Текст книги "Le Voleur d'Or (Золотой вор)"
Автор книги: Марсель Аллен
Соавторы: Пьер Сувестр
Жанр:
Иронические детективы
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– C’est juste ! reconnut-il avec un sourire et ayant presque l’air de s’excuser. C’est juste, Cuche ! Je ne vous avais pas prévenu… Eh bien, le ministre vient ce matin. Il vient même deux ministres.
– Ils auraient bien pu rester chez eux ! répondit Cuche. Enfin, soyez tranquille, patron, on va faire le nécessaire.
À ce moment, précisément, M. Havard sursauta. Cuche, pour l’écouter, s’était appuyé contre la porte qu’il avait fermée derrière lui. Or, on frappait à cette porte.
– Ah ! nom de Dieu ! grommela le chef de la Sûreté, je parie que ce sont eux !…
Mais Cuche, qui s’était reculé, livrait passage, non pas à une excellence, mais tout simplement à Juve.
Juve, lui aussi, avait fait des frais d’élégance. Toutefois, comme Juve était beaucoup plus simple que M. Havard, comme il avait aussi moins besoin de l’appui des ministres, il s’était tout bonnement contenté, dans son souci d’élégance, de passer un vêtement un peu plus frais que son veston de tous les jours, et d’arborer une cravate neuve, cadeau que lui avait fait Fandor à l’occasion de sa fête.
M. Havard, qui connaissait Juve merveilleusement, jugea les choses d’un coup d’œil.
– Bonjour, mon cher ! disait-il. On est de corvée, ce matin !
– C’est ce que m’a appris votre télégramme, répondit Juve. Il paraît que le ministre de l’Intérieur se rend chez vous ce matin ?
– Pas seulement lui ! répondit M. Havard… Le ministre de la Justice vient aussi.
Juve écoutait le chef de la Sûreté avec un sourire amusé.
– C’est bien cela ! murmurait-il. Quand on sent un scandale, tout le monde se remue ! Si seulement il y allait de l’intérêt général, chacun resterait bien tranquillement chez soi… Enfin, c’est la nature humaine !
Juve achevait à peine de parler, il venait tout juste de plier soigneusement ses gants qu’il avait remis dans sa poche lorsque la porte du cabinet de travail s’ouvrait toute grande, et Cuche, raidi dans une attitude d’apparat merveilleuse, annonçait d’une voix de stentor, avec toute l’habileté d’un huissier bien stylé, les personnages qui le suivaient :
– Leurs Excellences messieurs les ministres ! monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de la Justice, monsieur le ministre des Finances !
Trois personnages suivaient Cuche, en effet. Celui-ci avait bien fait de les nommer et de les présenter car, à coup sûr, quelqu’un de non prévenu n’aurait jamais deviné qu’il s’agissait là des plus hauts membres de la nation.
Le ministre de l’intérieur était un petit homme ayant un peu l’air d’un bourgeois effacé. On n’aurait pas prêté attention à lui, on l’eût considéré comme un personnage de piètre importance, si une flamme extraordinaire n’avait par moment brillé dans ses yeux.
Cet homme flambait par le regard. Il était impossible, lorsqu’il vous fixait, de ne pas deviner en lui une intelligence extraordinaire, une volonté tenace, ce que l’on appelle une âme et une âme de fer.
Derrière lui, le ministre de la Justice, un ancien magistrat que les hasards de la politique avaient appelé au poste de garde des Sceaux, avait la face débonnaire d’un homme encore tout surpris de ses succès et s’accoutumant peu à sa haute fortune.
Il n’en était pas de même du ministre des Finances. Celui-là était grand, maigre, cassé en deux. Il avait un nez busqué, une paire de lunettes épaisses chevauchait sur ses yeux, ses doigts étaient tachés d’encre. On le disait très travailleur, c’était une autorité dans le monde des finances, mais il n’avait aucune habileté pour en imposer et, d’ailleurs, ne cherchait pas à tenir figure dans les réunions élégantes.
M. Havard, cependant, s’était élancé au-devant de ses visiteurs. Il multipliait les courbettes, avançait des chaises, distribuait à tout propos, et par moments hors de propos, de pompeuses appellations.
