Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– Mon Dieu ! balbutia M me Drapier qui se signa, est-ce possible ? Il y a quelqu’un dans l’appartement !
Chose extraordinaire, à ce moment précis elle avait moins peur qu’elle se l’imaginait…
Il lui semblait qu’une chose nécessaire, indispensable, attendue quoique redoutée, se produisait enfin.
Il y avait si longtemps qu’elle avait cette émotion d’avoir peur, qu’elle en éprouvait presque une satisfaction !
Mais cette tranquillité d’esprit ne durait point.
Tout d’abord, après avoir entendu ces bruits, M me Drapier douta qu’ils se fussent produits.
– J’ai rêvé ! dit-elle.
Elle alluma sa lampe électrique, qui projeta une lumière étincelante dans la chambre à coucher.
M me Drapier vit l’heure à la petite pendule qui se trouvait sur une console voisine : il était cinq heures du matin.
Elle écouta encore, aucun bruit ne se faisait entendre.
– Certainement, j’ai rêvé ! se dit-elle.
Et après avoir songé à sonner, à crier au secours, elle décidait de n’en rien faire.
Le sommeil la gagnait, elle éprouvait une immense lassitude d’être réveillée si tôt, elle s’étendit dans son lit, appréciant la volupté des couvertures tièdes, lorsqu’elle sursauta encore.
Cette fois, il n’y avait pas de doute, elle avait entendu quelque chose de net, de précis et d’horrible.
Un bruit sourd, soudain, un bruit inimitable qui ne ressemblait aucunement au bruit singulier de l’appartement pendant la nuit, le bruit de quelque chose qui tombe sur le sol, le bruit d’un corps peut-être qui s’écroule…
Sérieusement alarmée, cette fois, pendant dix minutes M me Drapier demeura immobile, aux aguets.
Elle n’entendait plus rien ; c’était le silence absolu, mais elle était certaine qu’il s’était passé quelque chose, et instinctivement son doigt chercha le bouton de la sonnette.
Tout d’un coup M me Drapier esquissa une moue de dépit.
– Mon Dieu, fit-elle, j’oublie que je n’ai pas de femme de chambre dans l’appartement !
Berthe, sa domestique, était en effet malade, absente depuis quelques jours ; la cuisinière était au septième ainsi que le valet de chambre…
– Il faut que j’aille voir ! que je réveille mon mari ! que je sache ! songea M me Drapier.
Faisant effort sur elle-même, elle s’arracha de son lit, passa une robe de chambre, chaussa des mules et, retenant sa respiration, réprimant les battements de son cœur, elle entrebâilla doucement la porte de sa chambre.
Cette porte donnait sur le salon, un trou noir, le commutateur l’éclairant était éloigné… M me Drapier n’osa s’avancer dans l’obscurité.
Elle revint sur ses pas et sortit par l’autre porte, celle qui donnait sur la galerie.
Elle pouvait illuminer cette dernière avant de s’y engager, elle le fit.
Les plafonniers lumineux étincelèrent, M me Drapier jeta un coup d’œil inquiet dans le vaste couloir où rien ne semblait anormal.
Elle s’avança lentement, glissant sur les tapis épais, regardant autour d’elle, avec des yeux écarquillés.
Par moments, elle s’arrêtait, écoutait, elle n’entendait rien… puis reprenait sa marche.
Arrivée devant la porte de la chambre de son mari, elle appuya son oreille tout d’abord contre le panneau, dans l’espoir d’entendre quelques bruits à l’intérieur de la pièce.
Quelquefois son mari ronflait, mais cette fois-là le silence le plus absolu régnait.
D’une voix timide, étranglée par l’émotion, M me Drapier appela :
– Léon !…
Elle répéta deux fois, trois fois, haussant la voix :
– Léon, c’est moi ! Eugénie !
Mais son mari devait dormir bien profondément, car aucune réponse ne lui parvenait.
Certes, M me Drapier savait que son mari, qui n’était guère tendre pour elle, allait la recevoir fort mal et lui faire de sévères observations si elle le réveillait inutilement, néanmoins elle avait tellement d’émotion, elle était si certaine d’avoir entendu quelque chose, qu’elle résolut de passer outre et d’affronter la colère maritale.
