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Le Voleur d'Or (Золотой вор)
  • Текст добавлен: 15 октября 2016, 03:23

Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"


Автор книги: Марсель Аллен


Соавторы: Пьер Сувестр
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– Bien sûr, mon gros chéri, que ça me fera plaisir de te voir… mais oui, très plaisir !… Tu le sais bien, grande bête ! Seulement voilà… comprends donc… Faut surtout pas t’amener avant cinq heures ce soir… Tu me demandes pourquoi ?… Ah ! par exemple, ça c’est pas ordinaire !…

Si l’interlocuteur, à l’autre bout du fil, avait pu voir Paulette à ce moment, il aurait remarqué que la jolie fille esquissait un geste instinctif d’ignorance absolue.

Mais l’interlocuteur, le « gros chéri », ne pouvait qu’entendre ce que lui disait son interlocutrice.

Or, Paulette venait de trouver une explication plausible au délai qu’elle sollicitait à l’heure qu’elle imposait au « gros chéri ».

– C’est rapport à mon père, dit-elle, tu sais bien que c’est son jour, le mardi, qu’il vient me voir tous les mardis, et si jamais papa te rencontrait, ça ferait une histoire épouvantable… Oui, c’est entendu, tu seras gentil, tu ne viendras qu’à cinq heures… Je t’embrasse de tout mon cœur… Tiens, là ! sur le cornet du téléphone ! Je t’envoie mes baisers par le fil… Il ne faut pas plaisanter ? Ce sont des choses graves que tu as à me dire ? C’est toujours des choses graves !… Allô, allô, allons bon ! c’est coupé !…

Paulette Valmondois raccrochait le récepteur, l’appareil était posé sur la table de la petite salle à manger où se trouvait la demi-mondaine qui déjeunait en tête à tête avec sa bonne.

Celle-ci, une petite Normande aux yeux tout ronds, avait écouté avec la plus grande attention l’entretien de sa patronne au téléphone, elle s’en arrêtait de manger.

– Eh bien ? interrogea Paulette, qu’est-ce que t’attends, Frise-à-plat, pour finir le saucisson ?

La bonne, une toute jeune gamine, piquait dans le plat deux rondelles de cervelas, puis naïvement, après les avoir fourrées dans sa bouche, elle articula :

– Pourquoi c’est t’y que vous lui avions dit de ne point venir avant cinq heures… puisque vous n’avez rien à faire, sauf votre respect, que de vous regarder dans une glace tout l’après-midi ?

Paulette jeta un regard de mépris sur la bonne.

– T’es gourde, Fleur-de-Vice ! fit-elle ; tu n’as pas pour deux sous de raison… Penses-tu que je vais m’appuyer cet homme-là tout l’après-midi !… Tu crois qu’il est rigolo ?… Perpétuellement il a le trac d’être découvert par sa femme, toujours il me raconte que si sa famille était au courant ça ferait des histoires à n’en plus finir… Ah non ! de cinq à sept ça suffit !… Et puis d’abord c’est l’heure des adultères, et comme il est marié, ça lui va comme un gant !

La jeune bonne, qui avait fini le saucisson, reprit avec entêtement :

– N’empêche que c’est M. Léon Drapier, un bien digne homme autant que je pouvions le savoir par les pourboires qu’il me donne, qui paie tout chez vous !

– Ça c’est vrai, la Normande, le loyer, les meubles et le reste. Sans compter la couturière, ajoutait Paulette de Valmondois, qui éclatait de rire puis ajoutait : Tête-de-Pomme, va-t-en chercher les côtelettes !

La jeune bonne obéissait, revenait quelques instants après dans la salle à manger avec deux côtelettes à demi calcinées.

Les deux femmes en prenaient chacune une, et Paulette, sans rien dire, grattait consciencieusement toute la partie de la viande qui était transformée en charbon.

– Eh ben ? qu’est-ce que t’attends, interrogea-t-elle, Cordon-bleu à la manque, pour bouffer ?

Le cordon-bleu, ou soi-disant tel, déclara :

– C’est tout de même une drôle de place chez vous ; si on m’avait dit comme ça, quand j’ai quitté le pays, que je serais en place chez une patronne qui me fait manger à sa table, et qui m’envoie me promener pendant tout l’après-midi, j’aurions dit que c’était des menteries… et pourtant, c’est ben vrai tout de même !…

Paulette de Valmondois éclata de rire.