– Mais oui, monsieur le ministre… Mais certainement, monsieur le ministre… Que monsieur le ministre veuille bien faire attention…
Il avait tout le zèle d’un fonctionnaire dont le mérite n’aurait aucune valeur s’il ne pouvait pas s’appuyer sur un peu de faveur personnelle.
Les trois visiteurs, cependant, avaient, d’un même coup d’œil dévisagé Juve qui s’était simplement incliné à leur entrée.
Le ministre de la Justice ne connaissait pas le policier. Il en était de même pour le ministre des Finances. Tout au contraire, le ministre de l’intérieur marcha cordialement vers lui, lui tendant la main avec une simplicité qui n’était pas sans grâce.
– Tiens, voilà Juve ! faisait-il. Enchanté de vous voir… Vous allez travailler avec nous ?
Le policier, nullement troublé par la familiarité du ministre, ce qui d’ailleurs stupéfiait M. Havard, qui se sentait, lui, beaucoup moins à l’aise, consulta tranquillement sa montre.
– Messieurs, déclarait-il, je puis facilement vous consacrer trois quarts d’heure. Mais à onze heures, il faudra que je vous quitte. Je suis convoqué pour l’instruction, je dois aller assister à un interrogatoire… pardon, à une déposition de M. Léon Drapier !
Alors le ministre de l’intérieur se tourna vers M. Havard :
– Eh bien, faisait-il, puisque Juve est pressé et que nous-même nous n’avons pas grand temps, procédons immédiatement.
Le ministre venait de prendre une chaise. Assis, les mains croisées sur une petite table qu’il avait devant lui, il n’avait plus rien de l’homme timide et effacé qu’il était un instant avant. Son regard dominait la séance, ses gestes en imposaient.
– Mes collègues et moi, continua le ministre de l’intérieur, s’adressant à M. Havard et par moments se tournant un peu vers Juve, nous sommes venus vous voir ce matin, messieurs, en raison d’une préoccupation particulièrement grave. Vous n’ignorez pas, n’est-ce pas, ni l’un ni l’autre, le redoutable scandale qu’amènerait une accusation infamante portée contre M. Léon Drapier, l’actuel directeur de la Monnaie ?
Juve, à ce moment, ne put s’empêcher de sourire.
– Nous y voilà, pensait le policier. Le gouvernement a le trac du scandale !
Le ministre de l’intérieur continuait cependant :
– D’autre part, monsieur Havard, les responsabilités ministérielles, le souci de faire notre devoir ne peuvent nous permettre d’étouffer une affaire, si réellement cette affaire mérite qu’on lui donne une certaine ampleur. Il y a là deux intérêts contraires qui se heurtent et, naturellement, mon collègue de la Justice sera de mon avis, c’est l’intérêt supérieur de l’équité qui doit l’emporter sans débat.
– Tirade de tribune ! pensa Juve.
Le ministre de l’intérieur, cependant, ces déclarations faites, continuait, fixant cette fois très franchement M. Havard :
– D’autre part, vous nous avez signalé, monsieur Havard, depuis quelque temps, que l’on émettait régulièrement dans le public d’extraordinaires louis d’or qui n’étaient pas sans nous inquiéter un peu. Mon collègue des Finances m’a dit, il est vrai, que ces louis d’or n’étaient pas faux, qu’ils étaient à coup sûr parfaitement titrés, mais que, cependant, leur mise en circulation constituait une irrégularité fort grave. Ainsi que vous l’aviez pressenti, monsieur Havard, ces louis d’or sont, en quelque sorte, faux sans l’être. Ils sont, en effet, d’une frappe qui n’est pas complètement achevée, ils appartiennent, pour tout dire, à une série qui, en cours de fabrication à la Monnaie, ne devait pas être distribuée au public avant une période d’au moins un an…
Le ministre de l’Intérieur se tournait à ce moment vers Juve et l’interrogeait :
– Vous saviez cela, n’est-ce pas ? M. Havard vous a tenu au courant ?
– Parfaitement, répondit Juve.
Et, charitable, le policier n’ajoutait pas qu’il le savait d’autant mieux que c’était lui qui avait averti M. Havard qui, sans doute, s’était targué de la découverte auprès du gouvernement.