Elle tourna le bouton de la porte, entra dans la chambre, alluma l’électricité, et demeura stupéfaite.
La pièce était vide, la couverture prête, mais le lit pas défait.
M me Drapier était si étonnée qu’elle ne trouva rien à penser au premier abord.
Comment ! son mari n’était pas là ?…
Il lui semblait pourtant qu’il ne devait pas sortir !
– J’ai mal compris sans doute, pensa la malheureuse femme ; il a dû me dire hier soir qu’il allait au cercle comme cela lui arrive quelquefois, mais il prétend qu’il est toujours rentré à minuit… Peut-être a-t-il été retenu, je crois qu’il y avait une soirée de gala…
Brusquement M me Drapier devint livide.
– Mais alors, pensa-t-elle, je suis seule dans l’appartement !
Elle n’osait plus faire un pas, avancer, ni reculer.
Elle écoutait encore, et désormais c’était le silence absolu. Même du dehors on ne percevait aucun bruit.
À un moment donné, cependant, le tintamarre d’une charrette de laitier qui passait dans la rue la rassura.
Elle eut l’impression que Paris s’éveillait, elle se sentit moins seule, moins isolée, elle reprenait un peu courage.
Certes, pour rien au monde elle ne serait allée dans les pièces obscures et encombrées de meubles voir s’il s’était passé quelque chose, à aucun prix elle ne se serait aventurée derrière les rideaux du salon ou sur le balcon…
Son mari était sorti… Elle voyait désormais que son manteau, que son chapeau n’étaient point là ; il n’était pas encore rentré… Qu’est-ce que cela signifiait ?
La fraîcheur de la nuit la fit frissonner, elle pensa :
– Je vais m’enrhumer.
Elle mit frileusement son peignoir sur sa gorge, puis rebroussa chemin.
En bonne ménagère qu’elle était, elle éteignit la lumière allumée dans la chambre de son mari, puis avec une raideur d’automate, sans tourner la tête, elle suivit la galerie jusqu’à sa chambre.
Instinctivement, elle s’enfermait alors à double tour dans celle-ci, constatait avec joie que vingt minutes s’étaient écoulées, lorsque, tout d’un coup, son cœur s’arrêta de battre, son sang se figea dans ses veines.
Cette fois, elle était bien sûre de ne pas se tromper ! Elle était parfaitement éveillée, car elle venait d’entendre, de la façon la plus nette, quelqu’un marcher dans la galerie !
Ce quelqu’un ne dissimulait point le bruit de ses pas, il avait presque couru, sans souci du bruit qu’il faisait.
M me Drapier écarta les bras, battit l’air de ses mains tremblantes, puis elle tomba à la renverse, au pied de son lit, perdant connaissance…
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, il faisait grand jour.
M me Drapier éprouvait un violent mal de tête, et, presque sans se rendre compte de ce qu’elle faisait, à demi assoupie, elle alla se jeter sur son lit, éprouvant de violentes courbatures aux jambes et aux reins.
Elle eut l’impression qu’elle s’endormait comme une masse, puis elle ouvrit les yeux, s’imaginant s’être reposée une nuit entière, alors qu’elle avait dormi cinq minutes seulement.
Au fur et à mesure qu’elle s’éveillait pour de bon, M me Drapier sentit revenir à son esprit le souvenir de ce qui s’était passé à cinq heures du matin.
Elle ne savait plus très bien ce qu’il y avait de faux et de vrai dans la promenade qu’elle était allée faire à travers l’appartement.
Était-ce exact qu’elle s’était levée, qu’elle était allée chercher son mari qui ne se trouvait pas dans sa chambre ?
Ou alors avait-elle simplement rêvé les pénibles moments d’un atroce cauchemar ?
Cette fois, M me Drapier sonna.
Au bout de quelques instants, on frappa à sa porte.
– Entrez, dit-elle sans bouger de son lit.
Mais la voix de Caroline la cuisinière retentit.
– Mais je ne peux pas entrer ! Madame s’est enfermée !
À ces mots, la mémoire lui revint…
Elle n’avait pas l’habitude de s’enfermer à clé, elle se souvenait désormais parfaitement avoir donné deux tours de clé lorsqu’elle était revenue du fond de la galerie.