Et, imitant l’accent de la Normande, elle reprenait :

– C’est ben vrai tout de même ! Ah ! Fleur-de-Gourde, on voit que tu débarques de ton patelin ; n’empêche que tu vas te dessaler bientôt.

« Vois-tu, moi, quand je suis arrivée de la Bourgogne, c’est pas pour dire, mais j’étais aussi moule que toi. Mais ça n’a pas duré, je sais y faire, et je connais mon métier !…

– Tout de même, fit la Normande d’un air offusqué, c’est pas un métier qui convient à tout le monde d’être une demi-mondaine, il faut en avoir des mauvais instincts.

Subitement, Paulette de Valmondois devint toute rouge.

– Imbécile ! criait-elle, si c’était pas que j’ai pitié de ta bêtise je t’enverrais une carafe en travers de la gueule pour t’apprendre à causer ! Des mauvais instincts !… C’est encore des boniments que t’as entendu dire dans la loge ?…

La Normande, terrifiée, s’excusait :

– Sûr que c’est pas moi qui ai trouvé ça ! C’est la concierge qui dit comme ça qu’à force de recevoir toutes sortes d’hommes chez vous, vous finirez par être damnée !…

– Une imbécile aussi, la concierge ! gronda Paulette. Elle peut toujours chiner, elle prend bien la galette des hommes qui viennent me voir… quand ils lui donnent un pourboire. Et pour ce qui est d’avoir du vice, ma petite, apprends-le, je m’en fiche pas mal de tout le truc et de la suite !… Seulement, voilà : on ne choisit pas ! Tu verras cela plus tard, quand tu seras dégourdie. Il t’arrivera ce qui m’est arrivé et ce qui est arrivé à bien d’autres ; on vient à Paris pour gagner sa vie proprement, on trouve un amoureux qui vous a eu au boniment, qui vous plaque avec un gosse, on est chassée de partout et il faut pourtant que le petiot vive, qu’on paye ses mois de nourrice… Alors, on cherche du travail dans son métier, et comme on a un métier de crève-la-faim on se met la ceinture, jusqu’à ce qu’on rencontre dans la rue, ou ailleurs, un homme plus ou moins riche qui vous fait des propositions. On les accepte, il n’y a que le premier pas qui coûte. Allez ! c’est pesé, vendu, il n’y a qu’une mondaine de plus sur le pavé de Paris ! Ces choses-là arrivent tous les jours, ça n’a pas plus d’importance que cela… Seulement, lorsqu’on y réfléchit ou qu’une imbécile de bonne comme toi vient vous le rappeler, alors ça vous fait monter l’eau salée sous les châsses et le rouge qu’on se met aux lèvres vous rapplique sur le front !

« Allez, Boule-de-Beurre ! finis ta côtelette… Seulement, vois-tu, ça fait rager quand on se demande qui c’est qu’est le plus coupable de la pauvre fille qui crève de faim ou du salaud de bourgeois qui la débauche !…

La Normande était abasourdie. Elle aussi se sentait une furieuse envie de pleurer, car elle entrevoyait ce que pouvait être la misère morale de sa jolie patronne, qui lui semblait si heureuse, dans son peignoir de dentelle et ses bas de soie fins comme une toile d’araignée.

Au bout d’une seconde Paulette de Valmondois reprenait, après avoir sorti du petit sac à main qu’elle avait posé à côté d’elle sur la table un billet de cent francs :

– Tiens, voilà cinq louis, t’iras prendre un mandat tout à l’heure pour le père Martin, afin qu’il ne laisse pas mourir mon gosse sans lui donner à manger !

« Et je ne les ai pas volés, je te prie de croire, avec le vieux sénateur de cette nuit !…

Un coup de sonnette retentissait…

– Va voir qui peut bien venir à cette heure, conseilla la demi-mondaine.

La Normande s’en fut ouvrir, elle revint quelques instants après :

– C’est encore un homme qui demande à vous voir.

Paulette de Valmondois, malgré l’amertume qu’elle avait révélé au cours du déjeuner, semblait avoir repris toute sa gaieté :

– Eh bien, dit-elle, tu vois que ça ne chôme pas, mon commerce !