Le ministre de l’intérieur poursuivait, sur le même ton dont il aurait développé un rapport à la tribune du Parlement :
– Ces louis d’or véritables, mis en circulation à une date qui ne correspond point avec les nécessités budgétaires, nous inquiétèrent naturellement. J’en parlai à mon collègue des Finances qui, lui-même, interrogea Léon Drapier et cela il y a tout juste trois jours, dans mon propre cabinet.
M. Havard hochait la tête très intéressé, il osa se tourner vers le ministre et demanda :
– Alors, monsieur le ministre, alors l’affaire ne s’est pas éclaircie ?
– Tout au contraire, elle devint plutôt obscure, car Léon Drapier jura ses grands dieux qu’aucune pièce d’or n’avait pu sortir de la Monnaie à la frappe nouvelle, pour la bonne raison que les flancs n’avaient pas encore été essayés.
Le ministre de l’intérieur, à ce moment, baissait un peu le ton, il ajoutait :
– Naturellement, les questions posées à Léon Drapier n’ont pas eu le caractère d’un interrogatoire. Nous avons parlé discrètement et tout simplement sur le ton d’une conversation amicale.
Puis, se tournant vers le ministre de la Justice, le président du conseil continuait :
– Mon collègue, toutefois, est en ce moment saisi, vous ne l’ignorez pas, monsieur Havard, et vous non plus, Juve, d’une double affaire d’assassinat assez bizarre : assassinat d’un valet de chambre, tentative d’assassinat et assassinat d’une demi-mondaine, dans laquelle se trouve impliqué, je ne veux pas dire compromis, précisément M. Léon Drapier. Tout cela fait un ensemble extraordinaire, occasionne une confusion équivoque, il faut en sortir !
La façon dont le ministre disait qu’il fallait en sortir était vraiment significative. Il y avait de l’exaspération dans sa manière de parler. Il y avait aussi de l’entêtement. Sa main avait eu un geste net et catégorique, balayant l’air, comme s’il eût voulu mieux marquer l’intention où il était de faire table rase des événements surprenants.
– C’est à ce moment, continuait-il enfin, que je vous ai fait prier, monsieur Havard, d’organiser une filature discrète et de tâcher de savoir de façon exacte qui émettait et comment on émettait ces louis de vingt francs qui sont, si j’ose m’exprimer ainsi, des louis antidatés.
Le ministre se taisait, regardant d’un rapide coup d’œil ses collègues pour s’assurer qu’ils avaient bien suivi ses explications et qu’ils étaient au fait, maintenant, de la difficulté nouvelle.
– Monsieur Havard, déclarait-il, je vous laisse la parole. Vous m’avez prévenu hier que vous aviez du nouveau, j’attends vos déclarations.
– Monsieur le ministre, je suis à vos ordres et je vais contenter votre curiosité.
M. Havard sonnait, Cuche apparut.
– Faites entrer l’inspecteur Léon !
Cuche disparut, l’inspecteur Léon entrait quelques minutes après.
Léon n’avait pas changé. C’était toujours l’habile et diligent inspecteur, c’était toujours le sous-ordre préféré de Juve, qui appréciait de plus en plus son dévouement, sa fidélité, son intelligence aussi.
Il y eut une rapide présentation, puis M. Havard demanda :
– MM. les ministres vous écoutent, Léon, racontez-nous votre enquête d’hier.
Juve, à ce moment, tapotait d’un air distrait le coin du bureau de M. Havard, auquel il s’était accoudé. Le policier ne paraissait pas prêter très grande attention aux paroles que l’on prononçait devant lui. Son attitude indifférente, toutefois, était peut-être plus voulue que réelle, car Juve, en réalité, n’avait pu s’empêcher de tressaillir en écoutant les déclarations du ministre, en entendant prononcer le nom de Léon Drapier.
Juve prêtait donc une attention soutenue aux paroles de Léon.
Celui-ci, fort simple, comme à son ordinaire, exposait brièvement ses recherches à la façon dont il eût fait un rapport quelconque en tête-à-tête avec M. Havard.
