Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
сообщить о нарушении
Текущая страница: 18 (всего у книги 24 страниц)
– La retraite coupée ! pensa l’inconnu.
Il ne pouvait pas se tromper, en effet, à ce qu’il voyait, c’était bien les agents qui arrivaient, les agents qui commençaient la rafle…
Rapidement alors, mais sans courir, de peur d’attirer l’attention sur lui, l’homme, tournant les talons, s’éloigna.
– Il faut fuir ! murmurait-il les dents serrées. Il faut fuir ou je me fais pincer…
Il ne tremblait pas d’ailleurs, gardait un sang-froid extraordinaire, paraissait de taille à envisager en face les événements, à se battre contre eux jusqu’à ce qu’il en eût triomphé.
L’homme marcha pendant dix minutes…
Il ne s’était pas éloigné cependant, car la nécessité où il était de ne point faire de bruit l’obligeait aux plus grandes précautions. Il devait éviter les matériaux, il devait éviter surtout les frères de la pègre qui dormaient encore.
Brusquement, cependant, il s’arrêta.
En face de lui encore, il discernait une série d’ombres noires qui, descendant un petit escalier, gagnaient la berge et se déployaient encore en éventail.
– Très bien… parfait ! murmura l’homme. Encore des agents !… Je suis cette fois entre deux barrages de policiers qui marchent l’un au-devant de l’autre et qui se rencontreront dans quelques instants chassant devant eux, raflant tous ceux qu’ils auront rencontrés.
Le personnage, un instant plus tard, murmurait :
– Toute la difficulté consiste à ne pas être de ceux-là !
Ne témoignant toujours d’aucun trouble cependant, et gardant un calme extraordinaire, on n’eût jamais cru qu’il courait le plus certain et le plus pressant des dangers, il rebroussait chemin une fois encore.
Où allait-il donc cependant ?
Quelle cachette pouvait-il espérer trouver ?
Avait-il inventé une ruse qui pût lui permettre de passer entre les mailles de ce filet humain que constituaient les vingt agents opérant la rafle sur les quais ?
L’inconnu se hâtait maintenant. Il gagnait le bord du quai, paraissait s’orienter.
– Attention ! murmurait-il soudain.
Et il se livrait alors à la plus extraordinaire des manœuvres.
Sans bruit, en effet, le personnage s’était approché du bord de l’eau, se couchait sur le ventre. Il laissait pendre ses pieds au-dessus du fleuve.
Que cherchait-il donc à réaliser ?
Était-il subitement emplis de cafard ? Allait-il comme tant d’autres, préférer la mort à la cruauté d’une arrestation ?
L’homme, une fois installé dans son extraordinaire position, heurtait violemment du bout du pied contre une sorte de porte qui se trouvait creusée dans le quai, une porte d’égout, évidemment, qui devait être désaffectée depuis longtemps.
Immédiatement, une voix s’informa :
– Qui c’est qu’est là ? Qui c’est qui frappe ? C’est complet !
La voix qui parlait ainsi était lointaine, étouffée. Elle semblait provenir de l’intérieur du quai, elle tremblait un peu.
Le fuyard répondit, sans hausser le ton :
– Complet à l’intérieur sans doute, mais à l’impériale c’est à volonté !
Il y eut dans la nuit un grincement sinistre. Avec peine, on repoussait la porte.
Le personnage, qui était toujours agrippé au quai, donna un violent coup de reins et, lâchant les mains, se glissa à l’intérieur de l’égout.
Il bruinait à ce moment fortement. L’homme était trempé. De plus, ses yeux encore pleins d’ombre clignotaient à la lumière ; il chancelait, étourdi…
Dans l’égout, il faisait tiède. C’était la température moite des caves où s’entassent de trop nombreux individus. Cela sentait d’horribles relents de misère et de saleté. Qu’importait, cependant ?
Le personnage qui venait si mystérieusement de pénétrer dans ce repaire abominable soupirait de satisfaction en s’y installant.
Il se rendait compte, en effet, qu’il était désormais à l’abri de toutes les recherches policières, que celles-ci ne pouvaient rien pour le découvrir.