« Fais-le rentrer dans le boudoir et surtout lui demande pas son nom pour me l’annoncer ; ma clientèle, le plus souvent, tient à rester anonyme !

Quelques instants après, ayant au préalable été jeter un coup d’œil à sa personne, dans la psyché de son cabinet de toilette, Paulette de Valmondois, esquissant le sourire le plus aimable, pénétra dans le petit boudoir où l’attendait quelqu’un qu’elle salua, par habitude, d’un cordial :

– Bonjour, mon vieux !

Mais elle s’arrêta, interdite, en présence d’un personnage qu’elle ne connaissait pas !

– Oh ! Je vous demande pardon ! fit-elle, je croyais que c’était…

Elle ne nomma personne, n’ayant eu d’ailleurs aucune idée sur le visiteur qu’elle pouvait escompter.

L’inconnu cependant se levait lentement du divan sur lequel il s’était assis, puis articula d’une voix nette :

– Permettez-moi de me présenter, mademoiselle…

– Oh ! interrompit Paulette, faut pas que ça vous gêne, moi j’ai l’habitude qu’on ne me dise pas son nom !

« D’ailleurs, je sais pourquoi vous venez, c’est-y pas vous qui me faisiez de l’œil hier soir, quand je soupais place Pigalle ?

L’inconnu réprima un sourire :

– Je vais rarement place Pigalle, mademoiselle, et ce n’est pas moi qui vous ai remarquée, cette nuit ; au surplus je ne viens pas pour ce que vous croyez… Je suis l’inspecteur de la Sûreté Juve !

– Ah zut alors ! fit Paulette, Juve, le copain de Fantômas ?

– Non, mademoiselle ! mais là n’est pas la question. Permettez que je vous interroge rapidement… Vous vous appelez bien…

La demi-mondaine interrompait le policier :

– Paulette de Valmondois !

– Pardon, fit Juve, vous voulez dire Virginie Poucke, née à Saincaize, dans le Morvan ?

– Ah ! vous savez ? fit la jeune femme interloquée, eh bien oui, c’est vrai… Seulement, vous comprenez, pour la clientèle, un nom noble ça fait mieux… C’est pour ça que je leur dis à tous…

– Inutile d’insister ! fit Juve, j’ai compris !

Brusquement le policier sortait de son portefeuille deux documents, des lettres, qu’il mettait sous les yeux de la demi-mondaine.

– Voulez-vous me dire si vous connaissez cette écriture ?

Paulette considéra les papiers, puis elle rougit jusqu’à la racine des cheveux.

– Ma foi, non ! fit-elle en hésitant.

Mais le regard fixe de Juve l’impressionnait.

– Eh bien si ! déclarait-elle toute tremblante, c’est moi qui ai écrit ces certificats.

– Vous le reconnaissez ?

– Je le reconnais.

– Vous êtes au courant de ce qui s’est passé il y a quarante-huit heures ?

– À quel propos, monsieur ?

– Au sujet de l’assassinat du valet de chambre Firmain, trouvé mort dans l’appartement de M. Léon Drapier.

Paulette devenait livide.

– C’est-à-dire, fit-elle, que j’ai lu dans un journal quelque chose comme ça.

« Un domestique du nom de Firmain a été trouvé mort chez un M. D…, c’est ça ?

Elle s’interrompit un instant.

– Ah mon Dieu ! je comprends maintenant. D…, ça voulait dire Drapier ?… Et le domestique que l’on appelait Firmain, c’est…

– C’est celui, continua Juve, que vous désignez dans ces faux certificats.

Paulette se laissa choir dans un fauteuil.

– Que me dites-vous là, monsieur, ce n’est pas possible. Firmain, Firmain est mort assassiné ! Mais c’est épouvantable, c’est affreux ! Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !

La demi-mondaine semblait sur le point de défaillir. Juve alla ouvrir la fenêtre ; un peu d’air frais pénétra, le policier lui frappa dans les mains ; Paulette au surplus réagissait.

Elle sanglotait, désormais, doucement.