– Voici ce que je sais, messieurs, disait-il. J’avais un ordre de service m’enjoignant de découvrir les individus émettant des louis d’or antidatés. On m’avait donné le modèle d’un de ces louis d’or. L’ordre était vieux de trois jours ; hier au soir je commençais à me désespérer et à me demander si j’arriverais à un résultat, lorsque, en compagnie de mon ami, l’inspecteur Michel, j’eus une très agréable surprise…
Une quinte de toux coupait la parole à Léon, qui était horriblement grippé. Un peu calmé, il reprenait :
– Nous nous promenions, Michel et moi, à la fête foraine qui se tient sur les boulevards extérieurs à la hauteur de la rue de Flandre. Nous étions venus là avec l’idée que, les faux monnayeurs cherchant tous les endroits possibles pour écouler leur marchandise, il était après tout admissible qu’ils viennent faire un peu la bombe au cours de la soirée… Dans la pègre, quand on a de l’argent, on s’amuse, quand on s’amuse, on fait des imprudences ! Le tout, c’est de deviner les imprudences !
– Très bien ! ponctua Juve comme malgré lui.
– Nous nous promenions donc sur le boulevard, lorsque tout à coup je heurtai au passage un couple qui n’était autre qu’un couple d’apaches fort connu de moi pour être susceptible de tous les mauvais coups. Je n’aurais cependant rien eu à dire, car je n’avais aucun mandat à l’endroit de ces individus, lorsque, les ayant heurtés, j’ai eu la surprise d’entendre un tintement extraordinaire dans leurs poches. On eût dit que ces gens-là étaient remplis de monnaie. Cela attira mon attention.
– Très bien ! dit encore Juve.
Léon continua :
– Michel, immédiatement, me proposa une filature. Cela ne devait pas être difficile, d’ailleurs. La femme était grise, l’homme paraissait un peu gai. Nous leur emboîtâmes le pas.
– Et alors ? questionna malgré lui le ministre de l’intérieur, tout comme s’il n’avait pu résister à l’intérêt de ce roman vécu que racontait l’inspecteur, et alors ?
– Oh, c’est bien simple ! termina Léon. Nous vîmes les individus entrer dans trois ou quatre baraques. Partout ils payaient avec des louis d’or, et précisément avec des louis d’or semblables à ceux dont l’émission était suspecte. Il n’y avait pas à hésiter, nous avons arrêté les coupables.
Cette fois, le ministre de l’intérieur battit des mains.
– Bravo, bravo !… dit-il. Et ces individus, où sont-ils ? Qu’ont-ils dit ?
Ce fut M. Havard qui reprit la parole :
– Ils n’ont rien dit du tout. Fouillés, on les a trouvés porteurs d’une quantité de pièces d’or, mais ils n’ont pas voulu en indiquer la provenance. Quant à l’endroit où ils sont, c’est bien simple, ils sont dans la cuisine !
Mais, à ce moment, M. Havard rougit comme un écolier pris en faute et se mordit les lèvres. Il venait de laisser échapper un mot imprudent, il le regrettait de toute son âme, avec le vague espoir que le ministre de l’intérieur ne l’avait pas remarqué.
La « cuisine » est, en effet, en argot policier, non seulement une pièce de la permanence des agents de la Sûreté, mais surtout une opération, une manœuvre que la loi n’a pas prévue, contre laquelle tous les ministres s’élèvent et que tous les policiers, à part de bien rares exceptions, n’hésitent pas à pratiquer.
Juve s’apercevait de l’embarras du chef et dissimulait mal un sourire satisfait.
Juve ne pouvait sentir la cuisine. Il trouvait le procédé honteux, jamais il ne l’avait appliqué. Cuisiner un inculpé, c’est en effet tenter de surprendre sa bonne foi, de capter sa confiance en lui mentant sans vergogne. C’est un peu se mettre à son niveau, c’est user de fourberie et de lâcheté, c’est exécuter un chantage moral !
Les pauvres bougres que l’on arrête, en effet, sont le plus souvent quelque peu effarés lorsqu’ils se sentent pris dans le terrible engrenage qu’est la machine judiciaire. Ils perdent la tête, ils s’épouvantent. Or, l’homme est ainsi fait qu’à l’instant où il a peur, quel qu’il soit, il éprouve le besoin d’une amitié, d’un confident, d’une compassion, d’une plainte.
