait un silence pur et mort. Enfin, presque pur. Mort, c’était certain.

Il fut rompu par Purin qui cria au Gros Ted d’une voix rauque :

« Alors, qu’esstu vas être ?

– Hein ?

– Je dis : qu’esstuc

– J’ai bien entendu ce que t’as dit. C’est pas le problème. Le problème, c’est qu’esstu veux dire par là ? J’te demandais ce que tu voulais dire ?

Purin regretta de ne pas avoir mieux lu l’Apocalypse. S’il avait su qu’il y figurerait un jour, il aurait prêté plus d’attention. « Ce que je veux dire, c’est qu’eux, y sont les quatre Cavaliers de l’Apocalypse, d’accord ?

– Motards, rectifia Cambouis.

– D'accord : les quatre Motards de l’Apocalypse. La Guerre, la Famine, la Mort etc et l’autre. La P'lution.

– Ouais. Alors ?

– Alors, ils nous ont dit qu’on pouvait les accompagner, d’accord ?

– Et alors ?

– Alors, on est les quatre autres Cavac heu, Motards de l’Apocalypse. Bon. Donc, on est qui ? »

Il y eut un hiatus. Les phares des voitures défilaient sur la voie d’en face, l’image rémanente de la foudre s’imprimait sur les nuages, et le silence était proche de l’absolu.

« J’peux être Guerre, moi aussi ? demanda le Gros Ted.

– Bien sûr que non, tu peux pas être Guerre. Comment tu veux être Guerre ? Guerre, c’est elle. Faut que tu choisisses autre chose. »

L’effort de réflexion noua le visage du Gros Ted. « IVG, finit-il par dire. Je suis Intervention Violente dans la Gueule. C’est ça. Voilà. Et toi, tu vas être quoi ?

– J’peux être Ordures ? demanda Crado. Ou Problèmes Intimes Embarrassants ?

– Tu peux pas être Ordures, objecta Intervention Violente dans la Gueule. Il regroupe tout ça, lui, là, Pollution. Mais l’autre truc, tu peux. »

Ils roulèrent dans le silence et l’ombre, les feux de position des Quatre à quelques centaines de mètres devant eux.

Intervention Violente dans la Gueule, Problèmes Intimes Embarrassants, Purin et Cambouis.

« J’veux être Cruauté envers les Animaux », déclara Cambouis. Purin se demanda s’il était pour ou contre. Cela dit, ça importait peu.

Puis ce fut le tour de Purin.

« Jec je crois que je vais être ces saloperies de répondeurs téléphoniques. C’est vraiment une plaie.


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