– Mon Dieu ! mon Dieu ! balbutiait-elle, dire que j’ai lu tout cela sans comprendre ! et que Léon ne m’a rien dit ! Mais, là… pas un mot de cette affaire ! Oh ! c’est affreux ! affreux !…

Juve sévèrement reprit :

– Mademoiselle, il faut me dire la vérité ! C’est très grave ! Quel est ce Firmain ?

– Mais, fit Paulette à travers ses larmes, c’est quelqu’un que je connais, qui cherchait du travail ; il m’a dit qu’il pourrait se placer s’il avait de bons certificats, que sans ça c’était inutile de chercher une condition. Alors j’ai écrit, moi, tout ce qu’il voulait.

Juve, fixement, considérait la jeune femme.

– Ce garçon, n’est-ce pas, c’était votre amant ?

– Non ! non ! monsieur ! C’était pas mon amant ! Ça, je vous le jure sur la tête de ma mère ! Ah ! par exemple ! mon Dieu ! mon Dieu ! le pauvre garçon !…

– Comment le connaissiez-vous ?

– Je ne sais pas ! je ne sais pas !… Vous savez, nous autres, on connaît un tas de gens qu’on voit, qu’on ne voit plus ou qu’on retrouve !…

Juve, malgré lui, se sentait gagné à là pitié par la douleur très sincère que semblait éprouver la demi-mondaine. Douleur toute faite d’émotion et de sensibilité, d’ailleurs ; il n’insista plus.

Au demeurant, la conviction de Juve était à peu près faite.

Et cependant que son interlocutrice se recueillait, cherchait à calmer sa douleur, le policier imaginait ce qui avait dû se passer.

Garçon d’hôtel ou de restaurant, sans doute, ce Firmain… qui, certainement avait eu l’occasion de rencontrer à maintes reprises Paulette de Valmondois, vraisemblablement était ou avait été son amant. Il tenait d’elle deux certificats faux qui lui permettaient de se placer et le hasard ou la mauvaise chance le conduisait chez Léon Drapier.

Par suite d’une fâcheuse coïncidence, il advenait que Léon Drapier reconnaissait cet homme, ou alors apprenait, devinait peut-être ses relations avec Paulette de Valmondois, leur commune maîtresse. Une scène éclatait entre les deux hommes et, furieux d’être trompé par son valet de chambre, Léon Drapier, au cours d’une altercation, assassinait ce dernier !

C’était là une hypothèse vraisemblable, il ne s’agissait plus que de savoir dans quelles conditions le drame s’était produit et ce qui avait pu le déterminer.

Juve laissait Paulette de Valmondois se reprendre, se réconforter, puis doucement il l’interrogea :

– Mademoiselle, fit-il, voulez-vous me dire la vérité très exacte ? Cela a beaucoup d’importance pour vous, comme d’ailleurs pour M. Léon Drapier…

« Dites-moi, le vendredi 27, qu’est-il arrivé, lorsque vous avez passé la soirée au théâtre, toute seule ?

« Êtes-vous rentrée chez vous ? Étiez-vous accompagnée ?

Juve s’attendait à une réponse négative, il fut très surpris lorsque Paulette lui déclara sur un ton de naïve sincérité :

– Mais oui, monsieur ! Mon amant est venu me chercher à la sortie. Il a passé la nuit entière chez moi, ce qui ne lui arrivait presque jamais…

– Votre amant ? fit Juve, duquel voulez-vous parler ?

– Mais, déclara Paulette, de Léon, de Léon Drapier !

– Ah ! murmura le policier, voilà qui change mon hypothèse !

Et, en effet, il se disait :

– J’étais convaincu que Léon Drapier n’avait pas passé la nuit dans son lit au moment du crime, mais je ne croyais pas qu’il était venu coucher chez Paulette !

« J’imaginais qu’au contraire il était resté tout le temps dans son cabinet de travail. L’affaire se complique singulièrement.

Juve, soudain, se demandait :

– Cette petite femme me dit-elle la vérité ? Drapier a-t-il réellement passé la nuit avec elle ?