Tandis qu’il se secouait cependant, encore aveuglé et les yeux pleins de nuit, des voix brusques l’interrogeaient :
– Qui qu’t’es, mon fils ? D’où qu’tu viens ?
Le personnage répondit sans hésitation :
– D’où j’viens ? D’un sacré truc !… Qui j’suis ? Vous devriez me reconnaître, je suis Job Askings !
Et cet homme, celui-là même qui disait être Job Askings, ce fuyard qui venait si mystérieusement d’opérer à la Monnaie, qui, redoutant à tel point d’être appréhendé par la police, avait préféré entrer dans le repaire abominable, cet homme-là, c’était Juve… et Juve était dans l’Enfer.
Que s’était-il donc passé, et pourquoi Juve se trouvait-il ainsi soudainement amené à connaître d’extraordinaires aventures ?
À la vérité, il n’y avait rien de surprenant dans tout ce qui survenait et les événements n’étaient, au sens le plus philosophique des mots, que des conséquences naturelles, des résultats obligatoires.
Juve enquêtait toujours relativement aux mystérieuses affaires dans lesquelles se trouvait compromis le malheureux directeur de la Monnaie.
Juve enquêtait toujours et enquêtait avec d’autant plus d’énergie, d’autant plus de rage, d’autant plus de persévérance que ses enquêtes n’avançaient guère, qu’il ne découvrait pas grand-chose, ce qui, naturellement, piquait de plus en plus sa curiosité.
Que se passait-il, d’ailleurs ? Quelle était la véritable explication aux phénomènes troublants, inquiétants et tragiques qui se succédaient de jour en jour ?
Pourquoi le valet de chambre Firmain avait-il été assassiné ? Pourquoi Paulette de Valmondois était-elle morte ? Comment se faisait-il que des pièces d’or antidatées s’échappaient de la Monnaie, échappaient plutôt à la vigilance du directeur, Léon Drapier ?
Juve ne savait rien de tout cela.
Il avait deviné, certes, que Fantômas était mêlé à ces sombres aventures. L’ombre effroyable du bandit, du Roi de l’épouvante, du Maître de tous et de tout, planait sur ces mystères. Cela n’était pas douteux, mais c’était peut-être la seule certitude que Juve eût osé mettre en avant.
Ah ! l’invraisemblable aventure que celle de ce malheureux Léon Drapier que la police, de plus en plus, tendait à considérer comme coupable !
Juve, lorsqu’il y réfléchissait, grinçait des dents, serrait les poings, s’emportait contre le sort qui lui semblait injuste et mauvais…
Ce n’est pas Léon Drapier, pourtant, qui a coupé la langue à Mon-Gnasse et à La Puce !…
L’horreur dernière, l’effroyable mutilation, imposée aux deux apaches troublait et inquiétait Juve au plus haut point.
Il n’était pas, en effet, il ne pouvait pas être victime des choses à ce sujet.
À coup sûr, la Puce et Mon-Gnasse étaient tombés sous les coups de Fantômas ; lui seul, le Roi du meurtre, le tortionnaire éhonté, pouvait avoir osé cela, pouvait surtout l’avoir réalisé, l’avoir réussi, presque sous l’œil de la police, à deux pas des inspecteurs Nalorgne et Pérouzin.
Mais pourquoi Fantômas avait-il agi ainsi ?
Certes, Juve devinait bien le but du bandit. Il avait voulu imposer silence à Mon-Gnasse et à la Puce. Il avait voulu, sachant ses complices fort capables de le trahir, les rendre muets pour toujours…
Craignait-il donc à ce point les bavardages de Mon-Gnasse et de la Puce ? Ceux-ci avaient-ils donc joué un rôle prépondérant dans les ténébreuses intrigues que Fantômas menait à cette heure ?
Et Juve s’effarait d’autant plus de cette mutilation qu’elle amenait désormais un effroyable malheur.
Ah ! certes, Mon-Gnasse et la Puce, que l’on soignait à l’hôpital, qui allaient mieux, qui échapperaient peut-être à la mort, frôlée de si près, n’eussent pas résisté au désir de se venger !… S’ils avaient pu parler, s’il leur avait été loisible de trahir ce que l’on craignait qu’ils trahissent, dans leur colère furieuse, dans leur rage déchaînée, dans leur rancune aveugle, ils n’eussent pas hésité une seconde.