Elle n’avait donc pas rêvé, mais vécu cette heure tragique…
Mais alors, s’il était exact qu’elle s’était levée, les bruits qu’elle avait entendus étaient véritables ?
M me Drapier quitta son lit en hâte, alla ouvrir à la cuisinière.
Celle-ci entrait, tirait les rideaux. Lorsque la lumière du jour pénétra dans la pièce, Caroline poussa un cri d’épouvante.
– Mon Dieu, fit-elle, qu’est-il donc arrivé à madame ?
Et avant qu’Eugénie Drapier ait eu le temps de répondre, la cuisinière poursuivit, exprimant naïvement sa pensée :
– Madame a l’air d’avoir vieilli de dix ans dans la nuit !
Peu importait à Eugénie Drapier ce commentaire.
Elle interrogea :
– Ne s’est-il rien passé ? N’avez-vous rien remarqué d’anormal dans l’appartement ?
– Non, fit la cuisinière interloquée, d’ailleurs j’arrivais à l’instant dans la cuisine, lorsque madame m’a sonnée.
Eugénie Drapier se leva.
– Venez avec moi ! venez voir !…
Désormais les deux femmes, se suivant l’une l’autre, visitaient le salon, le fumoir, la salle à manger, M me Drapier évitait exprès de pénétrer dans la chambre de son mari avec la cuisinière, elle ne voulait pas que celle-ci s’aperçût que M. Drapier avait découché.
M me Drapier renvoya Caroline à la cuisine.
– Où est Firmain ? demanda-t-elle.
– Pas encore descendu, madame !
– Quelle heure est-il donc ?
– Sept heures, sept heures dix, peut-être.
– Allez le chercher !
Caroline s’exécutait.
M me Drapier pénétra alors chez son mari. L’ordre régnait toujours dans la pièce, le lit était intact, par dignité M me Drapier donna quelques coups de poing dans l’oreiller, ramena les couvertures, jeta la chemise de nuit de son mari sur le dos d’un fauteuil puis, entendant revenir Caroline, elle regagna la galerie.
– Eh bien ? demanda-t-elle.
– Eh bien, fit la cuisinière, je reviens du septième, j’ai appelé Firmain dans le couloir, il n’a pas répondu ! Il est vrai que je ne sais pas très bien où est sa chambre, madame sait que je ne fréquente pas beaucoup les autres domestiques et que je connais juste le chemin pour gagner ma mansarde, ce que je fais toujours sans m’occuper des autres !
– C’est curieux ! pensa M me Drapier, que ce domestique ne soit pas en bas, à sept heures et quart… Je lui avais pourtant bien dit hier, de commencer ses appartements à sept heures précises !
Tout d’un coup elle poussa un cri rauque, elle manqua défaillir, la cuisinière la retint.
– Qu’avez-vous, madame ?
Mais Eugénie Drapier ne répondit point. Une affreuse pensée venait de traverser son esprit, elle éprouvait un effroyable remords de ne l’avoir point eue au préalable !
Comment, par suite de sa peur stupide, elle n’était pas allée au fond des choses, elle avait évité de se rendre compte… de savoir ce qui s’était passé… or, voici que tout d’un coup, lumineusement, elle entrevoyait un drame épouvantable !
Son mari n’était pas là, pas rentré ! Hélas, peut-être n’était-il même pas sorti !
Quant à ce Firmain qui avait disparu, cet homme qu’elle ne connaissait pas, malgré ses bons certificats, qui pouvait être un malfaiteur, c’était lui certainement qu’elle avait entendu sortir dans la nuit, courir dans la galerie !
Mais qu’avait-il fait ?
Eugénie Drapier se souvenait alors que, la veille, elle avait quitté son mari dans le cabinet de travail.
– Je n’ai pas encore visité cette pièce ! mon Dieu ! mon Dieu ! balbutia la malheureuse femme, mon Dieu, si Léon avait été assassiné par cet homme ?…
Elle ne pouvait en dire plus.
Titubante, s’appuyant au mur et sur l’épaule de la cuisinière qui ne comprenait rien à ses angoisses, elle se traîna jusqu’à la porte du cabinet de travail.