Le policier interrogea encore :

– Quelqu’un a-t-il vu votre amant pendant cette nuit, soit entrer, soit sortir de chez vous ? C’est très important ce que je vous demande là… Réfléchissez bien…

Paulette obéissait, elle ferma les yeux, serra son front dans ses mains, puis au bout d’un instant déclara :

– Ma foi, oui, monsieur ; lorsque nous sommes rentrés vers deux heures du matin Léon Drapier s’est souvenu qu’il avait dans sa poche une lettre qu’il fallait mettre à la poste pour sa tante, une dame qui habite Poitiers, je me rappelle cela parce que je connais Poitiers, et alors il m’a dit : « Descendons jusque chez la concierge et donne-lui cette lettre qu’elle la mette à la boîte le plus tôt possible, demain matin… »

– Alors ? fit Juve.

– Alors, poursuivit la demi-mondaine, je suis allée jusque chez la concierge, et j’y ai dit : « C’est une babillarde à coller dare dare dans la fissure du bureau de poste ! » J’ai glissé une pièce de vingt sous avec et la concierge est allée faire la commission sur le coup de six heures du matin…

– C’est parfait, cela ! pensa Juve tout haut. Bien !… L’affaire, tout en se compliquant, s’éclaircit et l’innocence de Drapier m’apparaît désormais ! Certes, il a menti en déclarant qu’il avait passé la nuit chez lui ; mais je comprends qu’il l’a fait pour éviter une scène avec sa femme légitime. Seulement, ce mensonge aurait pu lui coûter cher !

Juve se leva.

– Mademoiselle, dit-il sévèrement avant de quitter Paulette, je dois vous prévenir que vous vous êtes mise dans une situation fort grave en fabriquant de faux certificats.

« Je reconnais que c’est dans une bonne intention, mais je vous conseille vivement de ne pas recommencer, et je vous signale qu’à l’heure actuelle vous encourez deux ans de prison !

Paulette devint livide.

– Ah, monsieur ! monsieur ! de grâce, ne m’arrêtez pas !

– Je ne vous arrête pas ! fit Juve, mais prenez garde !

Et sur cette recommandation le policier quittait la demi-mondaine.

Celle-ci demeurait écroulée, abasourdie, à demi effondrée sur le divan où elle venait de sangloter.

Soudain la Normande réapparut.

Elle avait son air niais et stupide de ses plus grands jours de bêtise.

Elle articula à voix haute :

– C’étions encore un autre homme pour madame, tout de même, ça en fait-t’y des billets !

Paulette sursautait de colère.

– Qu’on me foute la paix ! cria-t-elle, je ne veux voir personne !

Mais il était trop tard, la bonne avait introduit le visiteur dans le petit boudoir et s’éclipsait immédiatement.

– Qu’est-ce que vous voulez ? demanda Paulette au nouveau venu.

Celui-ci souriait aimablement, il avait l’air élégant, distingué, cossu, des yeux noirs brillaient dans son visage, qu’encadrait une grande barbe poivre et sel.

– Je veux vous voir, vous regarder, jolie Paulette, et vous dire aussi les tendres sentiments que vous m’inspirez !

– Zut alors ! fit la demi-mondaine, maussade, je crois que c’est pas le moment ! La police sort d’ici… j’ai plein d’embêtements !

– Vraiment ? fit le personnage, subitement intéressé, ne pourrais-je pas vous aider ?

– Qui c’est que vous êtes ? demanda Paulette.

– Un homme, ma chère enfant, qui s’intéresse à vous et qui ne manque pas de relations, bien au contraire ! Dites-moi ce qui s’est passé exactement avec le policier qui sort d’ici. Racontez-moi ce que vous lui avez dit.

Et l’homme ajoutait à part :

– Je saurai peut-être de la sorte ce qu’il convient de faire !

Paulette, qui, depuis qu’elle avait appris la mort de ce Firmain, était complètement désorientée, incapable, semblait-il, d’avoir la moindre volonté, d’une voix larmoyante raconta sans omettre un détail la conversation qu’elle venait d’avoir avec Juve.

Elle était si absorbée dans son récit qu’elle ne se rendait point compte de l’impression fâcheuse que celui-ci produisait sur le visiteur.

De temps à autre celui-ci grommelait à part :

– Mais c’est stupide ! idiot ! Mais les aveux de cette femme, déclarant que Léon Drapier a passé la nuit chez elle et qu’il était ici à l’heure du crime, innocentent complètement Léon Drapier ! Ah ! nom d’un chien ! serais-je arrivé trop tard ? Et va-t-il falloir recommencer ?