Mais Fantômas avait assurément bien pris ses précautions.
La Puce et Mon-Gnasse ne pouvaient rien pour le dénoncer, ils étaient muets, muets pour toujours… Tant qu’ils n’auraient pas appris le langage des sourds-muets, il leur serait interdit de se venger, ils ne pourraient trahir celui qui les avait si effroyablement atteints.
Dès que les deux apaches avaient commencé à aller mieux, Juve avait été les interroger, muni des pleins pouvoirs de M. Havard qui, naturellement, outré de l’imbécile attitude de Nalorgne et de Pérouzin, avait dû faire contre fortune bon cœur et remettre l’enquête aux mains de Juve.
Celui-ci, en se rendant à l’hôpital, concevait évidemment de formidables espoirs. Il pensait bien tirer de Mon-Gnasse et de la Puce des indications intéressantes.
– Qu’ils ne puissent pas parler, soit, s’était dit Juve, mais nous correspondrons par écrit !
Or, Juve avait connu alors une abominable déception, ni Mon-Gnasse ni la Puce ne savaient écrire…
Et depuis ce moment, et c’était bien ce qui désespérait Juve, l’enquête traînait lamentablement. Un tel faisceau de charges, de présomptions, de vraisemblances se groupait autour de Léon Drapier que le directeur de la Monnaie était presque accablé.
Il n’y avait, Juve s’en rendait bien compte, plus guère que sa haute situation qui pût faire hésiter la police.
Si Léon Drapier avait été un pauvre bougre, il aurait été sans doute, et depuis longtemps, appréhendé, jeté en prison ! Mais dans les sphères officielles, devant le scandale effroyable que ne manquerait pas de faire naître une semblable arrestation, on hésitait encore…
Juve, pourtant, se disait :
– Ils iront jusqu’au bout, on le prendra au collet… et pourtant il est innocent !
Juve, à ce moment, était beaucoup plus libre d’esprit, beaucoup moins inquiet qu’au début de l’enquête.
La persuasion où il était en effet que Fantômas jouait un rôle dans les abominables mystères qu’il vivait était pour lui, en même temps qu’une cause de trouble, un motif de tranquillité.
Juve, en effet, n’oubliait pas et ne pouvait pas oublier qu’Hélène allait incessamment arriver au Mexique débarquant du voilier qui l’avait recueillie lors de son évasion de la barge hollandaise.
Si Fantômas avait été libre, s’il avait disparu, si Juve avait cru la jeune fille exposée aux coups du bandit, il aurait été mortellement inquiet, mortellement désespéré surtout, de n’avoir pu voler à son secours.
Mais Juve, maintenant, avec son flair de policier, avait la certitude que Fantômas était à Paris. Hélène ne courait donc aucun danger, elle ne risquait rien, elle n’avait pas besoin de lui.
Et Juve ne s’en acharnait que davantage à poursuivre le misérable.
Juve, d’ailleurs, ne reculait devant rien. Ainsi qu’il en avait coutume lorsqu’il s’agissait d’enquêtes policières, il risquait le tout pour le tout. Il jouait sa vie à l’aventure, pour arriver à la vérité.
Juve s’était dit tout d’abord qu’il était inutile, qu’il était mauvais d’enquêter sous sa véritable apparence. C’était pourquoi il s’était fait si nettement une tête d’apache.
Mieux que personne, Juve savait se grimer. Il était donc méconnaissable en voyou.
Et c’était en voyou, en membre ordinaire de la pègre, qu’il avait poussé l’audace, cette nuit-là, jusqu’au point de s’introduire à la Monnaie, dans l’espoir d’y surprendre quelque chose qui pût le renseigner, lui faire deviner, au moins, l’explication des mystères dont il poursuivait la solution.
Pendant le cours de son audacieuse expédition, Juve avait recueilli des détails qui, désormais, lui permettraient d’agir car, en effet, à l’instant où il était sorti des caves de la manutention, il ne paraissait aucunement fâché d’avoir eu l’idée d’y aller faire un tour.