Elle voulut l’ouvrir : ce fut en vain.
La porte était fermée à clé.
– Léon ! hurla M me Drapier, es-tu là ? Réponds-moi !…
– Monsieur n’est donc pas avec madame ? interrogea la cuisinière.
– Non, Caroline ! non !…
Avec une rage désespérée elle secouait le bouton de la porte qui résistait. Caroline eut une idée.
– Par la chambre de monsieur, on peut entrer dans le cabinet de monsieur…
Caroline mettait son projet à exécution, mais lorsqu’une fois dans la chambre de M. Drapier elle essaya d’entrer dans le cabinet de travail, la cuisinière se heurta également à une porte fermée à clé.
Quant aux clés, elles avaient disparu.
Caroline commençait à s’inquiéter.
Lorsqu’elle revint dans la galerie, la vue de sa maîtresse ne lui parut point faite pour la rassurer.
M me Drapier était tombée à genoux sur le tapis, elle sanglotait, balbutiait ses craintes.
– Mon Dieu ! mon Dieu ! Peut-être est-il là ! assassiné ! mort !… Oh ! oui ! C’est sûr ! C’est certain ! J’ai entendu du bruit ! Cette nuit, Caroline, les parquets ont craqué ! Puis il m’a semblé que quelque chose de lourd tombait, un corps qui s’écroule, puis ce fut ensuite un bruit de pas précipités dans la galerie. Au secours !… au secours !… Et cette porte que je ne peux pas ouvrir, ah ! mon Dieu ! mon Dieu !
Cependant Caroline avait ouvert la fenêtre de la galerie donnant sur la cour, aux fenêtres des appartements voisins apparaissaient de nombreux domestiques qui secouaient leurs tapis ou simplement conversaient agréablement d’une fenêtre à l’autre.
La cuisinière fit des gestes désespérés qui en l’espace de quelques instants déterminèrent l’alarme dans l’immeuble. Cinq minutes après on sonnait à la porte de l’escalier de service, Caroline fut ouvrir, c’était le concierge accompagné de quelques domestiques de la maison.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Je ne sais pas ! fit Caroline, un accident ! un crime peut-être ?
– Ah ! mon Dieu, balbutia le concierge qui reculait instinctivement.
La cuisinière autoritairement le prit par le bras.
– S’agit pas de vous en aller ! fit-elle, venez causer à madame !
Pendant le trajet, Caroline racontait tant bien que mal au concierge ce qu’elle avait cru comprendre ; des domestiques suivaient, intéressés, curieux ; ils arrivèrent jusqu’à M me Drapier qui demeurait anéantie devant la porte du cabinet de travail.
– Enfoncez cette porte ! cria-t-elle.
Le concierge hésitait.
– Vaudrait mieux, suggéra quelqu’un, prévenir la police… s’il y avait un crime ?
M me Drapier sursauta.
– Un crime ? qui vous a dit qu’il y a eu un crime ?
– Je ne sais pas, madame, fit le concierge, mais tout de même si cette porte est fermée et qu’elle ne devrait pas l’être ?
En l’espace de quelques secondes, la nouvelle d’un mystère se répandait dans la maison.
On ouvrit la porte qui donnait sur le grand escalier et était toute voisine. Un locataire, M. Marquiset, employé dans une compagnie de chemin de fer, descendait à ce moment ; il se renseigna, parut atterré.
– Cette pauvre M me Drapier ! fit-il.
Puis, apercevant son propre valet de chambre, dans la galerie où se trouvaient d’autres domestiques, il l’appela.
– Jules, au lieu de rester à faire le curieux, courez donc jusqu’au commissariat de police. Il est presque en face… et ramenez deux agents, on ne sait pas ce qui est arrivé !
M me Drapier s’épouvantait de voir la foule peu à peu envahir son appartement.
– S’il ne s’est rien passé, songeait-elle, qu’est-ce que va dire mon mari lorsqu’il saura que j’ai ameuté toute la maison ?
Mais malgré cette crainte, la présence de tous ces gens la rassura.