C’est alors que les policiers cuisinent. On laisse tranquillement l’inculpé s’effrayer, solitaire, dans sa cellule. On affecte une sévérité exagérée à son endroit, cela s’appelle, en argot, lui faire faire cornichon. Et quand l’inculpé est arrivé à un degré complet de désespoir, un nouveau policier paraît. Celui-là affecte d’être bon type. Il cause, il plaisante avec le prisonnier, il ne prend pas son affaire au sérieux. À l’entendre, tout s’arrange, l’important, c’est de ne pas rouspéter et de ne pas nier ce qui n’est pas niable.
Le policier va quelquefois, et de là vient le terme de « cuisine », jusqu’à offrir à sa victime un bon repas qu’il fait venir d’un restaurant voisin. Il dîne lui-même avec le prisonnier, les verres se heurtent, on devient copains et, tout naturellement, l’homme arrêté perd de sa méfiance, croit avoir trouvé un ami, se confesse, avoue, demande des conseils…
Alors, il est perdu !
La cuisine a réussi.
L’agent qui vient de se conduire comme un mouchard rédige un rapport, note les aveux, les communique au juge d’instruction.
C’est une traîtrise de plus, c’est un succès de plus aussi pour le policier !
Juve, maintes fois, avait protesté contre l’usage de pareilles pratiques. M. Havard s’entêtait à les tolérer.
– Bon ! bon ! pensa Juve, constatant l’embarras de son chef. Si par hasard il trinquait, ce ne serait pas volé !
Mais le ministre de l’intérieur avait évidemment d’autres préoccupations à ce moment et ne songeait pas à gourmander M. Havard.
– Pressons-nous, murmurait-il. Si nous interrogions ces gens ?
Un timbre retentit à nouveau. Cuche parut.
– Avertissez à la permanence, ordonna M. Havard, qu’on fasse monter les deux individus qui attendent !
Il fallut quelques secondes pour que l’ordre s’exécutât.
Enfin, la porte du cabinet du chef s’ouvrit, Mon-Gnasse et la Puce entrèrent. Mon-Gnasse avait le visage fleuri, et la Puce elle-même paraissait d’excellente humeur. Mon-Gnasse, d’ailleurs, s’essuyait la bouche du revers de la manche, il sentait encore le vin.
– Et voilà ! annonçait-il en entrant, se dandinant sur ses hanches et inspectant d’un coup d’œil le cabinet du chef de la Sûreté. Bonsoir, m’sieurs dames !… Tout d’même, on aurait bien pu nous laisser finir le gueul’ton ! Quoi qu’y n’y a ?
L’attitude de Mon-Gnasse, immédiatement, renseigna M. Havard.
Assurément, si l’apache se tenait ainsi, c’est qu’il n’avait rien avoué du tout, c’est que la cuisine, interrompue trop tôt peut-être, n’avait pas encore eu de résultats.
M. Havard, furieux, se fit brusque et cassant.
– Taisez-vous, ordonnait-il, avancez !
Mais ni Mon-Gnasse ni la Puce n’obéissaient. La Puce, d’ailleurs, regardait les ministres, un large sourire épanouissant sa figure :
– Ah, mince de flics, alors ! lâchait-elle. Non, mais qu’est-ce qu’on nous veut donc ?
Le ministre de la Justice pouffa, cependant que ses collègues gardaient avec peine leur sérieux.
Alors la Puce ne retint pas sa gaieté.
– Eh, p’tit père, fit-elle en toisant le garde des Sceaux… Sûrement qu’tu viens d’enterrer ta femme, pour et’si gai !… Qu’est-ce que t’as à t’secouer la bedaine ?
– Assez, assez, taisez-vous ! ordonna M. Havard, qui frémissait d’épouvante.
La Puce se tut, haussant les épaules, cependant que Mon-Gnasse, tranquillement, crachait par terre, pris soudain d’une colère furieuse.
– Ah puis, ça va bien ! faisait-il. Faudrait voir à voir à n’pas nous engueuler ! On n’est pas des zigs à s’laisser faire… J’veux des égards pour ma marmite, moi !
M. Havard coupa net la tirade.
– Je vous préviens, disait-il, que si vous continuez sur ce ton, je vais sévir…
Mais Mon-Gnasse se trompait et ne comprenait pas.