Que savait-il au juste, toutefois ? Qu’avait-il deviné ?
Lui seul aurait pu le dire, ce n’était pas certainement aux membres de l’Enfer qu’il allait risquer de semblables confidences.
Et Juve, qui n’avait pas voulu se laisser arrêter par la police parce qu’il méditait très probablement quelque nouvelle aventure pour laquelle il avait besoin de son incognito, Juve avait préféré pénétrer dans le bouge, et risquer une fois encore les terribles aventures pouvant survenir en raison de la férocité de la bande qui gîtait là.
Juve, après avoir pénétré dans l’Enfer, avait d’ailleurs fait preuve, une fois encore, de cette extraordinaire présence d’esprit qui le rendait réellement incomparable.
En un instant, en effet, alors que fuyant, sur les berges, la police qu’il sentait sur ses talons, Juve s’était demandé comment se tirer de la fâcheuse situation où il se trouvait, Juve s’était souvenu de l’Enfer.
Il connaissait le bouge depuis le jour où, dans une précédente affaire, Bouzille l’y avait conduit afin d’enquêter sur le vol d’un cadavre, le cadavre du policier Daniel, dérobé par Fantômas à la morgue.
Juve s’était nettement souvenu de la situation du repaire ainsi que du mot de passe qui décidait ses hôtes à ouvrir leur porte d’entrée.
Il s’était souvenu surtout, et cela était le principal, qu’il passait, aux yeux des habitants de l’Enfer, pour Job Askings, le « Roi des voleurs ».
Et c’était alors tout naturellement que Juve avait décidé de se réfugier là. C’était tout naturellement encore qu’il répondit à l’interrogation anxieuse qu’on lui posait :
– Qui je suis ? Job Askings !
Qu’allait-il se passer cependant ?
Les misérables qui se trouvaient devant le policier se laisseraient-ils duper encore une fois ? Admettraient-ils, encore une fois, que Juve était bien Job Askings ?
Le policier, maintenant, se le demandait non sans une certaine frayeur.
Il contemplait en même temps ce bouge, ce bouge effroyable dans lequel il venait d’entrer. L’Enfer n’avait point changé d’aspect. C’était toujours un trou noir, lugubre, éclairé par la lueur clignotante d’une chandelle de suif fichée à la muraille.
Sur le sol, il y avait toujours la vieille paillasse qui servait de lit. Et les hôtes eux-mêmes, toujours armés jusqu’aux dents, hommes à la face de brute, bêtes féroces véritables, épuisés de misères, affolés de crimes étaient, comme jadis, capables de tout, toujours prêts au meurtre, toujours avides de sang.
Juve, tranquillement s’asseyait.
Il ne s’étonnait point du silence qui avait accueilli son arrivée. Il savait que les brutes en face desquelles il se trouvait avaient l’esprit lent, la réflexion pénible.
Ces malheureux vivaient en réalité dans une telle misère, dans une si sévère pauvreté, qu’ils n’étaient plus guère des hommes, qu’ils étaient tombés peu à peu au rang de l’animal, qu’il leur était pénible, impossible presque, de risquer une phrase.
Juve, cependant, assis sur un billot de bois, demandait :
– Et les affaires, ça va ?
Il sentait le besoin d’engager la conversation. Il fallait, pour détourner les soupçons, qu’il dît quelque chose, qu’il prononçât quelques paroles, qu’il se mît bien avec la bande.
Or, à la question de Juve, d’un coin de la paillasse où il était étendu, fumant une grosse pipe, un homme se soulevait, le chef, celui-là même que Juve, jadis, pour accréditer son personnage de Job Askings, avait proprement volé. Il répondit :
– Les affaires, non, ça n’va pas ! On n’fait rien ! On s’serre la ceinture ! Pas même de quoi s’emplir les dents creuses ! Et toi, du pèze ?
– Oui, du pèze ! répondit Juve.
Le vieux se rapprocha curieusement… Une flamme de convoitise brillait désormais dans ses yeux.
– Ah ! faisait-il, tu as du pèze sur toi ?