M. Marquiset, discrètement, ne s’était pas montré à M me Drapier, qui certainement serait très confuse de se trouver en tête à tête avec ce voisin qu’elle connaissait, avec la femme duquel elle était en relations, dans cette tenue matinale que les femmes d’un certain âge aiment peu à révéler.
Mais, tout d’un coup, les conversations qui s’étaient engagées dans la galerie cessèrent.
Des pas lourds avaient retenti dans l’escalier, on vit apparaître les uniformes de deux sergents de ville derrière lesquels marchait un monsieur à l’allure de sous-officier, en civil, le visage barré par une forte moustache et qui portait à la boutonnière un ruban tricolore.
Ce personnage pénétra dans l’appartement.
– M me Drapier ? demanda-t-il.
Puis, ayant deviné la malheureuse femme, il se découvrit, déclara :
– On vient de me faire chercher, madame, je suis le commissaire de police. Qu’est-il donc arrivé ?
M me Drapier considéra le nouveau venu d’un air épouvanté.
– Mon Dieu ! Quel scandale ! pensa-t-elle, le commissaire de police ici !
Elle apercevait les sergents de ville :
– Et des agents !… des agents chez moi !…
Mais le commissaire insistait.
Déjà, en homme expérimenté, habitué à ces sortes d’affaires, il avait compris aux trois ou quatre paroles prononcées à voix basse autour de lui qu’il s’agissait d’une porte fermée à clé, de bruits suspects entendus dans la nuit, il demanda :
– M. Drapier n’est pas là ?
M me Drapier ne répondait pas, elle n’avait pas entendu, mais M. Marquiset s’approchait du commissaire.
– N’insistez pas ! souffla-t-il à son oreille, c’est justement à son sujet que l’on craint !
Et du regard il désignait la porte fermée du cabinet de travail.
– Oh ! oh ! fit le magistrat ; si M. Drapier a disparu, c’est grave !
Il faisait signe aux deux agents.
– Ouvrez cette porte !
L’un des sergents de ville l’ayant essayée ne put y parvenir : le magistrat alors ordonna :
– Enfoncez !
Les deux agents, se faisant un tampon de l’épaule de leur pèlerine, enfoncèrent la porte et pénétrèrent dans la pièce, suivis du commissaire.
Les battants avaient craqué sinistrement, la foule qui grossissait sans cesse dans la galerie voulut pénétrer derrière le magistrat.
Celui-ci s’y opposa :
– Que personne n’avance ! dit-il, je veux être ici seul avec les agents !
Avisant M. Marquiset, le commissaire de police demanda :
– Voulez-vous êtes assez aimable, monsieur, pour vous mettre sur le seuil de cette porte, pour empêcher de passer ?
Le magistrat s’était bien adressé en sollicitant de M. Marquiset ce service.
M. Marquiset était, en effet, dans cette foule de domestiques, le seul maître ; il était bien certain que nul, malgré sa curiosité, n’oserait passer outre.
Un des agents était allé ouvrir les rideaux du cabinet de travail. Lorsque la lumière se fit dans la pièce, le commissaire ne proféra pas de cri, mais il tordit nerveusement sa moustache et grommela :
– Oh ! oh ! C’est grave !
Quant à M. Marquiset, qui avait regardé dans la pièce, lui qui n’avait pas l’habitude devint blême et poussa une exclamation.
– Un assassinat !
Le magistrat cependant venait de se précipiter vers un angle du cabinet de travail où se trouvait le corps d’un homme étendu, baignant dans une marre de sang.
Un poignard gisait à terre à côté, la lame était toute rouge, le malheureux avait été frappé à la gorge, et il était vraisemblablement tombé raide mort entre le bureau et la cheminée.
C’était en vain, désormais, que M. Marquiset empêchait les gens d’entrer, ceux-ci se ruaient, forçaient la consigne… Les deux agents durent intervenir, cependant que le commissaire de police inventoriait immédiatement la pièce, afin de relever un détail quelconque, qui pût lui donner le secret de ce qui s’était passé…
Caroline toutefois, bénéficiant des droits que lui conférait sa qualité de domestique de la maison, voulut entrer dans le cabinet de travail.
M me Drapier, s’accrochant à elle, fit quelques pas mais, se rendant compte que le commissaire était penché sur un corps immobile, elle n’osa regarder.