– Qu’est-ce que tu vas servir, farceur ? Ah ça, c’est donc la tôle au grand Dab, icigo ?… On vient d’se caler l’estomac et tu parles de r’commencer ? C’est ta tournée, alors ? Tu payes le café ?
Mon-Gnasse, évidemment, crânait. M. Havard, cependant, le laissait aller, sachant fort bien, grâce à son habitude des interrogatoires, que les accusés qui bavardent beaucoup, posent à être forts, sont en réalité ceux qui se troublent le plus.
Tranquillement, M. Havard demandait :
– Allons, allons, du calme ! Et finissons-en ! Voyons, ne nous faites pas perdre de temps ! Voulez-vous avouer, Mon-Gnasse ?
Or Mon-Gnasse, à cette demande, feignait une profonde stupéfaction.
– Avouer quoi ? demandait-il. Qu’on a fait un gueul’ton soigné ? Ça, j’veux bien, quand c’est que l’gouvernement raque, il n’est pas trop raleux, mais c’est tout c’que j’peux avouer…
Et, se frappant sur la poitrine, Mon-Gnasse continuait :
– On est des innocents, nous autres… des anges du paradis… des Jésus… On n’a rien sur la conscience… C’est-y pas vrai, d’abord, la Puce ?
– Sûr et certain ! confirma la Puce.
– Même, ajoutait Mon-Gnasse, qu’on s’en allait pour une nuit d’amour, lorsque les cognes nous ont fait bons… Rapport à quoi ? on n’sait pas !
Puis Mon-Gnasse se montait, la colère semblait le reprendre :
– Et d’ailleurs, achevait-il, ça s’passera pas comme ça !… Si c’est qu’on n’nous rend pas à nos familles, qui sont sans doute dans les larmes, on va faire du raffut !… Tiens, mais des fois, on est en République, aussi !… Pourquoi qu’on nous poisse quand on n’a rien fait ? J’écrirai au Miniss !
Juve, qui n’avait rien dit, se leva brusquement :
– Ah ! tu veux écrire au ministre ! faisait-il, tutoyant Mon-Gnasse avec l’autorité et le sang-froid d’un homme qui en a vu de plus rebelles et de plus durs… Eh bien, mon petit, ce n’est pas la peine de te gêner. Allez, vas-y, parle !… Voilà précisément le ministre de l’intérieur, le ministre de la Justice et le ministre des Finances !
Or, à ces mots, Mon-Gnasse, stupéfait, reculait. Brusquement, il se sentait mal à l’aise. C’était d’une voix beaucoup moins assurée qu’il rétorquait à Juve :
– Des ministres, ces mal fichus-là ?… Non, mais ça n’prend pas ! Faudrait la faire à d’autres ! On est d’Pantruche !…
M. Havard se sentit défaillir.
Les ministres ne bronchaient pas.
Juve, de son côté, ne se troublait aucunement. C’était malgré lui qu’il était intervenu, et parce qu’il trouvait que M. Havard conduisait mal l’interrogatoire.
Il déclara nettement :
– Mon-Gnasse, tu es un imbécile ! Tu veux nier l’évidence, mais cela ne sert à rien. Quand le bifteck est là, il faut se mettre à table !
Les ministres, à cet instant, ne comprenaient peut-être pas, mais Mon-Gnasse, en revanche, saisissait parfaitement l’argot de Juve.
Se mettre à table, c’était avouer… Et ce que Juve désignait par le bifteck, c’était évidemment le corps du délit…
Mon-Gnasse pourtant voulut ruser :
– Le bifteck, quoi ? dit-il. Où c’est qu’il est ? J’le zieute pas, moi !… On n’a rien contre nous !
Mais dès lors que l’apache commençait à discuter, dès lors qu’il répondait aux questions qu’on lui posait, il était d’avance perdu.
Juve ne lui laissa pas le temps de réfléchir.
– Le bifteck, déclarait-il, ce sont les pièces d’or que vous aviez hier soir, toi et ta femme. D’où viennent-elles ? Allons, parle !