Juve, à ce moment, frémit. Peut-être bien venait-il de commettre une terrible imprudence en se vantant ainsi ! Qui prouvait que ces gens qui l’entouraient, qui étaient des bandits, n’allaient point se jeter à l’improviste sur le policier ?
Ils n’hésiteraient certainement pas devant un crime ! Ils ne reculeraient pas devant un meurtre !
Et Juve, à les contempler, comprenait que pour ces misérables la vie d’un homme pesait si peu qu’ils tueraient sans hésiter pour quelques sous, pour quelques pièces d’argent.
Juve, pourtant, comprit qu’avant tout il ne fallait pas laisser deviner son émoi.
La gaffe est faite, estima-t-il, il faut maintenant marcher jusqu’au bout !
Et, tranquillement, il affirma :
– Assurément, j’ai du pèze !… J’ai plus de cinquante mille balles sur moi !
Mais, en même temps qu’il disait cela, Juve, bien ostensiblement jouait avec la crosse de son revolver.
Le vieux reculait. Ce que venait de dire Juve le laissait haletant. Pareillement, les autres occupants de l’Enfer semblaient stupéfiés d’admiration. Une flamme brillait dans leurs yeux, une rougeur empourprait leurs joues.
– Cinquante mille balles !…
Ils répétaient cela d’un air effaré.
Le vieux déclara :
– Eh bien ! tu n’t’embêtes pas !… Mais, tout d’même, mon vieux, on est heureux d’ta veine ! Un type comme toi, faut pas que qu’ça traîne la misère !
Il y avait, dans cette simple parole, toute l’admiration, tout le respect aussi de l’apache misérable pour un voleur du talent et du génie de Job Askings.
Le vieux déclarait encore :
– Ici, tu ne risques rien ! Tu es en sûreté !…
Juste à ce moment, et comme si un démenti sinistre avait dû être opposé aux paroles du bandit, un vacarme retentit.
La porte de l’Enfer s’étoilait. Elle se trouait à un endroit, une balle blindée s’écrasait contre le mur.
Juve l’avait sentie siffler près de son visage. Il se levait, fronçant les sourcils, mais ne tremblant pas.
– Je suis en sûreté… dit-il, hum ! c’est à voir…
Une fusillade éclatait. Les habitants de l’Enfer se prirent à trembler.
– Je crois que cela va chauffer ! dit Juve simplement.
Mais qu’arrivait-il donc encore ?…
XIX
Fâcheuse posture
Il était dit cependant que, cette nuit-là, toutes les prédictions, toutes les prophéties de Juve recevraient de cruels démentis.
Le policier, en effet, n’avait pas fini de déclarer que cela allait chauffer, qu’il semblait tout au contraire qu’il n’allait rien se passer du tout. La fusillade cessait, le calme se rétablissait et c’était brusquement le silence impressionnant de la nuit, un silence que troublait à peine le ruissellement léger de l’eau coulant sous les ponts.
– Ma foi, j’y comprends plus rien ! murmura une voix derrière Juve.
Le policier alors se retournait.
Il éprouvait à cet instant une impression qu’il ne devait pas oublier de toute sa vie.
Lorsqu’il était entré dans l’Enfer, en effet, quelques instants plus tôt, il avait tout juste aperçu quatre ou cinq individus assis sur la paillasse et mangeant des croûtes de pain qu’ils trempaient dans une sorte de marmite où l’on devinait une innommable soupe.
Or, au bruit de la fusillade, au bruit de l’alerte, il semblait que l’Enfer se fut brusquement peuplé d’une foule surprenante !
Juve n’avait jamais été jusqu’au bout du souterrain aménagé en repaire. Il imaginait à vrai dire que ce souterrain n’était pas profond, qu’il s’arrêtait à sept ou huit mètres de là.
Or, Juve s’était trompé, assurément. Des chandelles en effet venaient de s’allumer et, à leur lueur tremblotante, le policier pouvait apercevoir une énorme profondeur de caverne, comprendre que le boyau souterrain de l’égout était en réalité fort long, s’enfonçait très loin sous les berges.