– C’est mon mari, n’est-ce pas ? interrogea-t-elle d’une voix rauque, étranglée.
Immédiatement, le commissaire la rassurait.
– Je ne crois pas, madame ! Veuillez vous approcher… me dire si vous connaissez la victime ?
En même temps le magistrat se reculait, M me Drapier vit tout d’un coup le corps inerte d’un homme trempé de sang.
Elle poussa un cri épouvantable, battit l’air de ses bras, tomba en arrière. Il fallut l’emporter dans la galerie, la malheureuse femme avait une crise de nerfs.
Caroline, cependant devenue toute pâle, conservait un peu de présence d’esprit.
Ses dents claquaient d’émotion, elle faisait le signe de croix sans discontinuer et cette fois, à l’interrogation du commissaire de police, elle finit par répondre :
– Ah mon Dieu ! le pauvre homme ! Si c’est possible, tout de même, dire que je l’ai vu bien vivant hier au soir, ah ! je comprends qu’il n’a pas répondu quand j’ai été l’appeler ce matin, au septième ! Pauvre de nous, tout de même ! Dire que chacun est exposé…
– Enfin, interrompit le commissaire impatienté, dites-moi qui c’est, puisque vous le connaissez ?
Et alors Caroline rétorqua, croyant que le commissaire avait deviné, s’imaginant que tout le monde devait être au courant :
– Mais, monsieur, c’est Firmain, le nouveau domestique, le valet de chambre qui est entré hier au service de madame et de monsieur !
– Le valet de chambre est assassiné !…
La rumeur se répandait aussitôt dans la galerie.
Et les femmes de chambre qui soignaient M me Drapier s’empressaient à le lui dire, dès qu’elle ouvrait les yeux.
– Ce n’est pas le mari de madame !
Elles ajoutaient avec une cruauté naïve :
– Ce n’est que le domestique !
M me Drapier reprenait connaissance, elle fit un effort suprême pour se tenir debout.
– Mon mari, hurlait-elle, mon mari, où est-il ?
Le commissaire questionnait M. Marquiset :
– Ce M. Drapier qui habite ici, n’est-ce pas le directeur de la Monnaie ?
– Mais parfaitement, monsieur le commissaire ! Peut-être ce dernier est-il à son bureau à l’heure actuelle ?
Caroline, qui décidément avait de la présence d’esprit, se précipitait au téléphone, demandait la communication.
M me Drapier, toute chancelante, se traîna jusqu’à l’appareil.
Elle eut le temps de regarder le cadavre de Firmain.
– Allô ! allô ! c’est toi, Léon ? interrogea-t-elle, angoissée.
Elle eut un soupir de soulagement lorsqu’elle entendit la voix sèche et nerveuse de son mari qui répondait à l’autre bout du fil.
– C’est moi ! qu’est-ce que tu veux ?
– Ah ! Léon ! Léon ! poursuivait M me Drapier dans le téléphone, c’est épouvantable ! C’est affreux ! mon Dieu !…
– Mais qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui se passe ? interrogeait de son bureau, à la Monnaie, le haut fonctionnaire que cet appel téléphonique intriguait certainement au plus haut point.
M me Drapier semblait incapable de fournir une explication et le commissaire lui prit l’appareil des mains ; ce fut lui qui répondit.
– Excusez-moi, monsieur le directeur, mais c’est le commissaire de police. Oui, monsieur ! le commissaire de police !… Parfaitement ! je suis chez vous !… Un accident est arrivé !… Mon ! non ! pas à M me Drapier… Rassurez-vous ! Il ne s’agit que d’un domestique, mais enfin tout de même, c’est grave… Allô ! allô !… Ne coupez pas !… Excessivement grave, oui, monsieur. Pouvez-vous venir ?… Oui, monsieur le directeur !… Le plus tôt sera le mieux, je vous assure !… Entendu ! Tout à l’heure, je vous expliquerai cela !… À tout à l’heure !
Le commissaire raccrochait l’appareil. S’apercevant que les curieux forçaient la consigne, il tonna d’une voix vibrante :
– Personne ici ! je ne veux personne ici ! et surtout qu’on ne change rien à la disposition de la pièce !
Il se penchait vers un agent.