Le teint de Mon-Gnasse était devenu terreux. L’apache, à ce moment, sentait que les choses tournaient mal pour lui. Bien sûr, il se rendait compte que ces pièces d’or découvertes dans sa poche, trouvées dans les bas de la Puce, constituaient une charge inquiétante. Comment expliquer leur présence ?
D’une voix qui hésitait déjà, Mon-Gnasse expliqua :
– Eh bien quoi, les jaunets y n’devaient rien à personne ! J’ai pas à expliquer ma fortune !
– Si, fit Juve. Quand on n’est pas propriétaire, il faut…
Mais Mon-Gnasse venait d’inventer une explication, il se hâta de la donner :
– Eh bien, voilà ! commença-t-il. Ce pèze-là, je l’ai gagné aux courses. J’voulais pas l’dire, parce que mes théories sont contre les courses et que j’suis honteux d’la chose…
En parlant, Mon-Gnasse jetait des coups d’œil sournois pour s’assurer de l’effet que produisaient ses paroles.
Juve, tranquillement, venait de se lever.
Sans hausser la voix, il disait à Léon :
– Faites donc conduire ces bonnes gens-là au cachot. Après tout, nous sommes bien bêtes de perdre du temps avec eux !
Or Mon-Gnasse, en écoutant ce propos, perdait toute son assurance.
Une peur affreuse lui venait.
Des fois, est-ce que les cognes ne l’auraient pas filé depuis Robinson ? Est-ce que la rousse ne savait pas qu’il turbinait pour Fantômas ? Ils étaient tous là à lui tirer les vers du nez ; peut-être bien qu’ils faisaient les imbéciles mais qu’ils en savaient long !…
Et Mon-Gnasse fut pris d’un désespoir violent à la pensée qu’on allait le reconduire dans sa cellule, qu’il y resterait peut-être au secret pendant sept ou huit jours et que, tout ce temps, il ne saurait rien de ce qui se tramait contre lui…
Mon-Gnasse ouvrit la bouche pour parler, mais la Puce le devança :
– Ah ! bien, zut alors ! déclarait la femme. Si c’est comme ça, moi, j’aime mieux jacter ! Bien sûr, qu’on sait des choses !…
Mon-Gnasse, à son tour, reprit la parole :
– Pour en savoir, se hâtait-il d’ajouter, ça, on en sait !… Seul’ment, nous autres, on est innocents…
Puis, d’un coup d’œil, Mon-Gnasse invitait la Puce à se taire.
– On n’peut même pas jacter ce qui s’appelle des renseignements, rapport à ce que l’type qui nous a r’filé les pièces, on l’connaît à peine…
– Ah ! fit Juve. On vous a donc refilé les pièces, maintenant ? Vous ne les avez plus gagnées aux courses ?
Mon-Gnasse se troubla tout à fait.
– C’est que, voilà, commençait-il.
Puis, il se décidait soudain et il parlait d’un ton ferme :
– Est-ce pas, on pourrait vous dire des choses, et vous en faire trouver beaucoup d’autres !… Seul’ment, la Puce et moi, rapporta c’qu’on est des honnêtes types, on connaît pas les noms des bougres qui font les coups… Est-ce qu’on pourrait pas, d’hasard, nous m’ner au cabaret du Cochon-Gras ? Dame, c’est là qu’on vous en montrerait, des pantes !… là, que vous en feriez, un coup de filet !… Ça s’peut-il ?
– On verra ! fit Juve.
Le policier faisait un signe à Léon. Éberlués, Mon-Gnasse et la Puce, se demandant pourquoi l’on coupait court à leur interrogatoire, furent emmenés hors du cabinet du chef de la Sûreté.
Ils étaient à peine partis que Juve expliquait aux ministres :
– Ces gens-là avoueront, messieurs. Ils n’avoueront pas aujourd’hui, évidemment, car ils espèrent encore pouvoir nous tromper, mais je devine qu’ils avoueront… Ils vont demander à se promener dans la pègre dans l’espoir de nous lasser. Quand ils verront qu’on ne les lâche pas, ils se décideront certainement à entrer dans la voie des aveux. C’est bien votre avis, monsieur Havard ?
M. Havard était au fond de son cœur très vexé de l’attitude qu’avait eue Juve, inconsciemment, car, emporté par son intelligence, le roi des policiers avait agi tranquillement, sans trop s’occuper de son chef.