Le mouvement de surprise de Juve cependant n’échappait pas au vieux chef. Celui-ci ricana :
– Ah oui ! commença-t-il. Tu n’avais pas encore admiré la maison !… Regarde, Job Askings ! Il y a de la place !
– Il y a de la place ! répéta Juve.
Mais ce qui surprenait surtout le policier, ce qui l’avait troublé, lui, l’homme impassible dont le sang-froid prodigieux ne s’étonnait jamais, c’était qu’en réalité ces souterrains étaient peuplés d’une foule de bandits.
D’où sortaient-ils donc tous ?
Juve, avec frayeur, contempla ces hommes qui avaient d’épouvantables figures de vice et de crime. Ils semblaient issus de l’ombre. Peut-être dormaient-ils quelques instants avant, couchés sur la paille, ou bien alors il y avait des trous qui communiquaient avec la galerie principale, et c’était de ces anfractuosités insoupçonnables que les misérables accouraient !
Juve, cependant, s’était adossé à la muraille. Il tenait son revolver, il fronçait les sourcils, nerveux, inquiet.
– Vous êtes nombreux ? dit le policier.
– Oui, ricana encore le chef. Ça grouille, ici.
Et il ajoutait avec un sourire ignoble qui découvrait sa bouche édentée :
– Ceux qui nous connaissent nous surnomment les Grouilleurs.
À ce moment la scène devint fantastique. L’un des individus qui entouraient Juve avait jeté dans le foyer une bûche résineuse et celle-ci brûlait avec de grandes flammes jetant d’extraordinaires reflets rouges.
Il en résultait des ombres stupéfiantes. Les armes que chacun tenait miroitaient, devenues rouges, comme souillées de sang. Les visages hâves et amaigris se creusaient plus encore, les yeux de tous brillaient enfin de flammes furieuses.
– Sûrement que les rigolos ont parlé !
– On n’peut donc plus dormir tranquille, maint’nant !
– À c’t’heure, c’est-y la police qui cogne là-haut ?
Ces quelques paroles rappelaient Juve à la réalité des faits.
Un instant, il avait cru vivre un cauchemar extraordinaire. Il avait pensé être transporté au pays des songes. Il avait douté du témoignage de ses sens, stupéfié de trouver en plein Paris, en son époque ultra-moderne, une bande de misérables qui rappelaient les bandes d’autrefois, les compagnons des criminels, des grands voleurs, comme les Mandrin et les Cartouche.
Lourdement, il retomba de cette vision extraordinaire dans le souci des choses présentes.
Les Grouilleurs, puisque les habitants de l’Enfer se nommaient ainsi eux-mêmes, demeuraient tous immobiles, haletants, prêtant l’oreille.
Juve, lui aussi, écouta.
Au-dessus de sa tête, sur la berge, on entendait des pas sourds, précipités, saccadés… Par moments, un cri retentissant, l’appel furtif d’un homme aux abois :
– Par ici !… Par là !…
Juve frémit. Évidemment, c’était la rafle !
Or, à cet instant, Juve éprouvait un nouveau et très bizarre sentiment.
Pour quelques minutes, en effet, lui qui était policier, lui qui était un honnête homme, lui qui consacrait sa vie à défendre la société contre le plus redoutable ennemi de la justice, il se trouvait tout d’un coup solidaire des bandits qui l’entouraient ; il avait comme eux peur des agents qui, sur le quai, faisaient leur devoir… Les Grouilleurs, cependant, prenaient désormais des mines farouches.
– Sûrement, déclarait l’un d’eux, c’est encore les cognes qui opèrent là-haut ! Ils poissent les frères de la berge…
C’était bien ce que pensait Juve.
Le policier, en effet, qui s’était réfugié dans l’Enfer pour éviter la poursuite des agents lancés à ses trousses lors de sa sortie de la Monnaie, ne pouvait guère se faire d’illusions.
Les agents ne le trouvaient pas. Ils avaient en revanche découvert, sur les berges, tous les pauvres errants de nuit qui étaient venus dormir là, oublier un peu leur fatigue et leur détresse.
Et les agents, sans doute énervés de leur poursuite vaine, parquaient tout le monde, le triaient, s’efforçaient d’arriver à découvrir l’homme qu’ils cherchaient.