L’homme semblait animé d’une colère contenue.

– Ce Firmain, quels rapports aviez-vous avec lui ? Pourquoi lui avez-vous donné ces faux certificats ?

Paulette, torturée par toutes ces questions, et s’imaginant avoir affaire encore à un policier, se tordait les bras en sanglotant.

– Est-ce que je sais, moi ! J’ai cru bien faire !

L’homme questionnait comme Juve avait fait précédemment :

– Voyons, c’était votre amant ?

– Mais non ! non ! et non ! hurla, désespérée, Paulette de Valmondois. J’ai pas pu le dire à l’autre qui m’a bourré le crâne avec toutes ses questions, mais la chose est pourtant facile à comprendre, puisque Firmain, c’était mon frangin !… Là ! quoi !… Ça vous entre-t-il dans la caboche, maintenant ?

Mais tout d’un coup Paulette reculait terrifiée.

L’expression de son interlocuteur était devenue farouche. L’homme s’avançait menaçant vers la demi-mondaine…

Il sortit de sa poche un revolver, le braqua sur la jeune femme.

– Paulette, articula-t-il, écoutez bien les ordres que je vais vous donner !… Il faudra les exécuter sans oublier le moindre détail ! Sans quoi à la première défaillance, à la première faute, je t’abattrai comme une chienne ! Entends-tu bien ?

Un cri rauque retentit…

Assurément l’interlocuteur de Paulette ne s’attendait pas à une semblable attitude de la part de la jeune femme !

Celle-ci, à la vue du revolver qu’on braquait sur elle, au lieu de reculer, de s’immobiliser dans un angle de la pièce, avait foncé en avant, elle bousculait l’homme, puis bondissait hors du boudoir !

– Au secours ! au secours ! hurlait-elle éperdument…

Paulette traversait la salle à manger, elle arriva dans l’entrée, la porte s’ouvrait à ce moment, quelqu’un pénétra…

C’était Léon Drapier.

– Ah ! te voilà ! fit Paulette en se jetant dans ses bras, mais à sa grande surprise elle était repoussée par Léon Drapier.

– Misérable femme ! hurla celui-ci dont les yeux lançaient des éclairs, hein ! Tu ne m’attendais pas aussi tôt ? Tu croyais que je n’allais venir qu’à cinq heures, et que tu aurais le temps d’ici là de recevoir tes autres amants ? Ah ! quel être stupide j’ai été de croire à ton amour ! de croire à ta fidélité !… Parbleu ? je sais maintenant ce qu’il en est ! On a beau être bête et aveugle, on finit toujours par s’apercevoir de ces choses-là ! Je la connais, l’histoire de ton père ! Et je sais ce que cela signifie ! Ce père avait ton âge, et ils étaient plusieurs ! Et ils te donnaient de l’argent pour tes baisers ! C’étaient des amants que tu recevais, avec qui tu te moquais de moi. Tiens, je ne sais pas ce qui me retient…

Il levait la main sur Paulette, à demi folle d’épouvante, terrifiée par ce qui venait de se passer, abasourdie par ce qu’elle entendait, ne pouvant proférer une parole.

Elle était semblable à la bête traquée que les chasseurs cernent de tous les côtés, et ce n’était certes pas sur l’appui de la petite Normande qu’elle pouvait compter !

La jeune bonne, en entendant des altercations, s’était enfermée dans la cuisine et traînait le buffet et les chaises devant la porte, terrifiée, ne songeant qu’à une chose, c’était à ne point sortir de cette pièce qui, seule, croyait-elle, lui assurait la sécurité !

– Léon ! balbutia enfin Paulette de Valmondois, je te jure que Firmain n’était pas mon amant et que si j’ai donné des certificats… c’était pour faire plaisir à mon frère, mais je ne savais pas qu’il allait aller se placer chez toi !

« Ah mon Dieu ! dire qu’il est mort assassiné !…

C’était au tour de Drapier de rester abasourdi en entendant les propos que tenait sa maîtresse. Il commençait à comprendre et recueillant, bribe par bribe, les renseignements sur ces étranges aventures qui se produisaient depuis quelques jours, il parvenait à les ordonner ensemble, à en faire un tout.