– Vous allez immédiatement aller à la préfecture de police, demander M. le chef de la Sûreté. Voici un mot pour lui.
Le magistrat griffonnait au crayon quelques lignes en hâte sur sa carte, puis revenait auprès de M me Drapier.
– Savez-vous quelque chose, pourriez-vous m’expliquer ?…
La malheureuse était hors d’état de répondre, M. Marquiset suggéra :
– Attendez donc l’arrivée du mari, vous voyez bien que cette pauvre dame est dans un état d’émotion indescriptible !
Le commissaire revenait alors à nouveau auprès du cadavre et considérait la plaie affreuse, béante de la gorge, cherchant à discerner la façon dont le coup avait été porté.
Le commissaire de police avait appartenu, au début de sa carrière, non pas au corps des inspecteurs de la Sûreté, mais à l’administration de la préfecture.
Il savait bien des petites choses, en matière d’enquête, notamment la théorie… Mais, par exemple, s’il n’ignorait pas que l’on doit essayer de découvrir, à la nature de la blessure, la condition sociale de l’assassin et distinguer immédiatement si le coup a été porté par un professionnel du crime ou un débutant, il ne savait pas à quels indices se reconnaissaient ces importants détails.
Cependant un mouvement se fit dans la galerie, on s’écarta pour laisser passer quelqu’un qui arrivait très vite, c’était M. Drapier.
Le commissaire s’avança vers lui.
– Eh bien ? interrogea le directeur de la Monnaie, de quoi s’agit-il ?
– C’est votre valet de chambre, articula le commissaire, que je viens de trouver assassiné dans votre cabinet !
– Ah mon Dieu ! fit M. Drapier, mais comment cela s’est-il passé ?
Il faisait quelques pas dans la pièce, voyait sa femme effondrée sur un canapé. Il alla lui prendre les mains, les étreignit dans les siennes, puis les lâcha subitement et devint livide.
Il avait tourné la tête et vu le mort ensanglanté.
– Ah ! par exemple ! le pauvre garçon ! balbutia M. Drapier.
Il ajoutait, se tournant vers le commissaire :
– C’était notre nouveau valet de chambre.
– Je sais ! fit le magistrat, mais voulez-vous que nous passions dans la pièce voisine avec M me Drapier ? Je serais bien heureux de causer quelques instants avec vous.
Courtoisement, M. Drapier s’inclinait.
– Je suis à vos ordres, monsieur le commissaire !
Puis, allant aider sa femme à se lever, il la soutenait par le bras.
– Viens, Eugénie, dit-il.
Il articulait :
– Ma pauvre amie ! Quelle émotion !
Les deux époux pénétraient dans la chambre de M. Drapier, suivis du commissaire. Celui-ci, en l’espace d’une seconde, avait signifié à ses agents d’interdire à qui que ce soit l’accès du cabinet de travail.
Lorsqu’il pénétra dans sa chambre, M. Drapier, instinctivement, jeta les yeux sur son lit qui était défait, mais il ne proféra pas une parole.
M me Drapier était allée s’effondrer à nouveau dans un fauteuil.
Le commissaire demanda au directeur de la Monnaie :
– Nous sommes en présence, monsieur, d’un crime épouvantable, dont la Sûreté, que j’ai fait demander tout à l’heure, déterminera certainement la nature. Mais d’ores et déjà, voulez-vous me donner quelques renseignements ?
– Certainement, monsieur le commissaire, fit Léon Drapier, questionnez, je vous répondrai !
– Avez-vous vu votre domestique ce matin, avant d’aller à votre bureau ?
– Ma foi non, monsieur le commissaire, je l’ai vu pour la dernière fois hier au soir !
– Vous allez de très bonne heure à la Monnaie, monsieur le directeur ?
– D’ordinaire, pas avant neuf heures du matin ; aujourd’hui, cependant, je m’y suis rendu à sept heures !
– Vous aviez un travail pressé ?
– Un contremaître embauchait de nouveaux ouvriers pour l’atelier de la frappe des bronzes et je voulais être là…
Le commissaire approuvait avec de petits sourires aimables.