– Pauvres bougres ! soupira le policier. Ce sont eux qui vont payer pour moi !…
Juve, toutefois, n’était pas très inquiet à leur sujet.
Il savait fort bien, en effet, que les arrestations opérées cette nuit-là au cours de la rafle ne seraient probablement pas maintenues. Les arrestations coûtent cher ; un homme en prison, c’est une bouche à nourrir !
Juve, maintes fois, avait réfléchi à ce terrible problème qui fait que la police relâche soixante-cinq pour cent de ceux qu’elle arrête, et cela pour ne pas grever le budget déjà si lourd des prisons d’Etat…
Or, à l’instant où Juve réfléchissait de la sorte, les misérables qui l’entouraient continuaient à s’agiter. Ils allaient et venaient dans la caverne, ils paraissaient nerveux au possible, et ils décrochaient les armes qui pendaient au mur. Ils glissaient des cartouches dans le tonnerre de leur revolver…
Juve assistait à tous ces préparatifs, se demandant un peu ce que ces gens-là comptaient faire.
Assurément, leur repaire, l’Enfer, n’était pas connu des autorités policières ! Sans Bouzille, Juve ne l’aurait jamais découvert. Il n’avait donc qu’à rester bien tranquille, à attendre les événements.
Mais Juve raisonnait ainsi parce qu’il estimait que, sans doute, la balle qui avait passé à travers la porte grillée était une balle perdue, une balle qui avait ricoché, manqué son but, et qu’à coup sûr on n’allait pas donner l’assaut à l’extraordinaire souterrain.
Or, comme Juve raisonnait ainsi, brusquement, des exclamations retentissaient à côté de lui. Deux Grouilleurs accouraient. L’un était un tout jeune homme qui pouvait compter tout juste dix-huit ans, dont le visage émacié semblait perpétuellement flamber dans une terrible fièvre. L’autre était un homme d’une quarantaine d’années, la figure surprenante, un étranger, sans doute.
Tous deux crièrent en arrivant à la hauteur de Juve :
– La paix ! vous autres, et qu’on rapplique !…
Alors le jeune homme, le gamin, l’enfant étendit la main.
Il tenait un objet qui brillait, et dont, à première vue, il était difficile d’identifier la nature. Le jeune Grouilleur s’expliquait :
– Zieutez-moi ça, demandait-il, et n’rigolez pas ! Moi, j’vous dis qu’c’est grave, c’qui s’passe là-haut, c’est pas seul’ment la rousse qui opère, c’est bien mieux qu’ça, c’est les bandes qui s’foutent une peignée !
Juve, à ce moment, ne comprenait pas. Sa surprise cependant n’allait pas être longue. Le chef des Grouilleurs, en effet, le vieillard à barbe blanche, qui avait entretenu Juve, se précipitait vers son compagnon :
– De quoi ? demandait-il. Qu’est-ce que tu jactes ?
L’autre se troublait. On semblait, parmi les Grouilleurs, nourrir un grand respect pour le chef. Nul ne lui adressait la parole, tous baissaient la voix lorsqu’il les considérait.
– Chef ! répondit l’enfant, c’est pas les cognes qui sont là-haut. Et la meilleure preuve, c’est que voilà là balle qui a étoilé not’porte ! Sûrement qu’elle n’a pas été tirée par le rigolo d’un flic, elle vient de la Ruisselance…
Juve, à ce moment, frémissait.
Ce que disait le gamin était fort compréhensible pour lui.
Il n’ignorait pas en effet que les apaches, les misérables qui considèrent Paris comme une forêt et vivent au milieu des foules une existence de sauvage, faisant le coup de feu, jouant du couteau, traitant tout passant attardé comme un gibier ou une proie, éprouvent quelque difficulté à se procurer sans attirer l’attention des cartouches et des munitions.
Juve, maintes fois, avait soupçonné qu’il existait au cœur même de Paris, peut-être, en quelque coin que nul policier n’avait découvert, une véritable fabrique de cartouches. Elle s’appelait la Ruisselance… Il le savait, ou pensait le savoir par le bavardage d’un homme arrêté certain jour à la préfecture. La Ruisselance devait être une entreprise formidable et Juve n’ignorait pas que ses projectiles avaient une marque spéciale, une composition particulière, qui les rendait facilement reconnaissables.