Léon Drapier, en effet, se rendait compte que, par un extraordinaire hasard de circonstances, c’était précisément chez lui qu’était venu se placer un certain valet de chambre pour lequel sa maîtresse avait rédigé des certificats. Or, voici qu’il apprenait maintenant que ce valet de chambre n’était autre que le frère de Paulette !

Quelle épouvantable histoire !

Quelle extraordinaire aventure !

Mais l’inquiétude, toutefois, troublait Léon Drapier plus que tout le reste.

– Pourvu, se disait-il, que ma femme ne sache jamais ce qui s’est passé et que tante Denise ne soit jamais au courant !…

Car le directeur de la Monnaie entrevoyait que, non seulement sa femme demanderait le divorce, mais qu’en outre sa tante, la prude et chaste Denise, ne manquerait point de le déshériter si elle était au courant du moindre incident !

La colère égoïste de Léon Drapier allait se manifester par des exclamations violentes contre Paulette mais celle-ci les prévenait par une supplication.

– Léon Drapier ! Léon ! Léon ! fit-elle, protège-moi ! Sauve-moi ! il y a un homme dans mon boudoir, un homme avec un revolver qui a voulu m’assassiner ! C’est un policier, j’en suis sûre ! Il est encore là, empêche-le de me faire du mal !…

Léon Drapier haussait les épaules.

– Allons donc ! fit-il des histoires, pour détourner la conversation ! Depuis quand les gens de la police se font-ils meurtriers ? C’est une farce inventée à plaisir ! Encore quelque amant que tu me caches ! J’ai été dupe de tes mensonges, j’ai été assez bête pour croire à ces histoires de père qui venait te voir… Certes ! tout est bien fini entre nous, Paulette, tout est fini, et je ne me laisserai pas moquer de moi ! Ah ! je vais lui parler, à ce soi-disant policier ! Et puisqu’il se cache dans ton boudoir, il n’ira pas ailleurs ! À nous deux, monsieur !

Léon Drapier, fou de colère, traversa la salle à manger et pénétra dans le boudoir, la canne levée, le regard menaçant.

Mais il s’arrêtait au milieu de la pièce… Celle-ci était vide.

– Lâche ! cria-t-il, montrez-vous !

Et, du bout de sa canne, il écartait un rideau près de la fenêtre, s’imaginant que là était caché le soi-disant policier qui, en réalité, ne devait être autre qu’un amant de Paulette !

La porte de la chambre à coucher toute voisine était entrebâillée.

– Il est là ! pensa-t-il.

D’un coup de pied, Léon Drapier ouvrit cette porte, entra dans la chambre, elle aussi était vide…

Mais alors qu’il allait revenir dans la salle à manger, il s’arrêta net et blêmit.

Un coup de feu venait de retentir, suivi d’un cri déchirant.

– Ah ! par exemple ! commença Drapier.

Il s’arrêta, prêta l’oreille, une voix tonitruante articulait à l’autre bout de l’appartement :

– Tel est le sort de ceux qui résistent à Fantômas !…

Puis ce fut le silence absolu, plus impressionnant encore que les terribles bruits qui venaient de retentir !

Léon Drapier demeurait immobile pendant près de cinq minutes dans la chambre à coucher, n’osant même pas respirer tant il avait peur.

Que s’était-il passé ?

Il voulait savoir, et cependant n’osait pas !

Il redoutait quelque nouveau drame, quelque effroyable complication.

Enfin, n’entendant rien, il s’avança et, lentement, après avoir traversé le boudoir vide, il pénétra dans la salle à manger. Un spectacle horrible s’offrait à sa vue.

Tombée à la renverse sur le plancher, Paulette de Valmondois gisait, toute couverte de sang !

Un revolver était à côté d’elle, et c’était tout. Il n’y avait personne d’autre ; mais la porte donnant sur l’antichambre était entrouverte, celle du palier n’était pas fermée. En l’espace d’une seconde, Léon Drapier comprit qu’un malfaiteur venait de s’enfuir ou alors que, peut-être, c’était Paulette de Valmondois qui s’était elle-même tiré ce coup de revolver, désespérée par les propos que venait de lui tenir son amant.

Léon Drapier ne s’arrêtait point à la première hypothèse.