– Je crois très bien comprendre, M. Drapier, pourquoi vous n’avez pas vu votre valet de chambre ce matin, tandis qu’à l’ordinaire ce domestique doit vous aider dans votre toilette. Ce matin où vous aviez à sortir de très bonne heure, vous n’avez pas voulu obliger ce garçon à se lever plus tôt que de coutume et vous êtes sorti avant qu’il ne soit descendu ?
– C’est exactement cela, fit M. Drapier, qui, cependant, parut se troubler légèrement. Le commissaire ne le remarqua point.
Il insista sur un autre sujet.
– Le crime pourtant paraît remonter, sinon au milieu de la nuit, du moins à une heure très récente de la matinée, mettons quatre, cinq heures… J’ai constaté que le sang était coagulé, le cadavre presque raidi. Êtes-vous venu dans votre cabinet de travail, monsieur Drapier, avant d’aller à la Monnaie ?
– Non, monsieur le commissaire.
– Donc, continuait celui-ci, il se peut que votre domestique ait été assassiné sans que vous ayez rien entendu, ni vu ?
– En effet !
Le magistrat insistait toujours.
– Votre chambre est pourtant beaucoup plus rapprochée du cabinet de travail que celle de M me Drapier. Si je fais cette remarque, vous ne m’en voudrez pas, monsieur le directeur, c’est simplement parce que je m’étonne que vous n’ayez point été troublé dans votre sommeil alors que M me Drapier, qui habite l’autre extrémité de l’appartement, aurait, dit-on, entendu des bruits suspects.
Léon Drapier demeura quelques instants silencieux, ses paupières battirent, et il allait parler, lorsque la voix de M me Drapier, qui écoutait, s’éleva.
D’une voix toute blanche, voix strangulée par l’émotion, Eugénie Drapier articula lentement, regardant son mari avec une fixité singulière :
– J’ai l’oreille très fine, monsieur le commissaire, et comme j’ai sans cesse peur, je suis toute la nuit aux aguets. Tandis que Léon, qui travaille beaucoup, dort profondément !
– Voilà l’explication, fit le commissaire conciliant, qui ajoutait presque d’un air goguenard : sans ça j’aurais presque été tenté de croire, monsieur Drapier, que vous aviez découché cette nuit !
Cette plaisanterie, pourtant bien innocente, sembla troubler profondément le directeur de la Monnaie.
Ses mains se crispèrent, il articula d’une voix qui tremblait légèrement :
– Je n’ai pas l’habitude de découcher, monsieur le commissaire, au surplus, regardez !…
D’un geste hésitant de la main, il désignait son lit.
– Vous voyez, fit-il, mes couvertures sont encore défaites.
Mais le magistrat n’insistait point.
– Excusez-moi, monsieur le directeur, de ces questions qui doivent vous ennuyer… Si je les fais, c’est parce que tel est mon devoir et vous ne m’en voudrez pas, j’en suis sûr ?
Léon Drapier rétorquait d’un geste protecteur :
– Je ne vous en veux en aucune façon, monsieur le commissaire, bien au contraire, et j’espère que vous trouverez l’assassin de ce malheureux garçon !…
– Permettez que je vous laisse, disait le magistrat, qui se confondait en saluts obséquieux devant le haut fonctionnaire ; j’entends qu’on parle dans la pièce voisine, c’est sans doute M. le chef de la Sûreté qui vient d’arriver…
Le commissaire se retirait, Léon Drapier articula :
– Je me tiendrai à sa disposition s’il l’exige, mais je voudrais bien pouvoir retourner à la Monnaie, où je suis attendu.
– Allez donc, monsieur le directeur, allez donc, il ne faut pas que la mort d’un domestique vous empêche de vous occuper de vos importantes fonctions !
Un instant, M. Léon Drapier et sa femme se trouvèrent seuls dans la chambre.
Léon Drapier offrit son bras.
– Viens, Eugénie, dit-il, ne reste pas là, rentre dans les appartements et prends un peu de repos !
La malheureuse femme obéissait machinalement. Elle se laissa reconduire par son mari.
Celui-ci l’obligeait à s’étendre sur son lit, il l’embrassa au front et, comme Eugénie Drapier fermait les yeux, Léon Drapier déclara, se méprenant sur ce mouvement instinctif :