C’était même en raison des différences notables entre les projectiles que bien souvent Juve avait pu conclure :
– Tel coup de feu a été tiré par un malfaiteur… Tel coup de feu a été tiré par un policier…
Quoi qu’il en fût, cependant, la déclaration du Grouilleur soulevait un vif intérêt parmi ses compagnons. Le chef avait pris à son tour la balle retrouvée qui s’était écrasée contre une pierre de la redoute et l’examinait avec attention.
– C’est juste, disait-il. Ce pruneau-là vient de la Ruisselance, c’est pas les flics qui l’ont tiré…
Mais le chef ajoutait :
– Cela ne prouve pas grand-chose, cependant ! Il y avait peut-être un copain qui était parmi les frères de la berge ! Rien ne prouve que ce ne soit pas lui qui ait fait feu !
À ce moment encore, un homme sortait de l’ombre, dont Juve remarqua l’allure autoritaire. Il écartait du geste ses compagnons qui entouraient le chef. Il les repoussait dédaigneusement et nul ne protestait.
À la fin, il déclara :
– Cognes ou pas cognes, il se passe quelque chose là-haut ! Il faut voir… Il faut savoir ! Que ceux qui ont confiance me suivent ! Voilà !… Qui qu’en est ?
Alors le chef se tourna vers Juve.
– Job Askings ! dit-il. Celui-là, c’est mon fils… C’est lui qui commandera dans l’Enfer quand je serai mort. Il est brave…
– Il est brave ! s’inclina Juve.
Et toujours le policier se croyait transporté en un pays fantastique. Toujours il avait l’impression de vivre un cauchemar.
Qu’ils étaient donc étranges, ces hommes, ces Grouilleurs qui semblaient si terribles et qui, d’autre part, vivaient avec des mœurs quasi patriarcales, le père étant chef, le fils devant prendre sa succession, et tous respectant une loi unique !
Le vieillard, cependant, continuait :
– C’est mon fils et il ne craint rien. Tu l’entends, d’ailleurs ? Ici, nous sommes en sûreté, il n’y a pas de policier au monde qui puisse découvrir cet asile…
– En effet ! dit Juve qui, à cette déclaration, avait envie de sourire.
– Eh bien, continua l’homme, quand mon fils entend des coups de feu, il ne peut plus tenir en place… Il faut qu’il sorte, il faut qu’il aille se battre !
Il y avait une étrange grandeur dans les paroles de ce misérable, qui semblait ainsi si fier des ardeurs belliqueuses de son rejeton.
Juve, étonné, se demandait comment tout cela allait finir.
Le vieillard reprit :
– Tu veux aller te battre, va !
Et il ajoutait avec un sourire féroce qui donnait le frisson à Juve :
– Si tu trouves des policiers, là-haut, tue-les !
Alors Juve n’hésita pas.
– C’est bon ! dit-il. Je vous accompagne !
Il lui venait à la pensée qu’il ne pouvait véritablement, lui précisément qui était policier, rester avec ces bandits, alors que là-haut peut-être, sur sa tête, sur les berges, des drames effroyables se passaient.
La fusillade avait repris. Les coups de revolver éclataient fréquemment. Les balles devaient siffler. Qui tombait ? Les agents de la Force, sans doute…
– Je ne peux pas laisser se commettre des assassinats sans aller me jeter dans la mêlée !…
Et Juve s’offrait à aller accompagner le jeune Grouilleur, et le chef, ému, touché peut-être, applaudissait à son courage.
– Bien ! déclarait-il, Job Askings, tu es courageux. Je le savais. Bravo !
À ce moment, dans le bouge, cinq individus se rangeaient derrière le jeune homme qui était le fils du chef.
– On part ? demandaient-ils.
Juve fit un pas vers eux, mais le chef le retint.
– Attends ! dit-il.
Le vieillard semblait réfléchir ; brusquement il demanda :
– Job Askings, as-tu confiance en moi ?
– Sans doute ! fit Juve. Pourquoi ?