M. Havard riposta avec un peu d’aigreur :
– Si vous m’aviez laissé le temps de parler, Juve, j’aurais exactement dit cela à ces messieurs !
À ce moment, le policier sourit. Il sentait le reproche ; il voulut calmer la jalousie du chef de la Sûreté.
– Fichtre ! murmura Juve tout haut… Et mon rendez-vous chez le juge d’instruction !
Rapidement, Juve prenait congé et partait. Il laissait le chef de la Sûreté reconduire les ministres ; c’était une compensation que M. Havard apprécierait certainement…
XV
Une leçon de discrétion
Juve s’avançait peut-être un peu ou encore ne confessait pas entièrement sa pensée lorsqu’il se déclarait certain que Mon-Gnasse et la Puce, d’ici peu de temps, se décideraient à reconnaître qu’ils n’étaient point aussi innocents qu’ils voulaient bien le dire et se résoudraient à apprendre quelle était la provenance exacte des pièces d’or saisies sur eux.
Juve partait, pour raisonner ainsi, d’un point de départ discutable.
Il n’avait point varié d’opinion, il estimait de plus en plus que le directeur de la Monnaie, autour duquel les soupçons semblaient se resserrer, était un malheureux innocent, victime d’un ensemble de circonstances ou, ce qui était pis encore, victime des plans ténébreux de quelque crapule acharnée à sa perte.
– L’histoire des faux certificats est louche, pensait-il. L’histoire du valet de chambre assassiné est plus louche encore… Enfin, le double attentat commis contre Paulette de Valmondois est si louche lui-même que cela dépasse les bornes permises.
Et Juve finissait par déclarer :
– On n’est pas bête à ce point-là ! Si Léon Drapier était le coupable, il n’aurait pas accumulé autant de maladresses certaines, autant d’indices constituant des charges terribles contre lui !
Juve n’avait pas été trop surpris d’apprendre, quelque temps auparavant, qu’aux charges qui pesaient déjà contre Léon Drapier de nouvelles charges s’étaient encore ajoutées. L’histoire des louis d’or antidatés, de ces louis d’or qui auraient dû, plus d’un an encore, dormir dans les caves de la Monnaie et qui, cependant, se trouvaient en circulation, l’étonnait à peine.
– Diable de diable ! pestait alors Juve. Tout s’enchaîne, tout s’accumule, tout semble s’ajouter pour arriver à charger ce Léon Drapier !… Ce n’était pas assez de deux crimes, voilà maintenant qu’il s’agit d’affaires peu propres, concernant ses fonctions de directeur de la Monnaie ! Allons, à force de s’embrouiller, cette histoire-là finira par s’éclaircir !
Et Juve, qui pestait en réalité de n’avoir pu s’embarquer pour aller au Chili chercher Hélène, commençait à se prendre malgré lui d’intérêt pour une enquête qui chaque jour devenait plus difficile, qui paraissait même devoir être désormais complexe et mystérieuse au possible.
– On verra ! On verra ! se disait Juve.
Et c’était fort de cet optimisme, persuadé que la lumière se ferait, que Juve venait de se montrer si affirmatif devant le ministre en déclarant que Mon-Gnasse et la Puce avoueraient à bref délai.
– Avant tout, songeait-il, il faut gagner du temps. Que diable ! Ce n’est pas Léon Drapier qui livre des louis d’or antidatés à ces deux apaches !… C’est un autre individu. Qui, par exemple ? Je n’en sais rien, mais j’arriverai à le trouver !
Juve, ayant quitté la préfecture, se rendait en hâte au Palais de Justice où il gagnait les couloirs d’instruction, voulant assister à l’enquête qu’un magistrat continuait à mener relativement aux affaires criminelles dans lesquelles s’était trouvé compromis le nom de Léon Drapier.
Juve arriva en retard, mais il n’eut pas à le regretter.
Comme le greffier lui passait en effet, sur un signe du juge, les feuillets qu’il venait de noircir et sur lesquels étaient consignées les questions du magistrat et les réponses qu’avaient faites les différents témoins entendus, Juve arrivait très vite à se faire une conviction. Cette conviction se résumait en ceci :