Il ne songeait plus au cri qu’il avait entendu, à la menace proférée par cette voix mystérieuse qui avait articulé le nom de Fantômas !

Il ne considérait qu’une chose…

C’est que sa maîtresse agonisait sur le plancher, à côté d’un revolver, et qu’assurément un nouveau scandale allait éclater.

– Ma tante !… ma femme !… mon héritage !… pensa Léon Drapier.

En l’espace d’une seconde, il vit son existence mise à jour dans les journaux, son adultère connu de tous, sa femme rompant avec lui, et sa tante le rayant, à tout jamais, de son testament. Non, non ! il fallait qu’à aucun prix on ne sût ce qui s’était passé, et qu’il se trouvait chez Paulette de Valmondois au moment où celle-ci se donnait la mort…

Égoïstement, lâchement, Léon Drapier se disait :

– Elle va mourir ! c’est certain ! Peut-être est-elle déjà morte ; elle ne dira rien ! rien !

Alors, enjambant le corps inerte de la malheureuse, relevant le col de son pardessus pour dissimuler son visage en enfonçant son chapeau sur ses yeux, Léon Drapier, à pas de loup, quitta le tragique appartement dans lequel venait de se jouer un drame aussi inattendu qu’extraordinaire !




VII


Suicide ou assassinat

Le long de la Seine, un homme marchait. Il fumait une cigarette, puis, l’ayant consumée à moitié, il la jetait, mais en allumait une autre aussitôt après, avec des gestes nerveux qui trahissaient incontestablement de sa part une émotion singulière.

Ce homme-là, cependant, était, de par sa profession, obligé à conserver sans cesse son sang-froid et accoutumé aux complications les plus extraordinaires. Certainement, au premier abord, on pouvait être étonné de le voir agité.

Cet homme, en effet, n’était autre que Juve.

Le célèbre inspecteur de la Sûreté avait, trois heures auparavant, quitté le domicile de Paulette de Valmondois. Après sa rapide visite à la demi-mondaine, il s’était confirmé dans cette hypothèse qu’assurément l’amant de la jeune femme n’était pas et ne pouvait pas être coupable de l’assassinat du valet de chambre Firmain.

Sans s’en douter, au cours de son interrogatoire, Paulette de Valmondois avait fourni à Juve un argument très probant en faveur de l’innocence de son amant.

Pour que Léon Drapier ne fût point suspect, il s’agissait en effet de démontrer qu’il avait passé la nuit entière, la nuit du crime, hors de son domicile.

Sa déclaration cependant pouvait ne pas être prise en considération, la justice pouvait également suspecter sa maîtresse d’une certaine complicité et ne croire qu’en partie les déclarations de Paulette de Valmondois affirmant que Léon Drapier avait passé la nuit du crime avec elle, si rien n’était venu corroborer cette assertion.

Mais au cours de son interrogatoire, Paulette avait dit à Juve :

– Léon Drapier est descendu confier à la concierge une lettre qu’il s’agissait de mettre à la poste, vu l’urgence.

Et cela avait éclairé d’un jour tout nouveau l’affaire aux yeux du célèbre policier.

– Le voilà bien, l’alibi qui innocente Léon Drapier, s’était dit Juve, à la condition toutefois que la déclaration de Paulette de Valmondois soit bien exacte.

Et Juve avait quitté la demi-mondaine pour s’en aller interroger la concierge qui lui avait confirmé la déposition de sa locataire.

Juve, toutefois, ne s’était pas considéré comme suffisamment édifié encore.

– Ces deux femmes peuvent s’entendre, songeait-il.

Et, pour contrôler leurs déclarations, Juve s’était alors rendu au commissariat de police de la rue de l’Université, il avait consulté le dossier de l’affaire, et il avait fini par y découvrir, au nombre des pièces considérées comme sans importance, la lettre expédiée par Drapier à sa tante Denise.

Or, cette lettre était encore dans son enveloppe, et l’enveloppe portait bien le timbre de la première levée du matin, date coïncidant avec celle du crime.

Juve alors s’était estimé satisfait et renseigné. Mais s’il acquérait la certitude de l’innocence de plus en plus évidente de Léon Drapier, le mystère se compliquait à ses yeux. Le motif du crime, comme la personnalité de l’assassin, cessait de plus en plus de lui apparaître.


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